B. UN ARRÊT IMPORTANT DE LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE...
La Cour de justice de l'Union européenne a estimé, par un arrêt « El Dridi » du 28 avril 2011, que le fait de prévoir une peine d'emprisonnement pour un étranger soumis à une mesure d'éloignement et qui se soustrait à cette mesure est incompatible avec les articles 15 et 16 de la directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive « retour »). Ce faisant, la Cour ne s'est pas appuyée sur la nécessité de préserver les droits des migrants. Elle a plutôt considéré que le fait de placer des étrangers en instance d'éloignement en détention allait directement à l'encontre de l'objectif assigné par la directive, qui est bien l'éloignement .
Bien que concernant l'Italie, cette décision risquait de remettre en cause une partie importante des procédures d'éloignement menées par l'administration française. En effet, ces procédures trouvent souvent leur origine dans un contrôle d'identité, qui débouche sur une garde à vue puis sur une décision préfectorale de placement en rétention et d'éloignement.
Or, la garde à vue n'est possible que parce que les étrangers concernés sont soupçonnés d'être en infraction avec une règle juridique sanctionnée par une peine de prison : en l'occurrence, le plus souvent, l'article L. 621-1 du code des étrangers qui punit d'une peine de prison d'un an (et de 3 750 euros d'amende) le simple séjour irrégulier.
En l'absence de possibilité de garde à vue, lorsqu'un contrôle d'identité est effectué et que la personne contrôlée dispose de documents d'identité, la vérification d'identité ne se justifie pas et les policiers ou gendarmes ne peuvent obliger la personne à les accompagner. Si la personne contrôlée ne dispose pas de documents d'identité, les forces de l'ordre ne disposent que de quatre heures pour établir qu'il existe un risque de fuite, délai pendant lequel la préfecture doit prendre une décision d'OQTF sans délai de départ volontaire assorti d'un placement en rétention .
Certains JLD, voire, selon les informations recueillies par votre rapporteure, une majorité d'entre eux, en ont déduit que les gardes à vue décidées sur le fondement de l'article L. 621-1 étaient désormais illégales puisque fondées sur une possibilité d'emprisonner contraire au droit européen. Dès lors, selon ces mêmes JLD, toute la procédure subséquente, dont le placement en rétention, est nul, ce qui les conduit à refuser les demandes de prolongation de rétention formulée par le préfet 2 jours (5 jours depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2011) après ce placement. Les Cours d'appel ont également eu des appréciations divergentes.
Toutefois, dans une circulaire du 12 mai 2011 envoyée aux procureurs généraux, le garde des sceaux a souligné que l'article L 621-1 du CESEDA est indépendant de toute décision d'éloignement de sorte que les articles 15 et 16 de la « directive retour », relatifs au placement en rétention des étrangers visés par une mesure d'éloignement, ne peuvent, selon lui, lui être opposés. Les gardes à vue décidées sur ce fondement et les procédures de rétention administrative ne sont donc pas, aux dires de la circulaire, affectées par l'arrêt du 28 avril 2011 puisque « c'est seulement une fois qu'une mesure d'éloignement a été prise que la directive fait obstacle au prononcé d'une peine d'emprisonnement et que l'intéressé ne peut être placé qu'en rétention ». Par conséquent, la circulaire appelle les procureurs généraux à systématiquement interjeter appel à l'encontre des décisions de refus de prolongation des mesures de rétention administrative fondées sur l'inconventionnalité alléguée de l'article L. 621-1 du CESEDA au regard de la directive du 16 décembre 2008 , en formant le cas échéant la demande que l'appel soit déclaré suspensif, et, en cas de rejet, à former un pourvoi en cassation.
La Cour de justice a tenu audience le 25 octobre 2011 sur une demande de décision préjudicielle présentée par la Cour d'appel de Paris, dans l'affaire Achghbabian/Préfet du Val de Marne, par laquelle la Cour d'appel demande précisément si les dispositions de la directive « retour » sont opposables à l'article L 621-1 du CESEDA. La décision devrait être rendue avant la fin de l'année 2011.
Pour le moment, la direction centrale de la police aux frontières a indiqué à votre rapporteure que de nombreuses interpellations n'aboutissaient pas du fait des conséquences de l'arrêt el Dridi. La PAF a également indiqué qu'une expérimentation est menée dans le Nord, la Lorraine et les Bouches-du-Rhône consistant en l'affectation d'une patrouille de la PAF auprès de la préfecture afin d'augmenter malgré tout le nombre d'éloignements.