M. Jean-Raymond Hugonet. Ce n’est pas la première fois !
M. Yannick Jadot. Ce matin, à huit heures vingt, en écoutant la matinale de France Inter, Anne-Catherine Loisier intervenait sur les feux de forêt.
Mme Annick Billon. Elle n’était pas seule !
M. Yannick Jadot. Elle n’était pas seule, certes, mais aucun élu écologiste n’était présent. N’y a-t-il pas là un problème majeur ? Eh bien non ! Elle est compétente, elle s’exprimait, et c’est très bien. Qu’elle soit membre du groupe Union Centriste ou d’un autre, elle avait toute légitimité à être là.
Un deuxième point, déjà évoqué, mérite d’être souligné. J’entends, et je partage pleinement, l’idée selon laquelle la radio et la télévision doivent toucher l’ensemble de la société, en particulier les classes populaires. Pourtant, amorcer une réforme en créant une holding – un mot qui, dans l’esprit du grand public, évoque bien davantage la finance que le service public de l’audiovisuel – constitue, reconnaissons-le, un mauvais début.
Enfin, point essentiel qui touche à la conception de la démocratie, confondre contre-pouvoir et opposition est une sacrée interprétation de la démocratie et de l’État de droit ! Un contre-pouvoir n’est pas forcément une opposition. C’est plutôt une instance indépendante, non soumise au pouvoir : c’est ça l’enjeu !
Avec cette réforme, projetons-nous en 2027 et envisageons le pire : Marine Le Pen ou Jordan Bardella accède à la présidence de la République.
M. Roger Karoutchi. Mélenchon, pareil ! J’en ai plus peur !
M. Yannick Jadot. Vous aurez alors mis en place une ligne directe. Le Président de la République appellera le dirigeant de votre holding, qui mettra au pas l’ensemble des rédactions. Ils auront le groupe Bolloré et ils auront, par votre fait, l’audiovisuel public.
C’est précisément pour cette raison que nous nous y opposons. Nous réclamons l’indépendance, des contre-pouvoirs, une information de qualité et non une ligne directe avec l’Élysée ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, sur l’article.
Mme Émilienne Poumirol. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été brillamment exposés par Sylvie Robert, mais également par la quasi-totalité de mes collègues, concernant le risque d’atteinte au pluralisme et les dangers démocratiques qui se cachent derrière la constitution d’une holding.
Après Laurence Rossignol, je m’interroge également sur la manière dont la création d’une holding permettra à la jeunesse – dont vous dites qu’elle n’écoute plus la radio – de quitter TikTok avant de se précipiter pour écouter Radio France. J’avoue que le lien ne me paraît pas très évident…
M. Max Brisson. Caricature !
Mme Émilienne Poumirol. Par cette intervention, je souhaite surtout aborder le volet financier et pointer l’ineptie budgétaire que représente la mise en place de cette nouvelle structure.
D’un côté, l’étude d’impact – qui n’en est pas vraiment une – de la DGMIC Réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public : évaluation de sa mise en œuvre indique que la création de la holding n’occasionnera aucun surcoût, les coûts RH globaux des équipes n’étant pas directement impactés.
De l’autre, le rapport de l’ancienne directrice de France Inter, Laurence Bloch, avance un chiffre de 30 millions d’euros liés à l’harmonisation sociale nécessaire au sein de cette même holding, s’appuyant sur un rapport de l’inspection générale des finances.
Dans un cas comme dans l’autre, nul besoin d’être grand mathématicien pour constater qu’il s’agit de calculs au doigt mouillé, qui sont rarement les plus fiables.
Les estimations des syndicats, obtenus lors des auditions, paraissent bien plus pertinentes. Le coût de la réforme est évalué à un minimum de 150 millions d’euros : 50 millions pour le fonctionnement, 30 millions pour la nécessaire convergence des systèmes informatiques et 70 millions pour le nécessaire rattrapage salarial.
Ces chiffres doivent être mis en perspective avec le bilan d’Emmanuel Macron. Depuis 2017, l’audiovisuel public a perdu 776 millions d’euros. Cette année encore, le budget a été amputé de 80 millions d’euros. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, sur l’article.
Mme Monique de Marco. Je souhaite répondre au rapporteur lorsqu’il a évoqué le vote, en urgence et en dernière minute, au mois de décembre, d’un financement de l’audiovisuel public par une fraction de TVA. Nous vous l’avons dit : ce vote a été unanime, certes, mais nous avons aussitôt considéré cette solution comme injuste. Elle est plus injuste sur le plan fiscal que ne l’était la contribution à l’audiovisuel public, car chacun contribuera désormais au financement. En outre, le montant affecté à l’audiovisuel public demeure fixé par le Parlement, dans le cadre du vote du projet de loi de finances.
Je m’abstiendrai d’aborder les aspects financiers, ma collègue Émilienne Poumirol les ayant parfaitement exposés.
Je souhaite plutôt revenir sur un élément découvert en relisant les débats de juin 2023. Votre prédécesseure, madame la ministre, Mme Rima Abdul-Malak, déclarait au sujet de l’article 1er de la proposition de loi de M. Lafon : « Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’indiquer lors de la discussion générale, je suis favorable aux amendements de suppression, puisque je suis défavorable à la création de cette holding. Oui à une nouvelle ambition de l’audiovisuel public pour les cinq prochaines années ! […] Oui à plus de souplesse, de concertation, d’avancées pragmatiques et ambitieuses ! Mais non à la bureaucratie ! » Ce ne sont pas mes propos !
Qu’est-ce qui, aujourd’hui, justifie un tel revirement de la position gouvernementale ? Qu’est-ce qui explique cet empressement soudain ? J’écoute, j’essaie de comprendre. Mais, je l’avoue, mon imagination s’épuise. Depuis le début des débats, vos intentions apparaissent pourtant assez clairement.
Lorsque j’entends, madame la ministre, des attaques portées contre ce qui se dit sur France Culture, ou M. Brisson critiquer je ne sais plus quelle émission, tout cela traduit bien l’objectif de ce texte : bâillonner l’ensemble de l’audiovisuel public. (MM. Roger Karoutchi et Claude Kern s’impatientent.)
M. Max Brisson. Pas du tout !
Mme Monique de Marco. Ce nouveau PDG ne sera pas un chef d’orchestre, ce sera un gendarme !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter votre temps de parole. À défaut, je vous interromprai à la première seconde où celui-ci sera dépassé.
La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article.
Mme Annick Billon. J’interviendrai brièvement pour réaffirmer que le groupe Union Centriste est attaché à l’audiovisuel public et au pluralisme. C’est précisément parce que nous y sommes attachés que nous souhaitons enfin débattre de ce texte.
Il est dix-neuf heures vingt-trois, nous avons dû subir trois heures d’obstruction – car c’est bien de cela qu’il s’agit. (M. Roger Karoutchi acquiesce. – Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Nous avons fait preuve de patience, espérant qu’à l’issue de la discussion générale nous pourrions entrer dans le vif du sujet.
Après quelque quinze prises de parole sur l’article 1er, auxquelles s’ajouteront encore plusieurs autres, force est de constater que nous faisons du surplace.
Mes chers collègues, nous voulons avancer sur ce texte, qui a fait l’objet d’un travail approfondi en amont, sous l’impulsion du président Laurent Lafon et d’autres avant lui. Il a d’ailleurs été adopté une première fois en 2023. On conviendra donc qu’en matière de précipitation, on a connu pire ! De fait, il n’y a pas de précipitation !
Oui, l’audiovisuel public doit être réformé afin d’être correctement outillé pour faire face à une concurrence nouvelle, inédite. Refuser de le réformer, c’est lui assurer une petite mort ! (M. Yannick Jadot s’exclame.)
Oui, Anne-Catherine Loisier était ce matin sur France Inter pour débattre d’un sujet qu’elle connaît bien. Il n’y avait pas d’élu écologiste, mais l’écologie n’est pas le monopole d’un seul parti. Il est parfaitement possible d’en débattre sans avoir nécessairement un représentant du parti écologiste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, sur l’article.
M. Simon Uzenat. Pour faire suite aux propos de notre collègue, je veux dire qu’il est tout à fait possible de parler de réforme sans suivre la même direction ni partager les mêmes ambitions pour l’audiovisuel public.
Depuis 2009, chacun peut constater le chemin que certains ici s’évertuent à emprunter. Les réformes sont claires, les choix aussi : on fusionne, on centralise, on réduit les moyens et l’on affaiblit, de fait, l’indépendance de nos médias publics. Les conséquences sont immédiatement vérifiables sur le terrain.
Je prendrai l’exemple des antennes régionales, notamment celle de France 3 en Bretagne, mais le constat vaut également pour d’autres régions – nombre de mes collègues, sur toutes ces travées, sont aussi attachés que moi aux cultures régionales et à leur valorisation à travers les médias. Qu’en sera-t-il demain, avec la création de cette holding, alors que les réformes engagées depuis 2009 ont déjà entraîné une compression des effectifs, une réduction des moyens et un recul de la couverture territoriale ? Les programmes en langue bretonne, par exemple, ont été très singulièrement réduits, voire ont quasiment disparu. Ces tendances sont à l’œuvre depuis plusieurs années et ne feront que s’amplifier avec la réforme que vous portez.
Nous sommes ici dans la chambre des territoires. À ce titre, il nous revient de donner à voir les cultures régionales. Peut-on sérieusement penser que le secteur privé remplira cette mission ? Est-ce lui qui valorisera nos langues et nos cultures régionales ? Cela est-il rentable ? Bien évidemment, non. Est-ce indispensable à la cohésion nationale et à la vie de notre pays ? Oui, nous le redisons avec force ! C’est l’une des missions de l’audiovisuel public.
L’organisation que vous proposez aujourd’hui éloignera définitivement des dirigeants de cet objectif, car ils n’auront absolument rien à faire de ces réalités territoriales que nous devons, en tant que parlementaires représentants des territoires, défendre avec la plus totale résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, sur l’article.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. On nous présente cette réforme, la création de cette fameuse holding France Médias, comme une simple organisation, un réajustement technique visant une meilleure coordination. En réalité, ce que nous avons sous les yeux est un procès à charge contre l’audiovisuel public : un procès idéologique, politique, budgétaire et presque culturel.
Mme Annick Billon. C’est faux !
M. Claude Kern. Pas du tout !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. On nous explique qu’il faut moderniser, rationaliser, mutualiser. Derrière ces mots se cache une volonté claire : mettre au pas, resserrer les boulons et faire taire ceux qui dérangent.
Ce projet part non pas d’un amour du service public, mais d’une suspicion permanente à son égard. Il part du postulat que les journalistes coûtent trop cher, que les reportages sont trop libres, que les rédactions échappent au contrôle et qu’il faut y mettre de l’ordre !
Pour cela, on invente cette holding, une structure hiérarchique et centralisée, où l’État prend encore plus de place, où un président tout-puissant aura le dernier mot sur des directions jusqu’alors autonomes, où la logique de l’entreprise s’imposera à celle de l’indépendance.
Ce texte, mes chers collègues, n’est pas une réforme : c’est une mise sous tutelle. C’est un signal envoyé aux rédactions pour leur dire : « Tenez-vous bien ! »
C’est une réponse autoritaire à des journalistes qui veulent encore faire leur travail et à des antennes qui résistent aux injonctions des puissants.
Le service public n’est pas une variable d’ajustement : c’est un pilier, c’est une voix indépendante, critique et ancrée dans les territoires. Ce texte cherche à l’étouffer. Nous ne pouvons donc que nous y opposer frontalement.
La proximité existe, et France Télévisions joue cette carte dans l’ensemble des outre-mer. Et vous, vous tentez aujourd’hui de l’effacer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, sur l’article.
M. Rémi Cardon. Ce texte fait l’unanimité contre lui. (Marques de contestation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Cinq anciens ministres de la culture, issus de sensibilités politiques diverses – Rima Abdul-Malak, Roselyne Bachelot, que vous connaissez très bien, Fleur Pellerin, Renaud Donnedieu de Vabres et Jacques Toubon – se sont opposés à cette réforme. Ce n’est pas rien : ce sont des voix d’expérience, venues de la gauche comme de la droite. Je n’y peux rien…
Les salariés de l’audiovisuel public, eux-mêmes, tirent la sonnette d’alarme. Plus de 100 000 citoyens ont déjà signé une pétition. Plus de 2 000 élus locaux – maires, conseillers municipaux, départementaux, régionaux, présidents de région – ont exprimé leur refus. Ce rejet s’est également traduit par l’adoption de nombreux vœux de soutien à l’audiovisuel public dans les assemblées locales.
Non, ce débat n’est pas une posture. Ce n’est pas non plus une question purement technique réservée aux spécialistes : il s’agit d’un enjeu démocratique majeur. Derrière cette réforme, il existe un risque concret d’affaiblir des médias indépendants – cela a été dit –, de menacer la diversité culturelle et de rompre le lien entre nos concitoyens et leur service public. D’ailleurs, vous avez déjà ouvert cette brèche en supprimant la redevance.
C’est la raison pour laquelle il nous faut nous battre et débattre, ce soir, demain, après-demain, aussi longtemps qu’il le faudra, car le sujet est trop important.
M. Max Brisson. On a tout le temps !
M. Roger Karoutchi. Comme vous voudrez ! Je ne pars pas en vacances.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.
Mme Mélanie Vogel. Je souhaitais répondre brièvement à Annick Billon. Je me réjouis qu’elle soit finalement en parfait accord avec Yannick Jadot, qui a déclaré qu’il était heureux que la matinale de France Inter ait eu lieu et qu’il trouvait tout à fait normal que notre collègue Anne-Catherine Loisier ait pu y débattre d’écologie.
Je me permets néanmoins de rappeler que le parcours législatif de ce texte a été, jusqu’à présent, une véritable catastrophe. Il a été reporté à trois reprises à l’Assemblée nationale, puis rejeté par cette même assemblée, dénoncé par plusieurs anciens ministres de la culture issus de tous les horizons politiques.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Blablabla !
Mme Mélanie Vogel. Il est aujourd’hui inscrit à l’agenda du Sénat dans les tout derniers jours de la session extraordinaire, avec des délais d’examen et de dépôt d’amendements absolument impossibles à tenir. Si ce texte était aussi sérieux et aussi fondamental, il aurait fallu un calendrier à la hauteur de ses ambitions.
J’aimerais également vous alerter sur le rôle qu’a joué la concentration de l’audiovisuel public dans les processus de démantèlement de l’État de droit que nous avons pu observer ailleurs en Europe. Ce n’est pas un hasard si Viktor Orban, peu après son arrivée au pouvoir en Hongrie, a choisi de concentrer l’audiovisuel public dans une structure de type holding.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Justement, non !
Mme Mélanie Vogel. Il a ensuite étendu cette concentration en agrégeant des médias privés, jusqu’à parvenir à contrôler, directement ou indirectement, au bout de quelques années, près de 90 % des médias. Cela lui a permis de supprimer la pluralité et l’indépendance de la presse, c’est-à-dire les contre-pouvoirs qui font vivre la démocratie.
Mais Viktor Orban est arrivé au pouvoir avec cette stratégie, et il lui a fallu près d’une décennie pour la mettre en œuvre.
Ce que nous nous apprêtons à faire aujourd’hui, c’est finalement réaliser, avant même qu’un pouvoir autoritaire n’advienne, les réformes qu’il mettrait du temps à imposer. Ce serait lui faire gagner des années pour dérouler un projet qui est, je l’espère, l’exact contraire de celui que les démocrates et les républicains de cette assemblée doivent défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, sur l’article.
Mme Annie Le Houerou. Je reviendrai sur les risques qui pèsent sur nos antennes régionales.
Dans sa note intitulée Réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public : évaluation de sa mise en œuvre, la direction générale des médias et des industries culturelles affirme que la création de la holding aurait un coût nul. Ce n’est pas crédible, comme cela a déjà été souligné.
À titre d’exemple, avant 2009, la holding qui chapeautait France 2 et France 3 comptait plus de 200 salariés pour un coût de 190 millions d’euros. Par la suite, la fusion des entreprises créant France Télévisions a entraîné des surcoûts, puis des économies drastiques ont été réalisées, au détriment du journalisme de terrain et de la fabrication des programmes.
Depuis ce rapprochement, 15 % des effectifs ont disparu à France Télévisions. La proportion est encore plus importante sur le réseau régional de France 3, auquel appartient l’antenne de Bretagne. Une compression des effectifs est encore en cours. Quel est donc le sens réel de cette réforme, hormis de faire toujours plus d’économies au risque de fragiliser irrémédiablement l’audiovisuel public, notamment l’audiovisuel en région ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Mes chers collègues, depuis trois heures et demie, j’entends dire que ce texte serait attentatoire à la liberté éditoriale, notamment celle de l’audiovisuel public.
Je rappelle à mes collègues de gauche que, lorsque je signais avec eux le recours devant le Conseil constitutionnel pour contester la suppression de la redevance audiovisuelle, ils ne me qualifiaient pas à l’époque de grand opposant à l’audiovisuel public.
M. Roger Karoutchi. Aucune reconnaissance !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Pas plus que lorsque, avec David Assouline, j’essayais de produire un rapport sur la concentration des médias, ils ne m’ont considéré comme tel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous avez changé !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. J’ai toute la légitimité – et mes décisions l’ont montré – pour dire aujourd’hui que mon texte défend l’audiovisuel public, tout autant que vous, qui en venez désormais à m’insulter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Ce texte ne serait pas la « PPL Lafon ». Cela tombe bien, nous sommes à l’article 1er, qui est mot pour mot et à la virgule près, le texte que j’ai rédigé. Rien n’a été changé. C’est pourtant l’article fondamental : c’est lui qui définit les missions de la holding, celle dont vous parlez depuis trois heures et demie.
Quelles sont les missions de cette holding ? Définir les orientations stratégiques des entités, veiller à la cohérence et à la complémentarité des offres de programmes, conduire des actions communes et définir les projets de développement intégrant les nouvelles techniques de diffusion et de production.
Selon vous, les lignes éditoriales des différentes chaînes seraient menacées. Je vais vous lire tout simplement l’avis du Conseil d’État, car ce que je vous dirais, vous ne le croiriez pas : « La rédaction de la proposition de loi traduit les intentions des auteurs du texte, qui n’entendent pas que la société France Médias se substitue aux sociétés éditrices, lesquelles conservent leur responsabilité éditoriale et le choix de leurs programmes. » (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par M. Bacchi, Mmes Cukierman et Corbière Naminzo, M. Ouzoulias et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 61 est présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 220 est présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Pierre Ouzoulias. Merci, monsieur le président Lafon, de votre précision. En effet, lorsque j’ai entendu le panégyrique que M. Hugonet a composé pour Mme la ministre, j’ai eu le sentiment que nous ne parlions plus de la proposition de loi Lafon, mais bien du projet de loi Dati. Votre mise au point arrive donc à point nommé, mais il faudra tout de même que la droite sénatoriale nous éclaire : se situe-t-elle du côté du rapporteur et du président de la commission, ou bien du côté de Mme Dati ? Pour l’heure, c’est incertain…
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas à la hauteur !
M. Pierre Ouzoulias. En matière de numérique, l’audiovisuel public a accompli des efforts fantastiques, prodigieux, qui en font aujourd’hui un véritable modèle pour l’audiovisuel privé. Ce sont les médias publics qui, incontestablement, sont à la pointe. Il faut savoir le reconnaître.
Je suis un grand consommateur de médias publics. Je n’écoute plus la radio en ligne, je l’écoute sur mon téléphone, comme beaucoup d’entre nous, ce qui ne signifie évidemment pas que je me désintéresse de l’audiovisuel. La manière de consommer les contenus a changé et sur les plateformes, c’est bien l’audiovisuel public qui est moteur.
Arte, notamment, va sans doute constituer la plateforme majeure pour tous les contenus européens. C’est une réussite que nous devons célébrer.
M. Pierre Ouzoulias. L’audiovisuel public a su réaliser tout cela en dépit d’une perte de moyens. Mme Ernotte indiquait encore avant-hier que France Télévisions dispose aujourd’hui des mêmes ressources qu’en 2012 : c’est bien là que réside le problème.
Je regrette, à ce titre, que cette proposition de loi ne traite pas du cadrage budgétaire.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 61.
Mme Sylvie Robert. Lorsque j’entends M. le président Lafon affirmer que ce texte correspond, dans son inspiration du moins, à celui que nous avons voté il y a deux ans sur la holding, pardon, mais permettez-moi de vous dire que les débats que nous avons aujourd’hui démontrent qu’il ne s’agit pas du tout du même texte. L’intervention de notre collègue Pierre Ouzoulias vient de le confirmer.
Ce texte vise à créer une holding exécutive : ce n’est pas ce que nous avions voté il y a deux ans !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Mais si !
Mme Sylvie Robert. Exit les directeurs généraux des différentes sociétés ! Le fameux PDG qui sera nommé présidera lui-même le conseil d’administration de chacune d’entre elles. La holding deviendra affectataire des ressources budgétaires, et les sociétés ne feront plus l’objet de programmes budgétaires dédiés – c’est tout de même grave – ni de fléchage précis. On ne va pas me faire croire qu’il y a deux ans, nous avons voté cela. Enfin, soyons sérieux !
M. Max Brisson. Nous, si ! Vous avez voté contre le texte.
Mme Sylvie Robert. En outre, les sociétés se verront imposer leurs orientations stratégiques et autres projets de développement. Si cela ne s’appelle pas une concentration du pouvoir, des orientations et des moyens dans les mains d’un PDG unique, alors, démontrez-nous le contraire !
J’ajoute que ce mode de financement des sociétés nous dérange profondément. Il ne sera plus du tout transparent : nous ne saurons plus, in fine, qui est affectataire de tel ou tel budget.
Lorsque nous aborderons le débat sur France Médias Monde, j’anticipe d’ores et déjà ma position : je comprendrai et je soutiendrai son retrait. Il s’agit d’un « Petit Poucet » à l’organisation singulière. Imaginez-le dans une telle superstructure ! Non seulement il se fragilisera, mais il finira par disparaître complètement. C’est aussi pour cela que nous sommes en désaccord avec ce projet.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 220.
Mme Monique de Marco. Je l’ai souligné lors de la discussion générale, les clés de l’indépendance du service audiovisuel reposent essentiellement sur deux piliers : l’indépendance politique, par une gouvernance plurielle ; l’indépendance financière, par un financement autonome, stable et à la hauteur des besoins.
Alors que la suppression de la redevance audiovisuelle a porté une forte atteinte à l’indépendance financière, le projet de groupement des entités de l’audiovisuel public portera une atteinte considérable à l’indépendance par rapport au pouvoir politique.
En concentrant les moyens d’information des entreprises publiques au sein d’une seule entité dirigée par une personne unique, ce projet de réforme porte atteinte à l’objectif de protection par la loi des expressions pluralistes des opinions publiques, protégées par l’article 4 de la Constitution.
Par ailleurs, la création d’une telle holding vise en réalité – soyons réalistes – à faire des économies, comme l’exprimait très clairement le rapport Gattolin-Leleux de 2015, et ce au détriment du pluralisme et d’une offre audiovisuelle de qualité. Elle risque également de constituer une charge supplémentaire inutile et non évaluée de façon transparente à ce jour.
L’existence de services audiovisuels publics de qualité est une exigence démocratique première qui concourt à la liberté de communication. Nous nous opposons donc à la création d’une telle holding et proposons plutôt un renforcement des instances de coordination et de coopération entre les entreprises publiques.