M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, cher Guillaume Chevrollier, je partage votre constat : les sapeurs-pompiers volontaires jouent un rôle absolument essentiel et constituent une particularité de notre modèle de sécurité civile.
Le ministre François-Noël Buffet, aux côtés du ministre d’État, ministre de l’intérieur, leur a d’ailleurs rendu hommage lors de la journée nationale des sapeurs-pompiers.
Cet engagement ne cesse de croître dans les territoires. Pour la première fois en 2023, la barre des 200 000 sapeurs-pompiers volontaires a été franchie, un seuil que nous n’avions pas atteint depuis dix-sept ans. De même, la durée moyenne d’activité ne cesse de progresser.
L’effort d’attractivité, matérialisé par plusieurs mesures ces dernières années, se poursuit.
Tout d’abord, un plan sur le volontariat, élaboré en concertation avec les acteurs concernés, sera présenté en 2025. Il comprendra de nouvelles mesures, qui porteront notamment sur les modalités d’engagement et sur les relations avec les employeurs, deux éléments fondamentaux.
Ensuite, le ministre veille avec la plus grande vigilance à la parution, dans les plus brefs délais, du décret d’application permettant aux sapeurs-pompiers de bénéficier de trimestres de retraite supplémentaires.
Je partage également votre constat quant à l’explosion de l’activité de secours et de soins d’urgence aux personnes, qui représente aujourd’hui 85 % de l’activité opérationnelle, en raison du vieillissement de la population et des difficultés liées à la démographie sanitaire.
C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité poursuivre le Beauvau de la sécurité civile, afin de redonner aux services d’incendie et de secours la maîtrise de leur activité. En effet, les avancées de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, et de la réforme des transports ambulanciers n’ont pas permis d’endiguer la hausse de l’activité des Sdis.
Enfin, sans méconnaître les difficultés financières des services d’incendie et de secours, et en particulier celles des départements, je tiens à vous assurer que le Gouvernement reste mobilisé. L’État a ainsi soutenu l’acquisition de moyens de lutte, en particulier contre les feux de forêt,…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. … à hauteur de 150 millions d’euros, et il finance d’autres équipements.
Monsieur le sénateur, je vous apporterai par écrit des réponses plus complètes.
dégradation des conditions de travail des chauffeurs de taxi accentuée par la concurrence déloyale des plateformes vtc
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, auteur de la question n° 455, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Jacques Fernique. Madame la ministre, ma question porte sur la dégradation des conditions de travail des chauffeurs de taxi.
Leur précarisation, vous le savez, est accentuée par la concurrence déloyale des plateformes de voitures de transport avec chauffeur (VTC), dont les chauffeurs sont amenés à enfreindre régulièrement la réglementation, d’autant que les contrôles, et par conséquent les sanctions, sont rares.
Cette situation exacerbe les tensions sur le terrain, conduisant à des agressions verbales et parfois physiques. Dans ma circonscription du Bas-Rhin, des voitures ont ainsi été endommagées, voire incendiées.
Pourtant, une loi encadrant l’activité des chauffeurs de VTC existe ; elle leur impose de retourner à leur siège social entre chaque course et leur interdit de stationner ou de marauder aux abords des lieux stratégiques pour la clientèle tels que les gares. Or ces dispositions sont largement bafouées sur le terrain…
J’ai auditionné le syndicat des chauffeurs de taxi du Bas-Rhin, qui ne demande ni la suppression de la concurrence ni même une nouvelle loi, mais simplement l’application de contrôles et de sanctions pour assurer le respect des règles en vigueur. La promesse récente du Gouvernement de renforcer les contrôles est donc une bonne nouvelle.
Néanmoins, on ne peut ignorer que les plateformes elles-mêmes poussent leurs chauffeurs à contourner les règles pour leur permettre de gagner modestement leur vie. D’ailleurs, depuis les révélations des Uber Files, nous savons que, entre 2014 et 2016, le ministre de l’économie de l’époque a œuvré avec une grande complaisance auprès des plateformes pour déréguler le marché.
Les mesures récemment annoncées par le Gouvernement constituent une avancée, mais ne changeront pas la donne structurellement. Les plateformes conserveront la même logique.
Pourquoi se borner à sanctionner les chauffeurs de manière individuelle, comme vous le faites avec les trois nouvelles amendes qui entrent en vigueur ? Il faut toucher au mode de fonctionnement des plateformes elles-mêmes.
Des solutions collectives existent. En Allemagne, par exemple, les applications ne peuvent proposer de nouvelles courses aux chauffeurs de VTC tant que ceux-ci ne sont pas revenus à leur base. À Strasbourg, on ne comprend pas pourquoi ce qui réussit à Kehl ne pourrait s’appliquer chez nous.
Comment le Gouvernement compte-t-il agir pour sortir de cette situation conflictuelle ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Jacques Fernique, ma réponse étant très longue, je vous l’adresserai par écrit et me contenterai ici d’aller à l’essentiel.
Je vous remercie d’appeler notre attention sur la question de la concurrence déloyale entre taxis et VTC. Le Gouvernement travaille sur le sujet de la régulation des plateformes, en particulier la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique.
Sachez que les forces de l’ordre sont pleinement mobilisées pour mener des opérations de surveillance et de contrôle. Elles disposent pour ce faire d’outils renforcés. Une expérimentation menée pendant trois mois dans le ressort de douze tribunaux judiciaires a abouti à la généralisation de nouveaux délits depuis le 1er juillet 2025 : l’exercice illégal de l’activité d’exploitant de taxi, la prise en charge d’un client sur la voie ouverte à la circulation publique sans justification ou encore l’exploitation de VTC sans inscription au registre. Les forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie, sont mobilisées.
Dans le Bas-Rhin, en particulier, dix-sept infractions ont été relevées au cours du premier semestre 2025. Ce chiffre, quoique sans doute très inférieur à la réalité, témoigne d’un mouvement. Sept de ces infractions sont liées au stationnement illégal, c’est-à-dire au maraudage en quête de clients.
Au sein de l’agglomération parisienne, où cette fraude est très répandue, l’unité de contrôle des transports de personnes est active ; elle opère en civil et joue un rôle central dans la lutte contre les taxis clandestins, le racolage et le travail illégal, en particulier aux abords des gares et des aéroports.
Pour renforcer la réponse pénale, un plan d’action a été mis en œuvre par le préfet de police, en lien étroit avec les parquets de Paris, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Nous avons particulièrement ciblé les multirécidivistes du racolage.
Comme je vous l’indiquais, ma réponse écrite sera beaucoup plus détaillée, mais je tenais à vous assurer de notre parfaite mobilisation pour que ces infractions à la loi cessent, y compris dans leur dimension numérique.
demande du bilan financier de la lutte contre l’immigration à mayotte de 2022, 2023 et 2024
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, en remplacement de M. Saïd Omar Oili, auteur de la question n° 654, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, je pose cette question au nom de mon collègue Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, actuellement retenu par la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.
Dans une réponse en date du 26 juin dernier à une question écrite sur l’opération Wuambushu, le ministre de l’intérieur a fait état des opérations menées en 2024 contre l’immigration clandestine à Mayotte. Toutefois, cette réponse ne comporte aucune donnée sur le bilan financier de ces opérations. Par ailleurs, les résultats des reconduites à la frontière pour l’année 2024 sont en baisse de 20 % par rapport à l’année précédente.
La question de mon collègue vise donc à mettre en regard les montants importants alloués à la lutte contre l’immigration clandestine et des résultats qui, eux, sont en baisse.
En effet, l’évaluation des politiques publiques relève des prérogatives des parlementaires, a fortiori lorsque celles-ci revêtent un caractère stratégique, comme sur le territoire de Mayotte. Dans le cadre de cette évaluation, les données relatives aux coûts constituent des éléments d’appréciation importants au regard des résultats obtenus.
Ainsi, mon collègue Saïd Omar Oili vous interroge sur le bilan financier de la lutte contre l’immigration à Mayotte.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Viviane Artigalas, la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte mobilise divers acteurs, tant au niveau interministériel qu’au sein du ministère de l’intérieur. De ce fait, elle émarge à plusieurs programmes budgétaires, parmi lesquels les programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et « Immigration et asile ».
Les dépenses consacrées à la lutte contre l’immigration clandestine sont passées de 9,5 millions d’euros en crédits de paiement en 2022 à 15 millions d’euros en 2024, soit un accroissement de près de 60 % en trois ans des moyens alloués à cette fin à Mayotte.
Les dépenses de fonctionnement sont passées de 4,5 millions d’euros en 2022 à 5,8 millions d’euros en 2024. Elles comprennent les frais hôteliers des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente pour personnes en instance, l’interprétariat, l’entretien immobilier et l’accompagnement sanitaire. Vous me demandiez des chiffres précis, les voici.
Enfin, les dépenses d’éloignement stricto sensu, notamment la billetterie, s’élèvent à 8,9 millions d’euros en 2024, contre 6,9 millions d’euros en 2023 et 4,5 millions d’euros en 2022, ce qui traduit l’intensification des mesures et des actions d’éloignement.
En matière immobilière, l’année 2024 a été marquée par un engagement de plus de 5 millions d’euros, correspondant au marché de conception et de réalisation du nouveau local de rétention administrative permanent, d’une capacité de quarante-huit places.
Telles sont les données chiffrées que je suis en mesure de vous communiquer. Je vous les transmettrai par écrit, ainsi qu’à votre collègue.
amélioration des relations entre maires et services du renseignement territorial
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 662, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, mon intervention portera sur un drame qui s’est déroulé dans mon département : le 22 juin dernier, une fusillade dans le village de Goult a causé la mort de deux personnes et en a blessé trois autres.
Le couple ciblé par cette attaque à l’arme lourde venait de se marier dans un département voisin et sortait d’une réception qui se tenait dans la salle des fêtes communale, louée pour l’occasion.
Il est apparu par la suite que le marié, qui avait obtenu la location de cette salle municipale, était connu des services de police pour association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants, ce qui a orienté l’enquête sur la piste d’un règlement de compte.
Ce drame met une nouvelle fois en évidence le décalage entre le rôle imparti au maire en matière de sécurité publique et le défaut d’information dont il pâtit quant à la dangerosité des personnes les plus susceptibles d’y porter atteinte.
À l’heure où les violences liées au narcobanditisme s’étendent des centres urbains vers les territoires ruraux, permettre un échange d’informations entre les maires et les services du renseignement territorial en amont de l’octroi d’une salle municipale constituerait une solution pour éviter la répétition de tels faits. De nombreux élus nous le demandent.
L’autorisation du partage d’informations à caractère secret, y compris, le cas échéant, celles qui relèvent de l’article 11 du code de procédure pénale, serait également une solution pour faciliter les échanges entre les maires et les services de renseignement. Il va de soi que les maires seraient alors tenus au secret des informations communiquées.
Dans ce contexte, madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur la possibilité d’un tel partage d’informations ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je tiens tout d’abord à affirmer avec force, au nom du ministre d’État, ministre de l’intérieur, que le drame survenu le 22 juin dernier dans le village de Goult est absolument inacceptable. Le renforcement de la sécurité dans la vie quotidienne des Français constitue l’une des priorités du ministre de l’intérieur, tout comme la lutte contre le narcotrafic, qui est à la source de nombreuses violences.
Vous l’avez rappelé, la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic permet de renforcer nos moyens d’action. Le Sénat n’y est pas tout à fait étranger.
Faire reculer la délinquance n’est pas seulement l’affaire de l’État, mais suppose, comme vous l’avez dit, une dynamique collective, un continuum de sécurité qui commence sur le territoire par l’implication des maires, qui peuvent être des acteurs essentiels de cette lutte contre la violence.
Le cadre juridique actuel, issu de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, prend déjà en compte cette préoccupation.
Il instaure, d’une part, un devoir d’information du maire par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie s’agissant des infractions qui causent un trouble à l’ordre public sur le territoire communal ; il prévoit, d’autre part, la possibilité pour le maire de solliciter le procureur de la République aux fins d’obtenir communication des suites judiciaires apportées.
Par ailleurs, les policiers municipaux disposent depuis plusieurs années d’un accès étendu aux fichiers relevant de l’État, ce qui leur permet de traiter les infractions relatives à la sécurité qu’ils sont habilités à constater.
Pour ce qui concerne le renseignement territorial, ses agents entretiennent, vous le savez, des relations très régulières avec les élus locaux et les maires. Ces échanges s’effectuent toutefois sous la réserve – c’est bien là que le bât blesse – des dispositions légales et réglementaires, au premier rang desquelles figure le secret de l’instruction, principe cardinal de notre procédure pénale.
Votre proposition appelle un travail conjoint du ministère de l’intérieur et du garde des sceaux. Il est en effet essentiel de trouver les voies et moyens qui permettront à la fois de préserver la tranquillité de nos concitoyens et de donner aux élus locaux la capacité d’agir de façon préventive.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Je remercie tous nos collègues, ainsi que les membres du Gouvernement, qui ont pris part à cette séance.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 335 sur l’ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, mon collègue Sebastien Pla a été enregistré comme votant contre, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
3
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 15 octobre, à seize heures trente, sous réserve de son dépôt, d’une convention internationale France – Finlande et France – Suède en matière fiscale ; d’une convention internationale France – Moldavie relative à l’échange de permis de conduire ; et d’une convention internationale France – Macédoine du Nord dans le domaine de la défense.
Ces deux dernières conventions seraient examinées selon la procédure d’examen simplifié.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l’examen de ces deux conventions au lundi 13 octobre à quinze heures.
Pour la convention internationale France – Finlande et France – Suède en matière fiscale, nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes et fixer le délai limite d’inscription des orateurs des groupes au mardi 14 octobre à quinze heures.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire suisse
Mme la présidente. J’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, de cinq membres de la Délégation du Parlement suisse pour les relations avec le Parlement français, dont sa présidente, Mme Simone de Montmollin, députée au Conseil national. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, se lèvent et applaudissent longuement.)
La délégation est accompagnée de M. Yachar Nafissi-Azar, ministre conseiller de l’ambassade de Suisse en France ainsi que de nos collègues Loïc Hervé, vice-président du Sénat et du groupe interparlementaire d’amitié France-Suisse, et Sabine Drexler, également vice-présidente du groupe d’amitié. (Applaudissements.)
La délégation vient d’être reçue à l’Assemblée nationale, et les échanges se poursuivront cette après-midi au Sénat avec notre groupe d’amitié.
Nous nous réjouissons de cette nouvelle rencontre des groupes d’amitié entre la Suisse et la France, la première depuis 2021, placée sous le signe de la poursuite du rapprochement entre nos deux pays, après la visite officielle à Paris de la présidente de la Confédération suisse la semaine dernière.
Nous souhaitons rappeler les fructueux échanges de longue date entre nos deux Parlements, dans le cadre des activités des groupes d’amitié et au sein des assemblées interparlementaires.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à la délégation suisse la plus cordiale bienvenue au Sénat de la République française. (Vifs applaudissements.)
5
Programmation et simplification dans le secteur économique de l’énergie
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l’Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie (proposition n° 775, texte de la commission n° 802, rapport n° 801).
Discussion générale
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’adresser un mot de bienvenue à la délégation venue de Suisse. En tant qu’ancien député représentant les Français établis dans ce pays, je suis particulièrement sensible à sa présence.
Il est des lois qui façonnent notre avenir et creusent des sillons durables.
Le texte qui nous réunit aujourd’hui appartient à cette famille décisive. Derrière les chiffres, les objectifs et les articles, nous discutons d’un élément essentiel : la capacité de notre pays à produire son énergie, à maîtriser son destin et à tenir sa place dans le monde. Nous parlons d’un choix de société qui nous engage pour les décennies à venir. Ce texte doit nous permettre d’opérer ce choix lucidement et collectivement.
L’énergie n’est pas un luxe ; elle est la condition pour que nos usines tournent, pour que nos territoires innovent, pour que nos concitoyens vivent, se déplacent et travaillent. Elle constitue aussi un levier stratégique, un socle industriel, un choix d’avenir.
Cette proposition de loi est essentielle, car elle répond aux attentes de ceux qui ont besoin d’une énergie abondante, décarbonée et compétitive : nos industriels, nos chercheurs, nos territoires d’innovation. Elle est tout aussi déterminante pour ceux qui veulent produire ici, en France, et pour tous nos compatriotes qui travaillent dans la filière énergétique française. Nous leur devons une loi solide, lucide, tournée vers les solutions ; une loi qui assume de planifier, de produire et d’investir.
Ce texte doit donner à notre pays une orientation claire en matière d’énergie. Je tiens à rappeler ici les ambitions du Gouvernement. Elles sont simples et tiennent en deux convictions.
La première est l’urgence de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles importées, ce qui signifie produire plus d’électricité. Pour y parvenir, il nous faut dépasser les vieux clivages.
La seconde est que cette énergie compétitive et décarbonée doit constituer un levier au service des Français et de l’industrie. Tel est notre cap, telle est notre cohérence, tel est l’esprit de ce texte, que vous avez su préserver dans vos travaux.
Je tiens à saluer ici le travail du Sénat. Depuis le mois d’octobre, nous avançons ensemble et je mesure l’engagement du sénateur Daniel Gremillet, le sérieux des rapporteurs, MM. Alain Cadec et Patrick Chauvet, et la qualité du travail de la commission des affaires économiques. Je n’oublie pas non plus l’investissement de ma prédécesseure au ministère de l’énergie, Mme Olga Givernet. Vous avez su, ici, dépasser les clivages et préserver l’essentiel.
Ce travail responsable, cette méthode et cette exigence sont absolument indispensables et ont permis des avancées majeures.
Tout d’abord, la relance historique du nucléaire. Le rétablissement de l’article 3 n’est pas un détail. Supprimé en commission à l’Assemblée nationale, il est réintroduit ici par la force de l’évidence. Il s’agit d’une avancée décisive. Pour la première fois, des objectifs clairs et ambitieux sont gravés dans la loi : 27 gigawatts de capacité supplémentaire d’ici à 2050, six réacteurs pressurisés européens de deuxième génération (EPR2) lancés d’ici à 2026, huit EPR2 supplémentaires d’ici à 2030, et la perspective de la fermeture du cycle du combustible.
C’est un choix stratégique, une boussole pour notre politique énergétique, une promesse pour les 200 000 travailleurs du nucléaire et un signal fort pour toute cette filière.
Cette relance n’est pas une ambition théorique, elle est concrète et déjà engagée. Le conseil de politique nucléaire du 17 mars dernier a posé les bases de son financement ; l’État et EDF ont finalisé un projet d’accord, que le conseil d’administration d’EDF a validé à l’unanimité ; le grand chantier de l’EPR2 de Gravelines est lancé. Le message est limpide : nous avançons pour le climat, pour l’industrie et pour la Nation.
Toutefois, le nucléaire ne pourra pas tout, il est essentiel de le comprendre. J’en viens donc au deuxième pilier de notre stratégie, laquelle vise un mix énergétique équilibré afin de garantir notre souveraineté, notre décarbonation et notre compétitivité.
Une fois encore, un constat s’impose : notre dépendance aux énergies fossiles nous coûte cher. Sur le plan économique, d’abord : 70 milliards d’euros pèsent chaque année sur notre balance commerciale, et bien davantage en cas de crise.
Elle nous coûte cher, ensuite, sur les plans politique et diplomatique, car ces énergies fossiles nous rendent dépendants de pays étrangers, vulnérables au chantage, aux rétorsions et aux conséquences de conflits qui, parfois, nous dépassent. Nous ne voulons plus subir ces dépendances ; nous voulons agir. Pour cela, il n’y a pas de raccourci : moins d’énergies fossiles, plus d’électricité, plus vite !
Cela nécessite un mix énergétique équilibré, qui combine puissance du nucléaire et potentiel des énergies renouvelables. Ce sont ces énergies propres et complémentaires qui nous rendront autonomes. Là résidera notre force.
Cette force, vous l’avez consolidée dans ce texte, avec l’article 5. Je me réjouis de la convergence de la commission avec la trajectoire défendue par le Gouvernement : 200 térawattheures (TWh) d’électricité renouvelable d’ici à 2030, 360 TWh de nucléaire, 297 TWh de chaleur et 44 TWh de gaz renouvelable injecté, soit un mix équilibré, cohérent et responsable.
Ce point est essentiel, car, comme chacun ici le sait, le débat s’est enflammé ces dernières semaines sur la question des énergies renouvelables. L’idée d’un moratoire sur les projets solaires et éoliens a agité les esprits avant d’être rejetée par l’Assemblée nationale. Cette proposition a inquiété les territoires et menacé des milliers d’emplois.
Malheureusement, ces crispations n’ont pas disparu avec le rejet du texte par l’Assemblée nationale ; elles ressurgissent aujourd’hui dans une tribune récente, dont je déplore ici, à de nombreux égards, les constats comme les recommandations.
Je tiens à poser les bases d’un débat documenté. En premier lieu, nul ne saurait ignorer la réalité économique. Défendre le pouvoir d’achat et la compétitivité, c’est regarder les chiffres en face et dire la vérité : certaines énergies renouvelables sont aujourd’hui très compétitives.
Je songe, par exemple, à Horizéo, ce projet photovoltaïque de grande ampleur que nous soutenons et que nous nous employons à concrétiser. Sans aucune subvention publique, cette centrale produira une énergie compétitive à 70 euros le mégawattheure et s’approvisionnera en panneaux photovoltaïques auprès d’usines françaises. Il ne s’agit pas d’un cas isolé : de nombreux autres projets atteindront la maturité économique si nous levons les freins et si nous fixons un cap clair et, surtout, stable.
Nul ne saurait ignorer les limites qui pèsent sur la production d’énergie nucléaire, c’est le point le plus important. Le nucléaire est une force, un pilier. En tant que ministre, je n’ai eu de cesse de le défendre, notamment en Europe, pour faire évoluer la doctrine relative à son financement, mais ce pilier ne peut être le seul.
Se pose d’abord la question de l’eau, dont dépend directement le fonctionnement des centrales. Il existe une température maximale à laquelle l’eau de refroidissement doit être restituée aux rivières ou aux fleuves. Or, en période de forte chaleur, la température des cours d’eau augmente rapidement. Lors des vagues de chaleur, dont nous savons tous qu’elles pourraient devenir plus fréquentes, les centrales doivent donc réduire leur production. C’est précisément ce qui s’est produit à Golfech et au Bugey la semaine dernière.
La canicule de ces derniers jours a emporté une double conséquence sur notre système électrique : d’une part, une baisse de la production nucléaire ; d’autre part, un bond de 13 % de la consommation électrique, avec des pics enregistrés entre dix heures et dix-huit heures. Cela signifie qu’en période de forte chaleur, le tout nucléaire ne suffit pas.
De la même manière, l’hydroélectricité, qui est un socle essentiel de notre politique énergétique, présente des limites en cas de forte chaleur ou de sécheresse. C’est la raison pour laquelle les énergies renouvelables viennent compléter – non pas dupliquer, mais bien compléter – une production nucléaire et hydroélectrique.
Évidemment, ces énergies ont également leurs contraintes, leurs limites : elles sont prévisibles, elles peuvent être écrêtées, mais elles ne peuvent être déclenchées sur demande. Elles nécessitent des adaptations quant aux signaux tarifaires ou à la manière d’utiliser les flexibilités du réseau. Cela signifie que le tout-renouvelable ne suffit pas non plus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais l’importance des convictions politiques. Je respecte le débat d’idées, j’y suis profondément attaché. Mais, en l’espèce, nous parlons d’avenir. Je veux le dire avec gravité : la guerre fratricide du nucléaire et des renouvelables n’a que trop duré. Nous devons regarder en face le vrai combat, et ce combat, c’est la sortie des énergies fossiles.
Dans la perspective du débat qui s’ouvre maintenant sur le texte que vous avez construit, je le dis en toute transparence : la responsabilité dont le Sénat a fait preuve jusqu’à présent me rassure. Elle me conforte dans la conviction que nous avançons ensemble.
Dans cet esprit, le Gouvernement vous soumettra encore quelques amendements. Sur l’article 5, particulièrement, nous veillerons à mieux intégrer le froid renouvelable dans nos objectifs de développement des énergies décarbonées. Rafraîchir les bâtiments est devenu un enjeu concret, immédiat. En ce domaine, nous ne pouvons plus nous permettre de restreindre le champ des solutions.
Au-delà de ce texte, je veux rappeler une ambition claire du Gouvernement, annoncée par le Premier ministre au mois de mai : il s’agit de publier la programmation pluriannuelle de l’énergie avant la fin de l’été.
C’est indispensable : indispensable pour donner de la visibilité aux porteurs de projets ; indispensable pour lancer les appels d’offres relatifs à l’éolien en mer et aux investissements portuaires qui y sont associés ; indispensable pour que nos industriels investissent, pour que nos territoires planifient, pour que nos jeunes se projettent. Sans cette visibilité, il n’y a pas de confiance ; sans confiance, il n’y a pas d’investissements. Et sans investissements, il n’y a ni réindustrialisation ni souveraineté énergétique.
Cette boussole est attendue avec impatience. Depuis le parc de Yeu-Noirmoutier, où j’étais il y a quelques jours, les acteurs de l’éolien en mer nous regardent. Depuis Le Creusot, où j’étais il y a quelques mois, les jeunes qui se forment aux métiers du nucléaire nous observent. Dans chaque territoire, les élus, les industriels, les salariés nous le rappellent : ils attendent de la clarté.
La programmation pluriannuelle de l’énergie leur apportera cette clarté, cette stabilité, cette visibilité. Notre pays a en effet besoin d’une feuille de route énergétique claire pour sortir des énergies fossiles, pour produire plus, pour produire mieux.
J’ajoute un point important pour le ministre de l’industrie que je suis : s’il y a urgence à nous donner un cap, c’est aussi d’un point de vue industriel. Des usines, en France, dépendent de ces énergies. Pour ce qui est du nucléaire, le grand carénage et le nouveau nucléaire vont nécessiter près de 100 000 recrutements dans les années à venir. Pour ce qui est des énergies renouvelables, nous orientons les appels d’offres, grâce aux critères de résilience, pour faire émerger des chaînes industrielles en France. C’est déjà le cas pour l’éolien en mer ; les projets sont en route concernant le photovoltaïque. Le signal de la programmation pluriannuelle de l’énergie est puissant pour pérenniser ces emplois, qui ont des effets d’entraînement positifs sur tous les territoires.
Cette programmation sera aménagée par rapport à celle qui a été mise en consultation au mois de mars 2025, afin de tenir compte des débats et des votes parlementaires. Le Gouvernement a entendu l’ambition collective qui s’est exprimée, celle de tirer le meilleur parti du nucléaire – je la partage. La cible de production pourra ainsi être rehaussée.
En cohérence avec cette orientation, la cible de puissance pour les énergies renouvelables, tant éoliennes que photovoltaïques, sera adaptée, mais – je le redis – sans renier la complémentarité entre nucléaire et renouvelable, en cherchant le bon équilibre pour notre énergie et pour nos industries.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est essentiel. Il doit tracer une voie, il doit fixer un cap, il doit donner un signal aux industriels, aux investisseurs, aux travailleurs et aux citoyens : un signal de cohérence, de lucidité et d’ambition. Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre esprit de responsabilité, pour leur fournir les solutions qu’ils attendent, les solutions dont ils ont besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)