Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'état et à indemniser les victimes du chlordécone
Article 1er
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux d'anxiété, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il s'assigne pour objectif la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur leurs effets sanitaires et environnementaux.
Il s'engage à conduire des actions visant à supprimer le risque d'exposition au chlordécone, en priorité pour protéger la santé des populations et en particulier en matière de sécurité sanitaire et de l'alimentation.
Il s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone.
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non, et de leurs territoires.
Il confie l'évaluation de l'atteinte de ces objectifs à une instance indépendante de son choix, qui rend un premier rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard à la fin de l'année 2025, puis tous les trois ans, afin de renforcer, si besoin, les actions mises en œuvre.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices subis par les populations et les territoires de Guadeloupe et de Martinique résultant des autorisations provisoires de vente, des homologations et des autorisations d'utilisation à titre dérogatoire accordées à des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone comme insecticide agricole.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je partage les propos de la plupart des orateurs qui viennent de s'exprimer – j'aurai probablement l'occasion d'y revenir dans quelques instants. Il faut regarder la réalité en face : l'État doit reconnaître sa part de responsabilité, et même, tout simplement, sa responsabilité. Aucun gouvernement n'avait jamais été aussi clair à ce sujet que je l'ai été il y a un instant à la tribune.
Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que le débat se concentre sur la question du préjudice moral d'anxiété. Aussi, pour que notre discussion se recentre sur ce point précis, je retire l'amendement du Gouvernement.
M. Victorin Lurel. Bravo !
Mme la présidente. L'amendement n° 20 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 27 n'a plus d'objet. Par ailleurs ne sont plus en discussion commune que les amendements nos 4 rectifié et 21.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
part de
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement, auquel j'associe bien évidemment mon collègue Dominique Théophile, lui aussi sénateur des Antilles, vise à reconnaître pleinement la responsabilité de l'État dans le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.
Nous ne cesserons de marteler avec force, dévotion et responsabilité que le fait de substituer à cette reconnaissance claire une simple « part de » responsabilité revient à diluer la vérité, alors même que la cour administrative d'appel de Paris, dans une décision du 11 mars 2025, a été sans équivoque : l'État est seul à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone, et ce malgré des alertes scientifiques précoces. Ni les planteurs ni les industriels n'avaient prise sur cette décision.
Cette reconnaissance explicite, attendue de longue date par les populations martiniquaise et guadeloupéenne, s'inscrit dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête parlementaire de 2019. Elle n'est ni idéologique ni symbolique. Elle repose sur des faits établis et constitue un acte de vérité, de justice et de responsabilité institutionnelle. Ne laissons pas l'histoire s'écrire à moitié : adoptons cet amendement !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, l'exposé sommaire de votre amendement laisse sous-entendre que la rédaction de l'alinéa 1 de l'article 1er proposée par la commission revient à atténuer la reconnaissance de la responsabilité de l'État.
Or je le redis : je ne le crois pas. Je considère en effet plus honnête et plus objectif de considérer que l'État n'était pas le seul responsable de cette contamination et de cette pollution. Selon moi, les industriels ayant produit le chlordécone, ainsi que les exploitants de bananeraies ont également leur part de responsabilité.
Aussi, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le sénateur Buval, vous proposez d'inscrire dans la loi que l'État reconnaît sa responsabilité plutôt que sa « part de » responsabilité. Cette dernière formulation, retenue dans le texte élaboré par la commission, traduit le fait que l'État n'était pas le seul responsable.
Elle est cohérente avec les récentes décisions de justice rendues par le tribunal judiciaire de Paris – je pense à l'ordonnance de non-lieu du 2 janvier 2023 – et la cour administrative d'appel de Paris – il s'agit de l'arrêt du 11 mars 2025. Dans cette dernière décision, la justice relève qu'un certain nombre d'acteurs économiques – producteurs, importateurs, distributeurs, organisations professionnelles, utilisateurs – ont également une part de responsabilité dans la pollution.
S'il existe une responsabilité d'autres acteurs, l'État assume cependant pleinement la sienne et n'entend pas la minimiser. Il faut rappeler que c'est bien l'État qui est à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone et de leur prolongation.
C'est la première fois, je le répète, qu'un gouvernement de la République, par ma voix, accepte une telle reconnaissance. Comme j'ai eu l'occasion de l'annoncer au cours de la discussion générale, j'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le texte qui nous est soumis est le fruit d'un compromis, lequel vient d'être préservé par le retrait de l'amendement du Gouvernement. Par conséquent, monsieur le ministre d'État, j'avoue que j'ai quelque mal à comprendre l'avis que vous venez de rendre sur l'amendement de mon collègue Buval.
Vous avez dit à la tribune que l'État reconnaissait sa part de responsabilité dans ce drame, notamment en raison de la délivrance d'autorisations de mise sur le marché du pesticide. Le texte de la commission, tel qu'il a été adopté à l'unanimité, n'empêche pas les potentielles victimes de saisir les tribunaux pour rechercher d'autres coresponsables. La position commune arrêtée par tous les groupes politiques consiste à reconnaître que l'État n'est pas seul responsable, mais qu'il a sa part de responsabilité pour ce qui le concerne.
Pour le reste, il revient aux tribunaux de dire le droit. Il faut savoir que certains commerçants se sont transformés en producteurs de Curlone et de Kepone, engageant leur propre responsabilité dans l'utilisation prolongée du produit. Je précise à cet égard que, contrairement à ce que j'ai entendu, on a eu recours au chlordécone après 1993, et même après 2000, puisque des stocks de pesticides ont été utilisés clandestinement et frauduleusement.
Je souhaiterais que notre assemblée reste en congruence, si j'ose dire, avec la position de la commission. Si je comprends l'intention de Frédéric Buval, je n'approuve pas son amendement, car il tend à remettre en cause tout l'équilibre du texte sur lequel nous nous sommes entendus. J'appelle au respect du travail de la commission !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 312 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 71 |
Contre | 269 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les deux amendements suivants font l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
sanitaires,
insérer les mots :
moraux et
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à préciser utilement le dispositif de l'article 1er afin d'éviter que le préjudice d'anxiété, désormais reconnu par la jurisprudence, n'éclipse à lui seul l'ensemble des souffrances morales subies par les victimes du chlordécone.
Oui, la reconnaissance du préjudice d'anxiété par la cour administrative d'appel de Paris, le 11 mars dernier, est une avancée importante. Elle prolonge des travaux déjà engagés, ici même au Sénat, par mon collègue Dominique Théophile.
Néanmoins, les préjudices causés par une exposition prolongée à un pesticide comme le chlordécone ne se résument pas à l'angoisse d'une maladie future. Il y a d'autres formes d'atteintes, pour les personnes comme pour les territoires. Nous proposons simplement d'en tenir compte en maintenant dans la loi la mention explicite à des préjudices moraux au sens large, et ce pour que notre texte ne ferme pas la porte, par omission, à une reconnaissance plus juste et plus complète des souffrances vécues.
Mme la présidente. L'amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
d'anxiété
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. J'ai retiré le précédent amendement du Gouvernement, parce que je voulais que l'on se concentre sur la question des préjudices moraux d'anxiété.
Il convient de distinguer le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave, du préjudice moral, qui recouvre l'atteinte psychologique subie par une personne qui a déjà développé une pathologie grave. Le juge administratif, que toute personne s'estimant victime peut saisir, est susceptible de réparer ces deux types de préjudices.
La formulation proposée par le texte de la commission n'est, de mon point de vue, pas conforme à la jurisprudence administrative. Elle ne me semble pas en phase avec les conditions très strictes définies par la jurisprudence pour ce préjudice particulièrement complexe et difficile à établir.
Je vous rappelle que la cour administrative d'appel de Paris a certes condamné l'État, mais qu'elle n'a reconnu une faute de sa part qu'à l'encontre de moins de 1 % des 1280 requérants – je précise cependant que la décision n'est pas définitive, puisque plusieurs pourvois ont été formés devant le Conseil d'État –, c'est-à-dire dans onze cas : dans neuf d'entre eux, le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la peur d'être malade, a été démontré ; dans les deux derniers, l'État a été condamné à réparer un simple préjudice moral lié, d'une part, à un décès in utero d'un enfant et, d'autre part, à un accouchement prématuré. Ces éléments sont évidemment suffisamment graves pour que nous examinions cette question avec le plus grand sérieux.
J'en reviens à l'aspect juridique du sujet. Il n'est juridiquement pas possible de mettre sur le même plan le préjudice moral d'une personne malade et le préjudice d'anxiété d'un individu qui ne l'est pas. Nous avons déjà eu ce débat.
De même, il n'est pas tout à fait rigoureux de suggérer que l'ensemble des populations martiniquaise et guadeloupéenne ont subi un préjudice moral d'anxiété du seul fait d'avoir été ou d'être exposées au chlordécone.
Pour ces raisons, nous proposons que le texte mentionne les préjudices moraux au sens large.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. En commission, nous avons fait le choix de retenir la notion de préjudice moral d'anxiété, car elle permet de caractériser le préjudice subi par les populations exposées au chlordécone. Cette notion a été consacrée par le juge administratif dans son office de juge de la responsabilité et de la réparation pour des contentieux analogues qui concernent, par exemple, les victimes de l'amiante, les victimes des essais nucléaires ou encore d'infections nosocomiales.
Aussi, la commission demande le retrait de l'amendement n° 4 rectifié ; à défaut, elle y sera défavorable.
Concernant l'amendement n° 21, je m'exprimerai à titre personnel, dans la mesure où la commission n'a pas pu se réunir en raison du dépôt tardif des amendements du Gouvernement. Pour la bonne information de tous, je précise tout de même que je me suis entretenue avec le président de la commission et des représentants du groupe Les Républicains pour tenter de parvenir à une position commune.
Le Gouvernement souhaite supprimer la référence à l'anxiété, à rebours de la position de la commission. La notion de préjudice moral d'anxiété est communément maniée par le juge d'administratif et renvoie à quelque chose d'aisément identifiable. La notion de préjudice moral, au sens large, est quant à elle, trop englobante.
Aussi, j'émets un avis défavorable sur l'amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. M. le ministre d'État et moi-même ne faisons pas la même lecture de la jurisprudence ou des précédents judiciaires.
La distinction entre une maladie déjà reconnue et une atteinte d'ordre psychologique me paraît un peu ésotérique. Si la maladie est reconnue, elle sera indemnisée selon des modalités que nous connaissons.
En revanche, pourquoi refuser aux personnes exposées au chlordécone ce qui est reconnu pour les victimes de l'amiante ? Je rappelle qu'ici même, voilà déjà deux ans, j'avais demandé à ce qu'un arrêté ministériel prévoie l'inscription de l'exposition au chlordécone au tableau des maladies professionnelles, au même titre que l'exposition à l'amiante.
Je réaffirme la cohérence du travail réalisé de manière transpartisane par la commission et je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ces deux amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 313 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 36 |
Contre | 304 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 21.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 314 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 211 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il s'assigne pour objectif d'établir les autres parts de responsabilité dans ce scandale de la chlordécone.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Mes chers collègues, puisque vous refusez de reconnaître la pleine responsabilité de l'État, faisons en sorte d'aller au bout de la logique.
Pour ce faire, je propose cet amendement de repli, qui tend à demander à l'État d'identifier clairement les autres coresponsabilités dont il sous-entend l'existence. Si l'État n'est plus le seul responsable, qui donc l'est avec lui ? Qu'on nous le dise ! Les planteurs ? Les industriels ? Les scientifiques ?
Le juge administratif, lui, a pourtant été clair : les autorisations de mise sur le marché et les décisions de prolongation relevaient exclusivement de l'État…
Dès lors, soit l'État assume sa pleine responsabilité, soit il s'engage à rechercher scrupuleusement des responsabilités partagées.
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas, dans le même temps, proposer d'édulcorer la faute et refuser d'en désigner les complices. Ce serait doublement injuste pour les victimes et profondément incohérent !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, vous souhaitez assigner pour mission à l'État de rechercher les coresponsables de la contamination au chlordécone.
La commission considère que cette mission échoit à la justice, et non à l'État. Il faut que le travail d'investigation soit réalisé de manière indépendante.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de mener, en tant que priorité nationale, une recherche scientifique sur les effets sanitaires et environnementaux de la molécule et ses produits de transformation et sur les voies de dépollution des terres et des eaux contaminées.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le renforcement des moyens alloués à la recherche sur l'évaluation des conséquences du chlordécone et sur les dispositifs de dépollution des sols et des eaux est une priorité du Gouvernement. Le volet recherche représente ainsi 40 % du budget global de la stratégie chlordécone.
Nous avons engagé des travaux pour dégager des solutions et faire disparaître cette molécule et ses produits de dégradation. Preuve que la recherche et l'innovation avancent, il existe plusieurs pistes – certaines d'entre elles m'ont d'ailleurs été présentées –, mais celles-ci n'ont pas encore fait leurs preuves à grande échelle.
C'est pourquoi, en vertu du principe de réalité, il est préférable de parler d'objectifs de recherche en matière de dépollution des sols et des eaux que de se fixer des objectifs de résultat, qui sont difficiles à déterminer à ce stade.
Tel est l'objet de cet amendement essentiellement rédactionnel.
Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
sur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les effets sanitaires et environnementaux de cette pollution et sur les techniques et procédés de séquestration, de remédiation et de dégradation de la molécule permettant une décontamination à grande échelle des milieux naturels, une sécurisation des ressources et une minimisation de l'exposition alimentaire.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Comme j'aime bien provoquer M. le ministre, j'ai la faiblesse de penser – et j'affirme ! – que notre amendement est mieux rédigé que celui de Gouvernement. (Sourires.)
Nous n'avons rien inventé : il s'agit de reprendre une recommandation du rapport de l'Opecst, qui a bénéficié de l'expertise de notre ancienne collègue Catherine Procaccia. Il y a des évolutions très prometteuses que nous aimerions voir mentionnées dans le texte.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de vous en tenir principalement à la rédaction de la commission, tout en donnant la priorité à notre amendement par rapport à celui du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'amendement du Gouvernement, s'il était voté, reviendrait à atténuer l'objectif de recherche en faveur de la dépollution des terres et des eaux.
Or la commission considère que cette mission est fondamentale. Elle est la clé de la résolution de cette crise sanitaire et environnementale. Avis défavorable sur l'amendement n° 22.
En revanche, nous sommes favorables à l'amendement n° 11 de Victorin Lurel, car la précision apportée est utile. Si, aujourd'hui, on ne dispose pas encore des moyens pour parvenir à une dépollution à grande échelle, des recherches sont en cours et permettent d'espérer des avancées pour le futur, ce qui sera bien évidemment salutaire pour la santé des populations et contribuera à la réduction de l'exposition alimentaire au chlordécone.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 11, même si je respecterai, bien évidemment, le vote du Sénat.
Tout ce qui compte pour moi, c'est que les choses avancent et que nous franchissions des étapes. J'en profite pour saluer M. Califer, présent aujourd'hui dans les tribunes du Sénat.
Monsieur Lurel, je suis prudent quant à l'idée qu'il existerait aujourd'hui des solutions pour dépolluer les sols. Certes, certaines pistes sont prometteuses en laboratoire, mais, je le redis, elles n'ont pas fait leurs preuves, à ce stade, sur le terrain. Le chiffre de 3,5 milliards d'euros que vous avez rappelé tout à l'heure ne me semble pas encore correspondre à une réalité. Il faut bien sûr donner des perspectives en matière de dépollution – et les travaux scientifiques sont, je le répète, bien engagés –, mais il ne faut pas pour autant créer de faux espoirs.
La confiance repose sur la clarté : je tenais à être le plus clair possible sur ce point.
Mme la présidente. L'amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il s'assigne pour objectif d'accompagner, les professionnels de la pêche et de l'agriculture affectés par cette pollution pour favoriser une production locale sans risque chlordécone.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous l'apprends pas, l'exposition au chlordécone se fait essentiellement par voie alimentaire. Les pêcheurs et les agriculteurs sont directement affectés par cette pollution s'ils se trouvent dans une zone contaminée.
C'est pourquoi il est proposé d'ajouter dans les objectifs que l'État s'assigne l'accompagnement de ces professionnels pour favoriser une production locale sans risque chlordécone. J'ai eu l'occasion de le constater en votre compagnie, madame la sénatrice Conconne, lors de la visite d'une exploitation agricole en Martinique voilà deux mois – j'ai de très belles photos. (Sourires.)
Des solutions sont mises en œuvre dans le cadre de la stratégie chlordécone, comme les analyses de sols gratuites pour tous les agriculteurs, l'aide technique et financière pour la décontamination des bovins, depuis 2024, avec des dispositifs propres à ces animaux, ou l'aide financière aux pêcheurs depuis 2022. Ces dispositifs montent en puissance : plus de 300 éleveurs ont déjà fait l'objet d'un accompagnement et 800 pêcheurs ont bénéficié de l'aide.
Cet objectif a donc toute sa place dans le texte.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. La commission émet un avis favorable sur cet amendement de bon sens, dont l'objet correspond déjà à une orientation du plan chlordécone IV.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le groupe SER est favorable à cet amendement.
Je souhaite toutefois apporter une précision. Dans la présentation de l'amendement, le Gouvernement vise uniquement la décontamination des bovins. Il semble plus opportun de parler de ruminants, ce qui exclut les animaux monogastriques, c'est-à-dire ceux qui n'ont qu'un seul estomac. En effet, les chèvres et les moutons sont également contaminés ! Parler uniquement des bovins est donc restrictif.
Nous sommes d'accord sur le dispositif proposé, mais l'exposé des motifs paraît inexact. Il ne faudrait pas que, dans l'esprit du législateur, le texte fasse mention aux seuls bovins. Le dispositif concerne tous les ruminants ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de rechercher, caractériser et soigner, l'apparition de pathologies développées en raison d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à inclure, à l'article 1er, un objectif de recherche, de caractérisation et de traitement des pathologies susceptibles d'être développées à la suite d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
Il s'agit de contribuer à une approche plus globale des enjeux de santé publique et des conséquences de l'exposition à cette molécule, en tenant compte de la diversité des effets constatés ou suspectés selon les publics concernés, en particulier les femmes et les hommes.
Ce cadre plus large ouvre également la voie à la prise en compte de mesures de prévention adaptées, notamment au regard de la forte prévalence du cancer de la prostate en Martinique et en Guadeloupe, laquelle justifie une attention particulière dans les politiques de dépistage.
La Martinique et la Guadeloupe présentent par exemple des taux de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde, jusqu'à 227 cas pour 100 000 habitants en Guadeloupe, contre environ 100 dans l'Hexagone. Cette situation appelle une action renforcée, notamment en matière de dépistage et de prévention. Au sein de nos territoires, il y a sur place matière à engager une véritable dynamique pour faire face à ces pathologies et accompagner localement les populations les plus touchées.
Sans revenir de manière substantielle sur les termes mêmes de la proposition de loi, la rédaction proposée permet de préserver l'esprit initial du texte et d'en approfondir la portée sanitaire en faveur d'une reconnaissance des besoins spécifiques des populations exposées. L'adoption de cet amendement ne modifiera pas l'équilibre du texte, mais en renforcera la portée sanitaire, toujours dans une logique de reconnaissance, d'anticipation et d'action concrète sur le terrain.