M. Guillaume Gontard. Vous n’avez pas précisément démontré qu’il existait des instruments, très concrets, qui permettraient de garantir cette indépendance, cette liberté, et de préserver ce qui fait la spécificité de notre audiovisuel public.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Je ne peux pas vous laisser dire que je ne réponds pas et que je n’argumente pas. S’il vous plaît ! Je pourrais moi aussi vous renvoyer la balle…
Sur le fond, j’argumente, car ce texte, je le connais, je le soutiens et j’en mesure les enjeux. À l’inverse, il y en a certains dans cet hémicycle qui ont débattu hier de l’INA sans même savoir où il se situe. Ils n’y ont jamais mis les pieds, alors même que l’Institut est dans leur circonscription, si je puis dire… Alors, ça va !
Cessez de dire que je n’argumente pas, que je ne réponds pas et que je ne connais pas le texte. Le procès en incompétence et en illégitimité : stop ! Parce que moi aussi je pourrais vous faire ce procès. D’ailleurs, je note que c’est toujours de ce côté de l’hémicycle que viennent les mises en cause de la légitimité et de la compétence. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Maintenant, ça suffit !
M. Pascal Savoldelli. On est à peine arrivés dans l’hémicycle qu’on se fait déjà engueuler !
Mme Rachida Dati, ministre. La nomination d’un directeur de l’information unique est une proposition qu’a faite Laurence Bloch dans son rapport, à la suite des auditions auxquelles elle a procédé. Elle ne relève pas de la loi, vous le savez bien ; il s’agit d’une question d’organisation interne, qui fera l’objet d’une décision du PDG et des conseils d’administration.
Je le répète, cette mesure découle des auditions réalisées par Laurence Bloch, et non de la volonté de Mme Dati, aussi incompétente soit-elle.
Par ailleurs, j’ai souhaité saisir le Conseil d’État sur la question précise de l’indépendance, dont vous me parlez depuis hier. Le président Lafon vous a lu hier l’intégralité des motivations de sa décision, qui est très claire : le Conseil indique explicitement que ce dispositif ne remet pas en cause l’indépendance de l’audiovisuel public, non plus que celle des sociétés éditrices.
M. Guillaume Gontard. Adoptons l’amendement, alors !
Mme Rachida Dati, ministre. Le Conseil d’État a également rappelé que la holding a vocation à conduire des actions communes et des projets de développement. Elle ne se substitue pas aux sociétés éditrices, lesquelles conservent leur responsabilité éditoriale et le choix de leur programmation.
Vous dites que nous ne vous répondons pas, mais nous pouvons le répéter vingt fois, cent fois : la réponse du Conseil d’État est claire, et ses membres sont, me semble-t-il, légitimes et compétents.
M. Roger Karoutchi. C’est de l’obstruction !
M. Max Brisson. On tourne en rond depuis hier !
M. Pierre Ouzoulias. Et Public Sénat ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Je pense que nous serons d’accord sur un point : Mme la ministre n’intervient pas tous les jours auprès de la présidente de Radio France pour lui demander de ne surtout pas passer à l’antenne des personnes qui sont défavorables à la réforme de l’audiovisuel qu’elle soutient.
M. Max Brisson. Ça, c’est sûr !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Vous m’accorderez également que Mme la ministre n’appelle pas la présidente de France Télévisions pour déprogrammer une émission de télévision dans laquelle elle est citée.
L’indépendance des médias existe !
M. Max Brisson. Bien sûr !
M. Guillaume Gontard. Pourquoi ne pas l’inscrire dans la loi alors ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Elle existe tant juridiquement que dans les faits. Comme je vous l’ai dit hier, et comme vient de le rappeler Mme la ministre, la parole qui compte est non pas la nôtre, mais celle du Conseil d’État.
Nous n’avons pas changé une ligne sur les pouvoirs de France Télévisions et de Radio France, sur leur liberté éditoriale et de conception des programmes. La société France Médias n’a aucune compétence en matière éditoriale. C’est écrit dans la proposition de loi ; lisez-la !
MM. Max Brisson et Roger Karoutchi. Ils ne l’ont pas lue !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Nous avons bien compris depuis hier que vous abordiez systématiquement certains sujets pour gagner du temps. Soyons un peu sérieux, nous sommes en train de faire la loi, et rien d’autre ! Il ne s’agit pas de travailler sur des élections à venir ou de mettre le bazar !
Je le répète, lisez le texte ! Il y est clairement écrit que la liberté des médias est assurée, tout comme cela est clairement écrit dans l’avis du Conseil d’État.
Vous n’allez tout de même pas vous succéder pour rabâcher inlassablement les mêmes choses, d’intervention en intervention, sans tenir compte ni du travail de fond qui a été réalisé ni de l’avis du Conseil d’État…
M. Max Brisson. Obstruction, obstruction !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. Vous dites vouloir, par le biais de cet amendement, garantir l’indépendance de l’audiovisuel public. Or cette indépendance dépend de deux facteurs.
Le premier, c’est son mode de financement. Nous avons déjà eu ce débat : depuis la suppression de la redevance audiovisuelle, la loi organique n° 2024-1177 du 13 décembre 2024 portant réforme du financement de l’audiovisuel public garantit l’indépendance financière des médias publics.
Le deuxième, c’est le processus de nomination. Celui que prévoit le texte – nous l’examinerons tout à l’heure – garantit l’indépendance de la personne qui sera nommée à la tête de la holding à l’égard du pouvoir. Vous avez l’air de dire que nous voulons mettre l’audiovisuel public sous coupe réglée, mais le principe de nomination restera le même qu’actuellement.
Or, comme l’a dit le président de la commission, je ne pense pas que l’on puisse considérer que les présidentes de France Télévisions et de Radio France soient aux ordres du Gouvernement. Cela semble évident dès lors que l’on s’intéresse un minimum au secteur des médias.
Chacun doit jouer son rôle : nous faisons la loi, conformément aux grands principes constitutionnels et légaux ; et les sociétés s’organisent elles-mêmes. Voilà comment ça marche !
Il ne serait pas clair d’inscrire, comme vous le souhaitez, la notion d’indépendance à l’article 1er : une indépendance par rapport à quoi ? Voulez-vous inscrire dans la loi que France Télévisions est indépendante de la holding ? Mais les deux entités partageront le même président…
J’y insiste : une indépendance par rapport à quoi ? Parlez-vous de l’indépendance des journalistes ? De celle des structures ? Ce n’est pas possible de l’inscrire ici.
La liberté éditoriale doit évidemment être préservée. Le président Lafon l’a rappelé, elle est l’ADN du texte ! Comme nous le verrons plus tard, nous allons même plus loin qu’actuellement dans la composition du conseil d’administration. Non seulement nous sommes pour la liberté éditoriale, mais nous sommes pour l’impartialité et l’honnêteté de l’information.
En effet, l’impartialité n’est-elle pas aussi importante que la liberté ? Vous ne parlez que de liberté, mais le service public doit également être impartial et honnête ! (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Max Brisson. Il y a du boulot !
M. Cédric Vial, rapporteur. Vous n’êtes pas d’accord ? (Protestations sur les mêmes travées.) Il doit également respecter des règles éthiques et déontologiques. Ce sera le rôle du conseil d’administration d’y veiller.
La liberté, oui ! La déontologie, oui ! Et l’impartialité, oui ! C’est cela le service public ! Si nous voulons redonner aux Français confiance dans leurs services publics, nous devons respecter toutes ces règles.
Nous pouvons passer des heures sur chaque amendement…
M. Roger Karoutchi. Ils n’écoutent pas, ils n’en ont rien à faire !
M. Cédric Vial, rapporteur. … et sur chaque ligne du texte, nous pouvons insérer de grands mots à chaque phrase, mais il serait préférable de conserver un texte cohérent et respectueux des orientations que nous souhaitons donner à l’audiovisuel public !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Il faut mettre un terme à l’obstruction !
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Il va dire la même chose !
M. David Ros. Comme cela a été dit, nous en sommes au cœur du débat. (M. Roger Karoutchi ironise.) Oui, monsieur Karoutchi, nous sommes au cœur du débat et nous n’avons aucune volonté d’obstruction. (Marques d’ironies et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Roger Karoutchi. Oh non !
M. David Ros. Nous sommes vendredi matin, tout le monde a pris des forces, presque tout le monde est calme, et le rapporteur a posé une question importante : par rapport à qui l’audiovisuel public doit-il être indépendant ?
En toile de fond se pose la question de la gouvernance de la holding, ou plutôt de la société mère. Or l’objectif d’une mère, lorsqu’elle éduque ses enfants, est de les rendre indépendants.
M. Roger Karoutchi. Pitié…
M. David Ros. C’est bien de cela qu’il s’agit : rendre indépendantes les différentes filiales de la société mère.
Si l’amendement n° 75 est si évident et redondant, votez-le ! Faites-nous plaisir ce matin pour que l’après-midi se passe bien…
M. Roger Karoutchi. C’est ça !
M. David Ros. Si c’est bien en le disant, c’est mieux en l’écrivant !
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. J’écoute les débats depuis hier, et j’essaie toujours de comprendre le sens de cette réforme. Nous savons lire, et oui, nous avons lu le rapport !
M. Max Brisson. Non !
Mme Ghislaine Senée. Nous ne viendrions pas dans cet hémicycle et devant nos concitoyens sans avoir lu le rapport !
Par ailleurs, vous êtes les premiers à dire que vous respecterez, bien sûr et absolument, l’indépendance et les lignes éditoriales qui prévalent actuellement. Dans ce cas, expliquez aux Français pourquoi vous refusez d’adopter ces amendements, qui ne visent qu’à ajouter dans le texte un petit bout de phrase pour dire que l’indépendance des médias publics est garantie. Ce n’est rien !
M. Max Brisson. C’est du remplissage !
Mme Ghislaine Senée. Il s’agit juste de nous rassurer ! Qu’est-ce que cela vous coûte ? Strictement rien ! Pourtant, vous refusez de le faire.
À en croire les propos du président Lafon, la holding ne remettrait pas en cause l’indépendance des sociétés éditrices et n’aurait vocation qu’à mener des projets de développement. En somme, elle n’aura aucune compétence.
Je m’interroge : ne sommes-nous pas en train de créer une holding Théodule ? Je m’inquiète : à quoi cela sert-il de créer une holding si elle n’a aucune prérogative sur les lignes éditoriales ? Une ligne éditoriale, c’est la définition de thématiques et du public ciblé, mais également des orientations idéologiques et les valeurs défendues par le média en question !
Nous voyons bien que les médias ne mettent pas en avant les mêmes thématiques ! Nous voyons bien qu’il y a un prisme ! Nous voyons bien que l’impartialité que vous prônez n’existe pas ! C’est précisément cette absence d’impartialité qui constitue une garantie démocratique et permet à chacun de s’y retrouver. C’est cela, la démocratie !
Enfin, madame Dati, vous parlez de légitimité et de compétence, mais à chaque fois que vous nous répondez, vous nous parlez de vous ! Ce que nous voulons, c’est que vous parliez du fond !
Mme Ghislaine Senée. Et cela n’a rien à voir avec votre compétence et votre légitimité. Nous vous demandons simplement de répondre à nos questions.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 75 et 224.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 366 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 225 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Demande de vote unique
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur le président, après plus de sept heures de débats, nous n’avons pu examiner que trente et un amendements sur ce texte.
M. Yan Chantrel. Pas mal !
Mme Annick Billon. Hélas !
Mme Rachida Dati, ministre. Ce matin encore, malgré nos efforts, nous avons fait face à de l’obstruction, encore de l’obstruction, toujours de l’obstruction.
M. Yan Chantrel. Non, c’est du débat !
Mme Rachida Dati, ministre. Et je ne parle pas des mises en cause personnelles…
En trente minutes, nous avons examiné deux amendements identiques ; il en reste 301 à examiner. À ce rythme, il nous faudrait plus de soixante-dix heures de débat pour aller au bout du texte. Pourtant, il y a une majorité pour le voter.
Mais force est de constater que la gauche souhaite empêcher le Parlement de se prononcer. Je suis très surprise que cela advienne aussi dans cet hémicycle, dont les membres sont à l’origine de ce texte, lequel a été examiné et adopté ici en première lecture.
Nous avons assisté hier à des interventions en chaîne sur chaque amendement, à des rappels au règlement à répétition… Nous voyons bien que la volonté d’une partie de cet hémicycle est d’empêcher le Sénat de se prononcer sur ce texte.
C’est pourquoi, en application de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution, et de l’article 42, alinéa 9, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande à votre assemblée de se prononcer par un vote unique sur l’ensemble du texte.
La seule modification substantielle que nous souhaitons conserver est le retrait de France Médias Monde de la holding.
Sont retenus les amendements suivants : à l’article 1er, les amendements nos 255, 254, 256, 257, 258, 259, 260, 261 et 262 ; à l’article 1er bis, l’amendement n° 263 ; à l’article 2, les amendements nos 264 et 265 ; à l’article 3, les amendements nos 266, 363, 364, 267 ; à l’article 4, l’amendement n° 268 ; à l’article 5, l’amendement n° 269 ; à l’article 6, l’amendement n° 270 ; à l’article 8, les amendements identiques nos 19 rectifié et 214, ainsi que les amendements nos 282, 365 et 271, à l’article 10, l’amendement n° 366 ; à l’article 11 bis A, l’amendement n° 273 ; à l’article 12, l’amendement n° 367 ; à l’article 13 bis, l’amendement n° 3 rectifié ; à l’article 14 bis, l’amendement n° 368 ; et, à l’article 15, l’amendement n° 369.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quinze, est reprise à douze heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
En application de l’article 44, dernier alinéa, de la Constitution et de l’article 42, alinéa 9 de notre règlement, le Gouvernement demande au Sénat de se prononcer par un seul vote sur l’ensemble de la proposition de loi, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement.
Les amendements restant en discussion retenus par le Gouvernement viennent d’être cités par Mme la ministre. Ils sont réputés faire l’objet d’un avis favorable du Gouvernement. Mes chers collègues, leur liste va vous être distribuée.
Acte est donné de cette demande.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour un rappel au règlement.
Mme Colombe Brossel. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 44 bis de notre règlement.
Il convient de remettre dans son contexte le moment que nous sommes en train de vivre. Alors que nous sommes censés débattre de la réforme de l’audiovisuel public – ce n’est pas rien ! –, il n’y a pas de débat.
Il n’y a pas eu de débat à l’Assemblée nationale à la faveur d’une sombre manœuvre avec le Rassemblement national qui, nous l’avons peu dit dans cet hémicycle, soutient cette réforme de l’audiovisuel public. Pour ma part, lorsqu’une réforme est soutenue par le Rassemblement national, je me méfie !
M. Roger Karoutchi. Cela ne vous pas gênés de voter la censure avec lui !
Mme Colombe Brossel. Et maintenant, les sénateurs vont être privés de débat comme l’ont été les députés.
J’ai entendu nos collègues de la majorité sénatoriale crier à l’obstruction. (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, si nous avons ce débat dans l’hémicycle, c’est parce que nous ne l’avons pas eu en commission ! Les membres de la commission de la culture ont tous à l’esprit la façon dont les choses se sont passées.
Au reste, je n’en fais le reproche ni au président de la commission ni au rapporteur. Ce dernier a dû travailler dans la nuit pour déposer des amendements, que nous avons examinés le matin suivant, après que la conférence des présidents a inscrit ce texte à l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Le rapporteur nous a présenté ces amendements comme des amendements de coordination ou visant à remédier à l’obsolescence de plusieurs articles.
Aujourd’hui, nous faisons simplement notre travail en débattant ! Obstruction, dites-vous ? Les derniers amendements sur lesquels nous nous sommes prononcés portent sur la liberté éditoriale et sur l’indépendance des médias. Pardon, mais il ne s’agit pas d’amendements visant à modifier des virgules ou à réciter le dictionnaire !
Nous ne faisons pas d’obstruction, nous faisons notre travail de parlementaire !
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
Mme Colombe Brossel. C’est plutôt le Gouvernement qui fait de l’obstruction, sur un sujet aussi majeur que la réforme de l’audiovisuel public ! La voilà l’obstruction ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour un rappel au règlement.
Mme Laurence Rossignol. Comme vient de le dire Colombe Brossel, c’est au moment où nous discutons de la liberté éditoriale et de la pluralité que Mme la ministre a jugé utile d’invoquer l’article 44, alinéa 3…
Si cette décision nous a surpris, il semblerait qu’elle n’ait pas surpris que nous, d’autant que nous aurions pu, avant que le Gouvernement n’utilise ce 49.3 sénatorial – car voilà bien de quoi il s’agit –, utiliser nombre de dispositions de notre propre règlement pour accélérer les débats, ce qui semble être votre volonté.
Pourquoi, sur une proposition de loi, c’est-à-dire un texte d’initiative parlementaire, le Sénat n’a-t-il pas eu recours, comme il l’a fait par le passé, à l’article 38 de notre règlement ? Cela aurait permis d’accélérer les débats !
Il s’agit là d’un nouveau coup de force de la part de la ministre alors que cette proposition de loi n’a pas été examinée à l’Assemblée nationale, car – je vais le redire, parce que cela n’a manifestement pas été compris par tout le monde – la ministre et une partie du Rassemblement national ont organisé une manœuvre pour éviter la tenue d’un débat ; alors qu’elle n’a pas été débattue en commission, voilà qu’elle n’est pas débattue en séance au Sénat !
Avant de parler de liberté de la presse, commencez donc par respecter les droits du Parlement ! Vous dites ne pas vouloir porter atteinte à la liberté de la presse : prouvez vos intentions ! Ce que vous faites au Parlement aujourd’hui, c’est ce que vous voulez infliger demain à la presse : des restrictions de liberté, une mise sous tutelle et des coups de force comme celui que vous êtes en train de faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour un rappel au règlement.
M. Guillaume Gontard. Chers collègues de la majorité sénatoriale, à votre place, je ne serais pas très fier…
M. Roger Karoutchi. Oh si !
M. Guillaume Gontard. Vous êtes, comme nous, des parlementaires. Une session extraordinaire est ouverte et nous pouvons tout à fait conduire ce débat à son terme : il n’y a aucune raison de s’autocensurer ainsi. Si 300 amendements vous effraient, que faisons-nous là ? À quoi sert notre travail ? Nous parlons bien de 300 amendements… Il me semble que vous en avez déposé bien plus sur d’autres textes.
M. Roger Karoutchi. Je n’en ai pas le souvenir…
M. Guillaume Gontard. Je ne sais pas où est cette obstruction dont vous parlez.
La seule obstruction, en réalité, ce sont les manœuvres consistant à passer outre l’Assemblée nationale, puis la commission, au Sénat, avec ce texte mal ficelé : nous avons été dans l’impossibilité de déposer des amendements.
Le Gouvernement a procédé d’une manière tout à fait brutale, avec l’aval et la complicité de la majorité sénatoriale. En fait, nous sommes en train de nous tirer une balle dans le pied en refusant le débat parlementaire et la démocratie.
Pour chapeauter l’Assemblée nationale et le Sénat, on n’a qu’à faire une holding ! (Sourires et exclamations sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Laurence Rossignol rit.) Faisons une holding et plaçons la ministre Rachida Dati à sa tête : ainsi, elle décidera toute seule. C’est cela que vous souhaitez ?
Pour nous, il n’est pas acceptable, il n’est pas possible d’aboutir à cela. Je n’arrive franchement pas à comprendre. On pouvait ouvrir la séance de samedi, voire celle de dimanche.
Mme Colombe Brossel. Voilà !
M. Guillaume Gontard. Il me semble que nous avions jusqu’à présent des débats apaisés et respectueux. Je souligne, à cet égard, la qualité de nos échanges avec M. le rapporteur. Dès lors, qu’est-ce qui vous fait peur ? Pourquoi voulez-vous passer ainsi en force, à la manière d’un bulldozer ?
Nous aurions également pu reprendre ce débat en septembre prochain. Ce texte aurait d’ailleurs dû être inscrit à l’ordre du jour de la seconde session extraordinaire, mais nous suivons l’agenda de Mme Rachida Dati, ce qui pose quand même quelques problèmes… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour un rappel au règlement.
M. Yan Chantrel. Mon intervention se fonde sur l’article 44, alinéa 6, de notre règlement.
Nous le disons depuis le début de cette discussion et nous le constatons une fois de plus : Mme Rachida Dati n’a pas d’argument, elle ne souhaite pas débattre. En brandissant cet article, elle se livre donc à un coup de force contre le Parlement.
L’ensemble des parlementaires, quel que soit leur groupe politique, devraient se dresser contre de telles méthodes.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Eh non !
M. Yan Chantrel. La présidence du Sénat n’a évidemment pas été consultée. Le Premier ministre lui-même n’a sans doute pas donné son aval.
On le sait très bien : avec cette proposition de loi, Mme Rachida Dati suit son agenda personnel.
M. Yan Chantrel. Elle se livre même – on peut le dire – à une vengeance politique.
Madame la ministre, peut-être avez-vous été quelque peu perturbée ce matin, en apprenant qu’une personne très proche de vous avait été déclarée inéligible.
M. Yan Chantrel. On peut comprendre votre agacement, mais cela n’a pas de rapport avec nos débats.
M. Yan Chantrel. Nous ne devrions pas en être les victimes.
Vous escamotez la discussion, car, de toute évidence, vous ne souhaitez pas débattre. Ce matin, vous prétendiez avoir des arguments à nous opposer : eh bien, donnez-les ! Laissez-nous avoir ce beau débat : l’audiovisuel public le mérite. Je le répète, vous escamotez la discussion en procédant à de tels coups de force.
Vous avez manigancé avec le Rassemblement national pour que le débat n’ait pas lieu à l’Assemblée nationale. À présent, vous l’escamotez ici même, au Sénat, en procédant par la force, en imposant l’inscription de ce texte à la fin de la session extraordinaire.
Il s’agissait là d’un choix délibéré : vous supposiez qu’il n’y aurait pas beaucoup de sénateurs en séance et que ce texte pourrait, dès lors, passer plus facilement. Pas de chance : la gauche est mobilisée. Elle sera toujours mobilisée pour défendre le pluralisme,…
M. Pierre-Alain Roiron. Très bien !
M. Yan Chantrel. … pour défendre l’indépendance des médias et, plus largement, la liberté. Nous continuerons de le faire, même si vous utilisez tous les articles possibles et imaginables.
Nous ne nous laisserons pas faire. Nous continuerons de nous battre. Chers collègues de la majorité sénatoriale, j’espère que vous serez avec nous pour défendre les droits du Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. Roger Karoutchi. C’est n’importe quoi…
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour un rappel au règlement.
M. Yannick Jadot. On est bien obligé de constater que notre démocratie est aujourd’hui complètement dysfonctionnelle.
M. Roger Karoutchi. Depuis longtemps !
M. Yannick Jadot. Y compris quand nous sommes saisis d’un texte touchant à la démocratie, on tord les règles démocratiques : c’est tout de même extrêmement inquiétant. Et je ne parle pas du fait que nous n’examinons plus que des propositions de loi.
L’Assemblée nationale a rejeté ce texte sans l’avoir examiné. Mais, pour sa part, le Sénat avait l’occasion de débattre de la liberté de la presse et d’un service public aussi important que l’audiovisuel public.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, nous défendons l’indépendance et la neutralité de ce service public. Nous voulons qu’il soit fort et accessible à toutes nos concitoyennes, à tous nos concitoyens : tel est notre objectif et tel devrait être aussi le vôtre. Eh bien, vous tordez tout !
Monsieur le ministre, vous êtes là pour garantir les bonnes relations entre le Gouvernement et le Parlement. Qu’est-ce que c’est que ce bazar, franchement ?
Le débat d’hier n’était pas un débat. Mme la ministre ne nous répond pas ! Est-ce ainsi que doit fonctionner le Gouvernement ? Doit-on se résigner à ce que le débat soit systématiquement esquivé, alors qu’il faudrait exposer et confronter les différents points de vue, argument contre argument ?
Aujourd’hui, que se passe-t-il ? Parce que tout le monde veut partir en vacances, on sacrifie l’audiovisuel public ?