M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Khalifé Khalifé applaudissent également.)

Mme Anne-Sophie Patru. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive nous revient en deuxième lecture.

Sur l’initiative bienvenue de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, ce texte vise à renforcer la sécurité de tous et à assurer la protection de notre société contre les individus les plus dangereux.

La récidive mine la confiance de nos concitoyens dans notre système judiciaire. Alors que la liste des faits divers semble s’allonger dans une actualité parfois très lourde, nos concitoyens attendent, voire exigent des réponses fermes et efficaces de notre part. Cette proposition de loi est une étape et répond en partie à leurs attentes. Elle prévoit l’allongement de la durée de rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité à 180 jours, voire à 210 jours.

Actuellement, la rétention administrative permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger faisant l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente de son expulsion. La durée de cette rétention est toutefois limitée à 90 jours, sauf dans les cas liés spécifiquement au terrorisme.

Il est donc proposé d’étendre ce cadre aux personnes condamnées pour des infractions sexuelles, violentes ou en lien avec le crime organisé, afin de s’assurer que les individus concernés ne soient pas relâchés prématurément au mépris de la sécurité publique.

En première lecture, le Sénat a apporté plusieurs modifications substantielles au texte initial. La commission des lois et sa rapporteure Lauriane Josende, dont je salue le travail, ont décidé de substituer à la liste des infractions des critères non cumulatifs pour l’application de la rétention prolongée.

Ces critères sont les suivants : l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire français ; il fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou des délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ; son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Une fois ce texte adopté par notre chambre, l’Assemblée nationale y a apporté sa pierre. À cet égard, permettez-moi ici de rendre hommage à son rapporteur, Olivier Marleix, disparu lundi dernier. Le groupe Union Centriste s’associe à la peine de sa famille et de nos collègues Les Républicains qui l’ont bien connu. Son travail sérieux et toujours accompli marquera encore ce texte.

La commission des lois a maintenu deux des trois critères précités, excluant les infractions terroristes, déjà couvertes par le critère de la menace à l’ordre public.

Les députés ont en outre intégré les menaces et violences envers les élus, agents publics, forces de l’ordre, magistrats, auxiliaires de justice et autres autorités de la République parmi les infractions justifiant le maintien en rétention administrative.

Par ailleurs, le texte étend les circonstances dans lesquelles l’appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention libérant une personne retenue possède un caractère suspensif. Cette mesure vise à maintenir en rétention les individus représentant une menace grave pour l’ordre public pendant la durée de la procédure d’appel.

Dans sa philosophie générale, cette proposition de loi répond en partie de manière concrète et nécessaire aux attentes de notre population en matière de sécurité. Elle concilie l’indispensable protection de la société et le respect des droits fondamentaux des individus. En ciblant spécifiquement les personnes présentant un danger avéré, ce texte atteint un équilibre juste et mesuré.

Les événements récents ont montré les limites de notre système actuel. « Comment ne pas penser au meurtre de Philippine ? » s’interrogeait notre collègue Dominique Vérien en première lecture. Cette jeune femme de 19 ans avait été violée et assassinée par un homme récidiviste, libéré d’un CRA quelques jours plus tôt alors qu’il faisait l’objet d’une OQTF non exécutée.

Des erreurs dans l’interprétation des conditions de prolongation de la rétention ont conduit à la libération anticipée de personnes dangereuses. Cette proposition de loi vise donc à corriger ces failles et à renforcer les outils à la disposition de nos juges et de nos tribunaux afin de leur permettre de prendre des décisions éclairées et protectrices.

En conclusion, le groupe Union Centriste votera ce texte. Je vous invite à en faire de même, chers collègues, pour un cadre juridique solide et efficace. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà de nouveau confrontés, pour la dernière fois, je l’espère, à un texte réactionnaire, démagogique et dangereux.

Ce texte est réactionnaire tout d’abord, car il s’inscrit dans la longue liste des textes examinés au Sénat depuis quelques mois ayant pour seul objectif d’attenter à notre État de droit pour nourrir les idées d’extrême droite. Et pourtant, plus la droite extrême se rapproche de l’extrême droite, plus elle s’enfonce dans le puits sans fond de son idéologie nauséabonde. Pour notre part, nous ne cesserons jamais de choisir l’humanité et c’est bien pour cela que nous lutterons contre de telles dérives, comme nous l’avons toujours fait.

Ce texte est démagogique, ensuite. Vous souhaitez porter à 210 jours la durée de la rétention administrative pour les individus condamnés définitivement pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Soyons sérieux, il s’agit ici de la sécurité des habitants de ce pays. Or nous parlons ici d’individus ayant purgé leur peine. Si l’irrégularité de leur séjour nous pousse à les reconduire dans leur pays d’origine, cela n’est possible que par le biais des laissez-passer consulaires et donc par la voie diplomatique. Or on ne peut pas attaquer frontalement des pays à qui nous demandons par la suite de coopérer pour obtenir de tels laissez-passer. Il faut être cohérent !

De plus, l’allongement de la durée de rétention à 210 jours n’augmente évidemment nullement la probabilité de retour dans leur pays d’origine des personnes retenues. En l’absence de laissez-passer, allonger la durée de rétention ne changera rien. Telle est la réalité, mes chers collègues.

Enfin, ce texte est dangereux. Alors que nous pourrions parler de travail et de salaires dignes, alors que nous pourrions mieux protéger les habitants de ce pays en renforçant nos services publics nationaux et locaux, alors que nous pourrions investir dans une véritable politique d’intégration indispensable à notre pays, ce gouvernement, avec la complicité de la majorité sénatoriale, préfère détourner l’attention pour conserver les privilèges de quelques-uns au détriment de l’intérêt général.

Nous ne sommes pas dupes : vous ne faites ici qu’organiser l’inefficacité de notre État au préjudice des libertés fondamentales.

La France est de très loin le pays européen qui délivre le plus grand nombre d’OQTF. À l’inverse de ce qui se pratique chez nos voisins, ces obligations de quitter le territoire y sont automatiquement délivrées. Par cette politique du chiffre, on organise notre propre inefficacité. Au lieu de mieux appréhender les individus dangereux de manière ciblée et efficace, on préfère stigmatiser tous les étrangers.

Quelle est donc la limite à l’inflation de la durée maximale de rétention ? Alors qu’elle était de 7 jours en 1981, nous nous apprêtons à la porter à 210 jours !

Cessons d’adopter des lois d’affichage ; elles sont inefficaces. Œuvrons de manière ciblée et cohérente ! Parce que ce texte est à l’opposé de cette approche raisonnée et raisonnable, nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des moments où, dans l’histoire de la République, on ne peut plus tergiverser. Il est des moments où le devoir de l’État est non plus de discuter, mais d’agir. Ce moment est venu.

Combien de nos concitoyens ont été agressés, blessés, violés, assassinés parce que des individus, déjà condamnés pour crime, déjà frappés d’une obligation de quitter le territoire français, avaient été libérés ?

Quelles que soient les raisons pour lesquelles ces individus ont été libérés – des délais trop courts, faute de texte ou de courage –, les crimes qu’ils ont commis sont des échecs de l’État. Chacun d’entre eux est un échec de la loi, de la volonté, de la République.

Alors oui, nous soutenons cette proposition de loi, parce qu’elle corrige une faille béante de notre système, parce que, au travers d’elle, nous réaffirmons que le droit est fait pour protéger non pas les délinquants et les criminels, mais les honnêtes gens. Les Français méritent la sécurité ! Nous la leur devons.

Qui visons-nous ici ? Des étrangers condamnés pour des crimes d’une particulière gravité. Nous parlons non pas de quidams, mais de criminels dangereux pour la société.

Il est devenu inacceptable qu’un étranger reconnu coupable de tels actes, promis à l’éloignement, puisse être relâché. C’est insupportable pour des millions de Français !

La loi actuelle est trop timorée, trop lente, trop faible. La rétention maximale de 90 jours ne suffit pas dans les cas les plus sensibles. L’obtention des laissez-passer consulaires prend du temps. Les échanges avec les pays tiers sont complexes. Et pendant ce temps, des bombes humaines peuvent être libres.

Nous le disons calmement, mais fermement : quand un individu a violé, quand un individu a tué, quand un individu a trahi l’hospitalité de la France, alors il ne doit pas marcher librement dans nos rues. Il doit être éloigné. Et s’il ne peut pas l’être immédiatement, alors il doit rester sous contrôle. À défaut de l’avion, il faut imposer la rétention !

Ce texte ne témoigne pas d’une dérive sécuritaire, il est un acte de bon sens. Il est non pas une offense à l’État de droit, mais un bouclier pour les Français. Il ne remet pas en cause nos principes, il leur donne de la force. Il respecte le juge, la Constitution et le droit européen. Il garantit surtout la sécurité des Français.

J’entends déjà les critiques. On parle d’atteinte aux libertés. Mais quelle liberté ont les victimes quand la République se montre faible avec leurs bourreaux ? De quelle liberté disposent nos concitoyens si la République n’est plus capable d’éloigner ceux qu’elle a condamnés ? La première des libertés, c’est de vivre en sécurité. C’est cela la justice ; c’est cela l’ordre républicain.

Le texte que nous examinons aujourd’hui répond à une exigence : protéger les Français avec lucidité, avec détermination et sans naïveté. Il prolonge un régime déjà existant pour les terroristes. Il l’étend à d’autres profils tout aussi dangereux. Il facilite l’action des services de l’État. Il met fin à des absurdités administratives. Il redonne à la puissance publique les moyens d’agir.

Mes chers collègues, l’autorité n’est pas un gros mot. L’ordre n’est pas une nostalgie. La fermeté, ce n’est pas l’inverse de la République. Au contraire, c’est la protection de la liberté, c’est la justice sociale, c’est la République debout. La fermeté, c’est la République vivante qui tient parole ; c’est la République qui protège ; c’est la République qui décide.

Nous avons trop attendu, trop reculé, trop regretté après coup. Aujourd’hui, il faut faire face ; il faut voter ce texte. Il faut, enfin, que l’État redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un rempart, un bouclier, une force. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, afin d’examiner les huit amendements qui ont été déposés sur le texte, la commission des lois demande une interruption de séance d’une durée d’un quart d’heure.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive
Article 2 (texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

La sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « étranger », la fin de l’intitulé est ainsi rédigée : « condamné pour des faits graves ou dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » ;

2° L’article L. 742-6 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou s’il fait l’objet d’une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » sont remplacés par les mots : « ou s’il fait l’objet d’une décision d’expulsion ou d’interdiction administrative du territoire » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés dix-neuf alinéas ainsi rédigés :

« Le premier alinéa du présent article est également applicable à l’étranger :

« 1° (Supprimé)

« 2° Qui fait l’objet d’une condamnation définitive pour l’un des crimes ou des délits suivants :

« a) Le crime contre l’humanité et le crime contre l’espèce humaine prévus au titre Ier du livre II du code pénal ;

« b) Les crimes de meurtre, d’assassinat ou d’empoisonnement prévus aux articles 221-1 à 221-5 du même code ;

« c) Les crimes de tortures ou d’actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 dudit code ;

« d) Le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner prévu aux articles 222-7 et 222-8 du même code ;

« e) Les crimes et les délits de violences prévus aux articles 222-9 à 222-14-1 et 222-14-5 du même code ;

« f) Les crimes et les délits de viol et d’agression sexuelle prévus aux paragraphes 1 et 2 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du même code et les infractions sexuelles contre les mineurs prévues au paragraphe 2 de la section 5 du chapitre VII du même titre II ;

« g) Les crimes et les délits de trafic de stupéfiants prévus aux articles 222-34 à 222-43-1 du même code ;

« h) Le crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage prévu aux articles 224-1 A et 224-1 B du même code ;

« i) Les crimes d’enlèvement et de séquestration prévus aux articles 224-1 à 224-5-2 du même code ;

« j) Le crime de traite des êtres humains prévu à l’article 225-4-1 du même code ;

« k) Les crimes et les délits de proxénétisme prévus aux articles 225-5 à 225-9 du même code ;

« l) Les crimes et les délits de vol aggravé avec violences prévus aux articles 311-5 à 311-10 du même code ;

« m) Les crimes d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation prévus aux articles 410-1 à 421-5 du même code ;

« n) Les crimes et les délits d’association de malfaiteurs et de concours à une organisation criminelle prévus aux articles 450-1 et 450-1-1 du même code ;

« o) Les délits de menaces, d’actes d’intimidation ou de violences commis à l’encontre des personnes mentionnés à l’article 433-3 du même code ;

« p) Les délits de menaces ou d’actes d’intimidation prévus à l’article 434-8 du même code ;

« 3° Dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 1 est présenté par M. Chaillou, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 5 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour présenter l’amendement n° 1.

Mme Audrey Linkenheld. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 1er.

Comme l’a dit mon collègue Christophe Chaillou lors de la discussion générale, notre groupe est défavorable au principe même d’étendre la durée de rétention de droit commun, qui est aujourd’hui de 90 jours – soit une durée qui est déjà plus élevée qu’elle ne l’était il y a quelques années –, ainsi qu’à l’idée de porter la durée maximale de rétention à 210 jours dans un certain nombre de cas exceptionnels, comme c’est le cas pour les étrangers condamnés pour des actes de terrorisme.

Nous considérons qu’un tel allongement des délais n’est pas la solution aux difficultés réelles auxquelles nous faisons face pour garantir l’éloignement effectif des étrangers concernés.

Pour nous, la question de l’éloignement doit faire l’objet d’une réflexion en amont, y compris lorsque cet éloignement concerne des personnes condamnées au moment de leur détention, et non au moment de leur rétention. Une durée de rétention de 90 jours devrait normalement suffire à faire exécuter une telle décision.

Chacun sait que, si les mesures d’éloignement des étrangers échouent si souvent, c’est avant tout parce que nous manquons de moyens. Or ce manque de moyens ne pourrait que s’aggraver si l’on décidait d’allonger les délais de rétention administrative : cela signifierait en effet que l’on retiendrait davantage encore de personnes dans les centres de rétention administrative, des centres pourtant déjà bien remplis, où la situation est déjà très tendue, où la dignité des personnes n’est pas toujours respectée, et où la sécurité, y compris celle des personnels qui y travaillent, n’est pas non plus nécessairement garantie.

Cet amendement témoigne de notre volonté d’en rester au droit existant.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 5.

M. Guy Benarroche. Notre groupe partage bien entendu les propos tenus à l’instant par notre collègue Audrey Linkenheld, de même que la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés. Je le précise, car je ne voudrais pas que l’ambiguïté qui transparaissait notamment dans les propos de M. le ministre d’État perdure et puisse alimenter les polémiques. Pour autant, cette volonté ne doit pas servir de prétexte pour multiplier les mesures répressives à l’égard des étrangers.

La présente disposition, en autorisant le placement en rétention jusqu’à 210 jours des étrangers condamnés pour des infractions de nature délictuelle, même au seul motif que leur comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, soulève un certain nombre de difficultés juridiques : elle pourrait en effet être jugée irrecevable en raison de l’absence manifeste de proportionnalité entre la restriction de liberté et l’objectif que l’on cherche à atteindre.

Nous avons par ailleurs déjà souligné l’inefficacité de cette mesure au regard de son but, à savoir l’effectivité de l’éloignement.

De fait, la rétention administrative est utilisée par l’administration pour entretenir l’amalgame entre personnes étrangères et délinquance, un amalgame sur lequel nous vous alertons, parce qu’il s’inscrit, en vertu d’une tautologie hors de contrôle, dans une logique d’enfermement et d’expulsion.

Le taux élevé de libération par les juges judiciaires témoigne d’ailleurs de l’existence d’un certain nombre de pratiques illégales ou d’erreurs administratives. Cette position est partagée, entre autres, par la Cimade et l’Observatoire de l’enfermement des étrangers.

Enfin, je le rappelle, nous ne disposons d’aucune étude d’impact ni d’aucune analyse quant aux potentielles conséquences d’un tel allongement de la durée de rétention. Jusqu’à présent, en tout cas, aucun allongement de la durée de rétention dans les CRA n’a jamais permis de renvoyer chez eux les étrangers concernés ou de rendre effectives les obligations de quitter le territoire français.

Nous nous opposons à l’aggravation des restrictions de liberté induite par cet allongement de la durée de rétention de personnes enfermées sans condamnation, d’autant plus que le dispositif nous paraît totalement inefficace.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Lauriane Josende, rapporteure. La commission est défavorable à ces deux amendements identiques de suppression de l’article 1er, leurs auteurs souhaitant rouvrir un débat que nous avons déjà eu en première lecture.

L’article 1er a pour objet de donner le temps nécessaire à l’administration de mener à bien l’éloignement des étrangers les plus dangereux. Il s’agit d’une mesure essentielle pour protéger nos concitoyens.

On le sait, l’éloignement des étrangers les plus dangereux se heurte à des difficultés particulières, que personne ne conteste : obstruction des intéressés, risque de fuite, non-respect des mesures d’assignation à résidence, réticence des États étrangers à délivrer les laissez-passer consulaires, etc.

Dans ces conditions, l’éloignement est une course contre la montre, qui, à l’heure actuelle, ne s’achève que trop rarement en faveur de l’administration. Allonger jusqu’à 210 jours la durée de la rétention pour les étrangers les plus dangereux, c’est desserrer cette contrainte temporelle et accroître la probabilité d’un éloignement effectif.

Rappelons qu’en 2024, plus de la moitié des éloignements des étrangers relevant du régime réservé aux terroristes ont été réalisés au-delà du quatre-vingt-dixième jour de rétention. Autrement dit, sans l’allongement que nous proposons, moins de la moitié de ces éloignements auraient eu lieu.

Rappelons aussi que, même en la portant à 210 jours, la durée maximale de rétention reste très inférieure à celle qu’autorise la directive Retour – dix-huit mois, soit 540 jours – et qu’appliquent un grand nombre d’États européens.

Certes, il faudra aussi développer nos capacités de rétention – personne ne le conteste –, mais tel est précisément l’objet du plan « CRA 3000 » sur lequel le ministre d’État pourra certainement en dire davantage.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Vous avez eu raison, madame la rapporteure, d’évoquer le plan « CRA 3000 » : nous allons ouvrir dans quelques mois un nouveau CRA à Dunkerque, un autre à Dijon, un autre encore à Bordeaux ; nous avons aussi mis en place un programme pour augmenter le nombre de places dans les CRA existants, si bien qu’aujourd’hui nous accroissons très rapidement nos capacités d’accueil.

En revanche, je ne peux pas accepter certains des propos que je viens d’entendre : il est insupportable, monsieur Benarroche, de laisser penser que nous ferions un amalgame entre étrangers et individus dangereux. Je l’ai dit tout à l’heure à la tribune, vous essentialisez les étrangers quand vous dites qu’un étranger ne peut pas être dangereux.

M. Guy Benarroche. Je n’ai jamais dit ça !

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Je veux simplement que les Français sachent que le public concerné par le texte dont nous débattons est constitué de personnes ayant été condamnées pour des crimes contre l’humanité, des meurtres, des assassinats, des violences ayant entraîné la mort, des tortures, des actes de barbarie, des délits et crimes de violence, des délits et crimes de viols ou d’agressions sexuelles, des délits et crimes de trafic de stupéfiants, des crimes de réduction en esclavage, des crimes d’enlèvement et de séquestration, du proxénétisme, des vols avec violences aggravées, des crimes d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et j’en passe. Pensez-vous vraiment, après avoir entendu cette liste d’infractions, que notre approche constitue un amalgame ? (M. Guy Benarroche proteste.)

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Nous visons des étrangers, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce qu’ils sont dangereux !

La durée de rétention de 210 jours que nous proposons dans ce texte est, sachez-le, l’une des plus courtes en Europe, mais aussi l’une des mieux encadrées : d’abord, le juge des libertés sera appelé, selon une séquence préprogrammée, à donner son avis à trois reprises ; ensuite, si des faits ou des éléments nouveaux émergent, l’étranger pourra à tout moment demander au juge judiciaire d’intervenir.

J’ajoute, pour conclure, qu’il ne faut pas confondre détention et rétention, dans la mesure où, si l’étranger coopère et s’il nous donne son identité, il est parfaitement libre de partir.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement est, comme la commission, défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, vous n’êtes pas obligé de déformer la réalité pour trouver des arguments à opposer aux miens.

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Vous non plus !

M. Guy Benarroche. D’abord, ni le groupe de M. Chaillou ni notre groupe n’ont jamais dit qu’un étranger ne pouvait pas être dangereux parce qu’il était étranger. Nous n’avons jamais dit ça !

Ensuite, il est un peu facile de citer à l’appui de votre démonstration, comme vous venez de le faire, un certain nombre de crimes particulièrement odieux. Vous oubliez de préciser que le texte prévoit aussi la possibilité de placer en rétention jusqu’à 210 jours des personnes présentant des menaces pour l’ordre public.

Notons qu’aujourd’hui la durée moyenne d’un séjour en CRA est d’environ une quarantaine de jours. Dès lors, très peu de personnes restent jusqu’à 90 jours dans un centre de rétention administrative. Par conséquent, pensez-vous qu’il soit efficace de porter à 210 jours la durée maximale de rétention ? Pensez-vous réellement que cela va changer quelque chose ?