Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Cédric Perrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2026 restera dans les mémoires, à n'en pas douter, comme un exercice politique et institutionnel hors normes, mais notre pays y verra aussi un exercice de grammaire stratégique inédit, par lequel nous devons parvenir à faire concorder des temps budgétaire et militaire aujourd'hui largement désynchronisés.

En effet, c'est précisément au moment où nos finances sont au plus bas que nous devons fournir l'effort le plus résolu en matière de défense. C'est au moment où nous devons affronter les conséquences de décennies d'irresponsabilité budgétaire que la marche du monde nous astreint à restaurer des capacités militaires méthodiquement atrophiées au fil des ans.

La traduction financière de cette situation est abrupte : l'an prochain, les deux seuls postes de dépenses de l'État à connaître une hausse réellement significative seront la défense et le remboursement des intérêts de notre dette.

Naturellement, mon groupe et moi-même ne pouvons qu'être favorables à l'adoption des crédits supplémentaires proposés pour nos armées, tant ils sont nécessaires. Mais, dans le même temps, un tel niveau d'engagement de la Nation, dans un contexte budgétaire aussi dégradé, nous oblige : il doit plus que jamais nous conduire à démontrer à nos concitoyens le bien-fondé de chaque centime engagé.

À ce titre, je rappelle que les dépenses militaires sont parmi les dépenses publiques les plus performantes d'un point de vue économique.

En effet, investir un euro dans la défense, c'est gagner près de deux euros de PIB. C'est investir au profit de milliers d'entreprises, grandes ou petites, dont l'activité maille l'ensemble du territoire et fournit plus de 200 000 emplois. C'est investir dans le développement d'une recherche et dans le maintien de savoir-faire industriels qui irriguent tout notre tissu économique. En d'autres termes, investir dans la défense, c'est investir dans une croissance solide et de long terme.

Il s'agit, je l'affirme, d'une utilisation vertueuse des deniers publics, qui ne peut toutefois se suffire à elle-même. L'accès des entreprises de défense aux financements privés, en particulier bancaires, reste ainsi un sujet absolument central.

Mais, plus fondamentalement, il faut dire à nos concitoyens à quel point l'augmentation des crédits destinés à nos armées n'est pas un luxe, et encore moins une lubie. Au contraire, cela revient à regarder le monde tel qu'il est et, surtout, tel qu'il advient.

En effet, nul ne peut plus ignorer que notre monde bascule dans une nouvelle ère, marquée par le durcissement des confrontations et le recours désinhibé à la force. Sous l'effet conjugué des mutations économiques et technologiques, de l'effacement du réflexe multilatéral, des ambitions et des rivalités, les équilibres géopolitiques se redéfinissent avec une rapidité parfois déconcertante.

Dans ce contexte où logiques impériales et politiques de puissance façonnent de plus en plus l'ordre international, le premier défi qui se pose à la France et à ses partenaires européens réside, bien entendu, dans le retour de la guerre de haute intensité sur le continent et dans la poursuite de notre soutien à la résistance de l'Ukraine.

Depuis maintenant près de quatre ans, ce conflit a bouleversé toutes nos certitudes stratégiques et remis en cause tous les piliers de notre architecture de sécurité. Il a conduit la Russie à tester avec toujours plus de hardiesse nos réactions comme nos capacités, hier dans le cyberespace ou dans la sphère informationnelle, aujourd'hui avec le survol de nos espaces aériens par des avions militaires ou des drones, demain, peut-être, en se livrant à des provocations qui ne se limiteront plus aux seuls champs hybrides.

N'oublions pas, en effet, que la Russie a avant tout pour ambition de long terme de favoriser le retour aux sphères d'influence. Cette ambition repose sur le principe d'une vassalisation naturelle des faibles par les puissants. Inutile de préciser le rôle que Poutine et les siens attribuent à la Russie dans ce cadre, et celui qu'ils attribuent aux nations européennes…

Gardons à l'esprit que cette guerre a également servi de matrice au renforcement d'une alliance sino-russe qui, non contente de nous être ouvertement hostile, pourrait aboutir à une mise en concordance des appétits déclarés de Pékin en mer de Chine avec ceux de Moscou en Europe.

Or c'est précisément dans ce moment, sans doute le plus dangereux pour l'Europe depuis des décennies, que l'Alliance atlantique se fait la plus évanescente, entre menaces américaines de désengagement militaire et coups de boutoir politiques ou commerciaux portés aux pays du vieux continent. Nous ne pouvons fermer les yeux sur les nouvelles orientations politiques des États-Unis, exprimées avec brutalité dans leur stratégie nationale de sécurité parue il y a quelques jours.

Face à cet inquiétant tableau, nous n'avons d'autre choix que d'investir et d'innover pour nous tenir prêts à la guerre d'aujourd'hui, pour anticiper la guerre de demain. Ce qui se joue désormais, ce n'est pas simplement le rang de notre pays sur la scène internationale ou la défense d'intérêts plus ou moins lointains ; ce qui se joue aujourd'hui, c'est bien la sécurité des Français et la défense de notre liberté comme de notre souveraineté.

C'est pourquoi la trajectoire financière en nette hausse inscrite dans la dernière loi de programmation militaire était indispensable, même si – on ne peut que le constater aujourd'hui – elle demeure insuffisante.

En effet, lors de l'adoption de la LPM, puis lors de l'examen des projets de loi de finances qui ont suivi, nous avons été un certain nombre à expliquer que la programmation était insuffisamment dotée au regard des besoins qu'elle entendait satisfaire.

Je ne reviendrai pas sur les 13 milliards d'euros de crédits extrabudgétaires, qui sont en partie virtuels, comme nous le redoutions, mais l'exécution de la LPM a mis en exergue des limites qui vont au-delà de la chronique normale d'un début de programmation en croissance.

Entre le niveau réel de l'inflation, la charge croissante des restes à payer, le poids du lancement de grands programmes, ou encore les surcoûts imprévus de l'activité opérationnelle, d'importantes rigidités sont ainsi très vite apparues. Celles-ci se sont immédiatement traduites par une forte augmentation des reports de charge, une contrainte accrue sur les crédits consacrés à l'équipement des forces, et des commandes qui se sont fait désespérément attendre par nos industriels.

Les 6,7 milliards d'euros ajoutés au budget des armées l'an prochain permettront d'éloigner le risque de thrombose et de rétablir des marges de manœuvre qui apparaissaient de plus en plus minces : ils sont donc essentiels.

Mais un doute subsiste : s'agira-t-il, comme cela nous est présenté, d'un moyen d'accélérer et d'amplifier notre effort de réarmement, ou bien, plus modestement, de faire en sorte que la programmation budgétaire rattrape la programmation physique ?

Certes, ce projet de loi de finances permet des hausses de commandes. Elles sont réelles et importantes. Toutefois, il reste difficile de discerner les investissements qui relèvent de la trajectoire initiale de la LPM de ceux qui seront rendus possible l'année prochaine grâce à la surmarche budgétaire.

Or, madame la ministre, au vu des sommes engagées, une meilleure transparence est indispensable, autant pour accréditer la sincérité de la programmation que pour en renforcer l'acceptabilité.

En outre, malgré des déclarations au plus haut niveau concernant le nombre insuffisant de nos Rafales ou de nos frégates, je ne trouve pas, dans ce projet de loi de finances pour 2026, les premiers jalons vers l'élargissement du format de nos forces, dont nous savons qu'il demeure bien modeste au regard des enjeux.

Je salue cependant les efforts substantiels qui seront réalisés sur des segments dont les conflits récents ont montré le caractère fondamental : les drones, les munitions – notamment complexes et téléopérées –, la défense sol-air, ou encore les feux dans la profondeur.

À ce titre, l'augmentation, la diversification et la modernisation de nos capacités de frappe à distance sont effectivement d'une incontestable urgence. Mais permettez-moi de souligner que cette urgence ne doit pas nous conduire à la précipitation au moment de combler certains trous capacitaires, notamment concernant le remplacement du lance-roquettes unitaire. Dans ce domaine, suivons plutôt le sillon tracé par la LPM en cherchant une solution avant tout efficace et de préférence souveraine – comme le Sénat l'a demandé à plusieurs reprises.

Par ailleurs, l'indispensable « dronisation » de nos trois armées ne peut être dissociée de son corollaire défensif : je veux bien entendu parler de la lutte anti-drones, dont tout indique qu'elle doit devenir une priorité stratégique absolue. Ce domaine demeure néanmoins largement exploratoire ; les progrès à réaliser sont donc encore immenses. Ils ne sauraient se résumer à de simples slogans, annonçant par exemple la constitution de murs anti-drones qui n'ont absolument aucun sens…

Entendons-nous bien, la dimension européenne, puisque c'est bien d'elle qu'il s'agit, est fondamentale.

Dans son volet communautaire, qui ne cesse de s'étoffer, l'Europe doit bien sûr respecter scrupuleusement les souverainetés nationales, s'en tenir à un rôle de facilitatrice et ne pas chercher à exercer des compétences que les traités lui refusent explicitement.

En revanche, dans son volet intergouvernemental, elle peut nous permettre d'atteindre, dans certains segments, la masse, la cohérence ou la supériorité technologique indispensables pour l'emporter lors d'un affrontement majeur. Elle peut, au travers d'une préférence européenne qui reste à approfondir et à ancrer définitivement, nous permettre d'atteindre une autonomie stratégique toujours plus nécessaire.

Toutefois, la conduite de certains projets pour lesquels des sommes importantes sont mobilisées doit évoluer. Je pense bien sûr en premier lieu au système de combat aérien du futur (Scaf) et au système principal de combat terrestre (MGCS), qui sont aujourd'hui tombés dans l'ornière. Même si l'horizon de ces programmes devra, d'une manière ou d'une autre, être éclairci rapidement, ils illustrent en tout cas un impératif plus élevé, celui de repenser la méthode employée pour piloter les coopérations industrielles.

En tout état de cause, et en particulier depuis les récentes déclarations du Président de la République concernant le service national, les dotations de nos armées pour 2026 illustrent que la trajectoire financière de long terme devra être une nouvelle fois revue, puisque le service national volontaire reste à ce jour non financé. Au-delà des 6 milliards d'euros supplémentaires d'ores et déjà annoncés pour 2027, c'est donc bien une actualisation de la LPM qui devra être rapidement mise en chantier.

Il s'agit aussi d'être en cohérence avec le nouvel objectif fixé par l'Otan, celui de dépenses en matière de défense atteignant 3,5 % du PIB à l'horizon 2035. Naturellement, il s'agirait d'un nouvel effort absolument considérable. Je souhaiterais néanmoins le mettre en perspective avec les dépenses militaires réalisées durant une autre période particulièrement dangereuse pour notre continent, la guerre froide, au cours de laquelle les crédits ont globalement oscillé dans une fourchette allant de 3,5 % à 6 % du PIB.

Soulignons par ailleurs que les surcroîts d'investissements réalisés ou prévus par nombre d'autres nations, amies comme concurrentes, les placent à un niveau d'ambition comparable, voire supérieur à celui que nous évoquons.

Enfin, mes chers collègues, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer les hommes et les femmes qui servent sous nos drapeaux, sans lesquels la puissance de nos armées se réduirait à une simple vue de l'esprit. En rejoignant nos forces, ils ont fait un choix grave, le plus noble qui soit. En conscience, ils ont accepté de risquer leur vie pour le service de la patrie.

À ceux de ses enfants qui se battent pour elle, la France se doit donc de toujours honorer sa promesse. Jamais elle ne tolérera une quelconque forme de légèreté vis-à-vis de leur engagement. Jamais elle ne pourra, comme le Kremlin le fait en Ukraine, considérer leur vie comme quantité négligeable ou réduire leur sacrifice à un simple instrument.

S'il doit demeurer indéfectible, le souci que nous avons de nos soldats ne peut nous conduire à ignorer ce qu'est la réalité de la guerre ou à blâmer ceux qui la connaissent et qui nous la rappellent.

Cette réalité, nous devons accepter que d'autres, demain, puissent chercher à nous l'imposer. Il faut donc nous y préparer, tant matériellement, en renforçant les moyens de nos armées, que moralement, en offrant à ceux qui le souhaitent – ils sont nombreux ! – un cadre adapté et pertinent pour s'engager et servir.

C'est ainsi que, dans le monde tel qu'il se dessine, nous demeurerons une puissance crédible et dissuasive, que nous demeurerons une nation libre et souveraine, que nous conjurerons le spectre de la guerre au lieu de le hâter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes à un tournant de notre histoire : en témoignent la guerre en Ukraine, l'instabilité au Sahel, les conflits au Proche-Orient, la rivalité entre les grandes puissances, ou encore les actions de guerre hybride menées par la Russie sur notre propre continent, qui se traduisent par de la désinformation, des manipulations, des sabotages, ainsi que des survols de drones et des incursions aériennes.

Il nous faut regarder la réalité en face et réinvestir concrètement dans la défense de nos intérêts et la sécurité de notre pays.

Permettez-moi, avant d'aller plus loin, de saluer l'action remarquable de Sébastien Lecornu, alors ministre des armées, qui a su, avec détermination et clairvoyance, piloter ce réarmement historique. Sous son impulsion, la France a franchi un cap décisif : grâce à la mise en œuvre de la loi de programmation militaire, les crédits ont été préservés des coupes budgétaires et nos programmes d'armement ont été sécurisés. Les commandes atteignent des niveaux jamais égalés dans notre histoire récente. C'est le fruit d'un travail acharné et d'une vision stratégique assumée, travail poursuivi par notre nouvelle ministre des armées, Catherine Vautrin.

Il faut désormais un budget à la hauteur des enjeux qui nous attendent. Pendant des années, le budget de la défense était celui qui n'augmentait jamais.

Aujourd'hui, la menace est tout autour de nous : désinformation, cyberattaques, ingérences étrangères… Nous devons nous préparer pour y faire face : réarmer, produire nos munitions en masse, innover, former nos soldats, anticiper, renforcer la résilience de nos concitoyens et susciter, chez les plus jeunes, le patriotisme et l'esprit de défense !

C'est en ce sens que le Président de la République a annoncé, le 27 novembre dernier, le retour d'un service militaire volontaire, initiative que je salue vivement.

Le projet de loi de finances pour 2026 traduit très concrètement cette inflexion : la mission « Défense » voit ses crédits augmenter massivement, avec près de 7 milliards d'euros supplémentaires par rapport à l'année dernière.

Cette dynamique permet de tendre vers l'objectif fixé par le Président de la République : doubler le budget de la défense en une décennie. C'est un effort sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

Comme l'ont rappelé les précédents orateurs, ce budget exceptionnel traduit des priorités claires.

La première, c'est l'équipement de nos forces. Nous allons enfin moderniser massivement notre armée de terre, avec des centaines de nouveaux blindés et des chars Leclerc rénovés, renforcer notre flotte aérienne avec de nouveaux Rafale et avions de transport, poursuivre la construction de nos sous-marins nucléaires et frégates. Les livraisons concrètes s'accélèrent, les commandes explosent. C'est un changement de rythme enfin perceptible, comme le soulignent nos rapporteurs.

La deuxième priorité, c'est la préparation opérationnelle de nos soldats. Nos forces doivent s'entraîner davantage, manœuvrer dans des conditions réalistes. Les crédits destinés à l'entraînement et à l'entretien des matériels progressent sensiblement. L'objectif est clair : passer d'une armée calibrée pour la paix à une armée préparée aux combats de haute intensité. Nos militaires doivent pouvoir compter sur du matériel disponible et des munitions en quantité suffisante. L'exercice Orion de 2026, le plus ambitieux depuis la fin de la guerre froide, témoignera de cette montée en puissance.

La troisième priorité, c'est l'innovation et le renseignement. Face aux drones, à l'intelligence artificielle, aux cyberattaques et aux menaces spatiales, nous devons investir massivement dans les technologies de rupture. Le budget de la recherche de défense bondit, permettant de financer des projets d'avenir : drones de combat, armes laser, satellites de surveillance, et bien d'autres capacités stratégiques. Parallèlement, nos services de renseignement voient leurs moyens considérablement renforcés pour faire face aux menaces hybrides et à la guerre économique et protéger notre industrie de défense.

La quatrième priorité, ce sont nos militaires et le lien avec la Nation. Recruter, fidéliser, former : voilà les maîtres mots. Les salaires et les primes augmentent, les conditions de vie s'améliorent, les logements sont rénovés, les familles de militaires sont mieux accompagnées lors des mutations. Surtout, nous reconstruisons une véritable armée de réserve : l'objectif est d'atteindre le ratio d'un réserviste pour deux militaires d'ici à 2035. C'est toute la Nation qui doit se préparer !

Cet effort budgétaire irrigue aussi directement notre tissu industriel. De la Bretagne à la Provence, de la Normandie au Grand Est, nos grandes entreprises et nos PME bénéficient de carnets de commandes pleins, et créent de ce fait des milliers d'emplois qualifiés dans nos territoires. C'est notre souveraineté industrielle et technologique que nous rebâtissons.

Le défi est certes colossal, mais il est à la hauteur d'une puissance militaire comme la nôtre.

Pour résumer, ces crédits de la mission « Défense » traduisent un effort budgétaire hors normes, à la hauteur des menaces auxquelles notre pays est confronté. Ce budget engage la France sur le temps long : il renforce nos capacités, soutient notre industrie, améliore la situation des personnels et permet de franchir une nouvelle étape dans les rapports entre la Nation et ses armées.

Notre responsabilité de législateur est triple : il importe à la fois de donner à nos armées les moyens dont elles ont besoin, de garantir la sécurité des Français, et de réaffirmer la place de la France parmi les grandes puissances militaires.

Comme l'a déclaré le chef d'état-major des armées, « il faut montrer que nous faisons cet effort, car si nous ne sommes pas capables de le faire maintenant, nous envoyons un nouveau signal de faiblesse. […] La détermination et la force morale de notre nation sont mises à l'épreuve. »

Dans cette perspective, les membres du groupe RDPI voteront en faveur de l'adoption des crédits de cette mission. Il y va de notre sécurité à tous ! Il y va de notre avenir et de celui de la France ! (M. François Patriat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Guiol applaudit également.)

M. Rachid Temal. Mesdames les ministres, d'abord, permettez-moi de vous saluer au nom du Parlement, puisque c'est la première fois, ce matin au Sénat, que vous défendez le budget de vos ministères, l'Assemblée nationale vous ayant privé d'un premier examen de ces crédits… Soyez les bienvenues dans notre belle et bonne maison !

J'ai également une pensée pour les femmes et les hommes qui composent nos forces armées. Je rends hommage à leur engagement et à leur professionnalisme. Rappelons qu'ils protègent nos compatriotes, notre pays, nos valeurs, que ce soit dans l'Hexagone, dans les outre-mer, sous mandat tricolore, sous mandat de l'ONU, au titre de l'Union européenne ou dans la cadre de l'Otan – je pense à cet instant à la Roumanie, pays dans lequel nous sommes nation-cadre pour le compte de l'Alliance atlantique.

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le budget pour 2026 de la mission « Défense » est sans doute le premier d'un nouveau cycle. En effet, nous changeons de monde : nous connaissions autrefois les deux blocs, qui incarnaient une forme d'équilibre, puis est venue l'époque des dividendes de la paix, qui a désormais pris fin. Aujourd'hui, il faut le dire clairement et le garder à l'esprit : nous sommes à l'ère du retour des empires !

Dorénavant, la France et l'Europe sont seules. Elles doivent en prendre conscience et l'assumer. Elles doivent aussi agir en conséquence, sous peine de « sortir de l'histoire ». Tel est le défi auquel notre Nation est confrontée, mesdames les ministres.

L'année 2025 marque le début d'un cycle particulier. Permettez-moi de dresser un rapide bilan de cette année si particulière, à commencer par celui de la situation outre-Atlantique.

Je pense bien sûr à l'investiture du nouveau président des États-Unis d'Amérique, en janvier dernier.

Je pense aussi aux propos du vice-président américain, tenus dès le mois de février à Munich, lequel appelait non pas à détruire l'Europe, mais à changer les régimes européens, en faisant très clairement campagne pour des partis nationalistes, qu'ils agissent en France, en Allemagne, ou en Angleterre.

Enfin et surtout, je tiens à évoquer la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, publiée il y a quelques jours : celle-ci reflète une nouvelle doctrine, très simple, qui consiste à réaffirmer un camp occidental, que les États-Unis veulent naturellement dominer de tous points de vue, notamment sur le plan civilisationnel, et dans lequel il faudrait réintégrer la Russie.

Comme je le disais, la France et l'Europe sont donc seules : on peut désormais imaginer que les États-Unis se retirent, totalement ou partiellement, ou à tout le moins que leur présence s'amoindrisse au sein de la défense européenne. Il faudra assumer cette nouvelle donne, à la fois financièrement et politiquement – j'y reviendrai tout à l'heure.

C'est aussi au cours de l'année 2025 que nous avons pu observer, encore une fois, le courage du président Zelensky, de ses forces armées et de son peuple, qui sont, je le souligne, attaqués pour la seconde fois par Vladimir Poutine. À toutes celles et tous ceux qui s'interrogent sur les raisons qui justifient que l'on poursuive le combat, je répondrai que c'est parce que le président russe ne cesse, depuis 1999 et son arrivée au pouvoir, d'attaquer les pays voisins de la Russie.

N'oublions pas non plus le chantage exercé par les Américains ces derniers mois : les États-Unis ont privé l'Ukraine d'armes et bloqué ses capacités de communication et d'information, ce qui l'a rendue aveugle aux attaques de drones ou de missiles. C'est aussi cela, la réalité de la politique américaine aujourd'hui !

Il ne serait pas inutile, mesdames les ministres, que nous rediscutions de l'accord de sécurité entre la France et l'Ukraine, enjeu central d'une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, qui a eu lieu dans cet hémicycle il y a quelques mois. Si nous avons approuvé cette déclaration en grande pompe, nous n'avons plus eu de nouvelle de l'accord depuis lors. Il conviendrait de remettre ce sujet sur la table.

Il serait également important, comme l'a dit le rapporteur spécial, de reparler des moyens que nous consacrerons au soutien à l'Ukraine l'an prochain. En effet, d'après tous les spécialistes, la Russie sortira renforcée de ce conflit. Or elle sera toujours proche de nous, elle se situera toujours en Europe. Nous devons donc nous poser les bonnes questions. Il s'agit non pas de pactiser avec Poutine, mais d'envisager notre avenir. Après tout, comme se plaisait à le dire Napoléon, « on a la politique de sa géographie » !

Évoquons aussi la question chinoise. Le dernier voyage du Président de la République l'a bien montré : la Chine refuse de voir son soutien à la Russie remis en question. La Chine a aujourd'hui des visées impérialistes sur Taïwan, mais aussi sur l'Indo-Pacifique, zone où nous sommes présents et où vivent certains de nos compatriotes. Il faut bien avoir cette réalité à l'esprit. La Chine a fait de la Russie son nouvel allié, voire son nouveau vassal.

Je n'oublie évidemment pas les autres principaux conflits de cette année, parmi lesquels l'affrontement entre deux puissances nucléaires, l'Inde et le Pakistan, ou celui entre deux grandes puissances, l'une dotée de l'arme nucléaire, Israël, l'autre en passe de l'obtenir, l'Iran. Cette situation géopolitique pose quantité de problèmes.

Je ne m'étendrai pas davantage, mais je pourrais également évoquer les questions de la dronisation, du départ de la France du continent africain, de la situation au Moyen-Orient et de la guerre à Gaza, du dixième anniversaire des attentats terroristes de Charlie Hebdo, du Bataclan et du Stade de France, ainsi que de la guerre au Mali et au Sahel ; en France comme ailleurs, la menace terroriste ne faiblit pas.

Ce sont autant de formes de crise auxquelles il faut bien sûr ajouter le risque climatique. À cet égard, chacun sait bien que l'échec de la dernière COP conduira, demain, à de nouveaux différends autour de la question climatique – je pense évidemment à l'enjeu de l'accès à l'eau.

Voilà la réalité du monde, mes chers collègues.

Certes, il nous reste l'Otan… De ce point de vue, chacun s'est satisfait du consensus de La Haye : seraient portées à 3,5 % du PIB les dépenses militaires stricto sensu, avec 1,5 % supplémentaire pour les autres dépenses de sécurité, au sens large – chacun y mettra ce que bon lui semble…(Sourires.)

Mais soyons honnêtes : comment pourrions-nous accepter, comme il est indiqué dans la déclaration du sommet de La Haye, de lever les obstacles qui freinent la coopération entre industries de défense américaines et européennes ? Comment, dans le même temps, pourrions-nous continuer à affirmer qu'il nous faut développer une industrie européenne de la défense ? Ce sont autant des questions qu'il nous faut nous poser. En somme, oui à l'Otan, mais restons lucides !

Quant à la coopération européenne, comme d'autres l'ont dit avant moi, l'UE peut développer des dispositifs utiles en la matière ; cependant – disons-le franchement –, la défense doit continuer de relever de la compétence des États.

Le mois de juillet dernier a été marqué par la publication de la revue nationale stratégique, voulue par le Président de la République. Certes, nous avons entendu des annonces, mais, dans ce moment de bascule, notre salut tient davantage à notre capacité à relever un quadruple défi.

Il faut tout d'abord une volonté politique. Je crois que, dans l'ensemble, celle-ci existe, sauf au sein de certains partis qui ont plutôt tendance à regarder du côté de Moscou ou de Washington, et dans certains médias qui sont aujourd'hui des agents de propagande. À ce sujet, madame la ministre, je rappelle que Dominique de Legge et moi-même avons récemment commis un rapport au nom de la commission d'enquête sur les opérations d'influences étrangères : il serait temps que nous nous dotions d'une vraie politique nationale dans ce domaine.

Le deuxième effort doit être financier : celui-ci résultera notamment du débat budgétaire que nous avons ce matin. À ce propos, je sais bien que l'on parle d'une progression du budget de l'ordre de 6,7 milliards d'euros, mais l'honnêteté commande de dire que 3,5 milliards d'euros étaient déjà budgétisés. En réalité, la hausse n'est que de 3,2 milliards d'euros – c'est déjà beaucoup, mais il est bon de dire la vérité aux Français !

Il faut aussi une véritable volonté industrielle. En la matière, nous avons besoin d'une politique ambitieuse : passer des commandes ne suffira pas ; il sera nécessaire d'agir différemment, d'inventer de nouvelles manières de produire.

Enfin, le dernier défi qui se pose à nous est celui de la résilience. En la matière, il y a beaucoup à faire. Comment y associer les Français ? En vérité, il faut éviter de les affoler ; nous devons plutôt leur expliquer que nous sommes dans le camp de la paix. Aujourd'hui, la guerre et la violence sont en effet à chercher du côté du Kremlin ou de la Maison-Blanche. La France, elle, appartient bel et bien au camp de la paix. Comme nous y invitait Jean Jaurès, il faut être pour la paix tout en étant prêt pour gagner la guerre si la France est attaquée.

Mes chers collègues, revenons-en à ce budget. Comme cela a été rappelé, les crédits de la mission « Défense » sont en hausse ; c'est une bonne chose.

Mais la question qui se pose aujourd'hui est celle de l'architecture de notre défense, qu'il faut articuler différemment.

On a beaucoup évoqué le service national volontaire ces derniers jours. Il faudra s'interroger à la fois sur son financement et sur sa complémentarité avec les militaires professionnels et les réservistes. Il faudra permettre à ces volontaires de se rendre sur les théâtres d'opérations, notamment en Roumanie, faute de quoi il ne s'agira pas de véritables militaires. C'est un sujet qui me tient à cœur.

Au-delà de notre architecture de défense, des forces capacitaires de la France, du rôle de l'Otan et de l'Union européenne, notre devoir est de nouer des accords de partenariat avec certains pays du Sud. Ne nous laissons pas enfermer dans une logique où l'Occident serait contre le reste du monde. Nous n'y gagnerions rien.

Madame la ministre, nous souhaitons que le Parlement soit mieux associé à ces questions, en séance publique comme en commission, et que vous puissiez travailler en toute transparence avec l'ensemble des groupes politiques.

Les membres du groupe SER voteront en faveur de l'adoption de ces crédits, comme nous l'avons toujours fait. Je vous rappelle que nous avons très largement participé à la revue nationale stratégique et contribué à ce que la LPM soit bonifiée.

Aujourd'hui, nous voterons ce budget, tout en espérant qu'un débat sur la stratégie de défense de notre pays puisse s'engager par la suite. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. André Guiol et Olivier Cigolotti applaudissent également.)