Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le budget des armées que nous examinons aujourd'hui met en œuvre la LPM 2024-2030, avec les moyens supplémentaires qui découlent des fameuses marche et surmarche, pour un montant total de 6,7 milliards d'euros ; devraient progressivement s'y ajouter les 16 milliards d'euros empruntés par la France au titre du programme européen Safe (Security Action for Europe).
Cette hausse est d'autant plus attendue que la LPM avait été calculée au plus juste. Si, en ces temps de disette budgétaire, une telle augmentation peut paraître considérable, je rappelle toutefois que le budget de la défense de notre voisin allemand augmentera de près de 32 milliards d'euros en 2026, pour atteindre 108,2 milliards d'euros.
Cette disproportion croissante des moyens entre les deux rives du Rhin est particulièrement criante concernant l'équipement des forces. Alors que les crédits de paiement du programme 146 « Équipement des forces » devraient passer de 18,69 milliards à 22,88 milliards d'euros, en augmentation de 22,4 %, le budget d'équipement de l'armée allemande devrait atteindre l'an prochain 52 milliards d'euros, répartis entre 29 contrats d'achat d'équipement.
Pour réduire l'effet de cet écart de moyens, il serait bon de clarifier nos choix et ainsi de donner de la visibilité aux acteurs tant industriels que militaires, d'autant qu'il est évident que nous ne pourrons pas tout faire en même temps.
Nous savons que le moteur T-Rex du standard F5 du Rafale, le programme Stratus, le porte-avions de nouvelle génération, ainsi que le programme Frappe longue portée terrestre (FLP-T) nécessitent des investissements importants qui ne sont pas fléchés dans le projet de loi de finances pour 2026.
Par ailleurs, des acquisitions sont prévues, parmi lesquelles on trouve de nombreux objets structurants : une frégate de défense et d'intervention (FDI), deux avions Rafale, deux avions Saab GlobalEye suédois, quatre systèmes sol-air moyenne portée terrestre de nouvelle génération (SAMPT-NG), 350 véhicules blindés Serval, ainsi que de nombreux consommables – lots de bombes AASM (armement air-sol modulaire), missiles antichars, munitions téléopérées (MTO) et drones.
Toutefois, nous avons encore du mal à comprendre quels moyens sont affectés à tel ou tel programme d'armement, notamment concernant les crédits de marche et de surmarche. Cette inquiétude est partagée par plusieurs industriels que notre commission a auditionnés : ils ont été confrontés à des arrêts de paiement en début d'année 2025, à des reports de commandes, puis à l'allongement des délais de paiement.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui constatent que le montant des crédits supplémentaires équivaut à celui des reports de charges, ce qui réduit à peu de chose les marges de manœuvre.
Dans ces conditions, madame la ministre, nous souhaiterions connaître les priorités du Gouvernement. Il nous semble en effet que la consultation des industriels sur l'actualisation de la LPM s'impose, alors même que les choix qui doivent être faits auront nécessairement des conséquences sur l'organisation de la BITD.
Une clarification des contrats permettrait aux industriels de s'engager plus sereinement, alors que certains d'entre eux sont actuellement obligés de financer sur leurs fonds propres le développement de nouveaux programmes, avec toute l'incertitude que cela représente en l'absence de commandes.
Madame la ministre, une large majorité vous a accordé sa confiance, hier, à l'Assemblée nationale, en apportant son soutien à la stratégie de défense nationale que vous avez présentée.
Si notre commission a adopté un avis favorable à l'adoption des crédits pour 2026 du programme 146 et, plus largement, de la mission « Défense », nous considérons toutefois que des efforts doivent encore être accomplis en matière de prévisibilité, de dialogue et de priorisation. Nous espérons que les débats sur l'actualisation de LPM permettront d'avancer dans cette direction.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite revenir sur quelques-uns des grands programmes de ce budget.
Le lancement de la réalisation du standard F5 du Rafale est prévu en 2026, pour une date prévisionnelle de livraison du premier exemplaire en 2033. Il se pose toutefois un problème, que nous avions déjà relevé l'année dernière : la LPM ne prévoit pas de crédits pour le développement du nouveau moteur T-Rex de Safran. Si l'État a finalement contribué au financement des études en 2025, pour un peu plus de la moitié des sommes requises, le projet de loi de finances pour 2026 ne comporte pas, en l'état, de crédits à cette fin, alors que les besoins sont estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros par le motoriste français. Un dialogue se poursuit avec l'industriel pour répartir la prise en charge de ce coût de sorte que les travaux puissent se poursuivre. Nous souhaitons vivement que ces échanges aboutissent et que nous avancions sur cet important dossier.
Le porte-avions nucléaire de nouvelle génération constitue un autre programme structurant. Le Gouvernement devrait décider, avant la fin de l'année, le lancement de sa construction, en notifiant aux industriels un premier marché portant sur l'ingénierie du bateau et la réalisation des chaudières nucléaires. Celui-ci laisserait ouvertes certaines options concernant les fonctionnalités, qui devraient être précisées dans un second marché attendu en 2028 ou 2029. Ce second marché permettrait, notamment, de doter le bâtiment d'un système de combat et d'équipements électroniques et numériques parmi les plus récents.
Nous devrons faire des choix stratégiques pour l'avenir ; il s'agit de maintenir certaines capacités, mais aussi de combler des manques devenus problématiques.
Citons à cet égard le programme Stratus, conduit par la France, le Royaume-Uni et l'Italie. La société industrielle a assuré une part importante du financement de celui-ci en 2025, et un dialogue est en cours avec la direction générale de l'armement (DGA) pour en déterminer l'équilibre économique. Ce programme est d'autant plus prioritaire qu'il constitue la pierre angulaire de la coopération en matière de défense entre la France et le Royaume-Uni, dans le cadre des accords de Lancaster House.
Citons également le système de combat aérien du futur (Scaf), qui n'a pas progressé comme il aurait fallu au cours de l'année 2025. Nous sommes en effet confrontés à un double blocage, industriel et politique, qui porte sur le rôle respectif des partenaires, mais aussi sur la possibilité d'exporter le futur avion. Nous verrons dans les prochaines semaines comment évoluera ce projet ; pour le prolonger, il faudra absolument que soient clarifiés de manière définitive les apports de chacun et la répartition des tâches. Une levée des obstacles politiques, pourtant identifiés comme des lignes rouges, est tout aussi indispensable.
Citons enfin la question des feux de profondeur. Une consultation est en cours pour développer une capacité souveraine ; un rendez-vous est prévu au printemps 2026 pour tester des démonstrateurs. Nous souhaitons que les tests du printemps prochain permettent d'établir clairement les performances et les coûts des différents systèmes qui auraient leurs partisans, afin qu'un choix éclairé soit réalisé.
Sous réserve de ces remarques, qui démontrent la persistance d'un certain flou, madame la ministre, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 de la mission « Défense ».
Organisation des travaux
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de donner la parole aux orateurs des groupes et pour la bonne information de tous, je vous indique que dix-sept amendements sont à examiner sur cette mission.
La conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à deux heures trente. Nous devrons donc terminer l'examen de cette mission à treize heures, afin de commencer celui de la mission « Médias, livre et industries culturelles » à quatorze heures trente.
Défense (suite)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote. Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, contrairement aux autres ministères, loin de gérer la pénurie, celui des armées présente un budget porté à plus de 57 milliards d'euros, en hausse de 13 %. En y adjoignant les pensions, c'est même une enveloppe de 66 milliards d'euros.
Le budget des armées est désormais supérieur au budget de l'éducation nationale. Le symbole est d'autant plus lourd que le Président de la République, pourtant le plus jeune de notre histoire, a comme aucun autre abandonné notre jeunesse.
Du tri infâme de Parcoursup à l'abandon à la dépression d'une entière classe d'âge pendant le confinement, en passant par la destruction méthodique du service civique, rien n'a été fait pour accompagner notre jeunesse, qui est la première victime de l'explosion des inégalités et la première inquiète face au monde bientôt invivable que nous lui laisserons – rien !
Pis encore, le seul avenir que dessine le Président de la République pour toute une génération, c'est l'injonction à la procréation pour produire des soldats : c'est la guerre, l'uniforme et la soumission à l'autorité !
Cette vision réactionnaire s'est traduite par la transformation du service national universel, dont personne ne voulait, en un service national volontaire, dont nous voyons encore mal l'utilité et l'articulation avec la réserve opérationnelle. Là-dessus, le chef d'état-major est venu jeter le trouble au sein de toute la Nation, en évoquant « la perte de nos enfants », dans un discours qu'un gradé de la Grande Muette ne devrait pas tenir en République. Que de maladresses !
Mais que l'on ne se méprenne pas : nous partageons sans réserve le constat alarmant dressé par le pouvoir exécutif et le commandement militaire.
Depuis 2022, les écologistes, quand bien même ils portent le pacifisme au cœur de leur histoire, n'ont eu de cesse d'affirmer qu'aucune paix ne pourra être atteinte dans un monde régi par le rapport de force entre les empires. Nous consentons à ce rapport de force pour préserver notre sécurité, nos valeurs et nos idéaux ; ce « nous » est naturellement un « nous » européen.
Notre soutien à l'Ukraine est et demeurera sans faille. Nous ne nous sommes pas opposés à la loi de programmation militaire ni à aucune de ses déclinaisons budgétaires.
Toutefois, si notre soutien ne peut pas être plus ferme, c'est bien de votre fait, madame la ministre. En effet, l'ambition du Gouvernement pour notre armée nous semble déraisonnable au regard de nos moyens ; son articulation européenne, insuffisante. Surtout, nous sommes de plus en plus consternés par votre facilité à décaisser des milliards d'euros pour nos armées en les retirant partout ailleurs, mais aussi à appeler à la mobilisation nationale, voire à invoquer l'économie de guerre, tout en refusant, avec un dogmatisme virant à l'absurde, de faire contribuer les plus aisés de nos compatriotes.
Cela est d'autant plus incompréhensible que nos milliardaires sont de plus en plus nombreux à aller se pavaner à la Maison-Blanche, qui n'est plus une alliée, ou à laisser libre cours, sur les antennes et les ondes en leur possession, au confusionnisme prorusse.
Cet élan patriotique auquel vous appelez le pays, les milliardaires ne peuvent pas et ne doivent pas l'ignorer. Ils doivent y consentir ou tomber les masques : contribuent-ils à la défense nationale, ou préparent-ils l'arrivée au pouvoir des marionnettes de Poutine que sont les élus du Rassemblement faussement national ? (M. Joshua Hochart s'exclame.)
Madame la ministre, sans cela, vous ne pourrez pas convaincre toutes les Françaises et tous les Français de l'urgence de la situation.
Vous ne pouvez pas demander au peuple de choisir entre la défense de nos derniers services publics et la réponse à une menace qui, aussi réelle soit-elle à nos yeux, est encore endiguée à 3 000 kilomètres d'ici, entre le Dniepr et le Donbass, par l'héroïsme ukrainien. C'est une faute devant l'histoire ! En 1914, l'Union sacrée a eu pour prix la création de l'impôt sur le revenu. Personne ne comprendrait que, face à une menace de même ampleur, notre réponse ne soit pas aussi ambitieuse.
Le temps me manque pour développer autant qu'il le mérite le dernier sujet que je veux aborder ; j'y reviendrai lundi prochain, lors du débat qui suivra la déclaration du Premier ministre sur la stratégie de défense nationale.
Au regard des menaces hybrides auxquelles l'Europe doit faire face, le fonctionnement ensiloté de notre cadre budgétaire et de nos politiques publiques est particulièrement handicapant. Pour reprendre l'image du psychologue Abraham Maslow, « il est tentant, si le seul outil dont vous disposez est un marteau, de tout considérer comme un clou ».
En aucune façon notre réponse ne peut être uniquement militaire. Notre dépendance aux hydrocarbures, à l'uranium, aux engrais azotés de l'ennemi risque de nous tuer aussi certainement que la seringue d'héroïne tuera le corps dans lequel elle est logée. Renforcer notre défense tout en sabrant les budgets de la transition énergétique et agricole et en restant inactifs face au démantèlement de notre appareil industriel est totalement vain.
Voilà quatre ans que nous interpellons inlassablement le Gouvernement à ce sujet ; encore une fois, madame la ministre, nous n'obtenons pas la moindre réponse de votre part, de sorte que nous serons obligés de nous abstenir sur les crédits de la mission « Défense », que nous ne pouvons dissocier du reste du budget. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'aborder les crédits de la mission « Défense » pour 2026, je veux, tout simplement, saluer nos forces armées.
Les femmes et les hommes qui portent l'uniforme servent la France avec un courage, un sang-froid et une constance qui forcent le respect. Ils n'attendent aucunement des discours ; ils attendent que la Nation tienne ses engagements. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous voterons les crédits, en augmentation, de cette mission, car leur donner les moyens d'agir n'est pas une option, mais un devoir.
Cela dit, si notre soutien aux militaires est clair, notre inquiétude sur l'orientation de la politique extérieure l'est tout autant, madame la ministre. Depuis près de dix ans, la diplomatie française, réformée et même déconstruite par la Macronie, ne mène plus vraiment la danse ; elle suit le mouvement. Là où la France pesait, arbitrait et proposait, elle se contente désormais, trop souvent, d'accompagner la stratégie d'autres puissances ou de se faire le relais de la Commission européenne, qui ne devrait pas avoir voix au chapitre. Nous ne sommes plus acteurs de plein droit, mais spectateurs d'une diplomatie qui n'est pas la nôtre.
Cette évolution n'est pas neutre ; elle nous entraîne dans une posture de plus en plus va-t-en-guerre. Le candidat Macron disait en 2017, en s'adressant aux Français : « Mme Le Pen et ses amis seront réfugiés au château de Montretout, et ce sont vous et vos enfants qui iront faire la même guerre qui en a fait tomber tant et tant ». Aujourd'hui, c'est le même Président de la République qui laisse entendre qu'il faudra que nos enfants aillent sur le front. Sa logique d'alignement finit par supplanter celle de l'équilibre, qui a pourtant été la marque de notre pays.
Pendant que notre diplomatie s'efface, on nous explique qu'une défense européenne intégrée serait la panacée. Or, à force de vouloir mutualiser, harmoniser et fédéraliser, on finit par toucher à ce qui ne se partage pas : la décision d'engager nos forces, la maîtrise de nos moyens et la souveraineté de notre dissuasion nucléaire.
Le Rassemblement national n'est pas opposé à la coopération européenne, bien au contraire, mais nous refusons qu'elle se transforme en abandon silencieux de ce qui fait la singularité et la force de notre défense. La France ne peut pas déléguer la décision de la guerre et de la paix. Elle ne peut pas non plus laisser ses intérêts vitaux se dissoudre dans un compromis technocratique à vingt-sept.
Alors oui, nous voterons ce budget, parce qu'il soutient nos armées et leurs actions, mais nous resterons vigilants et même exigeants sur la trajectoire politique qui l'accompagne. En effet, au-delà des chiffres, nous restons attachés à une idée simple : les intérêts supérieurs de la Nation doivent prévaloir, toujours.
Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et SER.)
M. André Guiol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France navigue aujourd'hui dans une zone de grands fonds, dans une mer où les courants contraires se multiplient et où les vents sont capricieux. Lorsque la houle moutonne et que le vent adonne, on s'assure que le gouvernail répondra parfaitement.
Mes chers collègues, c'est avec le bon sens marin de l'anticipation que le groupe RDSE aborde l'examen des crédits de la mission « Défense ».
Le contexte stratégique actuel n'est plus celui d'un horizon lointain ; il est immédiat. L'invasion de l'Ukraine, la montée des tensions en Méditerranée, la prolifération des missiles hypersoniques, l'avènement des essais de drones et les attaques hybrides visant nos infrastructures font voler en éclats les certitudes qui ont accompagné l'après-guerre froide. La France doit décider si elle entend demeurer une puissance militaire crédible ou devenir une puissance spectatrice.
Le projet de loi de finances pour 2026 traduit clairement cette exigence. La hausse de crédits qui nous est proposée, d'un montant de 6,7 milliards d'euros, permet de maintenir un modèle militaire que la plupart de nos partenaires ne possèdent plus : une armée complète, capable d'opérer dans tous les champs et dans toute la gamme de conflits. La question est donc de savoir non pas si nous dépensons davantage, mais si nous dépensons assez pour conserver l'avantage.
Trois enjeux structurent ce débat.
Le premier est celui du temps. En effet, la conflictualité se durcit beaucoup plus vite que nos cycles capacitaires. Construire un sous-marin ou un système de défense aérienne, former un pilote ou constituer une réserve opérationnelle requiert des années. La menace, quant à elle, s'exprime en semaines ou en mois. Une hausse budgétaire sans accélération de son exécution ne change pas la réalité stratégique. Si nous voulons « gagner la guerre avant la guerre », il nous faut réduire les délais de décision, raccourcir les chaînes industrielles, accélérer l'instruction et améliorer encore la disponibilité des matériels.
Le deuxième enjeu est celui de la souveraineté technologique. L'Europe parle de défense commune, mais reste profondément fragmentée. Les programmes de coopération révèlent la coexistence d'intérêts divergents. L'Allemagne raisonne selon la doctrine d'une puissance industrielle terrestre ; la France, selon une tradition de projection et de dissuasion. Ce décalage n'est pas sans lien avec les retards du système de combat aérien du futur, le Scaf, ni avec l'incertitude qui entoure le projet du char européen.
Le problème n'est donc pas seulement technique, il est aussi stratégique : peut-on bâtir une souveraineté européenne lorsque les conceptions de l'usage de la force ne convergent pas ? La France ne peut renoncer ni à son autonomie ni à son industrie.
Le troisième enjeu est celui du format. Il importe non pas tant de savoir s'il nous faut un ou plusieurs porte-avions, mais de définir quels sont les risques et quelle est la stratégie. J'en profite pour rappeler que le coût de notre dette équivaut chaque année à celui de cinq porte-avions.
Dans un monde saturé de missiles hypersoniques et de brouillages électromagnétiques, la valeur d'un grand bâtiment ne réside pas seulement dans sa capacité à projeter une puissance autonome ; elle est aussi dans sa projection et dans son intégration dans un dispositif européen. Ces critères ne sont pas anecdotiques, mais conditionnent nos investissements, notre flotte d'escorte, nos infrastructures portuaires – on le constate, aujourd'hui, sur la base navale de Toulon – et, enfin, notre diplomatie de défense.
Dans cette perspective, le projet de loi de finances pour 2026 constitue un instrument essentiel et non un aboutissement. Les crédits annoncés permettront de consolider la dissuasion, d'améliorer la disponibilité des matériels et de renforcer les capacités aériennes, navales et terrestres. La responsabilité politique consiste, ici, à reconnaître que la sécurité va au-delà d'une simple traduction budgétaire.
Sans la protection militaire de nos territoires, sans la sécurité de l'espace, de nos mers et de nos réseaux numériques, ni l'éducation, ni la santé, ni la continuité économique ne peuvent être garanties.
Les membres du RDSE voteront les crédits de la mission « Défense », parce que l'abstention ou l'hésitation auraient un coût stratégique bien supérieur. Notre but n'est pas de préparer un conflit, mais d'empêcher son déclenchement. Là sera notre véritable victoire ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Cédric Perrin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. François Bonneau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l'examen du projet de loi de finances est certes un exercice complexe, cette année comme l'année dernière, mais les menaces qui s'accumulent envers la France et l'Europe sont beaucoup plus concrètes, et nous obligent à doter nos forces armées des moyens nécessaires pour protéger nos concitoyens.
Ce qui était encore un tabou il y a quelques années fait désormais l'objet d'une prise de conscience parfaite : la France doit être prête en cas de conflit armé. Ce conflit ne serait d'ailleurs que la continuité de la guerre informationnelle et cyber que mène le Kremlin, pour ne citer que lui, à notre encontre.
En regardant plus en détail ce que financent les programmes de la mission « Défense », nous ne pouvons que saluer la surmarche de 3,5 milliards d'euros qui se traduit dans ce projet de loi de finances. Elle vient renforcer nos besoins dans des domaines aussi cruciaux que nos stocks de munitions, nos capacités spatiales et de communication, la préparation opérationnelle des forces, mais aussi nos capacités en drones.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait appelé, dès 2021, au rattrapage du retard pris par la France en matière de drones. Ces conclusions, depuis lors vérifiées par les retours d'expérience de leur usage massif en Ukraine, doivent enfin être pleinement prises en compte.
Nous tenons aussi à souligner le manque de transparence autour des dépenses concrètes que permettra cette surmarche. En effet, nous ne parvenons pas à en connaître les contours. Ce manque de transparence se retrouve aussi sur la disponibilité des matériels et l'activité des forces.
Nous comprenons que toutes ces données ne puissent être rendues publiques. Néanmoins, des indicateurs nous permettant de les mesurer étaient présents jusqu'en 2023 dans la maquette de performance du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». La suppression de ces indicateurs, qui nous permettaient d'évaluer concrètement l'efficacité de la dotation budgétaire que nous votons, est compréhensible, mais dommageable. Leur réapparition dans le prochain projet de loi de finances serait à étudier ; ainsi, le Parlement serait en mesure d'exercer pleinement sa mission de contrôle, surtout lorsqu'il vote des budgets en hausse.
Il faut aussi évoquer les reports de charges qui s'accumulent sur le budget du ministère des armées. À la fin de 2022, ils s'élevaient à 3,88 milliards d'euros ; à la fin de 2024, ils dépassaient les 8 milliards d'euros. Si cette hausse s'explique par l'inflation et le report de crédits, ou par son utilisation comme variable d'ajustement, il nous paraît important de lancer l'alerte sur ce sujet : en effet, cette dette pèse sur la soutenabilité des dépenses de la mission « Défense ». Les intérêts moratoires dus par le ministère des armées augmentent, imposant à notre BITD une prise de risque accrue pour innover, sans aucune garantie, à long ou court terme, de produire les matériels nécessaires, ce qui fragilise sa trésorerie.
Avant de conclure, je reviendrai sur deux sujets qui me semblent primordiaux.
En premier lieu, nous attendons l'actualisation de la loi de programmation militaire. Le texte voté en 2023 était déjà ambitieux, mais il convient désormais de revoir nos ambitions à la hausse. La dégradation continue des équilibres internationaux nous l'impose ; nous ne cesserons de le répéter : l'époque des dividendes de la paix est derrière nous, n'en déplaise à certains admirateurs du Kremlin, en France ou à l'étranger. Cette actualisation, nous l'attendions pour l'automne 2025 ; elle est repoussée au premier trimestre 2026. Nous ne pouvons qu'espérer qu'elle ne sera pas victime de l'instabilité chronique qui frappe le pays.
En second lieu, il est nécessaire d'avoir une vision prospective et stratégique pour nos équipements de demain. Nous devons investir dans les systèmes du futur et dans l'intelligence artificielle, tout en sortant d'une forme de conformisme qui nous conduit à renouveler des programmes dont l'intérêt est contestable. N'achetons pas sur étagère des matériels étrangers qui ne correspondraient pas à nos besoins ! Cette vision stratégique doit aussi nous inciter à arbitrer les questions de gouvernance des grands projets d'armement qui, pour l'instant, accumulent du retard.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François Bonneau. Face à l'ensemble de ces défis, pour reprendre les mots du général de Gaulle, « être inerte, c'est être battu ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand. (Mmes Marie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda applaudissent.)
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, un grand nombre de responsables politiques, de diplomates et de militaires nous alertent sur le retour de la force brute dans les relations internationales. Certains n'y voyaient qu'une hypothèse théorique, mais la réalité a balayé ces illusions. De l'Ukraine au Moyen-Orient, de la Méditerranée à l'Indo-Pacifique, nous assistons à une multiplication de signaux qui nous rappellent que la paix se maintient non pas par des déclarations, mais par la solidité de notre outil de défense.
La décision prise par les membres de l'Alliance atlantique, lors du sommet de La Haye, d'élever l'effort de défense à 3,5 % du PIB d'ici à 2035 n'est pas une posture politique, mais une nécessité. L'Europe est redevenue une zone dont la puissance militaire déterminera les grands équilibres du monde.
Le budget militaire de la France que nous examinons aujourd'hui y contribue par son changement de rythme et une hausse historique de ses crédits. Avec plus de 66 milliards d'euros en crédits de paiement, en augmentation de plus de 11 %, le budget militaire de notre Nation fait plus que respecter la trajectoire prévue : il l'accélère.
Cette accélération est rendue incontournable par l'intensité des conflits observés et par les ruptures technologiques, qui transforment les guerres et obligent notre défense à s'adapter. L'Europe est clairement menacée. Les multiples formes des agressions russes nous rappellent la permanence de cette menace. La France, seule puissance nucléaire de l'Union européenne, doit assumer son rôle particulier. Présente dans tous les milieux, qu'ils soient terrestre, maritime, aérien, spatial ou numérique, et sur tous les continents, la France dispose d'une particularité stratégique qui conforte sa singularité.
Nous avons donc le devoir de préparer nos forces, de moderniser nos capacités, d'assurer la protection de notre territoire, hexagonal et ultramarin, et de soutenir nos alliés.
Essentielle dans la prévention comme le règlement des conflits, notre diplomatie sera d'autant plus entendue et efficiente que nos forces militaires stratégiques seront redoutées.
C'est pourquoi je suis reconnaissant au chef d'état-major des armées (Cema) d'avoir réveillé les consciences populaires en s'adressant avec franchise à ceux qui les représentent le mieux aujourd'hui, les maires de France.
Le budget pour 2026 renforce nos équipements majeurs, soutient notre dissuasion et accélère des programmes que le conflit ukrainien a rendus essentiels, comme la production de munitions modernes et la généralisation des drones dans les unités.
Ce budget prend en considération les nouveaux champs de confrontation, que ce soit l'espace, le cyber, le renseignement ou les systèmes de commandement. Il consolide la montée en puissance de notre industrie de défense, sans laquelle tout effort militaire resterait théorique.
En outre, un outil de défense n'est rien sans les femmes et les hommes qui le servent. Pour la première fois depuis longtemps, les créations de postes prévues sont alignées sur ce qui a été programmé. Les mesures d'attractivité commencent à produire leurs effets. Les infrastructures d'hébergement et de soutien sont renforcées.
Il reste beaucoup à faire, notamment pour le logement ou l'accompagnement des familles, mais la direction prise est la bonne. Chaque soldat, marin ou aviateur doit se sentir soutenu et protégé par la Nation.
Une défense crédible repose aussi sur une société forte. La France n'est pas assez préservée de la montée des tentatives d'ingérence, de manipulation informationnelle ou d'opérations d'influence destinées à fracturer l'opinion ou à miner la confiance populaire dans nos institutions.
Le budget pour 2026 donne à nos services les moyens de mieux détecter et de combattre ces actions hostiles. Notre résilience dépend de la cohésion, de l'esprit civique, de la capacité de notre société à distinguer l'information fiable de la désinformation. Nous devons renforcer cette résistance intérieure et rester maîtres de nos choix.
L'augmentation du budget est salutaire, mais des interrogations subsistent, notamment sur la lisibilité de la surmarche ou sur la situation des reports de charges. Ce sont des questions légitimes, qui ne remettent toutefois pas en cause cette exigence fondamentale : le risque de guerre de haute intensité est bien là, et la France doit s'y adapter.
Ainsi, marqué par un effort important, le budget de la mission « Défense » est un investissement pour la France, pour notre sécurité et pour notre capacité à défendre nos intérêts économiques et nos valeurs universelles. Les dictateurs ont toujours théorisé leurs funestes projets : ne l'oublions pas, aujourd'hui moins que jamais.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, et en particulier parce que ce budget renforce concrètement notre capacité à protéger la Nation, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de l'adoption des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)