Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Article 7 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Article 8

Lutte contre les fraudes sociales et fiscales

Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (projet de loi n° 24, texte de la commission n° 112, rapport n° 111, avis nos 104 et 106).

Dans la discussion des articles, nous sommes parvenus à l'article 8.

TITRE Ier (suite)

AMÉLIORER LA DÉTECTION DE LA FRAUDE FISCALE ET SOCIALE

Chapitre Ier (suite)

Mettre en commun et exploiter les informations nécessaires à la lutte contre la fraude

Article 8

I. – Le livre Ier de la troisième partie du code des transports est ainsi modifié :

1° L'article L. 3122-3 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « , sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 3124-7-1 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Cette inscription au registre ne peut être mise à disposition d'un tiers, à titre gratuit ou onéreux. » ;

2° Au I de l'article L. 3124-7, les mots : « de contrevenir » sont remplacés par les mots : « d'exercer l'activité prévue à l'article L. 3122-1 sans être inscrit au registre mentionné » ;

3° La section 2 du chapitre IV du titre II est complétée par un article L. 3124-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3124-7-1. – Lorsqu'un exploitant mentionné à l'article L. 3122-1 met à la disposition d'un tiers, à titre gratuit ou onéreux, l'inscription au registre mentionnée à l'article L. 3122-3 qu'il a obtenue pour son propre compte, l'autorité administrative compétente procède à la radiation de son inscription à ce registre.

« L'autorité administrative peut interdire à cet exploitant de s'inscrire à nouveau à ce registre, pendant une durée maximale de trois ans. Elle peut également interdire, pendant la même durée maximale, à toute personne agissant en qualité de dirigeant de droit ou de fait de cet exploitant d'intervenir en tant que dirigeant d'un exploitant inscrit au registre des exploitants.

« Les conditions d'application de ces dispositions sont définies par décret en Conseil d'État. » ;

4° Le II de l'article L. 3141-2 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans le cas où le conducteur opère dans les conditions définies à l'article L. 7341-1 du code du travail, le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 du présent code s'assure que l'attestation d'inscription au registre mentionnée à l'article L. 3122-3 n'est pas mise à la disposition du conducteur par un tiers, à titre gratuit ou onéreux.

« Pour les autres cas, le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 s'assure que l'attestation d'inscription au registre mentionné à l'article L. 3122-3 est mise à la disposition du conducteur par l'exploitant qui l'emploie. » ;

5° Le chapitre Ier du titre IV est complété par un article L. 3141-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3141-2-1. – Le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 s'assure que les exploitants mentionnés à l'article L. 3122-1 qu'il met en relation avec des passagers sont en mesure de démontrer :

« 1° Qu'ils ne pratiquent pas de travail dissimulé, au sens des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail ;

« 2° Qu'ils n'emploient pas de salarié non autorisé à exercer une activité professionnelle sur le territoire français.

« Les conditions d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'État. » ;

6° L'article L. 3143-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les manquements à l'article L. 3141-2-1 sont en outre recherchés et constatés par les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 du code du travail. » ;

7° Le chapitre III du titre IV est complété par un article L. 3143-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 3143-5. – I. – La méconnaissance par le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 des dispositions de l'article L. 3141-2-1 est passible d'une sanction administrative dans les conditions prévues au présent article.

« Le montant maximal de l'amende est de 150 euros par mise en relation par un professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 avec un ou des passagers, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 3141-2-1.

« Le montant total de l'amende infligée à un même professionnel ne peut excéder 3 000 000 euros par an.

« Cette amende administrative est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation des faits par l'un des officiers, agents ou fonctionnaires mentionnés à l'article L. 3143-1.

« Pour fixer le montant total de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, son éventuelle réitération, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges.

« Le délai de prescription de l'action de l'administration pour la sanction du manquement par une amende administrative est de deux années révolues à compter du jour où le manquement a été commis.

« Le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 peut contester la décision de l'administration devant le tribunal administratif, à l'exclusion de tout recours hiérarchique.

« L'amende est recouvrée comme les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine. L'opposition à l'exécution ou l'opposition aux poursuites n'a pas pour effet de suspendre l'action en recouvrement de la créance.

« II. – Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »

II. – Les dispositions du 4° et du 5° du I sont applicables à compter d'une date fixée par décret en Conseil d'État et au plus tard le premier jour du dix-huitième mois suivant la publication de la présente loi. Ce même décret précise le délai applicable pour l'accomplissement des vérifications relatives aux exploitants que le professionnel mentionné à l'article L. 3141-1 du code des transports a déjà mis en relation avec des passagers avant cette date.

III (nouveau). – Le chapitre V du titre II du livre III du code de la route est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l'article L. 325-1-1, après la première occurrence du mot : « code », sont insérés les mots : « , le titre II du livre Ier de la troisième partie du code des transports » ;

2° Après le 8° du I de l'article L. 325-1-2, il est inséré un 9° ainsi rédigé :

« 9° Lorsque le véhicule a été utilisé :

« a) Pour exercer l'activité d'exploitant taxi sans être titulaire de l'autorisation de stationnement mentionnée à l'article L. 3121-1 du code des transports ;

« b) Ou pour exercer l'activité d'exploitant mentionnée à l'article L. 3122-1 du même code en contrevenant à l'article L. 3122-3 dudit code ;

« c) Ou pour contrevenir aux I, II et 2° et 3° du III de l'article L. 3120-2 du même code ;

« d) Ou pour réaliser des prestations de transport relevant du titre II du livre Ier de la troisième partie du même code, lorsque le conducteur ne dispose pas de la carte professionnelle mentionnée à l'article L. 3120-2-2 du même code correspondant à l'activité pratiquée. »

IV (nouveau). – Le titre II du livre Ier de la troisième partie du code des transports est ainsi modifié :

1° L'article L. 3124-4 est ainsi modifié :

a) Le I est ainsi modifié :

– les mots : « d'un an » sont remplacés par les mots : « de trois ans » ;

– le montant : « 15 000 € » est remplacé par le montant : « 45 000 € » ;

b) Après le 3° du II, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° L'interdiction de paraître prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal. » ;

2° L'article L. 3124-7 est ainsi modifié :

a) Le I est ainsi modifié :

– les mots : « d'un an » sont remplacés par les mots : « de trois ans » ;

– le montant : « 15 000 € » est remplacé par le montant : « 45 000 € » ;

b) Le II est complété par un 4° ainsi rédigé :

« 4° L'interdiction de paraître prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal. » ;

3° L'article L. 3124-12 est ainsi modifié :

a) Le I est ainsi modifié :

– les mots : « d'un an » sont remplacés par les mots : « de trois ans » ;

– le montant : « 15 000 € » est remplacé par le montant : « 45 000 € » ;

– à la fin, les mots : « et au 1° du II de l'article L. 3120-2 » sont remplacés par les mots : « , au 1° du II ou au 2° ou 3° du III de l'article L. 3120-2 ou de réaliser ou faire réaliser des prestations de transport relevant du présent titre, lorsque le conducteur ne dispose pas de la carte professionnelle mentionnée à l'article L. 3120-2-2 correspondant à l'activité pratiquée » ;

b) Le II est ainsi modifié :

– au premier alinéa, les mots : « de l'infraction prévue » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues » ;

– il est ajouté un 4° ainsi rédigé :

« 4° L'interdiction de paraître prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal. » ;

4° L'article L. 3124-13 est ainsi rétabli :

« Art. L. 3124-13. – Lorsque l'établissement de la preuve d'un des délits définis au présent chapitre en dépend, les agents habilités à constater des infractions au titre du présent code peuvent ne décliner leur qualité qu'au moment où ils informent la personne contrôlée de la constatation de l'infraction. »

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l'article.

M. Olivier Jacquin. Je suis heureux de retrouver le ministre du travail dans ce nouveau contexte.

La plateformisation de l'emploi est l'un des plus grands défis auxquels notre modèle social doit faire face. Si certains y voient une grande opportunité en termes d'activité et de développement des services à la personne, d'autres – parfois les mêmes – y voient surtout un immense saut dans le vide pour les droits sociaux des travailleurs et, plus globalement, pour le financement de notre modèle social.

La plateformisation à bas coût ne peut se développer qu'en recrutant des autoentrepreneurs, ce qui altère automatiquement les cotisations patronales et salariales.

Face à ce défi, mon groupe et moi avons défendu avec constance la requalification et la valorisation de modèles de substitution, comme la coopérative d'activité et d'emploi (CAE).

C'est la raison pour laquelle nous avions anticipé la transposition de la directive Schmit et déposé un amendement visant à défendre la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. Celui-ci a été déclaré irrecevable.

De même, dès lors que ce sont principalement les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les livreurs à vélo qui sont concernés par les phénomènes d'ubérisation, il semble incompréhensible que ce projet de loi ne s'attaque pas à la fraude dans le secteur des livreurs de marchandises à vélo. J'avais également déposé un amendement pour remédier à cet état de fait, qui a, lui aussi, été jugé irrecevable.

L'article 8 vise, notamment, la fraude pour les personnes qui mettent à disposition d'un tiers l'inscription au registre des exploitants VTC qu'elles ont obtenue pour leur propre compte. Cette fraude est encore plus développée chez les livreurs à vélo que chez les VTC via l'exploitation ignoble des sans-papiers, comme cela est parfaitement relaté dans le film L'Histoire de Souleymane.

Je signale qu'aujourd'hui va démarrer l'important procès Frichti, dans lequel je suis partie civile. Je me rendrai tout à l'heure au tribunal, puisque j'avais fait un signalement au procureur de la République, m'appuyant sur l'alinéa 2 de l'article 40 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, monsieur le ministre du travail, nous avons appris hier que les syndicats de travailleurs représentant les livreurs à vélo avaient quitté la table de négociation de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), ce qui est un véritable échec.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L'amendement n° 64 est présenté par M. Jacquin, Mme Lubin, M. Fichet, Mme Canalès, MM. Lurel et Kanner, Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L'amendement n° 73 est présenté par M. Fernique, Mme Poncet Monge, MM. Dantec, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

L'amendement n° 224 est présenté par M. Savoldelli, Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l'amendement n° 64.

M. Olivier Jacquin. Nous sommes évidemment contre la fraude qui gangrène le secteur des VTC et produit des distorsions de concurrence. Nul ne peut être à la fois pour l'État de droit et approuver la fraude. Nous sommes donc véritablement opposés à toute sorte de fraude, je tiens vivement à le rappeler.

Cet article 8 est pourtant un cheval de Troie qui, in fine, renforcera et protégera les plateformes.

La fraude des VTC est avérée, particulièrement depuis 2019, date à laquelle les plateformes ont eu l'obligation de déclarer les revenus, ce qui a fait naître les gestionnaires de flotte. Ces sociétés-écrans entre la plateforme et le chauffeur, bien souvent temporaires, ont été créées pour éviter de payer les cotisations sociales.

L'article 8, certes, vise à mettre une « rustine » sur la fraude constatée des gestionnaires de flotte, mais il fera perdurer un système qui déresponsabilise les plateformes, à savoir les écrans que constituent les gestionnaires de flotte. C'est pour cela que nous refusons cet article 8, d'autant que, dans quelques mois, monsieur le ministre, il nous faudra transposer la directive Schmit sur les travailleurs de plateforme, qui vise à introduire une présomption légale de salariat pour les travailleurs de plateforme. La transposition de cette directive permettra de mettre un terme à la fraude dénoncée au travers de cet article 8.

L'étude d'impact du projet de loi va même jusqu'à affirmer que c'est non pas la plateforme, mais le client final qui est le donneur d'ordre. Cela crée un devoir de vigilance au rabais, en deçà des exigences qui s'appliquent à tout donneur d'ordre.

Cet article 8 contredit la directive européenne. Il va totalement à rebours de ce que nous devons transposer prochainement. Si nous l'adoptions, les plateformes auraient réussi à inscrire dans le droit qu'elles ne sont pas les donneurs d'ordre. Nous nous y opposons fortement en ce jour où le devoir de vigilance va être rediscuté au niveau du Parlement européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l'amendement n° 73.

M. Jacques Fernique. Notre rapporteur, Alain Duffourg, nous l'a dit hier en ouverture du débat : cet article 8 s'en prend aux fraudes dans le secteur des VTC « de manière assez minime ».

Pourtant, nous avons affaire à des fraudes qui n'ont rien de minime ; elles sont même, en l'occurrence, systémiques !

Au total, en contournant les obligations fiscales ou sociales, la réglementation du travail ou celle sur les assurances, la fraude se compte en centaines de millions d'euros. On évalue que près de 60 % du flux financier généré par les VTC échappe à la TVA et aux cotisations sociales. Les prix de plus en plus agressifs des plateformes en ligne ont contribué à l'essor de ces fameuses sociétés-écrans. Il s'agit d'un effet d'aubaine pour les plateformes, qui effectuent très peu de signalements en préfecture pour ne pas nuire à leur réputation.

Tel est le « carburant » du modèle économique des plateformes. Les textes qui tendaient à encadrer le régime applicable aux VTC n'y ont pas changé grand-chose.

Cet article 8 aurait donc un impact du même ordre, c'est-à-dire assez minime. Il instaurerait un droit particulier pour les seuls VTC, mais maintiendrait pour l'essentiel le régime fictif selon lequel les conducteurs seraient indépendants par rapport aux plateformes, alors que – comme cela vient d'être rappelé – la transcription attendue de la directive européenne devrait changer considérablement la donne en posant un principe de présomption de relation de travail pouvant entraîner la requalification de chauffeurs en salariés.

Comment, dans cette perspective d'adaptation au droit de l'Union européenne, le régime issu de cet article 8 pourrait-il être cohérent ?

Nous savons à quel point le gouvernement français était réticent à l'adoption de cette directive, que nous devons transposer au plus tard en décembre 2026. Il nous propose aujourd'hui, un peu dans le même esprit, de voter cet article 8 aux conséquences « assez minimes ».

Voilà pourquoi il serait, à notre sens, plus clair de supprimer cet article si peu impactant.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l'amendement n° 224.

M. Pascal Savoldelli. Cet amendement, identique aux précédents, vise à supprimer l'article 8 du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Pourquoi ?

Cet article tend à introduire dans le code des transports la notion de « droit de vigilance renforcée », en totale contradiction avec la directive européenne adoptée en avril 2024 pour garantir de véritables droits sociaux aux travailleurs des plateformes. À lui seul, cet argument suffirait, mais il y en a d'autres.

Avec cet article, le Gouvernement ouvrira une brèche dans laquelle les plateformes n'hésiteront pas à s'engouffrer.

Monsieur le ministre, en quoi cet article sert-il réellement les intérêts des chauffeurs ? En quoi favorise-t-il également les recettes de l'État ? Et, surtout, en quoi ne constitue-t-il pas une forme de concurrence déloyale dissimulée ?

En reconnaissant aux plateformes un droit de vigilance, on leur confère un pouvoir d'autorité économique et organisationnelle sur les travailleurs, sans leur imposer la moindre responsabilité sociale. Aucun modèle économique traditionnel ne se trouve placé dans une telle situation.

Les plateformes, elles, bénéficient de plus de droits que toutes les formes d'entreprises ou d'artisanat. Elles vont faire comme aux États-Unis : elles se soustrairont à leurs obligations en s'abritant derrière des sociétés dites de rattachement ou des coopératives d'activité et d'emploi qui, vous le savez tous ici, sont à l'origine de fraudes massives.

Ces structures deviennent des écrans, en somme des intermédiaires fictifs qui servent à masquer la relation de subordination réelle entre le chauffeur et la plateforme. C'est tout le contraire de la directive européenne, qui tend à consacrer une présomption de salariat pour mieux protéger les travailleurs.

Il y a donc un choix à faire : écoute-t-on ces hommes et ces femmes qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, sans protection ou avec très peu de protection sociale, ou bien écoute-t-on les plateformes ?

Nous demandons la suppression de cet article afin que notre droit – le droit français, le droit du travail – soit fidèle à l'esprit européen, qui est celui de la justice sociale et de la protection du travail humain.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission de l'aménagement du territoire ?

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je voudrais répondre à mes collègues au sujet de l'article 8 et de la demande de suppression qui a été formulée.

Si je partage pleinement votre position sur l'exercice des VTC – je suis moi aussi tout à fait opposé à cette manière de procéder en matière de transport –, cet article 8 constitue néanmoins un progrès dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale et fiscale, fût-il modeste. Comme je l'ai indiqué en commission – et je ne me dédis pas aujourd'hui : l'avancée reste minime, mais elle s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale et fiscale.

Vous avez évoqué la directive européenne. Cette directive permettra de présumer l'existence d'une relation de travail contractuelle au bénéfice des salariés ; en aucun cas, elle ne contredit les dispositions de l'article 8.

À mon sens, il eût fallu, en 2009, ne pas adopter le texte autorisant les VTC. Nous n'en serions pas là aujourd'hui. Pour des raisons avant tout techniques et juridiques – et sur le fond, je vous rejoins –, j'émets donc un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Vous me permettrez, tout d'abord, d'avoir une pensée particulière à l'occasion du dixième anniversaire des terribles attentats qui ont frappé notre pays. J'exprime ma profonde compassion pour les victimes, dont la vie s'est brutalement arrêtée dans des conditions tragiques, ainsi que pour leurs familles, toujours éprouvées par la douleur – ce que chacun peut comprendre. Je souhaite également rendre hommage à nos policiers, qui ont fait preuve d'un courage extraordinaire pour mettre fin à cet acte terroriste, ainsi qu'aux services d'urgence, aux médecins, aux secours et aux pompiers, qui ont prodigué les soins nécessaires et apporté les gestes de premier secours aux rescapés.

Venons-en maintenant à l'examen de cet article. Vous proposez de supprimer l'article 8, au motif qu'il créerait un régime dérogatoire au rabais pour les plateformes et détournerait le droit commun applicable aux donneurs d'ordres. Le Gouvernement ne partage pas cette analyse, et je souhaite en exposer les raisons avant de répondre, dans un second temps, aux questions qui ont été soulevées.

Nous considérons que ce dispositif n'exonère pas les plateformes de leurs responsabilités. Au contraire, il les responsabilise davantage en prévoyant qu'elles procèdent à des vérifications nouvelles, permettant de lutter contre les fraudes sociales et fiscales engendrées par l'intervention des gestionnaires de flotte. Vous l'avez indiqué, certaines d'entre elles se livrent à des pratiques frauduleuses ; nous les surveillons attentivement et faisons preuve, comme vous, d'une vigilance constante pour les réprimer.

L'article 8 ne représente pas un recul par rapport au droit commun, car les plateformes de mise en relation ne sont pas assujetties à l'obligation de vigilance des donneurs d'ordre prévue aujourd'hui par le code du travail. L'article 8 tend à ajouter des moyens opérationnels adaptés au schéma de fraude constaté dans le secteur et contribue à protéger les travailleurs en supprimant des intermédiaires occultes. La transposition de la directive européenne relative aux travailleurs des plateformes d'emploi, qui couvre un champ bien plus vaste que ce secteur, relèvera d'un autre véhicule législatif.

Les dispositions de l'article 8 ne remettent en aucun cas en cause la possibilité pour les chauffeurs VTC de faire reconnaître leur statut de salarié par le juge, si celui-ci l'estime justifié.

Permettez-moi d'apporter quelques réponses complémentaires. L'objectif est bien de lutter contre les gestionnaires de flotte et de protéger les travailleurs indépendants. Cet article est donc complémentaire à la directive, il ne lui est pas contraire.

Le bénéfice de ces dispositions ira aux chauffeurs, car les accords signés s'appliqueront désormais aux chauffeurs rattachés qui, aujourd'hui, en étaient exclus.

Enfin, la directive prévoit bien la notion d'intermédiaire ; cet article renforcera donc l'encadrement des gestionnaires de flotte.

Pour l'ensemble de ces raisons, je suis au regret d'émettre un avis défavorable sur ces amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Un mot, monsieur le ministre, sur le vocabulaire : il s'agit non pas de plateformes de mise en relation, mais bien de plateformes numériques de travail. Pour le ministre du travail, le mot « travail » a un sens. Ce dont nous parlons ici n'a rien à voir avec Leboncoin ou d'autres sites de mise en relation de ce type. Une plateforme numérique de travail, ce n'est pas la même chose ; il convenait de le rappeler.

Ce que vous faites avec cet article relève d'un cavalier législatif. Je le dis clairement, à vous comme à mes collègues : c'est la pression et le lobbying des plateformes qui s'invitent dans nos débats parlementaires. Ce sont toutes les pistes de contournement qui se dessinent ici. Je ne mets pas en cause la sincérité de votre propos, monsieur le ministre, mais le problème demeure.

Tout le monde le sait ici : des sociétés-écrans sont mises en place par les plateformes numériques de travail – qui, je le répète, ne sont pas de simples plateformes de relation entre particuliers – et des sociétés fictives voient le jour. Cette brèche s'ouvre avec l'article 8.

S'ajoute à cela l'ambiguïté liée à l'Arpe – je demande d'ailleurs que le Parlement exerce un contrôle sur le travail de cette structure –, qui œuvre à l'aveugle et sans agir forcément dans l'intérêt du statut des travailleurs. Elle refuse de reconnaître le salariat et préserve l'impunité des plateformes.

Vous avez répondu à notre argumentation, monsieur le ministre : « S'ils veulent avoir le statut de salarié, qu'ils aillent devant le tribunal. » Or, le rôle du législateur consiste précisément à éviter que l'on doive aller devant la justice pour faire valoir ses droits. Cet article 8 ne tient donc pas.

Je vous alerte sur les dégâts à venir : portage salarial, sociétés de rattachement, coopératives d'activité et d'emploi… Autant de mécanismes déjà utilisés par les plateformes pour se soustraire à deux de leurs responsabilités – cela devrait nous interroger collectivement : elles parviennent à contourner leurs obligations sociales et fiscales, alors que tous les autres modèles économiques – du petit au grand patron, de l'artisan au commerçant – ne peuvent, eux, échapper à ces responsabilités. C'est pourquoi il faut se rassembler contre cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Je me réjouis de ne pas être seul à défendre la suppression de cet article véritablement nocif. Je n'hésite pas à affirmer qu'il constitue un véritable cheval de Troie et que l'enfer est pavé de bonnes intentions !