Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° A-1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 316 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Pour l'adoption | 190 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 317 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l'adoption | 319 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Cette proposition de loi représente une avancée qui était nécessaire. Il faut désormais mettre en œuvre concrètement ce texte, en déployer les mesures, mais aussi tirer les leçons de cette tragique et cynique logique qui fait que des intérêts économiques prévalent sur les droits humains et environnementaux.
Cette logique est encore à l'œuvre dans la proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. Quand donc tirerons-nous véritablement les leçons des désastres de l'amiante, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et des néonicotinoïdes ?
Enfin, sur un mode plus léger, permettez-moi de faire une petite leçon de grammaire. Elle s'impose pour départager ceux qui parlent de « la » chlordécone » et ceux qui disent « le » chlordécone. Le Larousse est formel, le mot est masculin. L'intitulé du texte, qui évoque les victimes « du » chlordécone, est donc juste.
Certains arguent toutefois que cette molécule est une cétone et plaident donc pour l'emploi du féminin. Dans une fiche de l'agence régionale de santé de Martinique, on lit « qu'on le passe au féminin pour en adoucir l'image » !
Aujourd'hui, c'est le masculin qui l'emporte. Le Sénat s'est montré à la hauteur face à ce rude fléau ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.
M. Frédéric Buval. À l'issue de l'examen de ce texte, deux mois après le courageux retrait par mon collègue Dominique Théophile de sa proposition de loi, le constat est bien amer. Le texte qui nous est finalement soumis ne constitue ni un progrès ni même un petit pas : c'est un renoncement ! Vidé de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique, le texte est désormais une simple liste de bonnes intentions et de vœux pieux.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous écrivons la loi. Comment pouvons-nous accepter sérieusement de voter un texte qui dilue la responsabilité de l'État, à qui appartient la prérogative de délivrer l'autorisation légale de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique ?
Alors que l'État est seul compétent en la matière, comment accepter de voter un texte dans lequel on sous-entend l'existence d'autres responsables d'un écocide, sans que l'on se sente pour autant le devoir de les rechercher ?
Enfin, comment accepter le cynisme que constitue l'absence de reconnaissance de la souffrance des familles qui voient leurs proches s'éteindre à petit feu quand l'État joue la montre ?
Alors oui, il appartient à chacun, en conscience et en responsabilité, de cautionner ou non la version affaiblie, injuste et indigne de cette proposition de loi, bien éloignée du texte initial de ses auteurs. Au final, ce texte ne réparera rien. Au contraire, il attisera sans nul doute la colère dans nos territoires et au sein de la diaspora.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le plus ultramarin de cette assemblée, ne peut rester sourd aux attentes des populations des Antilles : il s'abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Elie Califer, présent parmi nous dans les tribunes du public, d'avoir pris l'initiative de lancer une nouvelle offensive pour faire reconnaître le scandale du chlordécone.
Je ne reviendrai pas sur les causes et les effets de ce scandale, dont nous parlons depuis trente ans. Je préfère dire que nous avançons.
Il y a trente ans, nous n'aurions pas été ici à parler du chlordécone. Il y a trente ans, nous n'aurions pas indemnisé les victimes. Il y a trente ans, l'État n'aurait pas reconnu sa part de responsabilité dans ce scandale. Il y a trente ans, nous aurions mis la poussière sous le tapis. Nous faisions alors preuve de déni, nous refusions de voir la réalité. Nous n'en parlions pas.
Des militants actifs ont eu le courage de monter au créneau, de se constituer en association. Ils ont œuvré et continuent d'œuvrer aujourd'hui pour faire avancer cette cause. Des parlementaires ont pris des initiatives. Notre collègue, le député martiniquais Serge Letchimy a ainsi présidé une commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone.
Aujourd'hui, ce texte est un nouvel apport dans la lutte pour la reconnaissance du fléau que connaissent nos pays, la Guadeloupe et la Martinique. J'espère bien que la lutte va continuer.
Je tiens aujourd'hui à saluer Yvon Sérénus, président d'une association de victimes. Malgré son grand âge et les maladies dont il souffre, il continue tous les jours de mener le combat contre cette molécule qui a pollué nos terres et nos vies.
De même, je salue les efforts qui sont faits actuellement dans le cadre du plan chlordécone IV, lequel est très audacieux, ainsi que le travail extraordinaire effectué par Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination de ce plan, présente aujourd'hui au Sénat.
Il faudra continuer de construire, mais, je le répète : nous avançons. (M. Philippe Grosvalet et Mme la rapporteure applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je n'ai pas été insensible aux propos de M. Buval, reflet, si j'ai bien compris, de la polyphonie gouvernementale, notre collègue étant membre du « socle commun ».
Pourtant, mon cher collègue, nous allons voter ce texte tel qu'il résulte de nos travaux de ce jour.
Il y a deux mois maintenant, Dominique Théophile retirait son texte, estimant qu'il avait été trahi – le mot est peut-être un peu fort –, y compris par les siens. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souverainement décidé de reprendre la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale sur l'initiative d'Elie Califer, présent dans nos tribunes, que je salue à mon tour.
Ce texte n'est certes pas parfait, mais comme vient de le dire Catherine Conconne, ou comme le dira ultérieurement Victorin Lurel, nous avançons sur la voie de la reconnaissance des préjudices qu'ont subi les populations de Guadeloupe et de Martinique. Cette reconnaissance est essentielle pour elles.
Nous voterons le texte en conscience, en responsabilité, sachant qu'il sera examiné en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, je compte sur vous, car vous nous avez aidés dans d'autres circonstances, sur la proposition de loi de M. Lurel visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer ou sur le texte d'Audrey Bélim expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, par exemple. Je compte donc sur vous pour que les engagements que vous avez pris aujourd'hui soient tenus et pour qu'ils prospèrent à l'Assemblée nationale.
Nous avons là un devoir moral, un devoir juridique, un devoir politique à l'égard des populations. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a rempli sa part du devoir en inscrivant le texte de M. Califer à son ordre du jour réservé. J'espère à présent que ce texte sera voté le plus largement possible afin de donner un signe d'espoir aux populations concernées.
Tel est l'état d'esprit dans lequel nous sommes. Nous resterons vigilants sur la suite qui sera donnée à nos travaux à l'Assemblée nationale. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Depuis plus de trente ans, nos populations ont le sentiment fort que nous, parlementaires des outre-mer, ne faisons pas le job et que les choses n'avancent pas. J'ai pourtant moi aussi essayé en 2017, en 2018, en 2020, d'avancer sur ce sujet, comme tous les parlementaires, y compris mes collègues ici dans l'Hexagone. Je pense à Nicole Bonnefoy, à notre ancienne collègue Catherine Procaccia et à d'autres.
J'entends que le texte est décevant, mais j'ai appris ici au Sénat, plus qu'à l'Assemblée nationale, que l'enfer, ce sont les autres et qu'il faut composer, et parfois faire des concessions. Nous en avons fait.
J'avoue être déçu que le Gouvernement ait demandé une seconde délibération. Le Gouvernement revient de très loin. Le Président de la République avait déclaré en 2018 que « l'État doit prendre sa part de responsabilité ». Or il ne s'agissait là que d'un engagement verbal, d'une parole de diplomate ; en un mot, c'était du vent ! Aujourd'hui, cette reconnaissance est gravée dans le marbre de la loi. Et ce texte est invocatoire. Il constitue donc une avancée.
Ensuite, il est vrai que nous forçons un peu le ministre à nous remettre un rapport. Il a pris l'engagement à la tribune de constituer très bientôt une mission. Pour ma part, j'aurais souhaité que l'amendement n° 18 de notre collègue Evelyne Corbière Naminzo soit adopté. Nous aimerions en effet qu'une taxe, peut-être pas de 15 %, soit créée dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je n'attendrai pas les résultats des travaux de cette mission, qui prendront plus de six mois, pour dire que ce texte est équilibré. Même s'il est peut-être décevant pour certains, il permet d'avancer, comme l'a dit Catherine Conconne. J'espère donc que les engagements qui ont été pris seront tenus.
Je vous demande, mes chers collègues, chers amis du groupe RDPI aussi, de voter ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je tiens à remercier les associations, les collectifs, les élus et l'auteur de la proposition de loi, qui travaillent depuis de longues années sur cette question et qui mènent le combat pour la reconnaissance des conséquences de l'utilisation du chlordécone.
Certes, ce texte ne va pas assez loin, mais nous pensons qu'il faut le voter et ainsi mettre un pied dans la porte. Ce texte est important, car il reconnaît la responsabilité de l'État.
Monsieur le ministre, je m'adresse à vous, au Gouvernement. Nous devons nous interroger sur notre responsabilité, alors que nous utilisons encore aujourd'hui du glyphosate, dont nombre d'études ont pourtant démontré la dangerosité. De même, la fameuse proposition de loi Duplomb, qui est sur le point d'être votée, va autoriser l'usage de l'acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes. Plus de 1 200 études ont pourtant mis en évidence que cette substance est dangereuse à la fois pour les milieux naturels et pour la santé humaine. Selon des études très récentes réalisées au Japon, on retrouve même de l'acétamipride dans l'eau de pluie !
Je le répète, nous devons nous interroger sur la responsabilité de l'État en matière de protection des femmes et des hommes – je pense au chlordécone –, mais aussi sur sa responsabilité financière, ce type de pollution ayant un coût. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous n'avons pas de pistes aujourd'hui pour dépolluer les sols contaminés par le chlordécone. Vous l'avez reconnu : il n'existe pas de solution…
Allons-nous donc continuer à nous mettre dans pareille situation ? Cela serait bien embêtant d'avoir à nous retrouver ici dans vingt-cinq ans pour voter un texte visant à reconnaître les méfaits de l'acétamipride et du glyphosate. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 318 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l'adoption | 318 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis du résultat de ce vote et je tiens à remercier tous ceux qui ont voté ce texte. Comme cela a été dit, le texte n'est pas parfait. Mais s'il existe quelqu'un de parfait, j'aimerais bien qu'il me dise comment il fait pour l'être et qu'il me donne sa recette. Je prendrai modèle sur lui pour m'améliorer !
Je remercie M. le ministre pour deux raisons, d'abord pour avoir retiré l'amendement n° 20 – c'est un geste fort de sa part –, ensuite pour avoir demandé une seconde délibération de l'article 1er. Merci, monsieur le ministre.
Je tiens également à saluer le travail de Nicole Bonnefoy, rapporteure de ce texte, qui a réalisé un travail…
M. Patrick Kanner. Remarquable !
M. Jean-François Longeot, président de la commission. Remarquable, en effet.
De même, je salue tous les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que les services de la commission.
Encore une fois, je me réjouis que ce texte ait été voté à une très large majorité. Merci à toutes et tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier le président Longeot de ses mots et de son implication et par saluer, comme lui-même vient de le faire, le travail de Mme la rapporteure Nicole Bonnefoy, ainsi que celui, de très grande qualité, du Sénat.
Je dirai ensuite à mon ami le sénateur Buval que les choses avancent et que c'est là le plus important. Un travail a été réalisé par le député Califer, qui a été repris par votre collègue Théophile, dans lequel vous vous êtes vous-même beaucoup impliqué.
Après les propos du Président de la République il y a déjà quelques années, un important travail a été réalisé dans le cadre du plan chlordécone IV, qui prévoit la mise en œuvre de dispositifs utiles, notamment pour les victimes. Un travail a également été fait à l'Assemblée nationale, puis ici, au Sénat, sur l'initiative de Dominique Théophile, même s'il a retiré son texte. Le débat a pu se poursuivre, grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui a inscrit le texte que nous examinons aujourd'hui à son ordre du jour réservé, et à l'engagement et à l'implication de l'ensemble des sénateurs qui suivent ce dossier. Permettez-moi de souligner qu'un tel travail n'avait jamais été réalisé avec autant de précision.
Dans ce texte, l'État reconnaît sa responsabilité et l'assume. J'ai pour cela soutenu un amendement du sénateur Buval et fait des propositions. Je le répète, jamais la responsabilité de l'État n'avait été à ce point reconnue et assumée dans cet hémicycle.
Je parle ici non seulement de l'implication du Gouvernement, mais également de la mienne à titre personnel. Je suis en effet convaincu qu'il faut purger ce dossier et répondre au besoin de dignité des Guadeloupéens et des Martiniquais victimes du chlordécone – ou de « la » chlordécone, mais je n'entre pas dans ce débat !
Un pas a été franchi. J'espère à présent que cette proposition de loi sera définitivement adoptée. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur moi pour poursuivre le travail de vérité et de dignité que nous devons aux Martiniquais et Guadeloupéens, comme j'en ai pris l'engagement devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Teva Rohfritsch applaudissent également.)
4
Renforcer la protection des ressources en eau potable
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par Mme Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421, résultat de travaux n° 692, rapport n° 691).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'alerte est maximale : notre eau potable est en danger. Elle est de plus en plus rare, de plus en plus chère, et sa qualité est de plus en plus compromise par les pollutions diffuses, notamment celles qui sont causées par les pesticides et les nitrates. Il s'agit non pas d'un scénario d'anticipation, mais d'une réalité vécue au quotidien dans nos territoires.
L'eau potable en France est une bombe à retardement, et il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de la désamorcer.
Les chiffres sont évocateurs et devraient nous interpeller collectivement. Entre 1980 et 2024, plus de 14 300 captages ont été abandonnés, dont un tiers en raison de la présence de nitrates et de pesticides. En 2022, plus d'un million de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau présentant des dépassements de normes en termes de pesticides. Plus inquiétant encore, près de 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées et 40 % d'entre elles risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d'ici à 2027.
Mais ces statistiques ne révèlent qu'une partie du problème.
La majorité des substances réellement présentes dans l'eau échappent encore à notre surveillance. Les pollutions dites émergentes sont mal ou pas du tout mesurées et les normes actuelles ne prennent absolument pas en compte l'effet cocktail, c'est-à-dire l'interaction dangereuse entre les divers résidus chimiques. De plus, il est alarmant de constater qu'environ 12 % – je dis bien : 12 % ! – des substances actives des pesticides de synthèse autorisées dans l'Union européenne appartiennent à la famille des PFAS, ces polluants éternels dont la persistance et les effets sont alarmants. Pour rappel, en France, les quantités de PFAS sont passées de 700 tonnes en 2008 à 2 300 tonnes en 2021. C'est considérable.
Face à cette situation critique, notre stratégie actuelle, essentiellement axée sur le traitement curatif de l'eau, montre ses limites. Nous nous contentons de tenter de dépolluer l'eau après coup pour la rendre potable. Or cette approche a atteint ses limites ; elle est aujourd'hui à bout de souffle.
Les limites sont techniques d'abord : même les traitements les plus sophistiqués, comme l'osmose inverse ou les filtres à charbon actif, voient leur efficacité diminuer face à la complexité croissante des pollutions diffuses.
Nos stations de traitement doivent par exemple utiliser de plus en plus de charbon actif pour capter les métabolites de pesticides ; une usine mise en service il y a deux ans a déjà dû doubler la quantité de charbon actif utilisée par rapport aux prévisions initiales, signe d'une dégradation accélérée de la qualité de la ressource.
Ensuite, il y a une limite stratégique et souveraine. Nous dépendons de l'importation de charbon actif, majoritairement depuis l'Asie ou l'Amérique. En cas de crise du commerce international, notre capacité à « potabiliser » l'eau captée et polluée serait gravement compromise. Sans ce charbon, filtrer certains polluants devient tout simplement impossible, ce qui est un talon d'Achille pour notre sécurité hydrique.
À ces limites techniques et stratégiques s'ajoute une limite économique majeure. Le coût du traitement de l'eau contaminée atteint chaque année entre un et deux milliards d'euros, une dépense en hausse constante et préoccupante.
Ce fardeau pèse lourdement sur nos collectivités territoriales. Communes, intercommunalités et syndicats des eaux sont en première ligne, et in fine, ce sont les factures d'eau de nos concitoyens qui en portent le poids.
Les experts sont unanimes et nous alertent : nous ne pourrons pas maintenir un prix de l'eau abordable sans un changement radical de politique. Selon les agences de l'eau, les coûts supplémentaires associés au traitement des pesticides font bondir de 30 % à 45 % le prix du mètre cube d'eau. Nos élus locaux le disent clairement : ils n'en peuvent plus !
Agir à la source plutôt que dépolluer l'eau en aval : voilà la stratégie de bon sens qu'il nous faut adopter de toute urgence. D'ailleurs, c'est non seulement plus logique, mais aussi bien moins coûteux : la direction de l'eau et de la biodiversité estime qu'empêcher une pollution coûte trois fois moins cher que de la traiter après coup. En clair, chaque euro investi pour protéger la ressource en amont nous évitera d'en dépenser trois en usine de traitement plus tard !
Nos collectivités territoriales, de toutes tendances politiques, appellent de leurs vœux cette action préventive, car elles en mesurent l'urgence et la nécessité sur le terrain. Ce week-end encore, lors d'une visite, un président de syndicat des eaux et tous les élus, quelle que soit leur appartenance politique, m'ont dit soutenir cette proposition de loi.
Agir à la source est donc un impératif sanitaire, environnemental, économique et de souveraineté.
C'est à cette urgence absolue que répond la proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Son article 1er prévoit l'interdiction progressive de l'usage et du stockage de pesticides et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage, avec une pleine effectivité de cette mesure prévue au 1er janvier 2031 et des étapes intermédiaires fixées par décret pour une transition plus progressive.
Son article 2 quant à lui prévoit des sanctions en cas de non-respect des dispositions prévues à l'article 1er.
Par ailleurs, l'exposé des motifs de cette proposition de loi est sans ambiguïté : cette transition se fera non pas contre le monde agricole, mais avec lui.
Des amendements de compromis, présentés en commission par le rapporteur Hervé Gillé, dont je salue le travail, allaient précisément dans ce sens. Ils tendaient à prévoir une mise en œuvre plus progressive, à ouvrir la voie à un accompagnement technique et financier structuré autour de contrats d'engagement réciproque entre agriculteurs et gestionnaires de l'eau, et à fixer une entrée en vigueur dix ans après la promulgation de la loi.
Tous ont malheureusement été rejetés par nos collègues de la droite sénatoriale. Je les reprendrai à mon compte lors de cet examen en séance publique, car je pense qu'ils constituent le fondement d'un consensus à la fois pragmatique, équilibré, efficace et nécessaire.
Mes chers collègues, madame la ministre, nous savons, hélas, ce qui arrive quand nous n'agissons pas à temps. Le scandale du chlordécone, dans nos territoires d'outre-mer, est là pour nous le rappeler de manière tragique.
Pendant des décennies, ce pesticide toxique a été utilisé massivement aux Antilles, sans considération suffisante des risques encourus ; le résultat, c'est une pollution durable et irréversible des sols et des eaux, une catastrophe sanitaire dont nous subissons encore, et pour longtemps, les effets.
Juste avant l'examen du présent texte, nous avons examiné dans le cadre de la niche socialiste une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone. Ce drame sanitaire et environnemental doit nous servir d'alerte suprême. Ne répétons pas les erreurs du passé.
Je vous le dis : alors que nous nous apprêtons à voter ce texte, ayez en tête les études épidémiologiques françaises, notamment celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui mettent en lumière le surcroît de maladies graves lié à l'exposition aux pesticides et aux nitrates, notamment chez les agriculteurs et les femmes enceintes.
Au moment de voter, rappelez-vous que nos collectivités locales sont en première ligne dans ce combat essentiel pour l'eau. Ce sont nos maires, nos intercommunalités qui doivent chaque jour assurer à nos concitoyens l'accès à de l'eau potable. Ce sont eux qui doivent répondre aux habitants quand l'eau du robinet n'est plus conforme, eux qui installent en urgence des filtres au charbon actif ou affrètent des camions-citernes quand un puits doit être fermé. Et ce sont eux, encore, qui portent la charge financière des investissements lourds.
Au moment de voter, pensez aussi à nos concitoyens, qui voient progressivement le coût de leurs factures d'eau exploser.
Au moment de voter, pensez enfin à notre environnement et, plus particulièrement, à la qualité de nos nappes phréatiques, ces réservoirs d'eau souterrains si précieux et si vulnérables.
Mes chers collègues, le Sénat ne peut pas se soustraire à sa responsabilité sur un sujet aussi fondamental et vital.
Il s'agit ici non pas d'un débat technique réservé aux experts, mais d'une question de santé publique, de protection des écosystèmes, de souveraineté et d'équité territoriale, susceptibles d'avoir des conséquences financières lourdes pour les collectivités comme pour les citoyens.
Face à l'aggravation des pollutions et à l'explosion des coûts, le statu quo n'est plus tenable.
La seule voie responsable est celle d'une action résolue, ambitieuse et préventive. Garantir une eau potable de qualité, aujourd'hui et demain, exige un sursaut collectif. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)