Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, risquer sa vie pour celle des autres, voilà ce que font chaque jour les hommes et les femmes qui s'engagent dans les services départementaux d'incendie et de secours. Nous saluons leur courage et leur engagement dans la protection des personnes et des biens.
Aux côtés des 43 000 sapeurs-pompiers professionnels et des 199 000 sapeurs-pompiers volontaires, on trouve les personnels de santé des Sdis, médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues ou encore vétérinaires.
En pratique, les médecins des Sdis exercent une double mission : ils viennent en aide aux victimes et assurent un rôle de médecine du travail, de prévention et de médecine d'urgence auprès des pompiers eux-mêmes. Pourtant, le cadre juridique en vigueur ne les autorise pas à exercer ces différentes missions simultanément.
Pour respecter la loi, les Sdis devraient donc en principe recruter des médecins pour la prévention, d'autres pour l'aptitude et d'autres encore pour la médecine d'urgence. C'est bien sûr totalement impossible.
En effet, le manque de médecins est une réalité – nous en parlerons d'ailleurs longuement cette semaine, au cours des débats sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires –, que nous connaissons tous et qui s'observe partout, y compris au sein des Sdis, dont l'effectif des médecins a lourdement chuté : en dix ans, le nombre des médecins volontaires, qui représentent 95 % de l'effectif des personnels de santé, a diminué de 20 %.
Par ailleurs, il est très peu probable que les Sdis aient les capacités financières nécessaires pour assurer le recrutement d'autant de médecins.
Ainsi, cette proposition de loi a pour objet de rectifier le cadre juridique, pour qu'il autorise le cumul de ces missions par un même médecin. Elle a également vocation à consacrer dans la loi le rôle et les missions de tous les professionnels de santé des services d'incendie et de secours, qui sont actuellement presque uniquement définis par voie réglementaire.
À l'instar de la proposition de loi sur la profession d'infirmier qui a été adoptée la semaine dernière au Sénat, ce texte offrira à tous les personnels de santé, professionnels et bénévoles, la reconnaissance qu'ils méritent.
Je me réjouis que les psychothérapeutes des Sdis aient été intégrés au texte à l'Assemblée nationale. Leur rôle au côté des psychologues est absolument fondamental. Dans mon département, le Nord, quatorze pompiers se sont suicidés au cours des quatre dernières années.
En France, 1 500 agressions ont été recensées en 2024, soit 3 % de plus qu'en 2023. Hier encore, en Haute-Savoie, des sapeurs-pompiers ont été agressés. L'un d'entre eux est toujours entre la vie et la mort ; nous lui souhaitons le meilleur rétablissement possible. Qu'ils soient tous assurés, ainsi que leurs proches, de notre soutien.
Les pompiers sont confrontés à des risques psychosociaux particuliers et doivent bénéficier d'un réel accompagnement psychologique. Je rappelle ce chiffre effrayant : les agressions contre les sapeurs-pompiers ont augmenté de 380 % en quinze ans !
En commission, nous avons été particulièrement attentifs au débat sur l'amendement visant à supprimer le conditionnement de l'exercice d'un médecin à la validation d'une formation adaptée. La difficulté à trouver un médecin en Sdis est telle qu'ajouter des exigences particulières à son recrutement peut sembler un luxe. Toutefois, s'agissant de questions médicales parfois vitales, il est essentiel que les professionnels de santé qui interviennent soient les mieux formés possible.
Vous l'avez dit, monsieur le ministre, il est préférable de compter sur le terrain un infirmier anesthésiste ayant l'habitude d'intuber des patients qu'un médecin biologiste qui ne pratique jamais cet acte. Aussi, le but d'une telle mesure était non pas de rigidifier les pratiques, mais de les sécuriser, afin de donner le maximum de chances aux personnes secourues. Ce débat a mis en évidence le difficile équilibre que nous nous efforçons toujours de trouver entre sécurité et souplesse des normes.
Cela dit, la suppression de cette mesure ne nous empêchera évidemment pas de voter ce texte, qui contient des modifications nécessaires au bon exercice des missions essentielles assurées par les Sdis. Il est indispensable de sécuriser l'action des personnels de santé et de reconnaître l'importance de leur rôle en le consacrant sur le plan législatif. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à saluer les efforts déployés par Mme la présidente de notre commission des lois, Muriel Jourda, ainsi que par Mme la rapporteure, Françoise Dumont, en faveur de l'amélioration des conditions de travail des personnes qui assurent les services de santé et de secours médical pour les services d'incendie et de secours (SIS).
Pour soutenir ces missions essentielles à la sécurité des Français, Mmes Dumont et Jourda ont travaillé sur la base de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par notre collègue député Jean-Carles Grelier.
Les services de secours et d'incendie ont vocation à secourir et à protéger les personnes, les biens et l'environnement. Ils doivent en outre lutter contre les périls et les conséquences d'événements et de phénomènes de toute nature – inondations, pollutions, incendies, accidents de la route, etc.
Les équipes concernées accomplissent un travail considérable, qui suppose un engagement quotidien et mérite toute notre reconnaissance. Ces femmes et ces hommes risquent parfois leur vie. Nous exprimons notre soutien et notre compassion à tous ceux qui, parmi eux, paient le lourd tribut de leur esprit de sacrifice. Je pense bien sûr, en particulier, au sapeur-pompier grièvement blessé en Haute-Savoie hier au soir.
Le présent texte ne permet pas de répondre au déficit d'attractivité dont souffrent aujourd'hui les métiers de santé au sein des SIS. Mais il dote d'une base légale l'exercice cumulatif, par les médecins de sapeurs-pompiers, de la médecine de soins, de la médecine d'aptitude et de la médecine de prévention.
Les divers ajustements législatifs dont il s'agit et leur justification ont été rappelés par les orateurs précédents. Je n'y reviendrai donc pas.
Le Sénat a veillé à la lisibilité et au caractère opérationnel du présent texte, pour sécuriser au mieux l'exercice cumulatif des missions des médecins de sapeurs-pompiers.
Quel que soit leur territoire, les Français et leurs élus locaux attendent une meilleure réponse aux besoins de sécurité et de santé. Or les nombreuses missions des sous-directions santé des services d'incendie et de secours sont aujourd'hui régies par des dispositions réglementaires, ce qui en soi pose problème.
En outre, les médecins pompiers ne peuvent, en l'état, exercer leurs différentes attributions de manière cumulative, ce qui soulève des difficultés pratiques évidentes : un SIS devrait recruter autant de médecins que de spécialités correspondantes…
L'article 1er met un terme à cette incohérence, en s'alignant sur le dispositif applicable aux médecins du service de santé des armées. Ces dispositions permettent, de surcroît, de redonner la main au législateur.
Leur champ d'application est étendu aux missions dévolues aux pharmaciens, aux infirmiers, aux psychologues et aux vétérinaires sapeurs-pompiers, dont les compétences sont de plus en plus nécessaires : les demandes de nos concitoyens en témoignent. Chacun peut souligner le professionnalisme de ces acteurs, dont la variété des compétences est si précieuse.
Je remercie également mes collègues de la commission des lois d'avoir veillé à la qualité rédactionnelle du dispositif : ils ont su réécrire le présent texte de manière pragmatique, en le simplifiant et en le clarifiant.
Je sais combien le président de notre assemblée est attentif à la qualité de la norme, dont le Sénat doit être le garant, qu'il s'agisse de la distinction entre les domaines réglementaire et législatif ou encore de la limitation des régimes dérogatoires au droit, dont nous devons toujours évaluer la pertinence.
La préservation de notre modèle de sécurité civile et la protection des personnels sont des nécessités. Il en est de même de l'évolution organisationnelle des services : ces derniers doivent sans cesse acquérir de nouvelles compétences, qu'elles soient sanitaires, territoriales ou sociales, et faire face à de nouvelles situations particulières.
Les recrutements sont eux aussi appelés à évoluer. Je pense notamment aux évaluations d'aptitude indispensables au sein des services départementaux d'incendie et de secours, qu'il convient de différencier selon les fonctions exercées. Le présent texte répond partiellement aux difficultés déplorées dans ce domaine. Comme l'a précisé Mme la rapporteure, les réflexions dédiées à cette thématique devront être poursuivies dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
Bien sûr, ce texte ne saurait répondre à toutes les difficultés de recrutement auxquels font face les SIS. Mais, à nos yeux, il constitue une amélioration pour les personnels de santé des Sdis et permettra une meilleure présence médicale auprès des sapeurs-pompiers.
Mes chers collègues, les membres du groupe Les Républicains vous invitent donc à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à l'organisation et aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues professionnels et volontaires des services d'incendie et de secours.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. Mes chers collègues, je tiens à saluer la belle unanimité dont a bénéficié cette proposition de loi. Cruellement éprouvée ces jours derniers, la communauté des sapeurs-pompiers vous en saura gré, j'en suis sûre.
Grâce au présent texte, nous allons mettre fin à une incohérence qui était devenue tout à fait injustifiable sur le terrain.
Mes chers collègues, je vous remercie sincèrement du travail que nous venons d'accomplir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'associe naturellement aux propos de Françoise Dumont.
Je salue le travail accompli par Jean-Carles Grelier, puis par ses collègues députés, ainsi que par Mme la rapporteure et Mme la présidente de votre commission des lois. Il me semble que nous avons œuvré efficacement dans l'intérêt de la prise en charge des patients dans nos territoires.
Chacun peut le constater : les rôles et les missions des sapeurs-pompiers connaissent aujourd'hui de fortes évolutions. Le présent texte permettra de s'adapter à ces réalités. Je pense en particulier aux professionnels de santé, qui, au-delà de leur métier, choisissent de devenir sapeurs-pompiers, parfois en tant que bénévoles.
Je salue également l'excellente coordination assurée, toujours dans l'intérêt des malades, entre les services d'aide médicale urgente (Samu), d'une part, et, de l'autre, les services départementaux d'incendie et de secours – ou, comme on peut le dire familièrement, entre les « blancs » et les « rouges ».
Cette excellente collaboration, que nous observons tous dans nos territoires, est véritablement gage d'efficience. Elle permet de gérer nombre de situations difficiles. Elle fait gagner un temps précieux, dont dépend le pronostic lui-même dans les situations d'urgence, qu'il s'agisse d'infarctus, d'arrêts cardiaques, d'accidents vasculaires ou encore de traumas particulièrement graves.
La présente proposition de loi constitue, à ce titre, une avancée significative pour la collaboration des forces vives de nos territoires, en faveur de l'accès aux soins de nos concitoyens.
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Accueil et information des personnes retenues
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à confier à l'Office français de l'immigration et de l'intégration certaines tâches d'accueil et d'information des personnes retenues, présentée par Mme Marie-Carole Ciuntu (proposition n° 472, texte de la commission n° 594 rectifié, rapport n° 593).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que j'ai l'honneur de soumettre aux suffrages de la Haute Assemblée et que quatre-vingt-seize d'entre nous ont cosignée, traduit la volonté de redonner à notre pays la maîtrise de sa politique migratoire. Il s'agit, à cet égard, d'une contribution parmi d'autres.
Le présent texte porte sur un point précis : la mission d'information et d'assistance juridique assurée dans les centres de rétention administrative (CRA).
L'État a délégué cette mission à certaines associations. À mon sens, il doit désormais l'exercer lui-même, en s'appuyant sur les moyens réels et sur les compétences reconnues dont dispose l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii).
Ce sont aujourd'hui cinq associations qui, dans le cadre d'un marché public divisé en lots et lancé par l'État, sont présentes dans les centres de rétention pour exercer la mission d'assistance juridique auprès des personnes retenues ou en attente.
Lors de la création des CRA en 1984, la Cimade se trouvait en situation de monopole. Depuis 2008, ce monopole a pris fin et cinq associations sont actuellement réparties dans les vingt-cinq CRA, à raison d'une association par centre. La Cimade a toutefois bénéficié de la rémunération la plus importante en vertu des marchés couvrant la période de 2021 à 2024 – M. le ministre nous en dira peut-être davantage au sujet du dernier marché en date.
L'État a donc choisi de déléguer au secteur associatif cette mission, qui lui incombe pleinement. Mais il pouvait tout aussi bien la confier à d'autres opérateurs qu'à des associations, ou encore l'exercer directement. Désormais, la question est la suivante : les associations peuvent-elles conserver ce rôle sans entraver la politique de l'État lui-même ?
Les CRA ont vocation à maintenir dans des lieux fermés les étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente d'un retour dans leur pays d'origine, afin d'éviter une installation sur le territoire français. Suivant les orientations du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), la grande majorité des étrangers retenus représentent une menace pour l'ordre public, en plus d'être en situation irrégulière en France.
Chacun a le droit d'assurer sa défense : ce point n'est pas contestable pour les personnes retenues. À cette fin, l'État finance des associations qui ne sont généralement pas neutres. Certaines d'entre elles s'opposent même systématiquement au départ de tout étranger du sol français, quelle que soit sa situation.
Il faut savoir que seules 40 % des personnes retenues dans les CRA quittent notre territoire. Certes l'obtention plus ou moins rapide des laissez-passer consulaires, voire, dans certains cas, leur non-obtention, constitue une problématique. Mais ce n'est pas l'unique explication : les recours incessants préparés par les associations concourent également à la situation actuelle.
J'en viens à présent aux aspects financiers de cette question.
Le budget lié à l'assistance juridique assurée par les associations n'est pas le poste de dépenses le plus considérable, sur le milliard d'euros d'argent public versé chaque année aux associations pour remplir différentes missions dans le domaine de l'immigration et de l'intégration. Il convient toutefois de dresser ce constat, formulé très clairement par la Cour des comptes : alors que le nombre de personnes retenues a baissé de 20 %, le coût de l'assistance juridique assurée par l'intermédiaire des associations, lui, a augmenté de 30 %.
J'ajoute que l'aide juridictionnelle a vocation à couvrir les frais liés aux recours, parmi lesquels figure l'analyse de la situation juridique du demandeur ou encore la rédaction de mémoires, des missions pour lesquelles les associations intervenant dans les CRA sont également rémunérées.
Globalement, d'importants moyens sont affectés chaque année au fonctionnement des centres de rétention administrative. Il nous revient de nous assurer que cet argent public est utilisé à bon escient. Or les résultats obtenus ne sont pas encore suffisants.
Mes chers collègues, je vous pose la question : est-il raisonnable de continuer ainsi ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Pour en revenir plus précisément au sujet qui nous occupe, force est de le constater : le choix de confier ce rôle à des associations militantes, qui, souvent, luttent de manière frontale contre la politique migratoire du Gouvernement, ce qui est d'ailleurs leur droit le plus strict, portait en germe un certain nombre de contradictions.
Or ces contradictions ne peuvent plus être surmontées dès lors que nous nous trouvons dans un contexte de fort accroissement des flux migratoires et que la population placée dans les CRA a changé de nature.
Je le répète, moins de 40 % des personnes retenues en CRA repartent dans leur pays. En outre, près de 45 % des contentieux formés devant les tribunaux administratifs ont pour objet les contestations liées au droit des étrangers : dans le système actuel, nous sommes pour ainsi dire à l'origine de notre propre impuissance.
La Cour des comptes insiste sur cette multiplication des recours contentieux, lesquels sont formés systématiquement contre les décisions prises à l'encontre d'une personne retenue, parfois sans que cette dernière en ait réellement l'initiative. Ces procédures exploitent toutes les failles de notre droit, si bien que l'embolisation des tribunaux devient une fin en soi.
Il est grand temps de s'en souvenir : ce sont non pas les associations qui définissent la politique de l'État, mais bien l'État qui, comme le souhaitent nos concitoyens, met en œuvre sa politique d'immigration, sans pour autant dénier aux étrangers retenus le droit à une défense.
L'Ofii est déjà présent au sein des centres de rétention administrative. Il assure l'accueil ; il protège les plus faibles des personnes retenues ; il accompagne ceux qui, de leur propre chef, décident de rentrer dans leur pays d'origine. Son directeur général, M. Didier Leschi, se dit prêt à reprendre ces missions.
Il est temps de passer des paroles aux actes. Souvenons-nous du meurtre de la jeune Philippine : ce drame nous enseigne que les décisions prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière présentant un danger particulier ne sont pas prises au hasard ou de manière arbitraire. Dans la plupart des cas, elles ont leur raison d'être. Elles ont donc vocation à s'appliquer.
Ma proposition de loi vient en complément du texte présenté par ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio, lequel permet d'allonger la durée de rétention dans les centres. Elle est débattue alors même que le nombre de places dans les centres de rétention administrative doit passer de 2 000 à 3 000 à l'horizon de 2027.
Il est permis de s'interroger sur les conséquences de l'augmentation de ce nombre de places pour les permanences juridiques des associations dans les CRA, alors que les coûts sont déjà en hausse pour un nombre de personnes retenues en baisse.
La question du coût est évidemment d'autant plus prégnante à l'heure où de nombreux secteurs font face à de grandes difficultés budgétaires.
De l'argent public est aujourd'hui alloué aux CRA, dans des proportions non négligeables, notamment pour financer des associations qui n'ont de cesse de condamner l'existence même de ces centres – à croire certaines d'entre elles, pas un seul étranger de notre pays ne mériterait d'y être placé ! Le statu quo n'est plus possible.
Mes chers collègues, en attendant une grande loi sur l'immigration, qui passera certainement par une consultation directe des Français (M. Thomas Dossus s'exclame.), démontrons que la politique des petits pas peut être utile à la France.
Sur ce sujet, je crois pouvoir compter sur le soutien de notre assemblée et je sais que la volonté du Gouvernement rejoint la mienne. Nous ne pouvons pas perpétuellement déplorer que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) soient de moins en moins souvent exécutées et ne pas chercher des solutions pour résoudre ce problème.
Sans remettre en cause la sincérité et l'engagement des acteurs associatifs, je tiens à répondre par avance au procès en inhumanité que certains ne manqueront pas d'intenter. Je me suis déplacée dans différents CRA…
M. Thomas Dossus. Nous aussi !
Mme Marie-Carole Ciuntu. … et je vais continuer de le faire dans le cadre de la mission de contrôle que m'a confiée la commission des finances. J'ai pu constater l'efficacité des personnels de l'Ofii et leur bonne connaissance du terrain.
Selon moi, l'inhumanité consiste plutôt à maintenir coûte que coûte sur le territoire national des étrangers placés en rétention, qui ont subi des parcours difficiles et qui demeurent sans réelle perspective. Je doute que notre politique actuelle, frappée de schizophrénie, leur offre les meilleures chances de s'en sortir…
Je m'adresse aussi à nos policiers, qui, confrontés à des situations d'une extrême dangerosité, font tout pour maintenir le calme. Avant de se protéger eux-mêmes, ils pensent à protéger les étrangers retenus, contre eux-mêmes ou contre les autres. Leur dévouement rend supportable une situation de tension perpétuelle, fruit d'un système lui-même en perpétuelle tension.
Si nous ne rétablissons pas la cohérence de notre politique migratoire, nos agents s'épuiseront à chercher le sens de leur mission, tout en restant aux prises avec une gestion quotidienne difficile.
Mes chers collègues, prenons les mesures qui s'imposent. Faisons-le pour retrouver la cohérence de nos décisions. Faisons-le pour reprendre le contrôle de notre politique migratoire. C'est ce qu'attendent de nous les Français. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. David Margueritte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de Marie-Carole Ciuntu, dont nous débattons cet après-midi, a été adoptée la semaine dernière par la commission des lois, au nom de laquelle je tiens à vous rappeler le cadre juridique sur lequel repose la politique d'information et d'assistance juridique à destination des personnes retenues ou placées en zone d'attente.
Je précise dès à présent que ce cadre est, à nos yeux, défaillant, et que la proposition de loi de notre collègue est dès lors pleinement justifiée.
Le cadre juridique existant repose sur une externalisation consentie à un certain nombre de personnes morales. Mme Ciuntu l'a rappelé : la Cimade a longtemps bénéficié d'une situation de monopole, avant l'ouverture à la concurrence, décidée en 2008. D'autres associations, parmi lesquelles l'Association service social familial migrants (Assfam), le Forum réfugiés ou encore France Terre d'Asile ont, à compter de cette date, pu intervenir dans les différents CRA en vertu de marchés renouvelés une nouvelle fois en 2025.
Ce cadre juridique, fixé par le Ceseda et plus précisément par son article L. 744-9, détaille bien les missions d'accueil, d'information et de soutien. Le Ceseda renvoie au pouvoir réglementaire le soin d'organiser la politique d'assistance juridique par le biais d'un décret en Conseil d'État.
À cette fin, des conventions doivent être conclues avec des personnes morales. Les associations ne sont pas seules compétentes à exercer ces missions, qui comprennent l'information relative aux droits, l'analyse de la situation de la personne retenue, en théorie individualisée, le conseil et l'orientation vers des démarches adaptées, ainsi que l'aide à la rédaction de documents, la formation des recours et la transmission, in fine, des diverses pièces à l'avocat.
Ces missions s'accomplissent au moyen de permanences, assurées six jours sur sept, et de locaux mis à disposition dans les centres de rétention administrative.
Or le système actuel ne nous semble pas fonctionner correctement, ce qui entrave l'exercice du droit au recours lui-même.
Premièrement – Mme Ciuntu l'a rappelé à la suite de la Cour des comptes –, le coût de cette mission a très fortement augmenté au cours des dernières années. En 2024, il a dépassé 7 millions d'euros, et la hausse se poursuit encore en 2025 : cette année, plus de 9 millions d'euros seront consacrés aux associations, sans aucune corrélation avec le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative. Au contraire, ce dernier diminue. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Dans son rapport de la fin de l'année 2024, la Cour des comptes le souligne d'ailleurs de manière assez malicieuse : il n'est pas douteux que les associations remplissent leurs missions d'assistance juridique, si l'on en juge d'après les volumes des recours déposés devant les tribunaux…
Face à la masse des procédures désormais engagées, notre collègue auteure de la proposition de loi met bien en lumière cette systématisation des recours.
Deuxièmement, la posture adoptée par les associations elles-mêmes paraît, dans son ensemble, pleinement justifier la révision de ce système.
M. Guy Benarroche. Ce n'est pas une posture. C'est le respect du droit !
M. David Margueritte, rapporteur. L'article 1er de la loi du 24 août 2021 le souligne de manière très claire : les associations chargées d'une délégation de service public sont soumises, dans le cadre de leur mission, à un strict devoir de neutralité. Cette obligation ne remet nullement en cause la liberté d'expression de ces associations ou l'action de plaider qu'elles déploient par ailleurs.
Toujours est-il que, selon certaines d'entre elles, la politique d'éloignement pratiquée par les gouvernements successifs constitue un problème en soi : une telle posture militante pose nécessairement question. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) On s'interroge notamment sur la nature des recours formés, sur les conditions d'exercice des missions confiées à ces associations et sur le véritable objet de leur mission d'assistance juridique, dans l'intérêt même des personnes retenues.
Or la systématisation des recours se poursuit et s'accélère. La Chancellerie estime à 48 000 le nombre de recours formés devant le juge judiciaire l'année dernière. Le volume de ces derniers a bondi de plus de 30 % en deux ans et, devant le juge administratif, le contentieux de l'éloignement suit une trajectoire comparable : l'augmentation constatée à ce titre est de 18 % entre 2019 et 2023.
Je précise d'ailleurs que le taux de succès de ces recours est très aléatoire, ce qui tend à prouver la fragilité d'un certain nombre d'entre eux.
Très concrètement, quelle est la procédure prévue pour une personne qui, aujourd'hui, arrive dans un centre de rétention administrative ?
Tout d'abord, cette personne se voit notifier ses droits par les responsables du CRA. Puis, les représentants de l'Ofii se chargent de l'informer sur les conditions matérielles de son retour et ses conditions d'existence le temps de la rétention. C'est alors que l'association compétente intervient, souvent à l'aide de formulaires préremplis, en cochant tous les motifs de légalité externe ou interne. Or – les juridictions le signalent de manière régulière – les moyens soulevés sont souvent lacunaires, en fait comme en droit.
Les avocats interviennent en fin de chaîne, découvrant la plupart du temps le dossier lors de l'audience et ne produisant presque jamais de mémoire complémentaire. La requête, sauf exception, a été rédigée par d'autres…
C'est à ce titre que l'on peut s'interroger sur l'efficacité de la dépense et sur l'effectivité du droit au recours. En effet, dans les centres de rétention administrative, les permanences d'avocats se raréfient, à rebours d'une préconisation formulée par notre commission des lois voilà maintenant dix ans.
Or l'aide juridictionnelle a vocation à couvrir toutes les diligences effectuées au titre des recours. Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si l'État ne paie pas deux fois sa politique d'assistance : une première fois aux associations, qui rédigent le projet de recours, voire le recours lui-même intégralement ; et une seconde fois à l'avocat, qui assure la mission de représentation.
Le budget de l'aide juridictionnelle elle-même connaît d'ailleurs une forte progression. En 2024, il atteignait 6,5 millions d'euros, si l'on s'en tient au juge judiciaire ; si l'on y ajoute les procédures formées devant le juge administratif, il avoisinait même les 10 millions d'euros.
Troisièmement – nous avons pu nous en convaincre au fil des nombreuses auditions menées par la commission des lois, ainsi que lors de nos visites de centres de rétention administrative –, divers incidents émaillent, ici ou là, le travail de ces associations.
Ils mettent au jour la perméabilité entre leur action militante et leur mission d'assistance juridique stricto sensu. On peut penser aux affichages militants constatés dans certains centres de rétention administrative, aux recours rédigés à la hâte ou même signés à blanc. Dans certains cas, l'effectivité de la mission semble sujette à caution.
En conséquence, notre collègue propose de simplifier la procédure en vigueur dans les centres de rétention administrative.
Le travail d'information serait assuré par l'Ofii, qui, j'y insiste, y est déjà présent. On se contenterait d'étendre les missions de l'office. Quant à l'assistance juridique, elle serait confiée aux avocats, dont nul ne saurait remettre en cause l'impartialité et l'indépendance. D'ailleurs, avant même la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2024, rendue sur la base d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il était acquis que les étrangers, même en situation irrégulière, avaient droit à cette assistance, y compris à l'aide juridictionnelle.
L'intervention de l'Ofii ne poserait réellement aucun problème d'indépendance ou d'impartialité : on se contenterait de déléguer à cet office la mission d'information. Quant aux avocats, je le répète, ils seraient chargés d'assurer l'assistance juridique.
Ce système serait à la fois plus simple et plus efficace. Il ne se heurterait à aucun obstacle légal, qu'il soit conventionnel, constitutionnel ou même jurisprudentiel.
Dans un arrêt du 3 juin 2009, le Conseil d'État relève que les personnes retenues doivent avoir accès à des personnes morales présentant des garanties d'indépendance et de compétence suffisantes. Quant à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), elle mentionne, dans son article 5, une information large et adaptée, que garantit le présent texte.
De même, cette proposition de loi ne remet absolument pas en cause l'article 13 de la directive Retour, qui, dans les mêmes termes, traite de la représentation juridique et de l'assistance garanties aux étrangers.
Ce système, en vertu duquel la mission d'information est assurée par un service public et où les avocats exercent quant à eux l'assistance juridique, est déjà en vigueur dans d'autres pays. Je pense notamment à l'Allemagne, à l'Espagne et aux Pays-Bas.
Enfin, la commission a amendé le présent texte pour assurer la pleine cohérence des différentes missions : désormais, on précise clairement que les représentants de l'Ofii interviennent au cours de la procédure au côté des avocats, en s'alignant sur les dispositions relatives aux zones d'attente.
En l'état, cette proposition de loi nous semble donc apporter toutes les garanties nécessaires. L'Ofii est un acteur connu et reconnu, à même de fournir une information éclairée ; et, devant notre commission des lois, son directeur général a assuré qu'il était tout à fait prêt à accepter cette mission, à condition d'obtenir les équivalents temps plein (ETP) nécessaires.
Nous avons, enfin, amendé le présent texte, afin de permettre son entrée en vigueur à partir de 2026. Nous serons donc au rendez-vous pour assurer une assistance juridique digne de ce nom et une information éclairée des personnes retenues. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)