N° 88
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 novembre 2001
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2002 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME VIII
RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Par M. Pierre LAFFITTE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernard Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Voir
les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
3262
,
3320
à
3325
et T.A.
721
Sénat
:
86
et
87
(annexe n°
33
)
(2001-2002)
Lois de finances . |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Dans le budget de la France, comme dans celui de l'Europe, la recherche et la
politique d'appui à l'innovation qui doit l'accompagner constituent une
priorité absolue si l'on veut éviter le déclin.
C'est elle, en effet, qui nous permettra de nous préparer à une
mondialisation, en partie inéluctable, qui voue les produits à
faible valeur ajoutée à être élaborés
ailleurs.
Or, le projet de budget pour 2002 ne traduit pas cette nécessité.
Le budget civil de recherche et développement, qui s'établit
à 8,72 milliards d'euros, n'augmente qu'au même taux
(2,2 %) que l'ensemble du budget de l'Etat, et celui du ministère
de la recherche, que de 0,9 %, moins que l'inflation. Son poids relatif
dans le produit intérieur brut diminue, même si le
ministère gère le budget civil de recherche et
développement et dans une certaine mesure la recherche universitaire.
Dans les comparaisons internationales, la France est en position honorable pour
le nombre de chercheurs pour mille habitants, mais les données qui
cernent la progression annuelle de l'emploi scientifique sur les
dernières années de ce siècle lui sont, en revanche,
beaucoup moins favorables, ce qui est inquiétant.
Malgré la loi sur l'innovation que la commission des affaires
culturelles a beaucoup améliorée et fait adopter dès la
fin de session d'été 1998/1999, nous sommes loin d'un grand
élan, d'un grand dessein dont nous avons besoin et qui devrait
constituer un acte politique majeur, indispensable et traversant les clivages
traditionnels de notre paysage politique.
Je regrette que la recherche et l'innovation ne se manifestent pas comme une
priorité nationale, et que le projet de budget ne reflète pas les
ambitions affichées en mars 2000 par le Conseil européen de
Lisbonne qui voulait faire de l'Union l'Economie de la connaissance la plus
compétitive et la plus dynamique du monde.
Pour autant, les priorités définies par le ministre, et traduites
dans le projet de budget ne sont pas contestables : recherche dans les
sciences du vivant, technologies de l'information et de la communication,
environnement... Elles correspondent d'ailleurs bien souvent à des
orientations que nous prônions depuis longtemps. C'est donc une source de
satisfaction.
On peut aussi se féliciter de l'effort consacré par le
ministère à l'innovation et aux transferts de technologie.
La loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999, à
l'élaboration de laquelle la commission des affaires culturelles avait
largement contribué par le dépôt d'une proposition de loi,
a donné un choc psychologique salutaire dans la communauté
scientifique.
Regrettons d'autant plus les retards pour le texte d'application, concernant
les services d'activités industrielles et commerciales (SAIC). Les
incubateurs publics sans structure professionnelle de valorisation sont bien
démunis. Le transfert et le passage de l'idée innovante au projet
d'entreprise et à son financement sont des activités
professionnelles qui ne souffrent pas l'improvisation : politique de
propriété industrielle, rédaction de brevets et de
contrats de licence, levée de fonds, commercialisation des
activités, tout ceci est de nature industrielle.
Il faut aussi saluer des initiatives comme le concours national d'aide à
la création d'entreprises, l'appel à projets
« incubation et capital amorçage des entreprises
technologiques », ou encore la constitution du Fonds public pour le
capital risque puis du Fonds de promotion pour le capital risque, dont la
gestion est confiée à la Caisse des dépôts et
consignations.
Il est clair, en outre, que le développement des entreprises innovantes
et le renforcement de leurs investissements, phénomènes encore
récents, sont dus dans une bonne mesure à l'appui qu'elles
reçoivent de l'ANVAR. Or, les aides qu'apporte l'ANVAR aux entreprises
prennent, le plus souvent, la forme d'avances remboursables.
Il faut, nous semble-t-il, envisager aussi d'autres formes d'interventions pour
permettre à l'ANVAR de participer aussi -de façon modeste mais
efficace- à la phase la plus délicate du capital risque, la phase
de l'amorçage. La transformation dans certains cas d'avance
remboursable, en participation au capital serait adaptée à des
interventions dans des secteurs à la fois risqués et très
rentables en cas de réussite.
Cette politique (concours de créations d'entreprises innovantes,
incubateurs, capital amorçage) n'est pas étrangère au
renforcement de l'effort de recherche des entreprises qui dépasse depuis
1995 l'effort de recherche public. Il convient donc de la renforcer et de
l'adapter.
Parmi les motifs de satisfaction, il faut aussi relever la timide percée
d'une fiscalité favorable avec la création, en 1998, des bons de
souscription de parts de créateurs d'entreprises, qui permet à
des entreprises de moins de 15 ans d'attirer des salariés en les
intéressant à leur croissance. Il conviendrait d'élargir
ce dispositif en mettant en place un système de stock options
transparent et s'adressant à la majorité des salariés
d'une entreprise, ou encore en permettant aux créateurs d'entreprises de
mettre dans leur plan d'épargne en actions plus du quart des actions de
leur société, bref, en promouvant une fiscalité plus
flexible et plus propice aux créations d'entreprise.
D'autres aspects de la politique de recherche, telle qu'elle résulte du
projet de budget, paraissent plus critiquables.
Il en va aussi, tout d'abord, de l'absence de politique massive de
démocratisation de la culture scientifique et technique. C'est une
grande carence. Car seule une action énergique en ce domaine permettra
à l'homme du XXI
e
siècle de participer activement au
développement durable et de ne pas céder à la tentation de
l'obscurantisme, au retour en force duquel nous sommes en train d'assister.
Certes, le ministère consacre quelques crédits à des
opérations, au demeurant sympathiques et positives, comme la fête
de la science ou le train du génome, mais ces initiatives paraissent
dérisoires rapportées aux enjeux en question.
La confiance dans un progrès maîtrisé, dans la rigueur des
sciences, élargies aux sciences humaines (trop injustement
délaissées), doit être encouragée par une large
politique de démocratisation du savoir, fortement
médiatisée et soutenue par toutes les forces vives et
institutions.
La diffusion des sciences et techniques doit concerner tous les niveaux, tous
les lieux publics et être accessible dans toutes les écoles,
toutes les mairies, les services publics et les media.
Les nouvelles structures d'organisation qu'implique l'accès
généralisé aux connaissances restent inconnues sauf de
cercles restreints.
On ne peut se contenter, en ce domaine, de quelques grands organismes parisiens
dont le coût de fonctionnement se compte en centaines de millions
d'euros, alors que le reste du territoire, dix fois plus peuplé, obtient
des crédits dix fois moindres.
Il faut donc créer d'autres centres, et utiliser d'autres
méthodes qui permettent de toucher toutes les régions, et
d'intéresser tous ceux qui, actifs ou retraités, ont le
goût de transmettre leur enthousiasme, leur compétence et leur
joie de connaître... et démontrer ainsi que seul le savoir
maîtrisé permettra à l'humanité de poursuivre un
progrès et d'éviter de retomber dans un obscurantisme
moyenâgeux.