Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Alain Cadec, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, mon collègue Patrick Chauvet et moi-même avons été désignés rapporteurs sur cette proposition de loi, et je suis chargé du titre Ier, relatif à l’actualisation de la programmation énergétique nationale.

En première lecture, et avant de rejeter le texte, l’Assemblée nationale avait apporté de nombreuses modifications à ce volet programmatique. Ainsi, l’on dénombrait neuf articles supprimés, neuf modifiés et quinze ajoutés. Nous constatons que le contenu des articles adoptés en séance publique à l’Assemblée nationale était ambivalent : des modifications souvent intéressantes des articles initiaux de la proposition de loi côtoyaient une multitude d’ajouts inopportuns, dont nous ne voulions pas.

Ainsi, nous nous rallions à la réécriture par l’Assemblée nationale de l’article 3 relatif à nos objectifs en matière d’énergie nucléaire – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre. En effet, cette rédaction conserve l’objectif sénatorial de construction de 27 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées d’ici à 2050, la réalisation de six EPR2 devant être engagée d’ici à 2026 et celle de huit autres d’ici à 2030. Voilà qui garantira un mix électrique aux deux tiers nucléaire en 2030, et majoritairement nucléaire en 2050 – je sais que c’est pour nombre d’entre vous, mes chers collègues, un point essentiel.

Nous acceptons également la réécriture par l’Assemblée nationale de l’article 5 sur nos objectifs en matière d’énergie renouvelable. En particulier, les objectifs sénatoriaux d’au moins 560 térawattheures d’électricité décarbonée, 297 térawattheures de chaleur renouvelable et 44 térawattheures de biogaz injecté d’ici à 2030 sont maintenus. Je rappelle que ces objectifs ont déjà été adoptés par le Sénat au mois d’octobre 2024.

En revanche, nous regrettons que l’Assemblée nationale ait érodé l’ambition proposée par le Sénat sur trois points.

D’une part, l’Assemblée nationale avait réduit à 4,5 gigawatts d’ici à 2030 l’objectif en matière de production d’hydrogène prévu à l’article 4.

D’autre part, elle avait abaissé à 330 000 logements par an l’objectif en matière de rénovation énergétique mentionné à l’article 9.

Enfin, l’Assemblée nationale avait supprimé tout objectif d’efficacité énergétique, quand le texte initial prévoyait, au même article, une cible fixée, via les certificats d’économies d’énergie, entre 1 250 et 2 500 térawattheures par an.

De surcroît, nous déplorons l’ajout par l’Assemblée nationale d’une multitude d’objectifs inapplicables : la sortie du marché européen de l’énergie, avec un changement de statut et une position monopolistique pour le groupe EDF, de même qu’une extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) et un rétablissement des tarifs réglementés de vente du gaz (TRVG) ; l’obligation de réouverture de la centrale nucléaire de Fessenheim ou des centrales à charbon ; l’introduction d’un moratoire – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre – sur les projets éoliens et solaires.

En définitive, parce qu’il est urgent de légiférer pour notre programmation énergétique, notre commission a opté pour une position responsable, celle qui donne à notre pays le plus de chances de disposer d’une programmation énergétique actualisée.

Nous avons repris plusieurs apports utiles issus des travaux de l’Assemblée nationale. Sept amendements ont été adoptés en ce sens. Nous avons intégré les objectifs de production d’énergie nucléaire et d’énergie renouvelable adoptés en séance publique aux articles 3 et 5, qui maintiennent l’ambition sénatoriale initiale.

Sur l’initiative de nos collègues Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et Didier Mandelli, un sous-amendement a été adopté pour mieux encadrer le développement des projets éoliens, en privilégiant notamment le renouvellement des installations existantes sur la création de nouvelles, ce qui permet de répondre aux inquiétudes des élus locaux.

De plus, nous avons inclus dans le texte les objectifs de stabilité des prix ainsi que de flexibilité et d’effacement, adoptés en séance publique aux articles 1er et 4, qui suppriment des redondances. Il en va de même des objectifs de rénovation et d’efficacité énergétiques et de sortie des centrales à charbon, proposés en commission aux articles 8 et 9, qui apportent de la souplesse.

Enfin, nous avons repris l’objectif de décarbonation des outre-mer, adopté en commission et en séance publique à l’article 10, qui répond aux spécificités de ces territoires.

À l’inverse, nous n’avons pas donné suite aux propositions problématiques de l’Assemblée nationale, qui auraient été contraires au cadre juridique comme à la réalité économique.

Le droit de l’Union européenne n’autorise pas les évolutions proposées à l’Assemblée nationale sur le statut du groupe EDF, l’extension des TRVE ou la réintroduction des TRVG. En outre, le législateur n’a pas à s’immiscer, à la place de l’exploitant, dans la gestion des projets de production énergétique, en imposant des réouvertures de centrales nucléaires ou de centrales à charbon ou en interdisant les projets éoliens ou solaires.

Cette proposition de loi n’épuise pas les autres chantiers du secteur de l’énergie. Il faudra bien sûr – c’est important – évaluer le coût du financement des projets d’énergie renouvelable comme des projets d’énergie nucléaire, afin de faire évoluer certains dispositifs de soutien public, dans un légitime souci de maîtrise des coûts. Ce débat relève de la prochaine loi de finances et non de cette proposition de loi.

Au nom de notre commission, je vous invite à adopter la proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a indiqué mon collègue Alain Cadec, nous avons tous deux été désignés rapporteurs sur ce texte, et j’ai été chargé du titre II relatif à la simplification des normes et à la protection des consommateurs.

En première lecture et avant de rejeter le texte, l’Assemblée nationale avait recentré la proposition de loi sur son volet programmatique, afin d’en faciliter l’examen face au volume d’amendements déposés.

Si cette intention était audible, nos collègues députés avaient tout de même eu la main lourde, supprimant vingt-trois articles. Les dispositions relatives à la simplification des normes, celles qui ont trait à la protection des consommateurs et les demandes de rapport d’évaluation avaient ainsi été retirées…

Cependant, ces suppressions d’articles avaient été réalisées à géométrie variable.

D’une part, le Gouvernement lui-même avait fait adopter un article 16 ter modifiant les modalités de gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés par leurs producteurs et leurs détenteurs, ainsi que par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

D’autre part, le rapporteur Antoine Armand lui-même avait fait adopter un article 25 F prévoyant la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’application des objectifs prévus par la présente proposition de loi de programmation énergétique et par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie. L’Assemblée nationale avait donc dû considérer que ce type de dispositions de simplification ou d’évaluation n’était somme toute pas si inutile.

Les articles non programmatiques de la proposition de loi n’ont en effet rien d’accessoire. Ils sont issus des travaux de suivi de l’application des lois de la commission des affaires économiques pour l’année 2023-2024. Daniel Gremillet, pour la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite loi Nouveau nucléaire, et moi-même, pour la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi Aper, avions identifié des mesures à ajuster ou à compléter dans ce cadre.

En première lecture au Sénat, les filières du nucléaire, des renouvelables et de l’hydrogène ont plébiscité les mesures de simplification qui les concernent. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) a soutenu les dispositions prévues pour les collectivités territoriales. Quant à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et au Médiateur national de l’énergie, ils ont accueilli très positivement les mesures de régulation et de protection proposées, tout en suggérant des compléments.

Dans ce contexte, en deuxième lecture, nous avons pris acte d’un nécessaire recentrage du texte sur le volet programmatique, afin de faciliter son examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. C’est pourquoi nous avons proposé de supprimer une partie – consacrée à la simplification des normes – du titre II de la proposition de loi. Douze amendements ont été adoptés en ce sens. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les articles ainsi supprimés prospèrent dans d’autres véhicules législatifs.

En revanche, les articles les plus importants ont été maintenus. Je pense aux articles 14 à 16 bis, sur la simplification des projets nucléaires. Je pense aussi aux articles 23 et 24 sur la protection des consommateurs. Un amendement a même été adopté, à la demande de la CRE, pour actualiser l’article 24 afin de tenir compte des concertations conduites, depuis l’examen du texte au Sénat en première lecture, sur différents aspects : prix repère de vente de gaz naturel, encadrement des offres dont le prix n’est pas connu à l’avance, sanctions encourues en l’absence de respect des obligations prudentielles.

Enfin, nous avons reconduit les demandes de rapport d’information introduites au Sénat en première lecture. Elles concernent l’application de la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) ; le contenu des mesures financières et non financières prises pour la conversion des centrales de production d’électricité à partir du charbon vers des combustibles décarbonés ; le fonctionnement des parcs éoliens en mer.

Mes chers collègues, le texte qui nous est soumis n’est pas anodin. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, et du fait des décisions qu’il implique, notamment la relance du nucléaire, il fixe un cap qui va bien au-delà des cinq prochaines années. Il s’agit d’un texte structurant pour notre pays dans la perspective des prochaines décennies, que je vous invite donc à examiner par-delà l’écume de l’actualité. En effet, aujourd’hui, nos concitoyens regardent le Sénat et attendent qu’il soit un pôle de constance et de stabilité. Ils attendent de notre expérience la capacité à tenir la barre par temps agité et à trouver des équilibres et des compromis qui dessinent un futur pour notre pays.

Soyons à la hauteur de cet enjeu. Soyons fidèles au choix que nous avons exprimé au mois d’octobre 2024 par un très large vote.

Au nom de notre commission, je vous invite à adopter la proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jadot, Mme Guhl, MM. Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, d’une motion n° 40.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie (n° 802, 2024-2025).

La parole est à M. Yannick Jadot, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Gisèle Jourda et M. Fabien Gay applaudissent également.)

M. Yannick Jadot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment avons-nous pu en arriver là ? Comment une proposition de loi qui ne visait qu’à rappeler le Gouvernement à ses responsabilités – nous vous en remercions, cher collègue Gremillet (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) – via un exercice de promotion du nucléaire peut-elle devenir la loi ?

La loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat est sans ambiguïté : elle a prévu qu’une loi de programmation détermine, avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, les grands objectifs énergétiques du pays. Or, depuis 2022, tous les gouvernements ont failli à présenter un tel projet de loi.

Une loi de programmation Énergie-Climat est nécessaire, mais elle ne saurait être débattue dans ces conditions, à savoir sans étude d’impact – un groupe parlementaire n’a pas la capacité de conduire une telle étude –, sans avis du Conseil d’État, sans consultation publique et, surtout, sans trajectoire financière.

De quoi parlons-nous ici et sur quoi engageons-nous le pays ?

Il s’agit d’adapter notre système énergétique au plus grand défi du siècle, celui du dérèglement climatique – et ça cogne dur en ce moment !

Il s’agit de tirer les leçons de la guerre en Ukraine, de nos dépendances aux énergies fossiles, de nos complaisances à l’égard de régimes totalitaires.

Il s’agit d’engager des centaines de milliards d’euros pour bâtir les infrastructures énergétiques qui dessineront pour des décennies nos modes de production, de consommation et de transport.

Quels seront les impacts de cette loi sur le prix de l’électricité payé par les Français ? sur le montant nécessaire d’investissement public ? sur notre trajectoire climatique ? sur l’équilibre entre offre et demande d’électricité pour les dix ans à venir ? sur notre souveraineté ? On n’en sait rien : zéro, nada, walou ! C’est irresponsable. Telle est la raison de notre motion tendant à opposer la question préalable.

Monsieur le ministre, vous avez fait une mise au point importante sur les énergies renouvelables, eu égard aux prises de position de votre collègue Bruno Retailleau – je vous en remercie. Mais la représentation nationale ne comprend plus la parole gouvernementale. Un flou complet régnait déjà, du côté du Gouvernement, lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi Gremillet. Lors du débat récemment organisé en application de l’article 50-1 de la Constitution sur la souveraineté énergétique de la France, vous avez déclaré que le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie serait publié au début de l’été. Lors des questions d’actualité au Gouvernement qui ont eu lieu le 25 juin, vous nous avez expliqué que le décret serait publié une fois l’examen de la présente proposition de loi complètement achevé. Désormais, vous nous expliquez que ce sera chose faite avant la fin de l’été…

Monsieur le ministre, nous assistons sidérés à la démission de fait du Gouvernement sur un enjeu essentiel pour notre pays.

Depuis des mois, les acteurs des énergies renouvelables tremblent devant tant d’indécision et d’incertitude. On est bien loin des plans de soutien au solaire et à l’éolien qui devaient participer à la réindustrialisation du pays et à notre souveraineté énergétique. On est bien loin également de nos obligations européennes : la France atteint à peine l’objectif fixé pour 2020.

Nos entreprises sont plus proches du dépôt de bilan que du développement. Des dizaines de milliers d’emplois sont directement menacés dans un secteur où se déploie partout le génie de l’innovation, un secteur où s’échafaudent la résilience et la souveraineté des économies de demain.

Cette proposition de loi prolonge l’incompréhensible défiance qui prévaut à l’égard des énergies renouvelables, filières pourtant présentes sur tout le territoire. Elle prévoit de remplacer l’objectif calculé en part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique et dans la production d’électricité par un objectif de 58 % d’énergie décarbonée – soit 33 % d’énergie renouvelable – dans la consommation finale brute d’énergie en 2030. Nous proposons de revenir à l’objectif de 44 % d’énergie renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie et de 45 % dans la production d’électricité en 2040. Il y va de notre responsabilité – une responsabilité européenne.

Vous voulez sortir la France du monde et des réalités économiques. Le reste du monde, en effet, ne pense pas comme vous. Surtout, il agit et prend de l’avance : les renouvelables représentent 93 % – 93 % ! – des nouvelles capacités de production d’énergie installées dans le monde en 2024, année au cours de laquelle la capacité mondiale de production d’énergie renouvelable a crû de 15 %. On dénombre d’ores et déjà dans ce secteur 16 millions d’emplois, dont 7 millions dans le solaire. Du reste, les filières des énergies renouvelables résistent en France – mais pour combien de temps encore ? –, soutenues par l’opinion publique : la production y a augmenté de près de 10 % l’année dernière et de 58 % depuis 2016.

Chers parlementaires de droite (« Et du centre ! » au banc des commissions.), votre esprit est au moratoire. En vous écoutant, en vous lisant, les acteurs des filières renouvelables ne tremblent pas, ils sont pétrifiés : pétrifiés par les mensonges grossiers du Rassemblement national, que certains reprennent cyniquement, pétrifiés par un discours anti-économique teinté d’antiscience, parfois climatosceptique. (M. Laurent Duplomb ironise.) On a droit à cinquante nuances de climatoscepticisme : il y a les tenants d’un moratoire « allégé » et ceux qui plaident pour un moratoire définitif et complet ! Mes chers collègues, vos derniers alliés « anti-renouvelables » ne sont autres que Trump, Orban, Meloni, Poutine ! (Mme Monique de Marco applaudit. – M. Damien Michallet sesclaffe.) Est-ce vraiment là le camp du progrès auquel vous voulez appartenir ?

M. Stéphane Piednoir. La nuance incarnée !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Tout dans la mesure !

M. Yannick Jadot. Vous renouez avec une funeste tradition : en décembre 2010, François Fillon, alors Premier ministre, avait décrété un moratoire sur le photovoltaïque.

M. Michel Savin. Excellent !

M. Yannick Jadot. À la clef, 15 000 emplois détruits, des centaines d’entreprises fermées, tout cela pour finir payé par les pétrogaziers russes : une sacrée conception de la souveraineté énergétique et du progrès ! Rassurons l’ancien Premier ministre : notre facture énergétique liée aux importations d’énergies fossiles continue de dépasser les 65 milliards d’euros par an.

Mes chers collègues, il nous faut agir vite pour le climat et, à cet impératif, la présente proposition de loi ne répond pas. La France sort de l’accord de Paris par la petite porte. En 2024, nos émissions de gaz à effet de serre n’ont baissé que de 1,8 % ; il en faudrait au moins le double pour atteindre l’objectif commun de 55 % de baisse d’ici à 2030. Encore l’année 2024 n’est-elle rien par rapport à 2025 : le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) estime que la baisse de nos émissions ne sera cette année que de 0,8 %.

Cet effondrement devrait malheureusement tourner à la débâcle, étant donné les coupes budgétaires massives dans les secteurs les plus émetteurs, comme ceux du transport et du logement.

Il y a urgence à agir pour électrifier nos usages et bâtir une industrie énergétique souveraine.

M. Alain Cadec, rapporteur. Tout à fait d’accord !

M. Yannick Jadot. Or cette proposition de loi nous fait perdre dix ans en faisant du nouveau nucléaire le seul pilier de votre projet. Vous voulez construire quatorze EPR2, installations dont, reconnaissons-le, le design n’est pas totalement bouclé et qui seront opérationnelles, au mieux, à partir de 2040.

D’ici là, que fait-on ? On attend ? On persiste à sacrifier la rénovation thermique des logements, l’électromobilité, les énergies renouvelables ?

Facture annoncée des six premiers EPR2 : 51 milliards d’euros, chiffre de 2020, réévalué, en euros constants, à 67 milliards l’année dernière. La Cour des comptes nous dit désormais qu’il y en aura au moins pour 100 milliards d’euros, soit 16 milliards d’euros l’unité, pour une électricité à 130 euros le mégawattheure. C’est trop tard et c’est trop cher !

Comment, de surcroît, ne pas tirer les leçons de la première génération d’EPR ? S’il y a bien une énergie intermittente, notamment à Flamanville, c’est le nouvel EPR. Celui-là, il tourne, il fuit, il tourne, il fuit !… (Rires sur les travées du groupe GEST.) Les surcoûts sont connus : la facture de l’EPR de Flamanville est passée de 3 milliards à 23 milliards d’euros, la mise en service se faisant avec une décennie de retard. Sans surprise, la Cour des comptes, qui, tout compte fait, trouverait matière à soutenir cette motion de rejet, recommande de « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR2 jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée ».

À ce stade, et à moins de mettre à contribution les Français par le biais de leurs impôts ou de leur facture d’électricité, ce programme n’est certainement pas finançable par EDF non plus qu’il n’est rentable.

Mes chers collègues, l’urgence climatique et la raison économique exigent de rééquilibrer notre mix énergétique par des politiques puissantes de sobriété et d’efficacité énergétiques, d’une part, et de déploiement massif des énergies renouvelables, d’autre part. Telle est la ligne que nous défendrons dans le débat à venir.

Par respect pour le travail parlementaire et pour l’intelligence collective qui devrait naître entre nous autour d’enjeux aussi lourds et vitaux pour notre pays, je vous invite à voter cette motion de rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Cadec, rapporteur. La question préalable soulevée à l’encontre de la proposition de loi est à la fois caricaturale et incompréhensible.

M. Alain Cadec, rapporteur. Légiférer sur notre programmation énergétique est une nécessité institutionnelle. En effet, le Parlement a adopté le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie, à l’article 2 de la loi Énergie-Climat du 8 novembre 2019. Lors des débats sur l’énergie respectivement organisés le 28 avril dernier à l’Assemblée nationale et le 6 mai dernier au Sénat, la quasi-totalité des parlementaires ont demandé, à raison, que le Gouvernement ne prenne pas le décret sur la programmation pluriannuelle de l’énergie sans débat législatif préalable.

Légiférer est une obligation légale, car l’article L. 100-1 A du code de l’énergie dispose qu’une loi de programmation est prise tous les cinq ans et qu’elle prévaut sur le décret relatif à la PPE.

Légiférer est aussi une nécessité économique, car la filière nucléaire a besoin d’une assise législative et d’une légitimité politique pour mettre sa relance à l’abri des contentieux et des soubresauts.

L’avis de la commission est bien évidemment défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Ferracci, ministre. Sans surprise, l’avis du Gouvernement est également défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Je me joins aux propos du rapporteur, en insistant sur les dispositions qui sont déjà inscrites dans le droit en vigueur.

Je l’ai dit dans mon propos liminaire : nous avons besoin d’une assise pour donner de la visibilité aux industriels.

Les débats qui ont d’ores et déjà eu lieu sur cette question, qu’il s’agisse des débats organisés en application de l’article 50-1 de la Constitution ou de ceux auxquels a donné lieu la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, dont, certes, on connaît l’issue, ont éclairé l’opinion publique et nos concitoyens sur les enjeux de notre politique énergétique.

Il est donc nécessaire de prolonger le débat. J’attends beaucoup des échanges que nous allons avoir pour éclairer encore davantage ces enjeux absolument essentiels.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 40, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous avez dit au début de votre déclaration liminaire que cette proposition de loi, qui a trait à la question énergétique, devait tracer un sillon, un chemin, y compris pour les décennies à venir. Je partage cette orientation.

Le problème, c’est que nous sommes dans une impasse. Et je tiens à cet égard, sans polémique, à m’expliquer à nouveau devant vous, mes chers collègues, car il ne s’agit pas seulement d’une question de forme : la question est démocratique.

Voilà quatre ans, gouvernement après gouvernement, que l’on nous promet cette fameuse PPE. Tous les meilleurs arguments ont été avancés : la crise du covid, la crise énergétique, l’absence de majorité à l’Assemblée nationale… Bref, tout y est passé.

Notre collègue Daniel Gremillet, à juste raison – je le redis –, a posé sur la table un travail sérieux. Il y a entre nous beaucoup de points d’accord et aussi, évidemment, des points de débat, ce qui est tout naturel. Il a pris l’initiative, afin de forcer la main du Gouvernement. Très bien !

Nous avons ensuite eu l’occasion d’échanger assez sérieusement en première lecture.

Entre-temps, la donne politique a changé : la droite sénatoriale, qui se trouvait alors dans l’opposition, a rejoint la minorité présidentielle, formant ainsi une coalition. Très bien, c’est son droit.

Le texte est ensuite arrivé à l’Assemblée nationale, où la droite s’est entendue avec le Rassemblement national pour détricoter le travail mené par la majorité sénatoriale de droite, au point que plus personne ne reconnaissait ses petits !

On nous propose désormais la réouverture de Fessenheim. Nous étions opposés à sa fermeture, mais, pour avoir échangé avec certains salariés, même eux reconnaissent que personne ne sait concrètement comment une telle réouverture pourrait être mise en œuvre. Bref, des décisions ahurissantes ont été votées.

La question est celle du moratoire sur les énergies renouvelables. Vous avez raison de dire que ce n’est pas tenable. D’ailleurs, nous avons tous reçu de nombreux mails de personnes concernées, directement ou indirectement, par ces filières. Or, cette semaine, j’ai lu dans Le Figaro – excellent journal – que le chef de la majorité de la droite, M. Bruno Retailleau, se prononce en faveur d’un moratoire. (On le conteste vivement sur les travées du groupe Les Républicains.) Si, mes chers collègues, il l’affirme dans une tribune avec M. Bellamy ! Il faut tout de même reconnaître là une forme d’incohérence majeure.

Au milieu de cette confusion, nous ne cessons d’interroger le ministre. Mais tout cela est vain, puisqu’il ne nous apporte pas – je suis désolé de le dire – de réponses suffisamment sérieuses. Prenons l’exemple de la relance du nucléaire : nous y sommes favorables. Toutefois, en l’absence d’étude d’impact et sans aucun éclairage sur le financement, il manque aujourd’hui 20 milliards d’euros pour concrétiser cette relance. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser encore la question : comment allons-nous financer le nouveau nucléaire ? Toujours aucune réponse.

D’ici à la fin de l’année, nous sortirons du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) tant décrié et que j’ai eu l’occasion de critiquer à maintes reprises. De quelle manière allons-nous procéder ? Nul ne sait comment fonctionnera le nouveau système…

L’une des grandes questions porte également sur le tarif réglementé, qui devra nécessairement évoluer puisque nous quitterons le cadre de l’Arenh. Je vous interroge de nouveau : 21 millions de ménages sont aujourd’hui au tarif réglementé et nous ne savons toujours pas comment sera calculé le tarif de l’électricité au 1er janvier prochain…

J’en profite pour poser une question simple. Mon groupe s’oppose à l’augmentation du taux de la TVA appliquée à l’abonnement, qui passerait de 5,5 % à 20 %. Cette mesure a été votée dans le dernier projet de loi de finances. Résultat : à compter du 1er août, la facture d’électricité de 20 millions de ménages français va augmenter. Quand pourrons-nous débattre de ce sujet ? Quand aurons-nous un texte ?

Lorsqu’une affaire est aussi mal engagée, il faut arrêter. Nous ne demandons ni un énième débat, ni une consultation, ni même un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution : nous appelons le Gouvernement à prendre ses responsabilités en présentant un projet de loi de programmation pluriannuelle de l’énergie afin que nous puissions avoir un véritable débat démocratique.

Chacun fera alors valoir ses arguments. Vous connaissez les nôtres sur l’exigence d’un service public de l’énergie. Nous pourrons être battus, mais au moins que cela se fasse dans un cadre véritablement démocratique. Nous ne pouvons régler de cette façon une question aussi essentielle pour l’avenir de notre pays ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)