B. LES DÉFIS DE LA BSPP
1. Un plan de « rattrapage » en demi teinte
a) Les tensions sur l'activité opérationnelle ont justifié un plan de « rattrapage » entre 2002 et 2007
Selon le général Prieur, la situation de la BSPP en 2000 était critique. L'activité opérationnelle avait cru de 4,4 % par an depuis 1985 (soit une hausse de 70,7 %) et le secours à victimes de 273 %.
Simultanément, les matériels étaient très vieillissants et la Brigade atteignait ses limites en termes de disponibilité opérationnelle. La seule variable d'ajustement pour répondre à cette croissance de l'activité était d'augmenter la durée du temps de travail.
La dégradation des conditions de travail (3.800 heures de travail par an) entraîna le départ de nombreux cadres et personnels (la mobilité concerna 25 % des personnels) et, pour la première fois, la BSPP connut des difficultés de recrutement.
C'est pourquoi un plan de modernisation de la Brigade- que le général Prieur préfère appeler « plan de rattrapage »-a été mis en oeuvre entre 2002 et 2007, répondant à plusieurs objectifs : adaptation du recrutement de sapeurs-pompiers ; création de nouveaux logements et rajeunissement du parc de véhicules d'intervention pour mettre fin à une obsolescence marquée des matériels.
Ce plan a pris fin en 2007, à l'exception du volet « personnel » dont les tranches annuelles n'étaient financées qu'à 75 % pour tenir compte des délais de recrutement, entraînant l'inscription des 25 % restants de la dernière tranche dans la loi de finances initiale pour 2008.
Il a permis le recrutement de 725 sapeurs-pompiers. Ce faisant, il a permis de baisser les tensions constatées sur le rythme de travail .
Il a aussi garanti la remise à niveau du nombre de logements mis à disposition (762 logements en ville et 1.568 en caserne contre 477 et 1.455 en 2000). A l'heure actuelle, tous les cadres et les sapeurs-pompiers dont les compétences impliquent un logement pour nécessité de service peuvent en bénéficier (30,7 % des effectifs).
b) Les limites du plan mis en oeuvre
Malgré ces avancées, le plan n'a pas permis de doter la BSPP de tous les matériels d'intervention dont elle a aujourd'hui besoin . En effet, lorsque le plan a été élaboré, l'inflation du coût unitaire des équipements n'avait pas été anticipée.
A cet égard, le chef de la Brigade dénonce une « tyrannie de la norme » . Constatant le nombre toujours croissant des règles de sécurité, souvent harmonisées au niveau européen, pour encadrer l'activité des services de secours et leur caractère inflationniste pour le budget des services concernés, il souligne à titre d'exemple, que la nouvelle veste des sapeurs-pompiers coûte dix fois plus cher que l'ancienne pour un gain en sécurité réel mais limité.
Autre exemple, celui des civières des VSAV 33 ( * ) , qui doivent, selon les nouvelles normes en vigueur, résister à un choc de 7G, soit celui que l'on connaît dans un avion à réaction.
Enfin, l'intégration prochaine des VSAV dans la catégorie des poids lourds, va entraîner la nécessité de former les sapeurs-pompiers intéressés à ce permis spécifique et devrait augmenter le coût unitaire de ces véhicules de 85.000 euros aujourd'hui à 140.000 euros.
Aussi, si les montants mis à disposition dans le plan de rattrapage ont permis à la Brigade, de renouveler ses véhicules « de base », ils n'ont pas permis d'aller au-delà, ce qui l'a conduit à se recentrer sur ses missions essentielles. En outre, selon les informations transmises par la Brigade, 14 % d'entre eux sont « hors d'âge » . 34 ( * )
De plus, la BSPP ne dispose plus aujourd'hui de matériels pour répondre à des crises exceptionnelles mais possibles dans l'agglomération parisienne : ainsi, elle ne dispose plus de camions de sauvetage-déblaiement ou de moyens de levage (camions-grues), utiles en cas d'effondrement d'immeubles.
En pratique, lorsque ces matériels sont nécessaires, ces derniers sont loués à des sociétés privées ou empruntés aux SDIS de la « grande couronne » les mieux équipés, mais cette situation n'est pas tenable car ces derniers seront probablement amenés à facturer leurs interventions au profit de la Brigade.
Sur ce point, votre rapporteur pour avis déplore la production inflationniste de ces nouvelles normes de sécurité, parfois sous l'impulsion des entreprises intéressées par les marchés ainsi créés. Elle constate par ailleurs qu'il serait souhaitable qu'une liste des matériels exigés pour chaque catégorie de SDIS et assimilés soit publiée par la direction de la sécurité civile, afin de limiter les investissements inutiles ainsi que cette tendance inflationniste, et d'harmoniser les matériels disponibles sur notre territoire.
Contrairement aux intentions initiales de ses promoteurs, le plan n'a pas non plus permis de renforcer le taux d'encadrement de la Brigade (voir 3).
2. « L'explosion » de l'activité opérationnelle de la BSPP
La BSPP connaît de nouveau des tensions fortes sur sa disponibilité opérationnelle en raison d'une activité qui ne cesse de croître et de battre des records depuis 3 ans : 1,3 million d'appels téléphoniques ont été enregistrés au 18 en 2007 . Les autres numéros d'urgence sont aussi de plus en plus sollicités.
Il existe plusieurs numéros d'urgence : - le 17 (police secours) doit être appelé par les victimes ou témoins d'une infraction nécessitant l'intervention rapide de la police (agression, cambriolage, violence...) ; - le 15, numéro d'urgence du SAMU de Paris, est appelé pour obtenir l'intervention d'une équipe médicale lors d'une situation de détresse vitale 35 ( * ) . Toutefois, la régulation de ces appels par les médecins du « centre 15 », qui est en veille permanente, tend à définir la réponse la mieux adaptée dans les délais les plus brefs. Ce faisant, les appels au 15 peuvent être redirigés vers un organisme de permanence de soins (médecine générale, transport ambulancier...). - le 18 est le numéro d'urgence de la BSPP, sollicité en cas de situation de péril ou d'accident concernant des personnes ou des biens afin d'obtenir une intervention des sapeurs-pompiers dans les plus brefs délais (accident de la route, risque d'ensevelissement, incendie...). En pratique, les appels au 18 (ou au 112) aboutissent à un centre de traitement des appels, chargé de centraliser les demandes de secours sur Paris et la petite couronne et de faire partir les équipes de secours en transmettant des ordres de départ aux centres de secours (ce centre gère aussi les lignes directes avec les différents services publics) ; - le 112 est le numéro de secours européen, dont les appels sont gérés par les sapeurs-pompiers. |
La BSPP est intervenue 460.085 fois en 2007. Et en 2008, pour la première fois, le cap des 500.000 interventions annuelles va être dépassé.
Les chiffres clés (résultats 2007)
BSPP |
Moyenne SDIS de 1ère catégorie |
Moyenne des SDIS de la grande couronne |
|
Nombre d'interventions |
460.085 |
84.759 * |
96.654 * |
Nombre d'interventions pour 100.000 habitants |
7.281 |
6.577 * |
7.840 * |
Nombre de SPP pour 100.000 habitants
|
131 |
156 * |
132 * |
Nombre d'habitants défendus / VSAV |
66.515 |
11.576 * |
13.548 * |
Moyenne d'âge |
28 |
35 * |
ND |
Taux d'indisponibilité lié à l'accidentologie |
2,06 % |
3,65 % * |
ND |
* données sources, statistiques DSC édition 2008.
En matière de secours à personne, l'activité de la BSPP est, à l'heure actuelle, cinq fois plus importante que celles des SDIS de 1 ère catégorie. 317.106 interventions ont été effectuées à ce titre en 2007 et le cap des 350 .000 devrait être franchi cette année, c'est-à-dire le seuil critique au-delà duquel la BSPP ne peut plus assurer la réponse opérationnelle.
Cette augmentation, constatée à partir de 2006, est à mettre en parallèle avec la décision précitée du ministère de la santé de supprimer le caractère obligatoire de la permanence de soins de la médecine de ville. Urgences hospitalières et sapeurs-pompiers ont, en pratique, comblé le vide ainsi créé, se détournant de leur mission.
Le général Prieur souligne aussi l'importance des interventions liées à la détresse sociale d'une partie de la population, qui n'entre en théorie pas dans les missions de la BSPP (170.000 sorties en 2007 pour aider des personnes sans domicile fixe).
57 % des interventions actuelles de la BSPP ont pour objet des affections médicales et 42 % sont à domicile, ce qui amène l'état-major de la Brigade à indiquer qu'un départ en mission sur quatre ne relève pas aujourd'hui de l'urgence.
Prenant l'exemple vécu récemment d'un couple ayant appelé la Brigade pour qu'une équipe de sapeurs-pompiers l'emmène chez le médecin, le général Prieur note que cette sollicitation de la BSPP constitue la rançon de sa popularité et de la gratuité de ses interventions . Cette dernière a un coût en passe d'être insupportable car, faute d'une définition claire de l'urgence, la BSPP ne facture pas à l'Assistance publique/Hôpitaux de Paris (AP/HP) ses interventions en carence sur demande du centre de régulation médicale du SAMU (centre 15).
3. Un taux d'encadrement qui ne permet plus aujourd'hui à la BSPP d'assumer ses missions
L'encadrement
BSPP |
Moyenne SDIS
|
Moyenne
|
|
Taux d'encadrement SP officier
|
3,98 % |
6,25 % * |
ND |
Taux d'encadrement SP sous-officier
|
18,32 % |
20,79 % * |
ND |
Taux d'encadrement SP Total
|
22,30 % |
27,04 %* |
ND |
Nombre de SPP pour un COL ou LCL
|
150 |
67 * |
58 * |
* données sources, statistiques DSC édition 2008 . SP : sapeur-pompier ; SPP : sapeur-pompier professionnel ; Col : colonel ; LCL : lieutenant-colonel.
La structure de l'encadrement de la Brigade a été peu modifiée depuis 1967 , date à laquelle les 3 départements de la petite couronne ont été intégrés dans sa zone d'intervention.
Or, à l'heure où l'activité opérationnelle de la Brigade « explose » et où les tâches administratives telles que l'élaboration des marchés publics, mobilisent de effectifs toujours plus nombreux, son taux d'encadrement (qui compte 3,9 % d'officiers et 18,3 % de sous-officiers) semble aujourd'hui trop faible pour lui permettre d'assumer sereinement ses missions .
Car la Brigade doit également tirer les conséquences des attentats de Madrid et de Londres pour adapter son organisation (elle doit ainsi être capable d'assurer la réponse opérationnelle des secours dans l'hypothèse de quatre attentats simultanés touchant la capitale) et se préparer à des attentats comprenant un risque NRBC (une compagnie NRBC existe bien mais elle ne dispose pas de commandement, faute de cadres).
A cet égard, le général Prieur a rappelé que le centre de formation de la BSPP formait également tous les autres acteurs parisiens « en première ligne » face à ces risques (policiers, agents de la RATP...). Il a aussi indiqué que la Brigade expérimentait plusieurs dispositifs techniques pour pallier le manque de ressources humaines, tels que le projet SINUS.
Le projet SINUS : Conforme au besoin des autorités de disposer d'un système d'identification et de suivi des victimes et des personnes impliquées dans une crise majeure (attentat ; inondations...), le projet SINUS (Système d'information numérique unique standardisé) doit mettre en oeuvre un système d'information commun à l'ensemble des services intervenants garantissant, tout au long de la chaîne des secours, un suivi en temps réel, des personnes impliquées ou victimes. Le système SINUS, qui a été expérimenté lors d'un exercice commun à la BSPP, à la direction de la police judiciaire (DPJ), au SAMU de Paris et à l'APHP le 14 mai, repose sur : - un identifiant : dès sa prise en charge, la victime se voit dotée d'un bracelet à code barres muni de « stickers » supplémentaires destinés à l'identification de documents ou d'effets liés à cette personne. Ce bracelet, qui doit résister aux fortes chaleurs et aux produits de décontamination, peut être porté plusieurs semaines sans provoquer d'irritations ; - une base de données , installée sur un site internet sécurisé implanté au centre de traitement de l'information du ministère de l'intérieur, vers laquelle est transféré en temps réel l'ensemble des informations concernant les victimes. Seuls les personnels autorisés y ont accès. Ce système est placé sous le contrôle opérationnel du Parquet de Paris, via la police judiciaire. Ce système en pratique, doit permettre d'établir rapidement un bilan chiffré des victimes, d'organiser l'exploitation des données (classements par tranches d'âge, par sexe, par nationalité, par lieu d'hospitalisation...) et d'extraire simplement et rapidement les données susceptibles de servir de support à la communication de crise et d'y donner l'accès à tout organisme extérieur autorisé. |
Toutefois, ces moyens ne suffiront pas et le renforcement de l'encadrement constitue aujourd'hui la priorité de la Brigade pour éviter une dégradation de l'efficacité et une « fuite des cadres », vers les SDIS par exemple, rendue possible par l'adaptation récente du statut militaire.
* 33 Véhicules de secours à victimes.
* 34 Le parc automobile de la Brigade au 1er août 2008 : la BSPP possède 245 véhicules d'incendie ; 126 véhicules à caractère paramédical ; 321 véhicules d'intervention et de secours ; 205 véhicules de transport et de servitude.
* 35 En pratique, 100 personnels du SAMU et 20 véhicules médicaux sont prêts à intervenir 24h/24.