M. Joshua Hochart. Permettez-moi, en préambule, de m'associer, au nom des sénateurs du Rassemblement national, à l'hommage rendu au président Olivier Marleix, dont la disparition soudaine nous a profondément touchés. Tout au long de son engagement, il a su défendre avec conviction l'intérêt général et la souveraineté industrielle de notre pays.

Madame la ministre, la semaine dernière, la France a traversé un épisode de chaleur d'une intensité exceptionnelle et, une nouvelle fois, ce phénomène a mis en lumière certaines limites préoccupantes de notre préparation collective face aux effets du dérèglement climatique.

Peu d'espaces publics rafraîchis, une majorité de logements privés encore non équipés, des hôpitaux sous tension, des Ehpad fragilisés, des écoles contraintes de fermer : ce que nos concitoyens ont vécu ces derniers jours en dit long sur l'insuffisance des mesures concrètes prises jusqu'à maintenant. Et nous savons tous que ce n'est qu'un avant-goût de ce que pourraient être les prochains étés.

Malgré les engagements régulièrement proclamés en matière d'adaptation au changement climatique, les résultats concrets tardent à venir. Selon certaines études, Paris figurerait désormais parmi les villes européennes les plus exposées en cas de canicule.

Ce constat alarmant doit tous nous interpeller, d'autant que nous nous souvenons bien de l'élan de solidarité nationale suscité par la canicule de 2003, qui a conduit à la création d'une journée de travail supplémentaire non rémunérée, destinée à mieux protéger nos aînés et à financer l'adaptation climatique.

Depuis lors, plus de 60 milliards d'euros auraient été récoltés à ce titre. Cela mérite une forme de transparence. En effet, au regard de ces efforts financiers, nos concitoyens n'ont, pour beaucoup, vu qu'une série de dispositifs souvent déconnectés des réalités – lignes téléphoniques d'information, conseils génériques, portails internet bien intentionnés –, mais insuffisants pour répondre à l'urgence.

Madame la ministre, ce que les Français attendent, ce ne sont pas des slogans ni des recommandations sommaires, ce sont des actes : des infrastructures adaptées, des services publics renforcés, une véritable stratégie de résilience.

Alors, permettez-moi de vous poser cette question simple, mais essentielle : le Gouvernement entend-il tirer les leçons de cette séquence pour engager, enfin, une politique cohérente, lisible et ambitieuse en matière d'adaptation climatique ? (MM. Alain Duffourg et Stéphane Ravier applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Hochart, la première leçon que nous avons tirée des épisodes de 2003 est la notion d'anticipation.

Tout d'abord, nous avons créé un dispositif national de vigilance météorologique, Météo-France étant chargé de la surveillance des épisodes de chaleur.

Ensuite, nous avons créé un lien entre Météo-France et la direction générale de la santé (DGS). C'est de cette manière que nous déterminons les alertes rouges dans les départements concernés, comme nous l'avons fait la semaine dernière.

Ce travail d'anticipation est éminemment interministériel. Il mobilise à la fois le ministère de l'intérieur, celui de la transition écologique et celui dont j'ai la responsabilité pour mettre en place des plans dès le printemps afin que nous soyons capables de protéger la population.

De même, des plans de gestion ont été élaborés pour répondre aux tensions hospitalières et aux besoins dans les Ehpad.

Par ailleurs, nous nous attachons à protéger les travailleurs. Comme vous le savez, Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons signé un arrêté pour rendre les horaires plus flexibles en cas de fortes chaleurs, car, vous l'avez dit, nous devons adapter le pays.

Enfin, nous avons agi sur l'investissement, notamment en adaptant nos normes de construction. Les écoles, par exemple, sont de moins en moins souvent construites plein sud. Il y a vingt ans, nous cherchions du chauffage peu cher ; désormais, nous nous protégeons du soleil.

Cela vaut également pour la programmation des rénovations urbaines : lorsqu'il est question d'isolation, il s'agit de se protéger tant du froid que de la chaleur.

En outre, nous investissons dans l'équipement de nos établissements de santé. Notre pays doit s'équiper durablement ; c'est le sens des actions que nous menons.

Vous le voyez, nous nous concentrons sur la gestion de crise, sur l'anticipation en matière d'organisation du pays, mais aussi sur la prévention. Nos actions de prévention portent sur chacun de nos concitoyens, mais aussi sur la gestion de l'eau, qui reste un enjeu absolument majeur.

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réplique.

M. Joshua Hochart. Madame la ministre, je pense que nous serons tous d'accord pour dire que l'été sera chaud.

En tout cas, j'ai deux nouvelles à vous donner : une mauvaise et une bonne. La mauvaise, c'est que la rentrée sera brûlante, et je ne parle pas que de la météo. La bonne, c'est que, pour votre gouvernement, elle risque d'être plus courte que prévu. (M. Alain Duffourg applaudit.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Sous réserve du décret présidentiel, la prochaine séance de questions au Gouvernement devrait avoir lieu le mercredi 24 septembre, à quinze heures.

D'ici là, je vous souhaite, à partir de vendredi à minuit, d'excellentes vacances et un repos bien mérité. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-deux,

est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru, pour une mise au point au sujet d'un vote.

Mme Anne-Sophie Patru. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 335 sur l'ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, le sénateur Paul Toussaint Parigi souhaitait s'abstenir et non voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive
Article 1er

Rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité

Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (proposition n° 840, texte de la commission n° 845, rapport n° 844).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, permettez-moi, pour commencer, de saluer la présidente de la commission et la rapporteure, qui ont fait un excellent travail, ainsi que l'auteur de cette proposition de loi, d'origine sénatoriale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a aujourd'hui une résonance particulière pour moi : l'Assemblée nationale l'a examinée pendant quarante-huit heures la semaine dernière alors qu'Olivier Marleix en était le rapporteur. Ce dernier a porté beaucoup d'attention à ce texte. Il l'a modifié de façon à le rendre plus précis, notamment en ce qui concerne le public visé par l'extension jusqu'à 210 jours de la période de rétention. Je peux vous dire qu'il s'était beaucoup engagé sur ce texte, qui sera l'œuvre de ses auteurs, bien sûr, mais aussi celle de ses rapporteurs, notamment d'Olivier Marleix.

Lorsque la règle ne protège pas les Français, il faut la changer. Ce texte n'est pas seulement le produit d'une initiative sénatoriale ; il fait suite au meurtre de la jeune Philippine et, bien évidemment, à bien d'autres drames.

J'ai souvent entendu dire que le premier objectif de ce texte était d'obtenir des laissez-passer consulaires et d'améliorer le taux des éloignements forcés. Or ce n'est pas le cas. Il existe d'autres moyens d'atteindre ces objectifs, que nous sommes en train de déployer, dans le cadre européen.

Je pense notamment à la renégociation de la directive sur le retour des étrangers en situation irrégulière, dite directive Retour, qui sera directement applicable dans notre droit interne. Je pense également aux actions que les vingt-sept États membres de l'Union européenne sont en train de mettre en place pour faire pression sur les pays d'origine qui ne sont pas coopératifs.

Trois leviers sont mobilisables.

Tout d'abord, lorsqu'un pays refuse d'octroyer des laissez-passer consulaires, pourquoi accorderait-on des visas à ses ressortissants ? Si ce levier est compliqué à utiliser à l'échelle de la France, il est plus facilement activable à l'échelle des Vingt-Sept.

Ensuite, pourquoi accorder des droits de douane préférentiels à des pays qui ne coopèrent pas ?

Enfin, nous pourrions conditionner l'aide au développement à la coopération de ses destinataires et instaurer ainsi une réciprocité.

En réalité, le premier objectif de ce texte est de protéger les Français. Il s'agit de répondre à la question que nombre de nos compatriotes se sont posés à la suite du meurtre de Philippine – j'ai cité cet exemple, mais j'aurais pu en citer d'autres – : lorsque la règle ne protège pas suffisamment nos compatriotes, pourquoi ne pas tout simplement la changer ?

Ce texte d'initiative sénatoriale apporte une réponse importante. Il porte à 210 jours la durée de la période de rétention. En outre, et c'est fondamental, il permettra aux préfets d'interjeter appel, avec effet suspensif. Le préfet pourra prendre cette mesure dès qu'il constatera qu'un individu dangereux est sur le point d'être libéré.

Cette proposition de loi comporte également d'autres dispositions. Grâce au travail du rapporteur Olivier Marleix et de la commission des lois de l'Assemblée nationale, le public visé dans le texte adopté par les députés – il reste un public très dangereux – a été précisé. Nous ne saurions libérer au bout de quatre-vingt-dix jours des individus qui ont violé ou commis des violences ! Il était important d'apporter ces précisions.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale a également permis de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel concernant le droit d'asile et de celle de la Cour de cassation relative à la computation et au calcul des jours de rétention.

Je ne m'attarderai pas sur la liste des crimes visés. Je dirai simplement que le texte qui a été adopté à l'Assemblée nationale et sur lequel vous avez désormais à vous prononcer respecte notre norme juridique. Grâce au contrôle du juge judiciaire, notre régime de rétention restera sans doute l'un des plus protecteurs de toute l'Europe ; je tiens à le dire.

En effet, le droit européen va beaucoup plus loin que les dispositions que nous envisageons. Le texte prévoit en effet de porter à 210 jours la durée de rétention. Or cette durée est de dix-huit mois dans la directive Retour, que treize pays européens appliquent d'ores et déjà, dont l'Allemagne.

Le futur règlement qui doit remplacer la directive Retour ira même plus loin : la durée de rétention administrative pourra aller jusqu'à vingt-quatre mois, y compris pour un public qui n'est pas dangereux.

Je tenais à apporter cette précision, pour montrer que nous respectons les équilibres et les règles de droit, notamment à l'échelle nationale.

Enfin, j'ai beaucoup entendu dire à l'Assemblée nationale – moins au Sénat – qu'il s'agirait d'un texte anti-étrangers. Comment peut-on dire que ce texte fait un amalgame ?

Je voudrais dire aux parlementaires, notamment de gauche, qu'il convient de se garder de procéder à un amalgame inversé. Il est tout aussi absurde de dire d'un étranger qu'il est dangereux parce qu'il est étranger, que de dire que, parce qu'il est étranger, il n'est pas dangereux !

Je suis prêt à porter ce débat devant les Français chaque jour, chaque heure. Quand on voit la liste des infractions concernées, il ne fait aucun doute que les individus qui les commettent sont particulièrement dangereux. La plupart du temps, ils ont déjà été condamnés par la justice à des peines de prison, parfois très lourdes. Alors, croyez-moi, les Français comprennent et soutiennent à une très large majorité les mesures telles que celles que nous prenons aujourd'hui.

Par ailleurs, je rappelle que la base légale des centres de rétention administrative (CRA) a été adoptée sous la présidence de François Mitterrand, à la fin de l'année 1981.

Je rencontre souvent mes homologues européens lors des conseils européens. Ils ne sont pas tous de droite ; beaucoup d'entre eux sont des sociodémocrates, mais aucun ne remet en cause le régime de rétention. Or ce régime est souvent bien plus sévère dans leur pays que dans le nôtre.

Ne nous coupons pas des Français ni de la majorité des États membres de l'Union européenne.

Je conclurai comme j'ai commencé : quand la règle ne protège plus, il faut la changer. Telle est notre mission en tant que législateurs. Il s'agit bien sûr de trouver le bon point d'équilibre entre, d'un côté, la sécurité et, de l'autre, les libertés publiques.

Nous avons trouvé ce point d'équilibre dans ce texte, dont je ne doute pas qu'il sauvera des vies. Quand bien même il n'en sauverait que quelques-unes ou même une seule, ce serait fondamental, car une vie n'a pas de prix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Cédric Chevalier et Teva Rohfritsch applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, à titre liminaire, je souhaite saluer, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre d'État, la mémoire de notre collègue député Olivier Marleix, qui fut le rapporteur de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale. Il a été l'artisan du compromis trouvé sur cette proposition de loi, qu'il a marquée de son empreinte. Mes pensées vont à sa famille et à ses proches.

C'est en l'absence de son rapporteur que l'Assemblée nationale a adopté hier soir cette proposition de loi, que le Sénat avait adoptée en première lecture le 18 mars dernier.

La commission des lois s'est félicitée que ce texte, déposé par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, ait fait l'objet d'une large convergence de vues entre le Sénat et l'Assemblée nationale.

Il ne subsiste en effet, à ce stade de la discussion, qu'un unique désaccord entre nos deux assemblées. Celui-ci porte sur les critères d'application du régime dérogatoire de la rétention administrative prévu par l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), dont l'article 1er prévoit l'extension à certaines catégories d'étrangers.

En l'état du droit, ce régime est réservé aux étrangers condamnés pour des infractions à caractère terroriste. Sa durée maximale est de 210 jours, contre 90 dans le régime ordinaire.

Le Sénat, sur l'initiative de la commission des lois, avait prévu trois critères supplémentaires pour l'application de ce régime : la condamnation par le juge pénal à la peine d'interdiction du territoire français (ITF) ; la condamnation définitive pour une infraction punie de cinq ans ou plus d'emprisonnement ; un comportement de la personne mise en cause constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

Sur l'initiative de son rapporteur, et dans le cadre d'un compromis trouvé avec les groupes du socle commun, l'Assemblée nationale a apporté une double modification à ce périmètre.

D'une part, elle a élargi l'application du régime dérogatoire à tous les étrangers faisant l'objet d'une décision d'expulsion ou d'interdiction administrative du territoire, ce qui recouvre un nombre non négligeable d'individus. La commission des lois a approuvé cette extension qui, au regard des motifs justifiant le prononcé de ces décisions, lui est apparue adaptée et proportionnée.

D'autre part, si l'Assemblée nationale a conservé deux des trois critères prévus par le Sénat – la peine d'interdiction du territoire français et la menace d'une particulière gravité –, elle a préféré se référer, en ce qui concerne le critère de condamnation pénale, à une énumération limitative d'infractions. C'est là le point de désaccord avec le Sénat, qui avait retenu une rédaction se fondant sur la peine d'emprisonnement encourue afin de couvrir toutes les infractions graves.

L'Assemblée nationale a jugé plus opportun de ne retenir qu'une liste limitative d'infractions. Cette liste comporte pas moins de seize items, parmi lesquels figurent notamment le meurtre ou l'assassinat, le viol, l'agression sexuelle, ou encore les actes de terrorisme.

Outre le fait qu'elle alourdit la rédaction de l'article en question, l'énumération proposée par l'Assemblée nationale présente l'inconvénient d'omettre plusieurs infractions graves. C'est le risque inhérent à toute énumération. Ainsi sont notamment omis l'incendie volontaire provoquant la mort d'autrui ou des blessures graves, le détournement d'aéronef ou de navire, ou encore les délits prévus au livre IV du code pénal, parmi lesquels figure l'apologie du terrorisme.

Cela dit, pour regrettable qu'elle soit, cette omission devrait se révéler sans grande conséquence dans la pratique. En effet, les auteurs de telles infractions devraient remplir l'un des autres critères prévus à l'article 1er. Même dans l'éventualité où ils ne feraient pas l'objet d'une interdiction du territoire français ou d'une expulsion, leur comportement devrait être regardé comme constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

Dans ces conditions, la commission a estimé que cette divergence, somme toute mineure, ne devait pas faire obstacle à l'adoption rapide de cette proposition de loi. En effet, il est urgent, mes chers collègues, que ce texte très attendu, tant par nos concitoyens que par les administrations concernées, soit rapidement mis en œuvre.

Vous le savez, l'éloignement des étrangers les plus dangereux pose de nombreuses difficultés, qu'il s'agisse de la dissimulation de leur identité par les intéressés ou des réticences des États dont ils sont ressortissants. Ces personnes présentent un risque de fuite très élevé, de sorte que les mesures moins contraignantes, comme l'assignation à résidence, ne suffisent pas à garantir leur éloignement.

L'objet de cette proposition de loi est de donner à l'administration le temps et les moyens juridiques de mener à bien ces éloignements. Nous ne pouvons nous satisfaire de l'impuissance de l'État en la matière, qui suscite l'incompréhension légitime de nos concitoyens et qui est à l'origine de tant de drames.

Les autres dispositions de la proposition de loi font l'objet d'un consensus entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Celle-ci a ainsi adopté conforme l'article 3, introduit sur l'initiative de la commission, qui simplifie le séquençage de la rétention administrative. Il fusionne les deux dernières prolongations, d'une durée de quinze jours chacune, en une prolongation unique de trente jours.

L'article 4 a également fait l'objet d'une adoption conforme. Issu d'un amendement de notre collègue Catherine Di Folco, il prévoit d'exprimer en heures plutôt qu'en jours les délais du placement initial en rétention et en zone d'attente. Ce décompte en heures lève les difficultés liées à un avis récent de la Cour de cassation sur la computation de ces délais, qui tend à réduire le temps dont dispose effectivement l'administration.

L'Assemblée nationale a adopté l'article 5, auquel elle n'a apporté que des modifications d'ordre rédactionnel. Introduit sur l'initiative de notre collègue Dominique Vérien, cet article complète les mentions devant figurer au procès-verbal de la retenue pour vérification du droit au séjour. Il y ajoute les heures auxquelles la personne retenue a pu s'alimenter, afin de tirer les conséquences d'une censure du Conseil constitutionnel.

Quant aux ajouts de l'Assemblée nationale, ils ne posent aucune difficulté. Aussi ont-ils été adoptés sans modification par la commission.

L'article 2 bis a pour objet de permettre la prise d'empreintes digitales et de photographies de l'étranger placé en rétention administrative, et ce sans son consentement.

De telles dispositions permettront de faciliter l'identification de l'étranger, qui est souvent un obstacle à la détermination de sa nationalité et, partant, à son éloignement. On peut seulement regretter que ces dispositions ne soient applicables que lors du placement en rétention et non en amont.

Cette identification pourra néanmoins avoir lieu prochainement, à l'occasion de l'adaptation de notre droit au pacte européen sur la migration et l'asile. En effet, le nouveau règlement Eurodac, qui sera applicable à compter du 12 juin 2026, impose aux États membres de relever et d'enregistrer les données biométriques de tous les étrangers en situation irrégulière et ouvre expressément la possibilité d'effectuer un tel relevé même en cas de refus des intéressés.

L'article 3 bis a pour objet de permettre de nouveau le placement en rétention administrative du demandeur d'asile, en tirant les conséquences d'une décision récente rendue par le Conseil constitutionnel, qui a censuré les dispositions afférentes.

Mes chers collègues, ce texte ne résoudra pas à lui seul toutes les difficultés rencontrées en la matière, mais il comporte des avancées importantes pour favoriser l'éloignement des étrangers les plus dangereux et garantir ainsi la sécurité de nos concitoyens.

Compte tenu de l'intérêt qui s'attache à ce que les dispositions de cette proposition de loi entrent rapidement en vigueur, la commission des lois vous invite à l'adopter conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous terminons cette année parlementaire et cette session extraordinaire par un texte symptomatique de la dérive dans laquelle le président Macron nous a entraînés.

Un an après une dissolution inexplicable et inexpliquée, nous examinons en effet en deuxième lecture un texte qui illustre la dynamique que nous dénonçons depuis des mois. Dans le cadre d'un pacte de gouvernement, les ministres utilisent régulièrement des propositions de loi, sans étude d'impact, pour imposer médiatiquement des thèmes aussi dangereux que malvenus.

Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui souhaitent permettre l'application de durées dérogatoires de placement en rétention administrative pouvant atteindre jusqu'à 210 jours, durées jusque-là réservées aux personnes condamnées pour des activités terroristes.

Un tel allongement avait été intégré dans la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, puis supprimé en séance par un amendement du Gouvernement. Ce dernier avait promis aux sénatrices et aux sénateurs de faire adopter la mesure dans un texte législatif dédié.

La présente proposition de loi a été élaborée en réaction à la mort de Philippine, étudiante retrouvée morte dans le bois de Boulogne au mois de septembre 2024. La frontière entre l'opportunité et l'opportunisme est ici ténue.

Notre groupe partage la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés pour des actes sexuels ou violents. Mais la lutte contre la récidive ne doit pas servir de prétexte pour multiplier les mesures répressives à l'égard des étrangers, monsieur le ministre.

Je rappelle que la rétention administrative est une privation de liberté prévue uniquement dans le cadre d'une procédure d'éloignement. Il ne s'agit pas d'une incarcération. L'allongement constant de sa durée depuis des années n'a jamais permis d'augmenter le taux de personnes expulsées à la sortie des centres de rétention administrative.

C'est la préparation de la sortie de prison et de la réinsertion, absolument nécessaire, qui permet de neutraliser les individus dangereux sur notre territoire.

Cette proposition de loi a été alourdie par de nouvelles dispositions au cours de la navette ; vous y avez fait référence.

Le texte prévoit ainsi la prise d'empreintes digitales et de photographies, et ce sans le consentement de l'étranger. Cette disposition, à laquelle nous nous étions opposés, figurait déjà à l'article 38 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel, car « ces opérations ne sont ainsi ni soumises à l'autorisation d'un magistrat, saisi d'une demande motivée en ce sens, ni subordonnées à la démonstration qu'elles constituent l'unique moyen d'identifier la personne qui refuse de s'y soumettre ». La rédaction que vous avez retenue pour tenter de réintroduire une telle mesure ne répond même pas à l'exigence que je viens de rappeler.

Tout aussi problématique est la mesure relative à la rétention administrative des demandeurs d'asile sur le seul fondement d'une menace de trouble à l'ordre public, ne serait-ce qu'en termes de conventionnalité. Je ne suis pas juriste, mais il me semblerait opportun de vérifier en amont d'un texte sa conformité à nos engagements internationaux…

Une autre mesure permet ce qu'on appelle pudiquement la « surveillance électronique mobile », que vous connaissez bien, puisqu'il s'agit en fait du bracelet électronique, pour le même motif de menace de trouble à l'ordre public.

Au sein de notre groupe, nous l'avons dit plusieurs reprises, la menace de trouble à l'ordre public pose, dans son application, d'énormes problèmes en termes de libertés, et pas seulement pour les étrangers, puisque c'est aussi l'un des critères justifiant le recours à la détention provisoire.

De plus, sur le fond, ce texte consolide une vision perturbée du rôle de la rétention administrative et entretient une confusion avec l'incarcération. Nous assistons depuis trop d'années à ce détournement de la rétention, aujourd'hui utilisée comme élément de politique sécuritaire. Les CRA ne sont pas des lieux de détention ; ils ne sont pas adaptés pour servir de prisons. Quant aux personnels qui y interviennent, ils ne sont pas formés pour encadrer de telles populations. La rétention, ce n'est pas la détention ! Elle ne peut pas constituer une peine après la peine.

Depuis l'examen en première lecture de cette proposition de loi, d'autres textes sont venus consolider cette vision détournée de la rétention, comme la proposition de loi empêchant les associations d'exercer leurs fonctions au sein des CRA, fonctions qu'elles remplissent par contrat depuis des années, après avoir remporté des marchés publics.

Tout cela me paraît un peu nauséabond. Quand je vois toutes ces attaques de l'État de droit, tout ce narratif sur les étrangers qui seraient synonymes de danger…

Chers collègues, nous regrettons la posture, la vision dogmatique et le calcul politicien qui sous-tendent ce texte, comme d'autres, sur des sujets qui mériteraient une réflexion plus apaisée, plus concertée, plus étudiée, plus argumentée et plus solide.

Nous voterons assurément et avec conviction contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, vous me permettrez tout d'abord de saluer à mon tour la mémoire du député Olivier Marleix, député de ma région, le Centre-Val de Loire, homme de convictions, d'engagement et de talent ; des convictions, un engagement et un talent qu'il avait eu l'occasion d'exprimer en sa qualité de rapporteur sur la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale.

Nous examinons aujourd'hui en seconde lecture ce texte de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, visant initialement à permettre l'allongement de la durée de rétention administrative d'un étranger jusqu'à 210 jours si celui-ci fait l'objet d'une décision d'éloignement édictée à la suite d'une condamnation pour certains crimes ou délits de droit commun.

Vous le savez, en première lecture, nous n'avions pas approuvé cette proposition de loi, désormais complétée par des dispositions plus que discutables adoptées par l'Assemblée nationale, dont certains aspects suscitent de vives interrogations.

Vous l'avez indiqué, monsieur le ministre d'État, ce texte se voulait une réaction : une réaction au meurtre abject d'une jeune fille survenue au mois de septembre dernier, crime qui nous a tous profondément bouleversés et qui a ému l'opinion publique.

Un tel drame doit bien évidemment nous conduire à examiner tous les dysfonctionnements ayant abouti à la libération d'un criminel déjà condamné qui se trouvait illégalement sur le territoire. Mais cette réflexion doit être menée avec discernement, sans céder à l'émotion, aussi légitime soit-elle. Elle ne devait d'ailleurs pas mécaniquement conduire à l'adoption d'une loi spécifique, d'autant que, comme vous l'avez reconnu vous-même, monsieur le ministre d'État, un certain nombre de problèmes liés à l'éloignement demeurent en suspens.

Or vous avez fait un choix différent, en vous inscrivant – cela vient d'être souligné – dans cette tendance récente à « surfer » sur des faits divers, alimentant une sorte de machine populiste dans une course, que nous considérons comme mortifère, avec l'extrême droite et ses funestes pulsions.

Ce texte marque une rupture avec un certain nombre de principes régissant la rétention administrative, qui – cela vient d'être rappelé – n'est ni une peine ni un outil de précaution ; c'est une mesure temporaire au service exclusif d'un éloignement effectif. Il prolonge la privation de liberté sans garantie d'efficacité, au mépris du principe de proportionnalité et de l'exigence de nécessité. À cet égard, il détourne la rétention, à laquelle nous n'avons pas d'opposition de principe, de sa finalité première.

L'article 1er, qu'il s'agisse de la version du Sénat ou de celle de l'Assemblée nationale, soulève plusieurs objections.

D'abord, il méconnaît le principe de proportionnalité en autorisant jusqu'à 210 jours de rétention pour des personnes condamnées pour des infractions délictuelles, voire n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation, et ce sur la base d'un comportement jugé menaçant.

Ensuite, il y a lieu de s'interroger sur l'utilité de cet article. En effet, dans le cas d'étrangers détenus, l'administration dispose déjà du temps de l'incarcération pour organiser leur éloignement.

Enfin, cet article présente un caractère contre-productif, car il risque d'engorger les centres de rétention et les juridictions administratives jusqu'à emboliser notre politique d'éloignement et compromettre l'objectif même affiché par ce texte.

Depuis notre premier débat, au mois de mars, le texte a été complété – cela a été rappelé – par l'Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement. Plusieurs dispositions qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du texte pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration y ont été réintroduites.

Je pense à l'article 2 bis, qui prévoit la possibilité de relever les empreintes digitales de l'étranger placé en rétention administrative et de prendre sa photographie sans son consentement. Comment ne pas s'indigner de l'introduction dans notre droit d'une telle disposition, manifestement contraire à un certain nombre de nos principes fondamentaux ?

Encore une fois, nous connaissons tous le contexte assez tendu dans un certain nombre de centres de rétention administrative. Je l'ai moi-même constaté dans mon département. Nous connaissons les difficultés ; les relations avec les personnels et les agents y sont extrêmement difficiles. Or, avec les dispositifs que vous instituez, vous allez créer des sources de tensions supplémentaires.

L'article 3 bis, quant à lui, autorise le placement en rétention d'un demandeur d'asile en dehors de toute procédure d'éloignement. Ce faisant, il remet en cause le principe même selon lequel la rétention ne peut être fondée que sur la perspective raisonnable d'un éloignement effectif.

Je l'ai indiqué, ce texte se voulait une réponse au meurtre abject d'une jeune fille. Pourtant – il faut le marteler –, ce qui a fait défaut dans ce drame, c'est non pas le cadre juridique, mais l'action de l'administration. L'obligation de quitter le territoire français (OQTF) a été notifiée deux jours seulement avant la libération du condamné. Quant à la demande de laissez-passer consulaire, elle a été transmise au mauvais service, puis corrigée avec vingt-quatre jours de retard. (M. le ministre d'État le conteste.) Le laissez-passer a finalement été délivré trois jours seulement après le drame. Autrement dit, ce sont des défaillances administratives qui ont rendu l'éloignement impossible, et non une prétendue insuffisance de la durée légale de rétention.

Au lieu de tirer les leçons de ce drame, c'est-à-dire de constater l'existence de dysfonctionnements, d'une désorganisation et la nécessité d'anticiper les démarches dès la détention, les auteurs de ce texte choisissent finalement la facilité : l'allongement général de la privation de liberté sans que l'efficacité d'une telle mesure n'ait été prouvée.

Le texte s'inscrit plus largement dans une série d'initiatives récentes qui réinterrogent en profondeur notre conception de la rétention administrative. De fait, il contribuera à engorger les centres de rétention, à saturer les juridictions, sans pour autant améliorer l'efficacité des éloignements.

Monsieur le ministre d'État, vous avez évoqué, à juste titre d'ailleurs, la situation européenne, qui est intéressante. Pour autant, les systèmes juridiques sont très différents, vous le savez. Il existe d'autres types de possibilités d'appel dans d'autres pays, lesquels ont parfois – j'en conviens – des délais de rétention beaucoup plus longs, mais permettent quelquefois des sorties préalables.

Je partage la crainte que mon collègue a exprimée à l'instant : ce texte nous semble illustrer une dérive plus large, une sorte de populisme législatif et normatif qui prétend répondre à des drames par une surenchère, sans recul, sans étude d'impact. Ce faisant, on réduit la loi à de la communication, au signal politique, au détriment de sa cohérence, de son efficacité.

C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain maintient sa position et votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.