II. UN RÉSEAU DONT L'UNIVERSALITÉ CONDUIT À DES CHOIX DIFFICILES

A. LA MISSION DE COOPÉRATION ET DE SÉCURITÉ SACRIFIÉE À LA SAUVEGARDE DES MOYENS DU RÉSEAU DIPLOMATIQUE

1. La mission de sécurité est la variable d'ajustement du budget
a) Une tendance de moyen terme

La coopération de sécurité et de défense, dite coopération « structurelle » - par opposition à la coopération « opérationnelle » en la matière, qui relève du ministère de la défense -, constitue un important outil diplomatique d'influence et de prévention des conflits. En effet, cette politique associe les enjeux de sécurité à ceux du développement : elle contribue au maintien de la paix par le renforcement des capacités des pays bénéficiaires à assumer eux-mêmes la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants ou l'insécurité des flux maritimes ; et elle tend à permettre à ces pays d'assurer en propre des missions, non seulement de type militaire, mais aussi de protection civile : lutte contre les catastrophes naturelles (inondations, sécheresse, cyclones...), déminage, dépollution, etc.

En pratique, cette action consiste en une aide à structurer, dans le long terme, les élites nationales concernées. Elle s'exerce :

- soit par des formations, au moyen de missions de renfort temporaire (MRT) et de stages en France ou dans les « écoles nationales à vocation régionale » (ENVR) soutenues par notre pays. Un tableau en annexe présente les ENVR soutenues par la France. En 2015, près de 2 500 agents ont été formés dans les ENVR ;

- soit par le conseil qu'assurent, sur place, des coopérants intégrés dans les structures hiérarchiques des États partenaires. En 2011, on dénombrait 311 de ces coopérants, dont près de 80 %  se trouvaient dans des pays de l'Afrique subsaharienne. En 2015, leur nombre ne devrait plus être que de 282.

Les dépenses engagées à ce titre sont considérées comme disposant d'un fort effet de levier . Par exemple, l'impact d'un directeur des études français dans une école régionale africaine s'avère très supérieur aux crédits nécessaires pour financer sa mission. Plus généralement, en organisant et en structurant leurs forces, en planifiant leurs opérations, la coopération de sécurité et de défense permet aux pays bénéficiaires d'accomplir de considérables progrès, dans la mesure où les capacités dans le domaine du génie, de la santé, du transport, de la logistique ou encore des transmissions, bien souvent, sont présentes sur le terrain, mais éparpillées.

b) Confirmée dans le PLF 2016 au détriment de la cohérence de la politique française

Pour l'année 2016, le projet annuel de performance indique : « depuis plusieurs années, le ministère rationalise son dispositif pour répondre autant aux nouveaux enjeux de la coopération de sécurité et de défense qu'aux impératifs de diminution des coûts budgétaires. Pour l'année 2016, une baisse de 15,6 % par rapport à la LFI 2015 vient affecter le budget de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) à hauteur de 4,6 millions d'euros. Cette réduction s'articule autour d'une baisse générale de 2 % du budget de la DCSD et d'une baisse de 4 millions d'euros impactant les crédits d'intervention (titre 6). Aussi, le ministère a établi des priorités sur ses actions traditionnelles et privilégié les projets relatifs aux grands enjeux sécuritaires (terrorisme, trafics, sécurité maritime) ainsi que dans les domaines de l'influence (conseil de haut niveau, formation) et du soutien aux exportations ».

Ce budget enregistre une diminution de 6,3 % par rapport à la LFI 2015 . La coopération de sécurité et de défense sert ainsi, à nouveau, de variable d'ajustement budgétaire , comme l'a régulièrement relevé, ces dernières années, votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La diminution du budget de la coopération de défense et de sécurité

(en euros)

Réalisations

Prévision

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016 (PLF)

Crédits hors titre 2

51 433 285

28 333 284

33 069 640

33 312 819

32 852 975

27 800 601

30 464 298

23 819 667

29 467 800

24 868 444

Crédits de titre 2

54 985 331

69 654 399

62 289 360

62 053 671

58 994 276

63 205 354

74 423 345

64 460 562

64 295 770

62 971 858

Total

106 418 616

97 987 683

95 359 000

95 366 490

91 847 251

91 005 955

95 232 833

88 280 229

93 763 570

87 840 302

Source : réponse au questionnaire adressé au Gouvernement en application de l'article 49 de la LOLF

Bien évidemment, ces réductions de crédits ne sont pas sans conséquence sur l'ampleur de la coopération qui peut être conduite. Pour en réduire les incidences, l'action du MAEDI est recentrée, par force, sur certains axes prioritaires : le renforcement de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique ; les grands enjeux de sécurité que sont, notamment, le terrorisme, les trafics, la criminalité organisée ou la piraterie ; la formation et le conseil de haut niveau... Néanmoins, ces actions prioritaires elles-mêmes ne peuvent que pâtir de la baisse continue du nombre de coopérants engendrée par celle des crédits, le « plancher » des 300 coopérants dans le monde ayant été franchi en 2013.

En 2015, une réduction de 10 ETP devrait frapper la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du MAEDI. Chaque année, cependant, une vingtaine de postes de coopérants en ce domaine peuvent être redéployés, en tenant compte du plafond ministériel d'emplois, à la suite de la clôture de projets achevés.

Évolution du nombre de coopérants de défense et de sécurité

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Afrique subsaharienne

266

255

252

246

245

240

225

232

226

Hors Afrique subsaharienne

68

67

64

64

65

63

60

57

55

Total

334

322

316

310

310

303

285

289

281

Source : réponse au questionnaire adressé au Gouvernement en application de l'article 49 de la LOLF

Cette attrition persistante des moyens en la matière constitue, au premier chef, une entrave à la capacité de la France de faire émerger en Afrique des forces de sécurité autochtones , tant militaires que civiles, qui puissent prendre en charge la sécurité du continent, puisque les trois quarts de la coopération de sécurité et de défense concernent l'Afrique subsaharienne - ce qui est cohérent avec la concentration des défis sécuritaires dans la région (terrorisme, trafics divers dont la drogue, immigration illégale, instabilité politique, insécurité maritime...). En témoigne, par exemple, la fermeture à l'été 2014 du centre de perfectionnement de la police judiciaire au Bénin.

À cet égard, alors que sont reconnus comme autant de priorités la lutte contre le terrorisme et les trafics transnationaux au Sahel, la sécurité maritime dans le golfe de Guinée et la montée en puissance de l'architecture africaine de paix et de sécurité, vos rapporteurs pour avis estiment que l'orientation du PLF 2016 n'est pas cohérente avec les ambitions affichées. Elle ne l'est pas, non plus, avec l'engagement de nos forces armées en opérations extérieures (OPEX) : alors que les opérations de la bande sahélo-saharienne - notamment au Mali - sont estimées avoir coûté, cette année, 566,2 millions d'euros, et celles qui ont eu lieu en République centrafricaine (RCA) 156,7 millions 7 ( * ) , comment expliquer que les crédits consacrés à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains, pourtant modestes, soient continûment diminués ?

Enfin, lors des auditions menées par vos rapporteurs pour avis dans le cadre de la préparation de ce rapport, il leur a été indiqué que des coopérations dans le domaine de la santé avaient été supprimées alors que le rôle du Service de Santé des Armées dans la gestion de l'épidémie Ebola, par exemple, a été crucial.

Il y a là une forme de contradiction de la politique étrangère française que vos rapporteurs pour avis déplorent . Il serait essentiel d'évaluer les effets des actions de la coopération de sécurité et de défense avant de réduire plus encore les crédits qui lui sont alloués.

2. La préservation des moyens du réseau diplomatique
a) Le léger accroissement des moyen de fonctionnement

Outre les dépenses de coopération de sécurité et de défense, les dépenses pilotables du programme 105, par opposition aux dépenses contraintes que sont les dépenses de personnel et les dépenses liées aux contributions internationales et opérations de maintien de la paix, connaissent une diminution en 2016 par rapport à 2015 : les dépenses liées au protocole sont ainsi réduites de 6 millions d'euros.

Les moyens du programme sont clairement orientés en faveur du réseau diplomatique . L'action 7 du programme 105 qui lui est dédiée progresse, en 2016, de 6 % en autorisations d'engagement et de 4 % en crédits de paiement. Cela correspond à la fois à l'évolution du taux de change, à l'augmentation des coûts constatés pour le fonctionnement des postes, tels que l'augmentation des locations immobilières, du transport aérien, de l'énergie, etc. et à la croissance des dépenses d'investissement dans la sécurité dite passive des postes à l'étranger.

b) Les moyens dédiés aux opérations de sécurisation des postes

Les évènements de 2014 et 2015, avec les évacuations des ambassades de France à Tripoli en juillet 2014 et à Sanaa en février 2015, ont confirmé l'impératif et l'urgence de poursuivre la modernisation des dispositifs de sécurité des réseaux diplomatique, consulaire et culturel à l'étranger. Les attentats ou destructions n'ont pas épargné les instituts français. L'institut de Gaza a été visé à deux reprises en décembre 2014. Il faut également déplorer un attentat-suicide à l'institut français de Kaboul en décembre 2014 et l'incendie de l'institut français du Niger en janvier 2015.

Ce sont 55,88 millions d'euros en crédits de paiement et en autorisations d'engagement sur le programme 105 et 10 millions d'euros sur le compte de l'affectation spéciale (CAS) numéro 723 qui seront consacrés à la sécurisation des implantations diplomatiques en 2016.

Le budget dédié à la sécurité passive des postes à l'étranger s'élève en 2015 à 20,1 millions d'euros provenant du programme 105. Les 10 millions d'euros provenant du programme CAS 723 sont entièrement consacrés à ce poste de dépenses. Ces dépenses servent à poursuivre la modernisation de la sécurité des postes, tout en permettant dans certains cas de réduire les effectifs consacrés à la sécurité 8 ( * ) , pour pouvoir les redéployer vers les zones de crise.

c) Les travaux de sécurisation en 2015 et en 2016

Des travaux lourds de sécurisation ont été inscrits à la programmation 2015, tels la construction de pièces de repli, le renforcement de la protection du périmètre diplomatique, la mise en place de vidéo surveillance, de contrôle d'accès, de vitres blindées, et l'intervention de bureaux d'études. Les principaux postes concernés par ces travaux, en 2015, sont :

- Moscou à hauteur de 1,2 million d'euros ;

- Sofia pour 0,9 million d'euros ;

- Washington pour 3 millions d'euros ;

- Tachkent, Islamabad, Erbil, Niamey, Brazzaville et Djibouti ont bénéficié chacun de travaux à hauteur d'un million d'euros ;

- Nairobi pour 1 million d'euros de dépenses de sûreté pour la nouvelle chancellerie construite par la direction des Immeubles (DIL) ;

- Bangui pour 1,7 million d'euros ;

- Beyrouth pour 2,74 millions d'euros ;

- Rangoon à hauteur de 1,5 million d'euros

- enfin, N'Djamena et Alger se sont vus allouer un peu moins d'un demi-million de travaux en 2015.

En 2016, les efforts de sécurisation devraient concerner une trentaine d'ambassades . Certaines doivent faire l'objet en 2016 de travaux majeurs, dont Washington (2,3 millions d'euros), Cotonou (1 million d'euros), Yaoundé (1 million d'euros), Colombo (0,8 million d'euros), Islamabad (0,8 million d'euros), Libreville (0,7 million d'euros), et Tachkent (0,5 million d'euros). Une vingtaine de postes seront mis à niveau pour un montant global de 4 millions d'euros. Environ une dizaine de postes en Europe verront leurs systèmes de sécurité adaptés afin de permettre le redéploiement de gardes de sécurité, policiers et gendarmes, vers les pays situés en zones de crise. De même, une dizaine de postes, appelés à devenir des postes de présence diplomatique (PPD), feront l'objet de travaux visant à faire évoluer leur dispositifs de sécurité, en particulier dans le cas d'opérations de co-localisation avec l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Union européenne.

Les crédits dédiés à la sécurisation permettront également de financer :

- la maintenance des équipements de sécurité , indispensable en termes d'efficacité et de fiabilité, avec la mise en place de crédits afférents pour 5 millions d'euros ;

- la poursuite de la sécurisation du réseau culturel à l'étranger, devenue urgente compte-tenu des attaques et des menaces ayant visé ce réseau fin 2014 et début 2015. Près de 6 millions d'euros seront ainsi consacrés à ces opérations, pour sécuriser une vingtaine d'instituts français, lancer des études, acquérir des matériels de sécurité, etc.

- le rajeunissement, la standardisation et l'extension du parc de véhicules blindés du ministère. Pour atteindre cet objectif, et comme en 2015, le département passera commande auprès de l'UGAP d'une vingtaine de véhicules blindés acquis dans le cadre d'un marché pluriannuel et consacrera, en 2016, 4,8 millions d'euros à ces acquisitions de véhicules et de pièces de rechange.

- Au financement de contrats de gardiennage à hauteur de 11,6 millions d'euros.


* 7 Source : réponse au questionnaire budgétaire du ministère de la défense.

* 8 Gendarmes et policiers expatriés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page