Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Paccaud, rapporteur. Par cet amendement « jumeau » du précédent, vous entendez de nouveau « encourager » une pratique, ma chère collègue. Vous avez du reste, dans votre explication, montré que ce que vous souhaitez encourager existe déjà sans la loi.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Fournier, ministre délégué. Le Gouvernement étant respectueux de la libre administration des collectivités, l’avis est défavorable, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour explication de vote.
Mme Micheline Jacques. Mesurant les difficultés auxquelles sont confrontés les quartiers informels dans lesquels je me suis rendue, j’estime que ce dispositif innovant mérite d’être encouragé. J’invite donc mes collègues à voter cet amendement, ne serait-ce que pour le message qui serait envoyé par son adoption à nos compatriotes mahorais.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour explication de vote.
Mme Gisèle Jourda. Je rappelle à notre assemblée que le prédécesseur de Mme Jacques à la délégation sénatoriale aux outre-mer, monsieur Magras, prônait la différenciation. L’insertion de l’article additionnel que je propose serait à ce titre particulièrement bien vue dans les territoires ultramarins, notamment dans les quartiers que nous appelons poliment informels, mais qui sont en réalité des bidonvilles à ciel ouvert, s’étendant sur des superficies que nul ne peut imaginer ici.
Contrairement à vous, monsieur le rapporteur, j’estime que, à l’instar de la présente proposition de loi, la loi doit être stimulante et encourageante, au plus près des préoccupations des personnes.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Il nous faut rappeler la nécessaire solidarité entre la métropole et les outre-mer, mes chers collègues. La présidente Micheline Jacques et nos collègues de la délégation aux outre-mer s’y emploient, notamment Viviane Malet, pour La Réunion. Nous avons voté la loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte et, plus récemment, nous avons adopté le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, mais la tâche reste immense.
Par respect et par solidarité, je voterai donc l’amendement de notre collègue Gisèle Jourda.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :
| Nombre de votants | 340 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 334 | 
| Pour l’adoption | 111 | 
| Contre | 223 | 
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 3
L’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs groupements compétents pour la collecte et le traitement des déchets instituent un comité des usagers dont la composition et les missions sont précisées par décret. »
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article 3, je précise que si cet article n’était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l’article 4, qui deviendrait sans objet.
Il n’y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, puisque tous les articles qui la composent auraient été successivement rejetés par le Sénat.
Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Le présent article vise à instituer un comité des usagers. Contrairement à vous, j’estime que l’on ne peut pas balayer cette proposition d’un revers de main, monsieur le ministre. La véritable difficulté des maires ruraux est en effet qu’ils sont en première ligne.
L’une des raisons qui expliquent aussi parfois l’agressivité et la violence à leur égard est qu’il n’y a jamais d’espace intermédiaire pour gérer et apaiser ce que l’on peut qualifier de crise ou de colère, y compris à l’échelle de nos territoires ruraux. Nous l’avons d’ailleurs constaté en 2020 dans un certain nombre de départements : la question des ordures ménagères a balayé plusieurs exécutifs en place, jusque dans les plus petites communes, en raison de la manière dont les choses se sont déroulées. Je ne doute pas que l’année 2026 nous réserve encore quelques surprises en la matière.
L’institution de ce comité ne représente pas une charge supplémentaire ; il s’agit bien d’un dispositif qui vise à protéger, car nous souffrons cruellement dans notre pays d’un manque d’espaces intermédiaires. Et pour cause, le Président de la République n’en veut pas et s’est toujours assis sur leurs avis : il n’y a donc pas de raison d’en créer dans nos territoires.
Nous défendons en tout cas cet article et nous l’avons volontairement rédigé de manière très souple, puisqu’il conviendra de préciser par décret tant la composition que les missions prévues. Nous souhaitions en effet retenir une formulation qui ne crée pas une charge pour nos territoires, mais, au contraire, les aide en étayant les décisions et les évolutions nécessaires pour répondre aux difficultés que nos concitoyens ont de plus en plus de mal à comprendre : on a de moins en moins de déchets, mais on paie de plus en plus cher ; à qui, finalement, profite ce financement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote sur l’article.
M. Vincent Louault. Dans les EPCI, il existe déjà une commission chargée de la gestion des ordures ménagères. C’est d’ailleurs l’une des seules où les gens tiennent à venir. Telle est la réalité que j’observe dans ma collectivité. Chaque communauté de communes est encore libre de faire ce qu’elle veut et de gérer sa commission environnement avec une sous-commission sur les ordures ménagères.
Quant à l’article 4, vous demandez une compensation par la dotation globale de fonctionnement (DGF) du surcoût de tout le dispositif. C’est mélanger les choux et les carottes ! J’espère que vous ne faites pas le tri sélectif de cette manière… (Mme Cécile Cukierman proteste.) Vous auriez pu demander plutôt une réduction de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) que toutes les collectivités paient. Tout cela n’est pas très crédible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote sur l’article.
Mme Marie-Claude Varaillas. Si j’ai bien compris, le Sénat s’apprête à rejeter cet article 3 et, avec lui, l’ensemble de la proposition de loi, qui était de toute façon dénaturée par la suppression des articles 1er et 2.
Je voudrais simplement remercier mes collègues du groupe RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste d’avoir voté en faveur de ce texte. À n’en pas douter, il reviendra dans cet hémicycle, car, comme je l’ai dit en commission, je crains que le problème des déchets ne joue le même rôle que la hausse du prix du carburant qui a déclenché le mouvement des « gilets jaunes ». Nous en reparlerons très certainement.
En tout cas, les élus de mon département savent que j’ai pris en compte leurs préoccupations. Je sais ce qu’ils vivent sur le terrain et ce que vit le président du syndicat mixte qui gère ce service. Nous sommes là pour entendre ce que nos concitoyens nous disent des problèmes de leur vie quotidienne, et celui des déchets en est un qui prend des proportions importantes. Je souhaite que ce débat serve à ce que, un jour, une proposition de loi prenne assez rapidement en compte ce qui ne l’a pas été aujourd’hui.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 335 | 
| Pour l’adoption | 109 | 
| Contre | 226 | 
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, l’article 4 n’a plus d’objet.
Les articles de la proposition de loi ayant été supprimés par le Sénat, ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
2
Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 626 [2024-2025], résultat de travaux n° 57, rapport n° 56).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous présentons aujourd’hui part d’un constat simple, brutal, mais désormais incontestable : depuis vingt ans, ArcelorMittal a transformé notre acier national en un actif financier au service de ses actionnaires.
Cette proposition de loi est, je veux le dire, le fruit d’un travail collectif, qui est d’abord celui des salariés, de ces femmes et de ces hommes qui produisent encore l’acier dans notre pays et souhaitent préserver sa production sur notre territoire. Elle est ensuite le fruit d’un travail collectif avec les autres groupes de gauche, puisqu’elle a été cosignée par mes deux collègues présidents des groupes de gauche et par nombre de leurs collègues.
Notre acier, notre savoir-faire, nos emplois sont devenus des lignes comptables dans les bilans d’un groupe multinational. Ce qui était jadis une fierté industrielle française et européenne n’est plus qu’un produit spéculatif soumis à la seule logique du profit immédiat. Au fond, mes chers collègues, c’est bien là le cœur du problème. L’économie capitaliste, livrée à elle-même, ne cherche pas à produire pour répondre aux besoins des peuples ; elle produit pour rémunérer le capital.
Alors, posons la question simplement : quelle légitimité y a-t-il à perdre une production essentielle et un savoir-faire séculaire, simplement parce qu’un fonds d’investissement exige une rentabilité immédiate ? La réponse est claire : aucune.
Pour nous, l’économie n’a de sens que si elle sert le besoin collectif, le travail humain et l’intérêt général. C’est là toute la différence entre une économie livrée à la spéculation et une économie régulée par la puissance publique. Tel est le sens profond de cette proposition de loi : arracher les secteurs vitaux à la logique du profit pour les replacer dans celle de l’utilité collective.
La nationalisation n’est pas un gros mot. Elle est un acte de puissance publique. Elle est une décision politique, souveraine, pour reprendre la main sur notre destin industriel.
Depuis des années, nous assistons à un renoncement organisé à toute souveraineté économique. On nous a fait croire naïvement, ou devrais-je dire cyniquement, que le marché ferait tout mieux que l’État, que les actionnaires étrangers se soucieraient mieux de l’avenir de nos territoires que nos élus ou nos ingénieurs. Pendant ce temps, nos usines ferment, nos ouvriers sont licenciés, nos régions se vident et la France perd peu à peu le contrôle de son industrie.
J’entends souvent nos collègues de droite se réclamer de la souveraineté nationale. Mais enfin, mes chers collègues, on ne peut pas défendre la souveraineté en laissant les clés de notre acier à ArcelorMittal. On ne peut pas, d’un côté, brandir le drapeau tricolore et, de l’autre, s’en remettre aux décisions d’un conseil d’administration installé au Luxembourg. La souveraineté n’est pas un slogan ; c’est une pratique économique concrète. Elle commence ici, avec l’acier.
Parce que l’acier, ce n’est pas n’importe quel métal. C’est la base matérielle de notre puissance industrielle. Sans acier, il n’y a pas de construction, pas de transition énergétique et pas de défense nationale. Les turbines, les rails, les éoliennes, les ponts ou les infrastructures vertes, tout cela dépend de la filière sidérurgique. Comment donc répondre à la crise du logement ? Comment développer demain des infrastructures de transport ambitieuses pour relier les territoires entre eux ? Comment même assurer la politique d’armement si nous sommes dépendants au regard de l’acier ?
Quand nous parlons de l’acier, nous parlons aussi des femmes et des hommes qui, depuis des générations, le font vivre, souvent dans des conditions difficiles, mais – je veux le souligner – avec une fierté immense. Florange, Fos-sur-Mer, Dunkerque ou Saint-Chély-d’Apcher sont autant de lieux de savoir-faire, autant de symboles d’un pays qui a cru à son industrie et qui ne veut pas la voir disparaître.
Pourtant, ArcelorMittal ne cesse de trahir ses engagements. Malgré des profits colossaux et des aides publiques massives, le groupe ferme des sites, démantèle notre outil industriel et menace notre indépendance. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 23 milliards d’euros de valorisation, 62 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024 et 13 milliards de dollars versés aux actionnaires depuis 2020.
Dans le même temps, 392 millions d’euros d’aides publiques ont été reçus rien qu’en 2023, bien évidemment sans aucune contrepartie sociale ni environnementale. ArcelorMittal a également bénéficié de quotas gratuits d’émissions de carbone dont l’excédent non utilisé est revendable, ce qui constitue une forme d’aide implicite de l’ordre de 960 millions d’euros.
Malgré cela, les investissements sont reportés, les emplois sont menacés et les usines également. Pourquoi ? Parce que la logique d’ArcelorMittal n’est pas celle de la production utile ; c’est celle – je l’ai déjà dit – du profit à court terme.
Alors oui, la nationalisation n’est plus une option, elle est devenue une nécessité. Une nécessité économique pour planifier la décarbonation de la filière. Une nécessité industrielle pour garantir nos approvisionnements stratégiques. Et une nécessité sociale pour protéger les travailleurs, les territoires et les savoir-faire français.
Je veux d’ailleurs saluer la présence en tribune de travailleurs de l’acier venus assister aujourd’hui à nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Ce que nous proposons, c’est de créer une société nationale de l’acier, placée sous contrôle public et démocratique, capable d’investir, d’innover et de planifier. Car, ne nous y trompons pas, sans État stratège, il n’y aurait pas eu EDF-GDF, Airbus, Ariane ou le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), autant de fleurons qui ont servi au développement des femmes et des hommes dans tout notre pays. L’histoire industrielle française est indissociable de l’action publique.
On nous dit souvent que la nationalisation est trop coûteuse. C’est d’ailleurs, monsieur le rapporteur, l’un des arguments que vous allez, me semble-t-il, utiliser. Toutefois, qu’est-ce qui coûte le plus cher : investir pour sauver nos usines et nos emplois, ou bien payer des plans sociaux, réhabiliter des territoires désertés, les dépolluer, les réaménager, sans compter les nombreuses compétences perdues ?
Les fonds existent. Quelque 15 milliards d’euros sont prévus dans le plan européen pour l’acier et 6 milliards d’euros sont consacrés à la décarbonation de l’industrie en France. Mettons ces moyens au service du pays. Arrêtons de subventionner ceux qui détruisent notre industrie et investissons dans ceux qui la feront renaître.
On nous dit également que la nationalisation n’est pas conforme au droit européen. C’est faux. L’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît le droit des États de choisir leur régime de la propriété. Ce que nous faisons, c’est affirmer un choix politique souverain, comme d’autres pays l’ont fait avant nous : un choix d’intérêt général au service de l’emploi, de la transition écologique et de la sécurité nationale.
Enfin, mes chers collègues, cette nationalisation n’est pas un retour en arrière. C’est au contraire un acte de souveraineté moderne. Un acte pour piloter la décarbonation de la filière acier, indispensable au regard des enjeux climatiques. Un acte pour planifier les investissements dans les hauts fourneaux électriques. Un acte pour garantir l’emploi et la formation sur tout le territoire. L’acier est la colonne vertébrale de notre puissance industrielle. Ce bien commun stratégique mérite d’être protégé.
Oui, notre proposition est ambitieuse. Elle est lucide, parce qu’il n’y aura pas de réindustrialisation sans reprise en main publique de cet outil. Il n’y aura pas de transition écologique sans souveraineté productive. Et il n’y aura pas de justice sociale sans rupture avec la loi du profit à court terme.
Tel est le sens de notre démarche. Telle est la promesse d’une France qui reprend la main.
Mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, vous ne voterez pas seulement pour un texte ; vous voterez pour une vision, pour un projet, pour une France qui choisit de produire, de protéger et de planifier.
L’acier n’est pas un produit financier. C’est un bien commun, une force nationale et un levier d’avenir. Il est temps, il est même urgent de le traiter comme tel.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cette proposition de loi que nous vous demandons de voter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national, déposée sur le bureau du Sénat le 14 mai dernier par la présidente Cécile Cukierman.
Sans surprise, au regard de la position constante de la majorité sénatoriale sur ce sujet, la commission des finances a rejeté cette proposition de loi lors de son examen, mercredi dernier.
La commission des finances a rejeté cette initiative pour deux raisons structurantes que je vais développer. D’abord, la nationalisation serait extrêmement coûteuse pour les pouvoirs publics dans une période de crise des finances publiques. Ensuite et surtout, la nationalisation n’apporterait pas de solution durable à la crise du secteur de la production d’acier en Europe.
Je me propose de développer en trois points le raisonnement qu’a suivi la commission des finances.
En premier lieu, je veux insister sur le fait que la filière de production d’acier en Europe traverse depuis plusieurs années une crise structurelle qui dépasse largement le cas des sites de production d’ArcelorMittal en France. Pour ne citer que quelques illustrations, je rappelle que le secteur sidérurgique européen a vu la suppression de 100 000 emplois entre 2007 et 2024. Pour la seule année 2024, le nombre d’emplois supprimés s’élève à 18 000. J’ajoute que le groupe sidérurgique allemand ThyssenKrupp a annoncé, il y a un an, qu’il envisageait de supprimer 11 000 emplois à l’horizon 2030 dans ses filiales de production d’acier. Il serait par conséquent illusoire de nier le caractère global de cette crise en rejetant la faute sur un acteur unique, fût-il l’actionnariat du groupe ArcelorMittal.
Pour comprendre les causes structurelles de cette crise, il faut distinguer plusieurs facteurs qui se conjuguent pour dégrader l’équilibre économique de l’activité de production d’acier en Europe.
Le premier facteur est celui de la baisse de la demande d’acier en Europe. Il n’est en effet un secret pour personne que notre continent subit depuis plusieurs décennies, dans le cadre de la mondialisation des chaînes de valeur, un processus de désindustrialisation. Ce processus a comme effet indirect mais mécanique de réduire la demande en acier qui est largement portée par l’industrie automobile ainsi que par le secteur de la construction.
Le deuxième facteur est celui, plus déstabilisant encore, de l’existence sur le marché mondial actuel de l’acier d’une surcapacité massive de production. Pour dire les choses concrètement, les usines mondiales de production d’acier ont produit en 2024 un surplus de 602 millions de tonnes d’acier par rapport à la demande mondiale.
Le troisième facteur est lié à la réforme récente du marché du carbone européen. En effet, les grands sites sidérurgiques européens sont assujettis depuis 2005 à une obligation de détenir des quotas d’émissions équivalents à leurs rejets de gaz à effet de serre. Or, alors que ce marché prévoyait un mécanisme d’allocation gratuite de quotas d’émissions pour tenir compte des risques de fuite de carbone, la mise en place récente du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) a eu pour conséquence indirecte de déclencher une trajectoire de réduction des quotas d’émission gratuits alloués aux aciéristes à partir de l’exercice 2026.
Le quatrième facteur qui a un effet de perturbation indirecte sur la trajectoire de décarbonation de la filière sidérurgique est la hausse substantielle des coûts de l’énergie observée en Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. En effet, les processus décarbonés de production d’acier reposent non seulement sur l’électrification de certaines étapes de production, mais également sur l’usage de gaz naturel ou d’hydrogène comme énergie primaire. Par conséquent, les incertitudes actuelles sur le prix de l’électricité à long terme obstruent la visibilité des industriels sur leurs projets d’investissement. À titre d’illustration, ArcelorMittal estime que le prix de l’hydrogène vert devrait être divisé par deux pour que ce groupe puisse envisager de produire du minerai de fer préréduit décarboné à un prix compétitif.
En deuxième lieu, après vous avoir présenté ce contexte de crise structurelle du secteur de la production d’acier en Europe, j’aimerais vous expliquer pour quelles raisons la décision de nationaliser ArcelorMittal serait inefficace, fragiliserait les sites de production concernés et serait coûteuse pour les finances publiques.
Dans le contexte de crise européenne que je viens de décrire, les sites de production du groupe ArcelorMittal affrontent une dégradation de leur équilibre économique, en conséquence de laquelle la direction du groupe a annoncé, en avril dernier, un plan de restructuration ayant pour conséquence la suppression de 636 postes, soit 4 % des effectifs en France.
Je veux insister sur le fait que la nationalisation ne résoudrait aucun des problèmes qui alimentent la crise de la sidérurgie européenne. Cette nationalisation n’aurait aucun effet sur la baisse de la demande d’acier en Europe. Elle n’aurait aucun effet non plus sur l’existence d’une surcapacité mondiale d’acier de plus de 600 millions de tonnes par an.
Enfin, la nationalisation d’ArcelorMittal n’aurait pas plus d’effet sur les conséquences de la réduction des quotas gratuits d’émissions et de la hausse du prix de l’énergie en Europe.
Deuxièmement, je veux également insister sur le risque économique majeur auquel les sites français de production d’acier, au premier rang desquels Dunkerque et Fos-sur-Mer, seraient exposés en cas de détachement du groupe ArcelorMittal pour se trouver dans une entreprise isolée à capitaux publics. En effet, comme nous l’ont expliqué les responsables d’ArcelorMittal et comme l’ont confirmé les services du ministère de l’industrie, les sites français de production d’acier bénéficient très largement du carnet de commandes du groupe ArcelorMittal, qui est géré à l’échelle européenne.
Concrètement, cela signifie que l’acier produit à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque est souvent exporté vers des clients du groupe ArcelorMittal situés hors du territoire français. Par conséquent, il existe un risque commercial majeur que des sites de production isolés, privés de l’apport de clientèle assuré par la gestion consolidée du groupe ArcelorMittal en Europe, ne se trouvent fragilisés et contraints de réduire encore le taux d’utilisation de leurs capacités.
J’ajoute sur ce point que l’option de la nationalisation ne fait pas l’unanimité parmi les représentants syndicaux du groupe ArcelorMittal que j’ai interrogés pour préparer l’examen de ce texte. Si la CGT soutient le projet de nationalisation, la CFE-CGC, qui est le deuxième syndicat le plus représentatif avec 25 % des voix aux élections professionnelles, s’est opposée à une nationalisation des sites français.
Troisièmement, j’aimerais évoquer le coût massif pour les finances publiques que représenterait une telle décision. Les auditions menées dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi ne m’ont pas permis d’obtenir un chiffrage robuste quant à la valorisation des sites industriels d’ArcelorMittal en France. Peut-être que M. le ministre délégué chargé de l’industrie pourra nous éclairer sur ce point dans un instant.
En tout état de cause, les sources existantes et les travaux menés par les organisations syndicales font état d’un prix d’achat dont l’ordre de grandeur avoisine 1 milliard d’euros. En ajoutant les investissements massifs de décarbonation nécessaires à la pérennité des sites, le coût global de l’opération doit être estimé à plusieurs milliards d’euros. Cette somme est évidemment incompatible avec le contexte actuel de consolidation impérieuse de nos comptes publics.
Enfin, je terminerai en soulignant qu’il existe des mesures alternatives à la nationalisation qui sont plus efficaces pour défendre la pérennité de la filière sidérurgique, dont il n’est pas question de nier le caractère stratégique.
À l’échelle nationale, je rappellerai qu’il existe une enveloppe pluriannuelle de 6 milliards d’euros pour soutenir les investissements des acteurs industriels privés dans la décarbonation des processus de production. Ces aides, qui ont un effet de levier important en entraînant des investissements privés, constituent un soutien vital pour assurer la transition de nos usines sidérurgiques, condition sine qua non de leur pérennité.
À l’échelle européenne, je tiens également à souligner les annonces particulièrement encourageantes qui ont été faites par la Commission européenne au début du mois d’octobre. En effet, dans le sillage de la publication en mars 2025 d’un plan d’action pour l’acier et les métaux, la Commission européenne a proposé, le 7 octobre dernier, la création d’un mécanisme de protection pérenne du marché de l’acier en Europe, en application duquel les importations d’acier au-delà d’un quota en franchise de droits seraient taxées à hauteur de 50 %. Sur ce point, je sais que le gouvernement français s’est fortement engagé pour convaincre la Commission européenne de déployer enfin ces instruments de protection. Je vous encourage, monsieur le ministre, à poursuivre ce combat pour que l’Europe se dote des instruments indispensables au maintien de sa souveraineté industrielle.
En conclusion, je veux remercier nos collègues du groupe communiste d’avoir attiré l’attention du Gouvernement et celle du Sénat sur cette crise de l’acier européen, qui est un enjeu majeur pour notre souveraineté et l’autonomie de nos industries. Pour autant, pour les diverses raisons que j’ai exposées, la nationalisation resterait sans effet sur cette crise structurelle et son effet principal serait d’immobiliser inutilement plusieurs milliards d’euros en faisant courir aux sites concernés un risque de fragilisation commerciale. Je propose au Sénat de procéder comme l’a fait la commission des finances en rejetant ce texte au profit des mesures alternatives de protection de notre industrie que je viens de développer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            

