B. LA GESTION DES SITUATIONS DE CRISE : VERS UN DÉSENGAGEMENT DE L'ETAT ?

1. L'Etat pilote, l'assurance maladie finance

L'action « gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises » a pour objet de garantir la pertinence des décisions des autorités en cas de crise. Pour ce faire, un département spécialisé dans le traitement des situations d'urgence a été créé au sein de la DGS par arrêté du 14 octobre 2004, en application de la loi du 9 août 2004 qui affirme la responsabilité de l'Etat en matière de réponses aux alertes sanitaires. Ce département dispose de vingt agents répartis entre un pôle scientifique et un pôle logistique et financier.

Il a notamment pour mission de coordonner les actions de lutte contre le terrorisme biologique et chimique et de développer des plans de réponse aux situations d'urgence sanitaire . Ces plans ont pour objet de faciliter la mise en oeuvre rapide des mesures nécessaires à la gestion d'une crise. Ils consistent, pour un risque identifié, à élaborer des procédures à respecter et à nommer les acteurs responsables de leur mise en oeuvre. Ils prévoient la participation à des exercices, ainsi que l'exploitation des retours d'expérience et sont traduits localement au sein des plans régionaux de santé publique (PRSP).

En 2004, un plan de lutte contre la pandémie grippale et un plan canicule ont ainsi été élaborés. En revanche, l'annexe « peste-charbon-tularémie » du plan Biotox, la révision du plan variole et le plan de réponse contre une menace de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) n'ont pas encore vu le jour, ce que votre commission regrette.

Outre l'élaboration des plans de réponses, cette action comprend l'évaluation du signal d'alerte et les procédures de décision . Il s'agit de mobiliser l'ensemble des informations et des connaissances utiles pour analyser un signal et prendre les décisions d'urgence pertinentes. Dans ce cadre, après un exercice grandeur réelle réalisé dans le Loiret le 14 juin 2005, le niveau 3 du plan canicule a été activé dans les départements du Bas-Rhin, de l'Isère, de la Savoie et dans ceux de la région parisienne au cours du mois de juin 2005.

Enfin, l'action « gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises » prévoit la mobilisation de moyens en cas de situation exceptionnelle impliquant une intervention logistique importante sur le terrain, par exemple une opération de vaccination de masse. Sont également concernés les achats de produits de santé à effectuer à ce titre. Ainsi, plus de 350 millions d'euros ont été consacrés à la constitution de stocks de médicaments et de matériels à des fins de protection de la santé depuis 2001.

Deux objectifs sont assignés à la mise en oeuvre de ces missions pour en mesurer l'efficacité :

- améliorer la qualité de la gestion des alertes sanitaires , selon deux indicateurs de performance : le pourcentage de procédure modifiées ou créées dans un délai de douze mois suivant une alerte sanitaire, qui doit atteindre 75 % en 2006 ; le pourcentage d'agents, assurant des astreintes, formés à la gestion des alertes sanitaires ;

- disposer de plans opérationnels de réponses à la menace sanitaire . L'indicateur de performance associé à ce second objectif est la conformité de l'avancement des travaux d'élaboration, de préparation, de diffusion et d'évaluation des plans aux calendriers de travail initiaux.

Pour 2006, les crédits de l'Etat affectés à cette action s'élèvent à 7,9 millions d'euros, soit seulement 7,6 % des crédits du programme. Ils enregistrent une diminution de 16,3 % par rapport à l'année précédente. La moitié de ces crédits (3,4 millions d'euros) sont distribués aux agences concernées par les mesures de l'action, notamment à l'InVS, auquel revient la responsabilité d'alerter le ministre de la santé en cas de menace pour la santé de la population.

La subvention aux agences pour l'action
« gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises »

Agences

Subventions
(en millions d'euros)

Institut de veille sanitaire

3,1

Agence française de sécurité sanitaire des aliments

0,1

Agence française de sécurité sanitaire environnementale et du travail

0,2

Total

3,4

Source : Direction générale de la santé

Par ailleurs, 3,1 millions d'euros de crédits de fonctionnement sont alloués au financement des campagnes de vaccination en cas de crise, aux besoins logistiques des plans, au remboursement aux régions des frais liés à la prophylaxie des méningites, du dépistage de la rage, de l'édition d'un guide sur la vulnérabilité de la ressource en eau et de la gestion du système d'information des centres antipoison (Sicap).

Enfin, des crédits d'intervention sont inscrits à hauteur de 1,4 million d'euros pour l'astreinte des laboratoires du réseau d'analyse des eaux (ce réseau sera étendu à onze laboratoires contre sept actuellement) et pour le dispositif de réponse toxicologique urgente des centre antipoison en cas de bioterrorisme ou de pollution chimique accidentelle.

La diminution de la dotation de cette action en 2006 s'explique par deux facteurs :

- le fonds créé par la loi relative à la politique de santé publique pour les situations d'urgence (hyper-endémie de méningite, épidémie de SRAS ou de légionellose, inondations, etc.) ne sera pas alimenté par l'Etat en 2006. Seule l'assurance maladie y versera une contribution. Il a été doté d'un million d'euros en 2005 par l'Etat et l'assurance maladie ;

- l'assurance maladie participera largement au financement des plans grippe aviaire et Biotox en 2006 par le biais d'un fonds de concours de 177,7 millions d'euros attaché à l'action.

A ce titre, votre commission ne peut que s'interroger sur l'absence de traduction budgétaire, dans le présent projet de loi de finances, de l'annonce faite par Xavier Bertrand concernant l'augmentation de la dotation du programme « veille et sécurité sanitaires », à hauteur de 177 millions d'euros, pour le financement, par l'Etat, des mesures de lutte contre l'épidémie de grippe aviaire.

Elle s'étonne donc du paradoxe que constitue la politique de gestion des crises sanitaires, fonction régalienne relevant de l'Etat, confiée à la DGS mais financée, au final, par l'assurance maladie.

2. Un sujet majeur d'inquiétude

Les actions menées en matière de gestion des risques sanitaires, traditionnellement moins dotées que d'autres sur le programme « veille et sécurité sanitaires », seront, en 2006, significativement renforcées, grâce à l'apport financier de l'assurance maladie, afin de mettre en oeuvre les mesures de protection face au risque d'une pandémie de grippe aviaire .

A ce jour, malgré quelques cas suspects, la preuve n'est pas établie d'une contamination interhumaine du virus H5N1, qui a causé la mort, depuis plus d'un an, de millions d'oiseaux, de plusieurs centaines de mammifères et de près de soixante-dix personnes dans les pays du Sud-Est asiatique et en Asie centrale. Un risque de pandémie directement due au virus H5N1 actuel semble donc pouvoir être écarté. En revanche, une mutation lui permettant d'acquérir les caractéristiques d'un virus à potentialité humaine est possible, tout comme une combinaison avec un virus grippal existant. Ce nouveau virus pourrait alors être responsable d'une pandémie, d'autant plus dévastatrice s'il devait associer l'agressivité de la composante aviaire et la contagiosité de la grippe humaine.

C'est à ce scénario, considéré par l'OMS comme plus que vraisemblable, que la France se prépare avec la mise en oeuvre du plan de lutte contre la pandémie grippale, présenté au Conseil des ministres du 13 octobre 2004, conformément au principe, désormais constitutionnel, de précaution.

Ce plan comprend trois volets :

- le premier volet concerne, quel qu'en soit le lieu, une épizootie touchant quelques personnes, mais sans transmission directe d'homme à homme. Il prévoit l'interdiction de toute importation de volailles en provenance des pays touchés et l'abattage des élevages contaminés afin de prévenir l'introduction du virus en France et de contrôler sa diffusion. La protection des personnes en contact avec les élevages infectés et la diffusion d'une information destinée aux voyageurs qui pourraient être concernés, tendent en outre à prévenir la propagation de la maladie à l'homme. Ce volet est actuellement appliqué ;

- le deuxième volet ne s'appliquerait que dans le cas d'une transmission interhumaine de faible ampleur , constatée par l'OMS. L'objectif serait alors d'éviter par tous les moyens l'apparition du virus sur le territoire national. En coordination avec les pays européens de l'espace Schengen, des mesures de restriction, voire de suspension des voyages à partir des zones infectées, pourraient être prises. Elles pourraient comporter des mesures d'isolement des voyageurs en provenance des zones infectées et l'administration de traitements antiviraux préventifs aux personnes ayant été en contact avec ces malades ;

- enfin, le troisième volet est prévu en cas de pandémie , afin d'organiser une réponse adaptée du système de santé à un afflux massif de patients. Ses dispositions organisent la diffusion du vaccin, une fois celui-ci conçu et produit, et l'utilisation des antiviraux pour le traitement des patients. Ces mesures, soumises à la concertation de tous les responsables, pourront être adaptées et perfectionnées en fonction du progrès des connaissances et des innovations thérapeutiques.

Compte tenu de l'évolution rapide et inquiétante de la situation en Asie et de la découverte des premiers élevages infectés en Europe orientale (Grèce et Roumanie) et en Turquie, la France a réactualisé son plan au mois d'octobre 2005. Il conserve son organisation en trois volets et se voit renforcé dans trois domaines : la prévention du passage d'un virus grippal aviaire à un virus grippal hybride dangereux pour l'homme, l'information et la protection des populations :

- la prévention , en phase pré-pandémique consiste à détecter l'apparition d'un nouveau virus grippal et à en contenir la diffusion, avec l'interdiction des importations en provenance des pays contaminés et la surveillance renforcée des oiseaux migrateurs et domestiques, ainsi que des volailles.

- l' information de tous les Français, en temps réel, sur l'ensemble des mesures adoptées, notamment via les sites Internet gouvernementaux et grâce à la plate-forme téléphonique « Info grippe aviaire » mise en place par le ministère de la santé et des solidarités .

- la protection vise à organiser une réponse du système de santé adaptée à l'augmentation massive et rapide des besoins de prise en charge de la population et à limiter l'impact global du virus sur la société. Il s'agit notamment de la fourniture de masques, de médicaments et de vaccins.


Les moyens de protection disponibles en cas de pandémie

Les masques

Un stock de cinquante millions de masques de protection FFP2 est d'ores et déjà constitué à ce jour. Soixante-dix millions supplémentaires seront disponibles d'ici la fin de l'année et, dans le courant de l'année 2006, des masques seront fabriqués sur le territoire en quantité suffisante pour toute la durée de la pandémie. Pour les malades, la France dispose également déjà de cinquante millions de masques anti-projections et quatre cents millions sont prévus en 2006.

Un prototype de masques lavables, réutilisables et facilement accessibles pour la population est actuellement à l'étude pour permettre leur utilisation pendant plus de six heures, soit au-delà de leur durée actuelle de vie maximale.

Les médicaments antiviraux

Près de quatorze millions de doses de Tamiflu sont en réserve et dix millions supplémentaires seront disponibles en 2006. En outre, 200.000 traitements de Relenza sont en stock à ce jour. D'ici deux ans, ce chiffre doit être porté à neuf millions.

Les vaccins

Deux millions de doses de vaccin pré-pandémique H5N1 seront disponibles à partir du début de l'année 2006, bien qu'on puisse douter de son utilité en cas de mutation du virus, et quarante millions de doses de vaccins adaptés au nouveau virus sont précommandées et seront disponibles lorsque le vaccin pourra être élaboré, c'est-à-dire lorsque le virus grippal aviaire, devenu un virus grippal hybride dangereux pour l'homme, sera identifié dans sa forme évoluée.

Votre commission souligne la volonté de transparence et la pédagogie dont a fait preuve le Gouvernement depuis l'accélération de l'évolution de l'épizootie. Elle approuve largement les mesures mises en oeuvre, qui permettent aujourd'hui à la France d'être l'un des pays les mieux préparés à la survenance d'une pandémie.

Elle regrette toutefois, même si elle comprend la nécessité de mobiliser l'ensemble des moyens disponibles pour cette cause, que l'Etat n'ait pas pris en charge directement le financement de ce plan, qui ressort typiquement de ses missions régaliennes, et l'ait mis à la charge de l'assurance maladie déjà lourdement déficitaire .

3. Quels moyens pour la lutte contre le bioterrorisme ?

Votre commission avait déjà critiqué le principe du transfert de charge à l'assurance maladie à propos du plan Biotox, financé, comme le sont aujourd'hui les mesures de lutte contre la grippe aviaire, par le fonds de concours destiné à pourvoir aux dépenses de produits de santé nécessaires en cas de menace sanitaire grave . Ce fonds avait été créé par l'article 42 de la loi du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, initialement en vue de l'achat, du stockage et de la livraison par l'Etat de traitements pour les pathologies résultant d'actes terroristes. Il a par la suite été étendu plus largement à toutes les graves menaces sanitaires. Il s'agit du fonds de concours précité, rattaché, pour l'exercice 2006, à l'action « gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises ».


Les réponses au risque bioterroriste

L'intoxication collective à la salmonelle en septembre 1984 aux Etats-Unis a montré, pour la première fois, l'étendue des effets d'une action terroriste utilisant des agents pathogènes. La menace bioterroriste s'est ensuite renforcée avec la crise des enveloppes au charbon à l'automne 2001 aux Etats-Unis, à la suite de l'attentat du World Trade Center. Aujourd'hui, l'apparition d'agents infectieux obtenus grâce au génie génétique est désormais redoutée. Au total, l'Otan recense quatorze agents, dont quatre présentent des risques d'usage à des fins terroristes : la variole, le charbon, la peste et la toxine botulinique.

Le plan Biotox a pour objet de contrer les actes de terrorisme biologique, consistant en l'emploi malveillant ou la menace exprimée d'emploi malveillant d'agents biologiques infectieux ou de toxines contre les personnes, l'environnement ou les biens. La contamination des réseaux d'eau potable, des chaînes agroalimentaires et pharmaceutiques est particulièrement concernée. Le plan est décliné par les différents ministères concernés, par les zones de défense et, chaque fois qu'il y a lieu, par les départements. En effet, en cas d'urgence, tout ou partie des mesures prévues peuvent être prises sur l'initiative du Premier ministre, des ministres et des préfets, sans déclenchement formel du plan, décidé, comme sa levée, par le seul Premier ministre.

Le plan comprend une partie opérationnelle précisant les mesures à prendre au niveau gouvernemental et des fiches de première réaction correspondant à une dizaine de situations considérées comme vraisemblables, compte tenu de l'expérience acquise dans la lutte contre le Sras.

La seconde partie, qui vise à faciliter la mise en oeuvre du plan, comporte des fiches décrivant les principaux dispositifs interministériels permettant de répondre, en première intention, à une menace ou à un attentat avéré de nature biologique :

- le réseau de conseillers-experts et des laboratoires Biotox-Piratox ;

- les bases de données à usage interministériel ;

- le dispositif « plis, colis et substances suspectés de contenir des agents biologiques, chimiques ou radioactifs dangereux » ;

- le détachement central interministériel d'intervention technique, chargé d'intervenir sur des engins improvisés de nature présumée nucléaire, biologique ou chimique ;

- les dispositifs nationaux d'intervention et de secours, avec la localisation des grands équipements d'évacuation des personnes et de décontamination ;

- le dispositif hospitalier spécialisé ;

- le protocole intérieur-défense relatif à la sécurité du territoire.

Afin de mobiliser plus rapidement des fonds importants, le gouvernement de l'époque avait prévu une participation « exceptionnelle » de la Cnam au financement de ce fonds, pour permettre la constitution de stocks de précaution, et notamment l'acquisition des produits de prophylaxie et de traitement nécessaires en cas d'exposition d'un grand nombre de personnes à des agents microbiens, toxiques ou chimiques.

Le montant de la participation de l'assurance maladie au fonds Biotox en 2001 était fixé à 198,2 millions d'euros. La loi du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004 a, à nouveau, abondé ce fonds à hauteur de 155,4 millions d'euros. La loi du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 a ensuite fixé la contribution de l'assurance maladie pour 2004 à 62 millions d'euros et a élargi les missions du fonds à toute menace sanitaire grave d'origine non terroriste telles que des épidémies ou des alertes liées à des risques environnementaux.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a fixé, dans ses articles 6 et 41, la contribution de l'assurance maladie à 176 millions d'euros pour 2005 et à 175 millions d'euros pour 2006. Sur cette dernière somme, 146 millions d'euros devraient être affectés, on l'a vu, à l'application du plan gouvernemental de protection contre un risque de pandémie de grippe d'origine aviaire pour l'achat de masques, de médicaments et de matériel de vaccination et 29 millions d'euros devraient permettre le renouvellement du stock d'antibiotiques dans le cadre du plan Biotox.

Dans la mesure où les crédits du fonds sont fongibles et où les mesures annoncées pour maintenir un niveau élevé de prévention de la grippe aviaire apparaissent très coûteuses, votre commission n'est pas convaincue que cette dernière attribution de crédits sera effectivement allouée au plan Biotox en 2006 . Elle s'étonne également de constater un écart entre la dotation de l'assurance maladie prévue dans le PLFSS et celle affichée dans le document budgétaire de la mission interministérielle « Sécurité sanitaire ».

Il est particulièrement regrettable que la lutte contre le bioterrorisme semble être, cette année, délaissée, dans un contexte international qui a vu, récemment, des évènements dramatiques toucher plusieurs capitales européennes. Votre commission s'interroge d'ailleurs sur les moyens disponibles dans ce domaine pour l'application de la future loi de lutte contre le terrorisme, dont le texte est actuellement en discussion au Parlement.

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