B. VERS L'INDISPENSABLE COUVERTURE DU RISQUE DE CHANGE ?
1. Des perspectives d'amélioration de gestion du programme 105 assez minces
a) 2015 : le retour de l'insuffisance de « basage budgétaire initial »
L'amélioration de la gestion du programme 105 passait d'abord par le rebasage de la dotation initiale des crédits alloués aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix 6 ( * ) .
Les mouvements budgétaires infra-annuels rendus nécessaires pour faire face à la sous-budgétisation initiale du programme 105 ont été largement mobilisés de 2006 à 2011, qu'il s'agisse de la loi de finances rectificative, du dégel de la réserve de précaution, de l'utilisation de décret d'avance, du redéploiement de crédits du programme 105, etc. Selon le rapport de la Cour des comptes d'octobre 2015, ils se sont élevés à 162,4 millions d'euros en 2006, 238,5 millions d'euros en 2008, avant d'entamer, à partir de 2009, leur décroissance avec 123,62 millions d'euros en 2009 puis 107 millions d'euros en 2011.
Les mesures de rebasage se sont succédées à hauteur de 60 millions d'euros en 2007, 40 millions d'euros en 2008, 41, 2 millions d'euros en 2010 et 107 millions d'euros en 2011. Depuis 2011, la programmation budgétaire s'est constamment révélée adaptée aux besoins, jusqu'en 2015.
Avec une insuffisance de crédits estimés par la Cour des Comptes à 200 millions d'euros, dont 149 millions d'euros non couverts par la réserve de précaution , cette année s'annonçait de nouveau comme difficile et a rendu nécessaire l'ouverture de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative pour 2015.
Il est louable que, dans le PLF 2016, comme on l'a vu, les dispositions soient prises pour rétablir la sincérité budgétaire , puisqu'à défaut d'anticipation d'appréciation de l'euro, le manque de crédits s'annonçait patent pour la fin de la période de programmation définie par la dernière LPFP.
b) L'incertitude liée au décalage des calendriers
La volonté de réformer le système de prévision budgétaire se heurte au calendrier budgétaire des opérations de maintien de la paix qui n'est connue que le 30 juin de chaque année. La conciliation de quatre chronologies distinctes rend d'ailleurs l'exercice particulièrement difficile. Il s'agit de faire coïncider :
- les sessions de l'Assemblée générale de l'ONU,
- la temporalité du budget de l'ONU, c'est-à-dire l'annuité,
- les budgets des opérations de maintien de la paix qui peuvent avoir des renouvellements bisannuels, comme c'est le cas de la force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) ;
- la période de validité du barème définissant le calcul des dotations françaises, soit 2013-2015.
À ceci, il faudrait encore ajouter la période de programmation des lois de finances publiques, soit 2015-2017 pour la période en cours. La programmation budgétaire nationale est donc potentiellement bouleversée par la redéfinition du barème des contributions françaises prévues pour la fin de l'année 2015, comme on l'a vu mais aussi par les décisions de renouvellement ou non en cours d'année des OMP, et par le vote du budget de l'ONU.
2. La recherche de solutions
a) Le coût de la dépréciation de l'euro face au dollar
Est ici reproduit un extrait du rapport précité de la Cour des Comptes qui met notamment en évidence le fait qu'une dépréciation de 10 centimes sur le taux de l'euro par rapport au dollar induit un renchérissement de 40 millions d'euros pour les contributions internationales .
Ainsi l'évolution de l'euro depuis le printemps 2014 entraîne un surcoût pour le MAEDI, pour le programme 105, de 145 millions d'euros en 2015, 150 millions d'euros en 2016 et 140 millions d'euros en 2017 .
Extrait du rapport de la Cour des Comptes
intitulé
« Le taux de change constitue, avec les reports, l'un des principaux facteurs d'évolution des charges. Cela est dû au fait que 72 %, en moyenne, des dépenses sont payables en devises (principalement le dollar américain, plus à la marge le franc suisse). Les postes en augmentation continue sont en effet ceux qui sont libellés en dollars, dont l'enjeu est significatif : une dégradation de 10 centimes sur le taux de l'euro par rapport au dollar représente une perte au change d'environ 40 millions d'euros pour les contributions internationales et inversement. Ainsi, en 2008, ce facteur permit une économie relative de 20 millions d'euros par rapport aux prévisions. À l'inverse, en 2009, ce facteur a représenté plus de 90 % de l'écart négatif constaté entre la prévision et l'exécution, soit 86,7 millions d'euros. Alors que les années 2008, 2010 et 2014 ont été favorables, a contrario les années 2009, 2012 et 2013 ont généré un coût additionnel dans l'exécution du budget. En mai 2015, la valeur de l'euro avait baissé de 21,88 % par rapport au dollar et de 29,62 % par rapport au franc suisse depuis janvier 2010. Dans ces conditions, l'écart entre le taux de budgétisation de 1,36 dollar par euro, fixé par la circulaire du secrétaire d'État au budget en date du 24 avril 2004 et relative au budget pluriannuel 2015 - 2017, et le taux de budgétisation de 1,10 dollar par euro fixé par la circulaire du secrétaire d'État au budget en date du 9 avril 2015 et relative à la sécurisation de la trajectoire 2016 et 2017, entraîne par rapport aux prévisions de dépenses en dollars de la loi de programmation des finances publiques 2015 - 2017, un surcoût de 138 millions d'euros en 2015 , de 142 millions d'euros en 2016 et de 134 millions d'euros en 2017. En incluant les évolutions des autres devises (notamment le franc suisse, la livre sterling et le dollar canadien), le surcoût total pour le MAEDI sera, pour les actions du programme 105 concernées par la présente enquête, de 145 millions d'euros en 2015, de 150 millions d'euros en 2016 et de 140 millions d'euros en 2017 . Au regard de l'importance de ces surcoûts, le contrôle interne budgétaire du ministère a, le 29 avril 2015, formellement identifié le change comme le risque majeur de la cartographie des risques du ministère et a défini comme un axe prioritaire la mise en place d'un mécanisme de couverture de change . Une telle initiative serait, en effet, nécessaire pour garantir la soutenabilité budgétaire des programmes concernés au regard de la programmation triennale, et spécialement l'action 4 [Contributions internationales] du programme 105. L'évolution du taux de change en 2015 pose, du fait de son ampleur, une difficulté inédite à laquelle le MAEDI ne pourra pas faire face dans une telle proportion . À l'évidence, le ministère ne saurait être en mesure d'assurer seul, par un simple redéploiement de ces crédits, le financement d'une telle perte au change . |
b) Des pistes d'amélioration
La première piste de résolution de ces difficultés consiste à dynamiser la politique de gestion des dépenses prévisibles . Plusieurs angles peuvent être envisagés :
- l'anticipation de l'évolution du barème des contributions qui peut permettre, comme en 2013, de réaliser des économies. À l'époque le taux de quote-part française était passé de 7,554 % à 7,216 % pour la nouvelle période allant de 2013 à 2015. Le report de paiement de contributions internationales réalisé sur 2013, au lieu de 2012, avait permis une économie de 24 millions d'euros . Une nouvelle évolution du barème est prévue à la fin de l'année 2015 et il serait souhaitable de favoriser le même type d'opération ;
- le paiement par anticipation de certains appels de fonds en période de dépréciation de l'euro. Le MAEDI souhaitait, alors que le taux de change amorçait une pente défavorable, profiter de la réserve de précaution non utilisée à la fin de 2014 pour régler cinq appels à contributions d'opérations de maintien de la paix, normalement payables au début de l'année 2015. Selon la Cour des Comptes, la décision de la direction du budget de ne pas suivre cette procédure a conduit à devoir payer un surcoût net de 5,5 millions d'euros en 2015 .
Dans ce domaine encore, une professionnalisation de la gestion des contributions internationales et une meilleure collaboration entre les ministère des affaires étrangères et ministère de l'économie seraient grandement profitables.
c) Un mécanisme de couverture du risque de change inopérant
Une convention pour la couverture du risque de change a été signée le 5 juillet 2006 entre le ministère des affaires étrangères et l'agence France Trésor. Elle est supposée permettre de couvrir le décalage dans le temps entre le vote des crédits budgétaires et le versement des contributions libellées en devises étrangères, donc le décalage à court terme.
Cette convention a donné lieu, selon la Cour des Comptes, a des limites interprétatives selon lesquelles « une « doctrine » tacite fut agréée, au mois de décembre 2010, entre le MAEDI et la direction du budget pour ne faire jouer la couverture que si le taux de change était égal ou supérieur au taux de référence retenu dans le projet de loi de finances. Il en résulte que la convention n'a jamais permis d'éviter des pertes au change ».
Selon cette interprétation de la convention, il n'était possible d'acheter des devises étrangères qu'en cas d'appréciation de l'euro. Cela permettait de figer un gain budgétaire plus ou moins conséquent. Cela rendait en revanche impossible « la cristallisation d'une perte budgétaire issue de l'achat de devises lorsque celles-ci s'apprécient ». Ainsi lorsqu'une baisse de l'euro s'inscrit dans une tendance longue, il n'est plus possible de faire jouer la convention. L'esprit de ce système comme le note la Cour des Comptes, « garantit les intérêts de l'État contre toute tentative de spéculation de la part de l'administration, mais ne lui permet pas de se prémunir contre une chute durable des cours.
Ainsi, dès le début de la période d'affaiblissement de l'euro par rapport au dollar à partir de l'été 2014, le ministère n'a plus été en mesure d'effectuer de nouveaux achats à terme, puisque le taux réel était devenu inférieur au taux de change prévu en PLF 2014. Durant près d'un an, le ministère a constaté l'augmentation forte et rapide de sa perte au change, creusant le déficit budgétaire. Il a appliqué la « doctrine » ci-dessus mentionnée en ne procédant pas à des achats sous le taux de référence du PLF. Il considérait en effet que la convention de 2006 n'était pas suffisamment explicite quant aux responsabilités de l'ordonnateur lorsqu'il s'agissait de se couvrir à un taux différent de celui de la budgétisation et, en l'espèce, ne sachant pas quelle serait sa responsabilité s'il avait figé une perte budgétaire en achetant une couverture. Cette possibilité n'était ni formellement interdite, ni clairement encadrée par la convention. De fait, elle n'a pas été mise en oeuvre lors de la dépréciation exceptionnelle de l'euro enregistrée à partir de la fin de l'année 2014.
Cette situation conduit à une perte au change qui s'élève, au 30 septembre 2015, à 98 millions d'euros et qui pourrait atteindre 134,6 millions d'euros à la fin de l'année 2015.
La Cour souligne le caractère asymétrique du système mis en place par « la convention pour la couverture du risque de change » et sa doctrine d'emploi. Ouvrir la possibilité d'une couverture quand le taux de change est égal ou supérieur au taux de budgétisation conduit à figer un gain de change par rapport aux crédits budgétaires inscrits au PLF. Une telle pratique ne peut en aucun cas éviter la perte au change en cas de dégradation continue de l'euro et, in fine , l'accroissement de la dépense budgétaire. Il importe d'adopter un cadre de gestion qui évite à l'avenir d'enregistrer des pertes aussi considérables . ».
d) Des pistes de réflexion
Un audit conjoint de la direction générale des finances publiques (DGFIP) et de l'inspection générale des affaires étrangères (IGAE), datant de 2009, estimait qu'il serait souhaitable que « le ministère puisse se couvrir à l'automne de l'année N moins 1, au moment où les crédits sont arrêtés définitivement en loi de finances, sur la base du taux de change retenu pour la détermination de ces crédits ». Cette solution semble en effet de bon sens.
De même, comme tout importateur, et comme le fait la direction générale du trésor pour les contributions qu'elle gère, des stratégies de couverture du risque de change doivent être mises en oeuvre. La Cour des Comptes, dans son rapport précité, indique que l'achat d'une option d'achat devrait être envisagé. Vos rapporteurs pour avis partagent cette orientation.
Ces procédures doivent impérativement être professionnalisées et le ministère de l'économie doit soutenir la démarche du MAEDI dans ce domaine. Celui-ci ne saurait être, en effet, seul décisionnaire et seul responsable dans ce secteur qui ne relève pas exclusivement de sa compétence. Pour autant, il ne peut être, comme c'est parfois le cas aujourd'hui, laissé face à des règles imprécises ou mal conçues qui ont des répercussions budgétaires importantes.
Enfin, la Cour des comptes évoque la possibilité d'isoler les contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix au sein d'un programme spécifique sur lequel la couverture du risque de change serait exercée très finement. Dans le cadre de ce programme, les reports de paiement des contributions, lors des renégociations des barèmes de cotisation seraient plus lisibles. Si les économies ainsi réalisées sont bien conservées au MAEDI, dans le cadre de ce programme spécifique, cela pourrait constituer un facteur de motivation supplémentaire. Vos rapporteurs pour avis seront très attentifs aux évolutions de maquette budgétaire qui pourraient être proposées par le ministère dans le cadre de la présentation du projet de loi de finances pour 2017.
* 6 En 2006, le Sénat avait émis un avis défavorable au décret d'avance destiné à couvrir les besoins nés de l'activité des OMP au motif que la dépense était prévisible.