Avis n° 112 (2017-2018) de M. Michel LAUGIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 23 novembre 2017

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N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2018 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 2

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

PRESSE

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Jean-Claude Carle, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, M. Max Brisson, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Didier Guillaume, Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Pierre Laurent, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 235 , 264 rect. , 266 rect. , 273 à 278 , 345 et T.A. 33

Sénat : 107 , 108 à 111 , 113 et 114 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Vieillissement du lectorat, fuite des recettes publicitaires, marasme industriel de la vente au numéro : la crise de la presse imprimée est si bien installée que l'expression fait désormais figure de tautologie . On opposera bien sûr au pessimisme introductif de votre rapporteur pour avis la vitalité de la presse digitale . Ce serait trop rapidement méconnaître les vicissitudes des éditeurs confrontés à cette indispensable mutation : une rentabilité incertaine, un partage de la valeur déséquilibré, une concurrence féroce des nouveaux modes d'information. S'il est évident, ce ne sera pour autant pas à n'importe quel prix que l'avenir de la presse sera numérique.

Sans réaliser de miracle, les aides publiques à la presse, qu'elles soient directes ou indirectes, représentent un soutien indispensable . Le programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » en constitue la traduction budgétaire. En 2018, les aides directes à la modernisation, à la diffusion et au pluralisme , rassemblées dans l'action 2 du programme, s'élèveront à 119,4 millions d'euros , contre 125,9 millions d'euros en 2017, en raison de la réforme de l'aide au portage. Ces crédits sont complétés par l'action 1 du programme, correspondant à une enveloppe de 131,5 millions d'euros destinée à l'Agence France-Presse , réduite d'un million d'euros par rapport à 2017.

Depuis la dernière loi de finances, le programme 180 comprend également trois autres actions, dont la pertinence du récent rattachement interroge votre rapporteur pour avis : l'action 5 « soutien aux médias de proximité » (1,6 million d'euros en 2018), l'action 7 « Compagnie internationale de radio et télévision » (1,7 million d'euros), toutes deux préalablement rattachées au programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission, et l'action 6 « soutien à l'expression radiophonique locale » (30,7 millions d'euros), qui appartenait à feu le programme 313 « contribution à l'audiovisuel et à la diversité radiophonique ».

Dans un souci de cohérence s'agissant de l'analyse budgétaire des crédits destinés au soutien à la presse , ces trois dernières actions ne seront pas commentées dans le présent avis, alors qu' a contrario sera traité le sujet polémique de l'aide au transport postal de la presse , curieusement transférée au programme 134 « développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » depuis la loi de finances pour 2014.

I. LES DÉBOIRES DE LA PRESSE IMPRIMÉE

A. OÙ SONT PASSÉS LES LECTEURS DE JOURNAUX ?

1. La lente agonie de la diffusion « papier »
a) Une attrition continue du chiffre d'affaires

La crise de la presse écrite se prolonge . L'ensemble du secteur, qui avoisinait 1 % du produit intérieur brut (PIB) français dans les années 1970-1980, et qui se maintenait aux alentours de 0,80 % en 1990, est passé sous la barre des 0,50 % depuis 2010 et sous celle des 0,40 % depuis 2013 (0,34 % en 2015).

Certains secteurs anciennement établis ont déjà disparu ces dernières années, telle la presse d'information boursière. D'autres, comme la presse quotidienne technique et professionnelle ou la presse gratuite d'annonces, connaissent des difficultés sérieuses.

Le chiffre d'affaires de la presse en 2015

Source : DGMIC

Le chiffre d'affaires global de l'ensemble de la presse écrite en 2015 - 7,507 milliards d'euros - est de nouveau en diminution par rapport à celui de 2014 (- 3,04 %). Sur une base indice 100 en 2000, le chiffre d'affaires total en 2015 atteint l'indice 56,2 en euros constants. Ce huitième recul consécutif indique que la presse écrite est installée de façon durable dans une phase négative .

L'évolution du chiffre d'affaires total du secteur de la presse (de 1991 à 2015)

Source : DGMIC

Avec un volume de vente à 346 millions d'exemplaires en 2016 tous modes de diffusion confondus, contre 443 millions en 2013, le chiffre d'affaires « papier » de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale, a diminué de 16 % en trois ans (- 114 millions d'euros).

Volume des ventes de la presse quotidienne nationale

Source : SPQN

Toutefois, le chiffre d'affaires issu des publications imprimées représente encore près de 80 % du chiffre d'affaires total de ces titres, soit une proportion très supérieure aux revenus tirés du digital.

L'imprimé dans le chiffre d'affaires de la presse quotidienne nationale

Source : SPQN

Pour la presse quotidienne locale, qui représente 66 % des titres, le constat est encore plus tranché : sur un chiffre d'affaires de 2,2 milliards d'euros, seuls 93 millions d'euros sont réalisés sur le digital. Pour autant, si les recettes de l'imprimé reculent de 8 % entre 2013 et 2016, celui du numérique montre une croissance dynamique de 31 % sur la période.

b) Haro sur la vente au numéro

La diffusion des titres de presse, stabilisée autour de 7 milliards d'exemplaires pendant près de vingt ans, accuse, depuis 2009, une forte érosion due essentiellement à la chute de la diffusion de la presse gratuite, pour se réduire à un peu plus de 4,3 milliards d'exemplaires en 2014.

Diffusion totale annuelle

Diffusion totale annuelle (1982 - 2014)

Source : DGMIC

La diffusion de la seule presse payante poursuit une lente mais aujourd'hui importante érosion, entamée depuis 2000. La chute de la diffusion s'établit pour l'ensemble à près de 1,6 milliard d'objets entre 2010 et 2014. Aucun secteur de la presse payante n'est épargné par cette érosion du tirage.

La considérable attrition de la vente au numéro est au coeur de la crise de la presse, dont l'issue, s'agissant de l'imprimé, semble bien incertaine malgré le soutien des abonnements postaux et du portage en matière de diffusion.

La presse payante en 2016

Source : ACPM

La situation française est comparable à la situation de la presse britannique s'agissant des volumes de diffusion de la presse quotidienne. Cette convergence est récente et est due principalement à l'effondrement des volumes de grands tirages de la presse dite « populaire » outre-Manche. La presse allemande, mise en rapport à une population plus nombreuse, n'est pas épargnée par cette crise, comme la majorité des pays développés.

Diffusion totale moyenne par jour en 2016

En exemplaires/jour

PAYS

Total Quotidiens

Total Quotidiens Payants

Total Quotidiens Gratuits

ALLEMAGNE

15 074 000

15 074 000

0

ROYAUME-UNI

10 526 000

8 195 000

2 331 000

FRANCE

7 811 000

5 964 000

1 847 000

ITALIE

3 081 000

2 701 000

380 000

PAYS-BAS

3 045 000

2 639 000

407 000

AUTRICHE

2 957 000

1 804 000

1 153 000

ESPAGNE

1 965 000

Nd

Nd

POLOGNE

1 845 000

1 694 000

151 000

BELGIQUE (2013)

1 520 000

1 249 000

221 000

SUÈDE

1 466 000

1 444 000

23 000

NORVEGE

1 368 000

1 368 000

0

GRÈCE (2011)

1 200 000

985 000

215 000

FINLANDE

1 130 000

1 130 000

0

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

1 091 000

763 000

328 000

DANEMARK (2014)

1 088 000

763 000

325 000

HONGRIE

1 062 000

826 000

236 000

IRLANDE

433 000

433 000

0

ROUMANIE

396 000

396 000

0

PORTUGAL

115 000

45 000

70 000

JAPON

43 359 000

43 276 000

83 000

RUSSIE (2014)

8 375 000

Nd

Nd

INDE

371 458 000

Nd

Nd

CHINE (2014)

137 838 000

Nd

Nd

ÉTATS-UNIS 2014)

42 716 000

40 420 000

2 296 000

Source: WAN

Pour tenter de faire face à cette crise sans précédent, les groupes de presse français sont en profonde mutation . Nombre d'anciens groupes importants se repositionnent, comme le Groupe Amaury ou le Groupe Lagardère ou disparaissent, comme le Groupe Hersant. De nombreux nouveaux entrants interviennent dans l'actionnariat des entreprises de presse et de nouveaux groupes se déploient, mais aucun ne prend l'édition de presse imprimée comme seule base d'activité . Tous sont diversifiés dans l'Internet, la téléphonie, la télévision et la communication, à l'instar des groupes LVMH, Altice Media, Iliad ou Bouygues TF1. En parallèle, des intervenants étrangers s'implantent avec succès sur le marché français de la presse écrite, surtout magazine, comme les groupes Rossel ( Première , Be , Auto Moto , etc.), Mondadori ( Auto Plus , Biba , Grazia , Closer , etc.) ou Bertelsmann ( Géo , Capital , Télé Loisirs , Voici , etc.).

Malgré la crise de la presse, 227 titres (89 nationaux, 86 locaux et 52 en presse gratuite) se sont créés depuis 2010. Pour autant, seuls 140 sont toujours en activité en 2017 , dont 40 en presse nationale d'information politique et générale (un seul quotidien : L'Opinion ).

Si le tableau de la presse français apparaît fort dégradé, il n'en demeure pas moins que la diffusion des titres ne doit pas être confondue avec leur audience , laquelle, s'agissant des quotidiens d'information politique et générale, est en nette augmentation grâce à la croissance du lectorat en ligne.

Résultats audience et diffusion de la presse quotidienne nationale

Source : ACPM

Comme l'indiquait malicieusement Jean Viansson-Ponté, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) lors de son audition par votre rapporteur pour avis : « nous sommes de moins en moins achetés, mais de plus en plus lus ». La presse quotidienne régionale compte en effet 18 millions de lecteurs « papier » chaque jour et un nombre équivalent de visiteurs uniques sur les sites Internet et applications de ces titres dont de nombreux contenus sont encore accessibles gratuitement.

À cet égard, l'année 2017, grâce aux différentes élections, s'annonce très satisfaisante . 97 % des Français se sont notamment informés via une marque de presse au cours du printemps, dont 55 % sur un support numérique, soit 7,8 % de plus qu'en 2016 à la même période. En avril, à titre d'illustration, Le Figaro , premier titre de presse quotidienne d'information, a affiché une audience de 23,8 millions de lecteurs tous supports confondus.

2. Une évolution du lectorat qui n'avantage pas la presse imprimée
a) Un lectorat de plus en plus âgé

En 2016, seuls 44,5 % des Français de plus de dix-huit ans se déclarent lecteurs de presse quotidienne d'information politique et générale (48 % des hommes et 41,3 % des femmes), contre 59,2 % en Allemagne, 46,5 % au Royaume-Uni, mais 33,4 % en Italie et 26,5 % en Espagne. Par comparaison, cette proportion s'établit à 77,1 % au Japon, 41,6 % aux États-Unis et 39,8 % en Chine.

Partout, l'audience de la presse progresse avec la tranche d'âge , même si le lectorat français de la presse quotidienne présente la particularité d'être l'un des moins jeunes en Europe. Les 15-24 ans ne représentent ainsi que 10,3 % du lectorat, contre 30,2 % pour les plus de 65 ans. En proportion, au sein des différentes classes d'âge, seuls 33 % des 15-24 ans sont lecteurs de presse quotidienne, résultat qui ne dépasse 40 % qu'à partir de 35 ans et 50 % qu'après 65 ans.

Part des lecteurs de la presse au sein de chaque tranche d'âge (en pourcentage)

15-17 ans

18-24 ans

25-34 ans

35-44 ans

45-54 ans

55-64 ans

65 ans et plus

Suède

33,0

54,0

74,0

84,0

Autriche

50,1

50,5

62,2

70,3

77,4

82,7

Norvège

32,2

27,9

38,1

52,2

64,6

76,6

82,2

Allemagne

25,8

38,5

48,1

59,6

67,3

73,8

77,4

Danemark

27,8

38,8

34,9

42,6

52,1

65,9

75,4

Pays-bas

30,9

29,0

37,4

57,2

72,7

Finlande

30,0

30,0

40,0

50,0

65,0

70,0

70,0

Irlande

71,0

44,7

48,1

56,6

61,5

65,3

Royaume-uni

26,8

31,3

33,0

36,4

48,2

60,4

France

33,0

38,0

41,0

43,5

46,9

56,6

République tchèque

13,8

22,3

27,1

33,3

38,1

41,8

44,0

Pologne

19,6

28,0

30,9

38,5

41,3

42,3

Hongrie

20,0

30,0

30,0

40,0

40,0

40,0

Italie

21,6

27,0

32,3

33,5

36,6

36,5

33,6

Espagne

15,9

19,4

23,7

27,6

31,0

31,7

25,3

Portugal

34,0

47,2

45,2

39,9

32,5

24,1

Belgique

15,5

13,2

23,4

24,5

23,4

Bulgarie (2010)

19,9

34,0

36,2

46,2

39,0

22,3

Roumanie

6,9

7,0

9,2

11,4

11,4

10,5

9,5

Grèce

Nd

Nd

Nd

Nd

Nd

Nd

Nd

Japon

53,6

61,9

78,4

84,2

91,3

94,5

Chine (2013)

30,4

40,2

43,0

45,5

42,0

Nd

États-Unis (2010)

24,6

37,7

54,5

Source : DGMIC

Votre rapporteur pour avis estime que la désaffection de la lecture de la presse par les jeunes constitue un enjeu démocratique, éducatif et économique majeur : la presse représente une source d'informations nécessaire à l'appréhension du monde et de la société et contribue à former l'esprit critique, sans compter qu'il est essentiel, pour les entreprises de presse, de développer leur lectorat.

b) Des initiatives qui évitent le pire sans inverser la tendance

En 2004, le rapport de Bernard Spitz montrait que la lecture, par les jeunes, de la presse quotidienne d'information politique et générale était confrontée en France à un triple problème : le prix des quotidiens, une distribution ainsi qu'un contenu inadaptés à leurs attentes et leurs modes de vie . Le rapport proposait notamment de soutenir les éditeurs qui souhaitent renouveler leurs contenus éditoriaux dans le but d'accroître leur attrait auprès des jeunes.

Il existe à ce jour différents dispositifs sensés favoriser la lecture de la presse d'information politique et générale par la jeune génération.

D'abord, la presse jeunesse d'information politique et générale bénéficie du taux de TVA super-réduit de 2,1 % et d'un tarif postal plus avantageux que le tarif de service universel pour une livraison équivalente, y compris pour les journaux scolaires. Ainsi, en 2016, Le Petit Quotidien, Mon Quotidien et L'Actu ont bénéficié d'un avantage tarifaire postal de 10,7 millions d'euros. Ses publications peuvent en outre se voir reconnaître d'information politique et générale, voire comme quotidiens à faibles ressources publicitaires ou de petites annonces, et bénéficier dès lors des aides directes afférentes à ces statuts.

Par ailleurs, la presse jeunesse est concernée par le fonds de soutien aux médias d'information sociale de proximité créé par le décret du 26 avril 2016 à la suite du succès de l'appel à projets « médias de proximité » lancé en 2015 (114 projets soutenus pour un budget d'un million d'euros). En août 2016, le fonds était doté de 1,5 million d'euros et a soutenu 108 médias . En août dernier, le fonds était doté de la même somme et a soutenu 132 médias . Parmi les critères du décret, sont favorisés les médias qui proposent des actions d' éducation aux médias et à destination des jeunes sur le hors temps scolaire. De fait, une grande partie des projets soutenus vise à permettre à des jeunes de participer à la construction d'un média local , tant dans les quartiers de la politique de la ville que dans les zones rurales à revitaliser. Par ailleurs, de très nombreux projets relevant de l'éducation aux médias ont été reçus et considérés en priorité.

Pour sa part, le club des innovateurs du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) a lancé en 2015 un appel à projet sur l'éducation aux médias et à la liberté de la presse, doté d'une enveloppe de 2 millions d'euros, dont L'objectif était de développer un outil modulaire, adaptable, mutualisé sous forme de « mallette numérique » mise à disposition des équipes aussi bien dans les collèges-lycées que pour le temps périscolaire.

Le projet « Mallette numérique d'éducation aux médias » présenté par l'association pour le développement du Journal des lycées et soutenu par Ouest-France , le groupe Bayard et La Voix du Nord a été retenu et a bénéficié d'une aide de 361 520 euros. Le projet est en cours de développement et aura vocation à être diffusé sur l'ensemble du territoire ; plus d'une cinquantaine d'établissements sont d'ores-et-déjà engagés et contribuent à hauteur de 1 000 euros chacun à sa mise en oeuvre. Il comprend également un accompagnement par des journalistes professionnels dans les établissements scolaires ou les structures périscolaires. Le ministère a souhaité compléter le projet en mettant en place un dispositif complémentaire de préachat de 500 mallettes en milieu scolaire et de 500 autres pour le hors-temps scolaire, pour un coût d'un million d'euros.

En outre, conformément à l'article 1 er du décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 modifié relatif à la réforme des aides à la presse, au fonds stratégique pour le développement de la presse et au fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, l'État signe des conventions-cadres triennales avec les entreprises de presse ayant bénéficié d'un montant d'aides à la presse supérieur à un million d'euros en moyenne annuelle sur les trois années civiles précédentes. Une quarantaine de signataires échange actuellement avec le ministère de la culture sur le contenu de ces conventions. Un modèle de convention-cadre, négocié avec les représentants du secteur de la presse, a été adopté. Parmi les engagements souscrits par les éditeurs de presse figure notamment un article consacré à l'éducation aux médias . Le texte de la convention rappelle que « l'éducation aux médias, et notamment à la presse écrite, est un enjeu démocratique, citoyen et éducatif majeur. L'entreprise oeuvre à développer la capacité du public à accéder aux médias, à les apprécier avec un sens critique, à comprendre leur fonctionnement voire, à cette fin, à participer à leur élaboration ».

Le ministère de la culture incite les signataires à prendre des engagements spécifiques dans ce domaine et propose, pour ce faire, une liste d'exemples d'engagements que le signataire pourrait adopter sur le triennal 2017-2019 en faveur de l'éducation aux médias. Cette liste n'étant ni limitative, ni impérative, le signataire a la possibilité d'inscrire les engagements de son choix. Afin de rendre ces engagements efficients, le ministère de la culture joindra systématiquement en annexe de chaque convention-cadre un tableau d'indicateurs de suivi permettant de suivre annuellement le respect des engagements souscrits.

Enfin, sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale et au sein du réseau Canopé, l'opérateur de ce ministère en matière de création et d'accompagnement pédagogiques, le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) est chargé de l'éducation aux médias dans l'ensemble du système éducatif . Il a pour objectif d'apprendre aux élèves une pratique citoyenne des médias par le biais notamment de partenariats entre les enseignants et les professionnels de l'information.

Le CLEMI a en particulier la responsabilité de la Semaine de la presse et des médias à l'école , dont la 28 e édition s'est tenue en mars 2017. Chaque année, les enseignants de tous niveaux et de toutes disciplines sont invités à participer à cette manifestation. Activité d'éducation civique, elle a pour but d'aider les élèves, de la maternelle aux classes préparatoires, à comprendre le système des médias, à former leur jugement critique, à développer leur goût pour l'actualité et à forger leur identité de citoyen. Cette opération est celle qui rassemble le plus d'enseignants et d'établissements au sein de l'Éducation nationale. Les éditeurs de presse offrent plus d'un million d'exemplaires de journaux et de magazines. Près de 1 900 médias s'inscrivent chaque année à l'opération. Le groupe La Poste est un partenaire essentiel à la réussite de l'événement. Sa filiale STP (Société de traitement de presse) se charge de la préparation des 45 000 colis à destination des établissements scolaires, qui sont ensuite acheminés et distribués par les facteurs.

Le CLEMI organise aussi chaque année le concours Varenne, en partenariat avec la Fondation du même nom, qui récompense les journaux scolaires et lycéens.

Entre aides aux éditeurs jeunesse et promotion de la presse auprès des jeunes, nul ne pourrait douter de la volonté des pouvoirs publics d'inverser la tendance. À ce jour, cependant, ces dispositifs, s'ils ont pu permettre d'éviter une fuite encore plus grande du lectorat jeune, n'ont hélas pas permis de l'attirer en nombre .

B. FUITE DES REVENUS ET ESSOR DES COÛTS : LA MAUVAISE ÉQUATION

1. Des recettes publicitaires en chute libre

La presse a enregistré, en 2016, 2,3 milliards d'euros de recettes publicitaires contre 2,5 milliards d'euros en 2015. Tous les segments sans exception ont à nouveau subi une baisse des investissements publicitaires : - 11,4 % pour la presse quotidienne nationale, - 4,8 % pour la presse régionale, - 7,3 % pour les magazines et - 5,4 % pour la presse spécialisée.

La répartition du chiffre d'affaires publicitaires de la presse imprimée

Marché publicitaire

2015

2016

évolution 2016/2015

en milliards d'euros

en %

Presse

2,450

2,286

-6,7

dont : publicité commerciale

2,029

1,885

-7,1

petites annonces

0,421

0,401

-4,7

Dont quotidiens nationaux

0,175

0,155

-11,4

dont : publicité commerciale

0,147

0,130

-11,8

petites annonces

0,028

0,025

-9,4

Dont quotidiens régionaux (2)

0,642

0,611

-4,8

dont : publicité commerciale

0,441

0,420

-4,7

petites annonces

0,201

0,191

-5,0

Dont hebdomadaires régionaux

0,112

0,111

-1,1

dont : publicité commerciale

0,069

0,068

-1,0

petites annonces

0,044

0,042

-3,6

Dont magazines

0,889

0,824

-7,3

dont : publicité commerciale

0,851

0,788

-7,4

petites annonces

0,037

0,036

-3,7

Dont spécialisés

0,279

0,264

-5,4

dont : publicité commerciale

0,226

0,215

-5,0

petites annonces

0,053

0,049

-7,1

Dont gratuits

0,353

0,321

-9,0

dont : publicité commerciale

0,295

0,264

-10,7

petites annonces

0,058

0,058

-0,6

dont : presse gratuite d'annonces

0,260

0,239

-8,0

presse gratuite d'information

0,093

0,082

-11,8

Source IREP

S'agissant de la presse quotidienne d'information politique et générale, le chiffre d'affaires publicitaire a enregistré une baisse de 45 millions d'euros entre 2013 et 2016 , alors que croissait parallèlement légèrement les revenus publicitaires de la presse numérique.

Chiffre d'affaires publicitaire de la presse quotidienne imprimée et digitale

Source : SPQN

En conséquence, la proportion des recettes publicitaires , tous supports confondus, dans le chiffre d'affaires du secteur de la presse quotidienne nationale est passée de 32 % en 2013 à 28 % en 2016 , au profit des recettes issus des ventes, dont la proportion a crû grâce à l'essor des ventes numériques. Pour autant, l'évolution différenciée des deux sources de revenus de la presse n'a pas conduit à limiter la chute de son chiffre d'affaires sur la période.

Proportion de la publicité et des ventes
dans le chiffre d'affaires de la presse quotidienne

Source : SPQN

La proportion de la publicité dans le chiffre d'affaires des entreprises de presse, si elle décroît globalement, varie cependant selon le type de publications . Elle s'établit respectivement à 28,3 % pour la presse nationale d'information politique et générale, à 36,5 % pour la presse locale d'information politique et générale, grâce notamment à la publication des annonces judiciaires et légales (cf supra), à 22 % pour la presse spécialisée grand public et à 42,4 % pour la presse spécialisée technique et professionnelle.

Pour autant, la position favorable de la presse quotidienne en région s'étiole un peu plus chaque année. Son chiffre d'affaires publicitaire, qui s'établissait à 1,1 milliard d'euros en 2016, n'est plus que de 684 millions d'euros dix ans plus tard, dont 72 millions d'euros sur les supports numériques. Pour Jean Viansson-Ponté, président du SPQR auditionné par votre rapporteur pour avis, « la publicité, c'est la bérézina » .

La presse, plus que tout autre média historique, souffre de la bascule progressive de la publicité vers Internet , qui, en 2016, a supplanté pour la première fois la télévision (29,6 % des recettes contre 28,1 % des recettes publicitaires des médias) comme première destination des investissements publicitaires dans les médias. En dix ans, la presse a ainsi vu son chiffre d'affaires publicitaire reculer de 53 %.

La presse, première victime du recul de la publicité sur les médias historiques

Source : SPQN

En 2016, les revenus publicitaires des médias historiques ont continué à décroître pour atteindre 7,54 milliards d'euros (- 1,6 % par rapport à 2015), alors que la publicité digitale enregistrait une croissance de 7 % lui permettant de s'établir à 3,45 milliards d'euros. Dans ce contexte, si les revenus de la télévision sont relativement stables (+ 0,4 %), ceux du cinéma progressent (+ 8,9 %), tandis que s'effondrent les recettes publicitaires de la presse (- 6,7 %) et, dans une moindre mesure, de la radio (- 1,3 %).

L'année 2017, selon les premiers chiffres publiés par l'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP), s'annonce tout aussi inquiétante pour les médias historiques. Au premier trimestre, la tendance est à une baisse de 2,4 % alors qu'à la même période, l'année 2016 enregistrait un résultat légèrement positif de + 0,4 %. Dans ce cadre, la télévision a vu ses revenus publicitaires diminuer de 0,8 %, le cinéma, habituellement préservé, de 14,1 % et la presse de 5 %. Selon l'IREP, l'année 2017 devrait se conclure, pour la presse, par un recul de 6,3 % de ses revenus issus de la publicité . Seule embellie pour les médias historiques, l'assouplissement du régime du parrainage à la télévision 1 ( * ) par le décret du 15 février 2017 devrait permettre à la télévision de clore l'année en augmentation de 1,6 % grâce à une hausse de 19 % des recettes publicitaires sur les espaces de parrainage.

L'État, au travers de l'achat d'espaces publicitaires par les ministères, le service d'information du Gouvernement (SIG) et les établissements sous tutelle, tente, malgré un cadre budgétaire fort contraint, de soutenir les médias et notamment la presse imprimée. En juillet 2017, les investissements publicitaires de l'État dans les médias s'élevaient à 50,1 millions d'euros. Si Internet demeure le premier média investi, la presse se place désormais en troisième position après la télévision, alors qu'elle se situait au cinquième rang l'an passé.

Alors que le ministère de la culture a récemment mené une consultation publique sur la simplification des règles relatives à la publicité télévisée, votre rapporteur pour avis s'inquiète des conséquences, sur un secteur durement touché par la crise, d'un nouvel assouplissement du régime juridique applicable à la publicité télévisée , qui a, contrairement à la presse écrite, était relativement épargné par le recul global du chiffre d'affaires de la publicité sur les médias traditionnels. De fait, le précédent de l'ouverture progressive de la publicité télévisée aux secteurs de la distribution et du cinéma entre 2003 et 2007 n'a eu aucun effet positif sur le marché publicitaire global, tout en provoquant un transfert massif des investissements publicitaires au profit de la télévision , au détriment de la presse, de l'affichage et de la radio.

2. La presse papier : un produit de luxe ?

Si le marché de la pâte à papier, à la différence d'autres matières premières, connaît heureusement depuis vingt-cinq ans une augmentation limitée des prix, la production de la presse imprimée induit des coûts industriels , notamment d'imprimerie et de diffusion, qui la rendent plus difficilement rentable, dans un contexte où les prix, pour un achat quotidien, ne peuvent progresser déraisonnablement.

Cela étant, hormis la diffusion, dont la rentabilité relève du rocher de Sisyphe (cf supra), en proportion les frais relatifs au papier et à l'impression dans le chiffre d'affaires des entreprises de presse ont enregistré une progressive diminution, passant de 36 % en 2008 à 18,5 % en 2014.

L'évolution des parts des frais d'achats de papier et frais d'impression sur le CA

Source : DGMIC - Enquête presse

Sans méconnaître les efforts réalisés par les entreprises de presse elles-mêmes pour se moderniser afin de réduire leurs coûts d'impression , qui ont effectivement reculé de 36 % entre 2008 et 2014, peuvent être salués les fruits du dispositif créé par la loi de finances rectificative pour 2004. L' aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale vise à prendre en charge les allocations de pré-retraite versées aux salariés concernés, pour la partie incombant à l'État (46,4 % du total soit 187,5 millions d'euros sur la durée du plan). Outre une interdiction d'embauche dans les entreprises concernées pendant trois ans pour éviter de reconstituer les sureffectifs, le plan comprend :

- une allocation spéciale pour la presse quotidienne nationale (le « plan RECAPP »), versée aux travailleurs ayant fait l'objet d'un licenciement économique. Elle a été ouverte en 2005 (convention cadre du 30 septembre 2005 et décret du 2 septembre 2005) aux ouvriers et employés de plus de 50 ans et cadres de plus de 55 ans. 25 conventions d'entreprise ont été signées au bénéfice de 436 volontaires sur un maximum fixé à 586 ;

- une allocation spéciale pour la presse départementale et régionale (décret du 2 juin 2006), établie selon des règles similaires. 39 conventions d'entreprise ont été signées, pour 1 333 personnes ayant demandé à bénéficier du dispositif sur un objectif initial de 1 800.

En pratique, l'État verse annuellement les crédits prévus à l'organisme chargé de la gestion de l'allocation - la Caisse presse de salaire garanti (CAPSAG) pour la presse parisienne et le groupe Audiens pour la presse en régions -, soit 1,3 million d'euros au titre de l'année 2017 pour 94 personnes demeurant encore dans le dispositif (28 au titre de la presse nationale et 66 pour la presse locale). Si le nombre de bénéficiaires et la part de l'État dans le financement ont été connus dès la création de la mesure, les réformes successives intervenues en matière de retraite ont retardé la date de liquidation des pensions et introduit la charge de l'État d'environ 20 millions d'euros, soit un total de 187,4 millions d'euros. Le dispositif devrait s'éteindre à la fin de l'année 2020, année où seulement 100 000 euros lui seront affectés pour sept bénéficiaires.

Parallèlement, à l'issue des États généraux de la presse écrite en 2009, de nouvelles mesures de réduction d'effectifs dans les entreprises de presse ont été prises, afin de diminuer le coût de fabrication des journaux dans un contexte de crise des ventes . À cet effet, un accord a été signé le 9 novembre 2009 entre les employeurs et plusieurs syndicats professionnels pour une cible de 350 emplois. Il prévoit un dispositif appelé « IMPRIME » de congé de reconversion professionnelle de trois ans , payé entre 85 % et 75 % du salaire, à l'issue d'un licenciement, pour lequel le ministère du travail a versé 67,7 millions d'euros.

Par ailleurs, aux fins de modernisation des outils de production, l'État a mobilisé 5 millions d'euros des crédits du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) en 2011 et en 2012 pour un projet de nouvelle imprimerie en région parisienne, « Newsprint », rassemblant l'impression des suppléments du Figaro , du Monde, de Libération , des Echos et de L'Humanité , ainsi que le titre 20 Minutes . Le projet a commencé en mars 2014 et le montant d'investissement s'élève à 15,7 millions d'euros à ce jour, tous partenaires confondus.

Les plans successifs ne furent malheureusement pas suffisants et, compte tenu de la poursuite de la baisse de la diffusion imprimée, une nouvelle restructuration des sites de production s'est imposée en 2014. La presse nationale était alors imprimée sur l'ensemble du territoire dans treize imprimeries : six appartenant au groupe Riccobono (pour Le Figaro, La Croix, Libération, Paris Turf, L'Humanité, Le JDD en Île-de-France), six au groupe Amaury (pour ses titres L'Équipe, le Parisien, Aujourd'hui en France ainsi que le JDD en province) et l'imprimerie du Monde à Paris.

En juillet 2014, le Monde a annoncé son intention de fermer son imprimerie d'Ivry-sur-Seine en 2015, fragilisée par le départ de plusieurs titres ( Direct Matin Plus et Les Échos , notamment). Cette fermeture intervient dans le cadre d'une réorganisation plus vaste de l'impression de la presse quotidienne nationale, avec la fermeture également programmée de l'imprimerie d'Amaury à Saint-Ouen, soit un plan social portant à nouveau sur 205 salariés.

Un accord collectif a été signé le 17 mars 2015 avec les principaux syndicats sur un plan de filière pour la période 2015-2020 pour les imprimeries concourant à l'impression de la presse quotidienne nationale , comprenant notamment un plan d'accompagnement social dit « 3M » (modernisation, mutualisation, mutation) , fondé sur le financement de la formation et le reclassement de l'ensemble des salariés concernés.

Dans un contexte social tendu, l'État a accordé son soutien, dans la limite de 50 % des coûts du plan d'accompagnement au-delà des 48 millions d'euros pris en charge par les éditeurs de presse et sous un plafond de 8,5 millions d'euros . Cette participation, qui porte sur des actions de formation et de reconversion professionnelle , est financée prioritairement sur l'enveloppe de 4 millions d'euros correspondant au reliquat des autorisations d'engagement non utilisées au titre du dispositif IMPRIME. L'imprimerie du Monde à Ivry a finalement fermé ses portes le 5 septembre 2015, suivie un mois plus tard par celle du groupe Amaury à Saint-Ouen.

La presse quotidienne régionale possède pour sa part son propre outil d'impression avec vingt-huit sites d'impression, auxquels s'ajoutent trois sites du groupe Amaury. Le cabinet PMP a mené, de novembre 2014 à mars 2015, une étude commandée par le ministère de la culture sur les imprimeries de la presse quotidienne régionale, qui analyse les différents scénarios de reconfiguration possible du fait de la baisse des tirages, notamment des restructurations par voie de mutualisation . Une première réalisation réside dans l'annonce, en septembre dernier, par le directeur du groupe de presse du Crédit Mutuel, de sa volonté de fermer l'imprimerie du Républicain Lorrain , à Woippy (Moselle), pour en confier la réalisation à celle de L'Est Républicain , située à Houdemont (Meurthe-et-Moselle), et celle du journal L'Alsace , de Mulhouse (Haut-Rhin), qui serait imprimé à Strasbourg sur les rotatives des Dernières Nouvelles d'Alsace . Ce regroupement des imprimeries pourrait générer 6 millions d'euros d'économies pour L'Alsace et 9 millions d'euros pour Le Républicain Lorrain , dans un contexte où les dix titres du groupe, à l'exception du Dauphiné , enregistrent des pertes avec un déficit global de 55 millions d'euros en 2016.

À l'occasion du lancement du plan 3M, il a été confirmé que les plans de modernisation sociale ont vocation à être progressivement mis en extinction, le soutien de l'État passant désormais par le FSDP . L'aide vise soit des entreprises de presse (financement de 40 % des dépenses éligibles), soit des projets collectifs (financement de 60 % des dépenses éligibles). Les projets doivent justifier de l'absence de surcapacité d'impression dans la zone de production concernée « pour des besoins équivalents ». Néanmoins, du fait de la réduction des capacités d'investissement dans le secteur, le nombre de projets soutenus connaît une baisse significative : alors qu'en 2014, dix projets liés à l'impression ont été aidés pour 7 millions d'euros, soit un tiers des montants attribués au cours de l'année par le FSDP, en 2016, ce sont seulement cinq projets liés à l'impression qui ont été aidés pour un montant total de 500 000 euros, soit moins de 5 % des montants attribués au cours de l'année par le fonds.

Les efforts réalisés sur les coûts de production seront toutefois amoindris par l' imposition du secteur à de nouvelles charges.

Concrétisation du principe du « pollueur-payeur », la notion de responsabilité élargie du producteur (REP) appliquée à la filière papier est inscrite depuis 2008 à l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement, qui dispose « tout donneur d'ordre qui émet ou fait émettre des imprimés papiers, y compris à titre gratuit, à destination des utilisateurs finaux, contribue à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés papiers, ménagers et assimilés ainsi produits » .

La REP institue une contribution annuelle , mise à la charge du metteur sur le marché, calculée sur la base du tonnage de papiers émis . Pour 2016, le montant de l'éco-contribution était de 54 euros HT/tonne. Cette contribution est collectée par l'organisme Ecofolio , société privée agréée par l'État (ministères de l'écologie, de l'économie et de l'intérieur), qui la reverse sous forme de soutiens financiers aux collectivités territoriales en charge du service public de gestion des déchets.

Jusqu'à l'adoption de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, les publications de presse reconnues par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) - soit plus de 8 000 titres - étaient exonérées de cette contribution , en raison du rôle particulier que joue la presse dans l'expression du pluralisme des idées , ainsi qu'au regard des difficultés économiques qu'elle traverse. En retour, la presse s'était engagée en faveur du recyclage par d'autres moyens, notamment par la diffusion coordonnée de campagnes de sensibilisation au tri et au recyclage des papiers imprimés (convention d'engagement volontaire de la presse signée avec Ecofolio en 2013).

Bien que les arguments évoqués pour exonérer la presse de la REP soient plus que jamais valables, la loi précitée du 17 août 2015 est venue modifier le code de l'environnement pour supprimer l'exonération dont bénéficiait la presse , qui contribue désormais à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés papiers qu'elle produit.

Toutefois, et heureusement, la presse bénéficie d' un aménagement particulier dans la mise en oeuvre de cette nouvelle obligation , la contribution pouvant être acquittée « en tout ou partie sous forme de prestations en nature prenant la forme d'une mise à disposition d'encarts publicitaires destinés à informer le consommateur sur la nécessité de favoriser le geste de tri et le recyclage du papier ». En outre, les conditions dans lesquelles cette contribution en nature doit être apportée doivent être établies « en fonction des caractéristiques des publications » .

Une mission a été confiée au député Serge Bardy et au sénateur Gérard Miquel par la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et la ministre de la culture et de la communication, afin de proposer des critères environnementaux permettant de déterminer la proportion dans laquelle les metteurs sur le marché peuvent verser leur contribution en nature.

Sur le fondement de leurs conclusions, le décret n° 2016-917 du 5 juillet 2016 complété par l'arrêté du 28 décembre 2016 prévoit que le montant de l'éco-contribution due annuellement par un éditeur est déterminé en fonction des tonnages de papier qu'il a mis sur le marché et qui ont été pris en charge par le service public de gestion des déchets , exception faite des invendus, qui empruntent des circuits de recyclage spécifiques, et d'une fraction des publications que l'on estime être conservées par les lecteurs ou qui emprunte un autre circuit d'élimination.

Il fixe également quatre critères permettant de déterminer la proportion dans laquelle un éditeur peut verser sa contribution sous forme de prestations en nature : la composition du papier, la présence d'éléments perturbateurs de recyclage, l'empreinte carbone de la et la transparence environnementale. Chacun de ces critères, lorsqu'il est satisfait, ouvre la possibilité, pour l'éditeur, de verser 25 % de sa contribution sous forme de prestation en nature.

La presse payante, dans son ensemble, devrait a priori s'acquitter annuellement, à partir du 1 er janvier 2018, d'une contribution, sous la forme financière, de 8 millions d'euros . Le reste de la contribution, versée sous forme de prestations en nature, représenterait 22 millions d'euros . La presse magazine serait la catégorie de presse la plus durement taxée, en raison des papiers et encres utilisés, des nombreux perturbateurs de recyclage et des circuits d'impression empruntés souvent à l'étranger.

Votre rapporteur pour avis déplore la création d'une véritable usine à gaz , qui oblige les entreprises de presse à collecter un nombre abracadabrant de paramètres des plus complexes. Il s'inquiète également des conséquences sur le prix des publications , qui, depuis le début de la crise en 2008, croît déjà dans des proportions très supérieures à l'indice des prix à la consommation, notamment pour ce qui concerne les quotidiens. Ainsi, sur une base 100 en 2015, l'indice d'ensemble s'établit à 100,9 en 2017 contre 107,2 pour les journaux et magazines. Si la presse écrite venait à devenir un produit de luxe, il ne fait guère de doute que toute tentative d'attirer de nouveaux lecteurs, en particulier parmi les jeunes, resterait vaine.

C. L'INDISPENSABLE BÉQUILLE DES AIDES PUBLIQUES

1. Des aides directes ciblées

Les aides directes à la presse - 119,4 millions d'euros en 2018 hors aide au transport postal et contribution de La Poste, soit 41,9 % des crédits du programme 180 « presse et médias » - comprennent :

- les aides à la diffusion (45,74 millions d'euros) que sont l'aide au portage et la compensation à la Sécurité sociale de l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse ;

- les aides au pluralisme ( 16,03 millions d'euros) au bénéfice des publications nationales et locales d'information politique et générale à faible ressources publicitaires et de petites annonces ;

- les aides à la modernisation (57,66 millions d'euros) : modernisation sociale dans les imprimeries, contribution à la restructuration de Presstalis, modernisation des diffuseurs de presse et fonds stratégique pour le développement de la presse.

Leur objectif, leur dotation budgétaire et leur efficacité sont détaillées ci-après par votre rapporteur pour avis dans les chapitres thématiques du présent avis budgétaires. Elles demeurent en tout état de cause globalement limitées par rapport aux aides indirectes , alors qu'elles seules rentrent dans les comptes d'exploitation des entreprises de presse et permettent à l'éditeur de mettre en oeuvre une stratégie déterminée.

Les aides indirectes , hors aide au transport postal et contribution de La Poste au transport de la presse, prennent la forme d' un dispositif fiscal ou social , sont neutres en matière de support , c'est-à-dire qu'elles s'imputent indifféremment à la presse imprimée et à la presse numérique.

Les aides indirectes à la presse en 2016

Source : Spiil

Les dispositifs sociaux concernent les journalistes ; il s'agit de l'abattement d'impôt sur le revenu dont ils bénéficient pour un coût de 60 millions d'euros par an et de l'abattement de cotisations sociales (172 millions d'euros). Les dépenses fiscales - taux super réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et exonération de contribution territoriale - s'appliquent aux entreprises de presse.

2. Des aides indirectes généralistes

Le taux « super-réduit » de TVA, réservé depuis 1977 aux quotidiens et assimilés, a été étendu à l'ensemble des titres ayant obtenu un numéro d'inscription auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) à partir du 1 er janvier 1989, par la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 de finances pour 1988, puis à la presse en ligne en 2014 (cf supra). En sont exclues les publications violentes ou pornographiques, non reconnues par la CPPAP et taxées en conséquence au taux normal de TVA.

Le taux applicable aux bénéficiaires du dispositif est codifié à l'article 298 septies du code général des impôts : les ventes, commissions et courtages portant sur les publications de presse sont soumis à la TVA au taux de 2,1 % dans les départements métropolitains, y compris la Corse, et de 1,05 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Il n'existe pas de TVA en Guyane.

Environ 1 700 entreprises de presse bénéficient de ce dispositif , dont le coût, équivalant à l'imposition des publications au taux de 2,1 % comparée à l'assujettissement au taux réduit, est évalué à 160 millions d'euros pour 2018, soit la principale masse financière des aides à la presse . Cette dépense a cependant tendance à décroître en conséquence de l'attrition des ventes d'exemplaires imprimés que ne compense pas la croissance des ventes numériques.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1458 du code général des impôts, est exonéré de la contribution économique territoriale (CET) 2 ( * ) l'ensemble des entreprises du secteur de la presse : les publications de presse ; les sociétés coopératives de messageries de presse et les sociétés dont elles détiennent majoritairement le capital et auxquelles elles confient l'exécution d'opérations de groupage et de distribution ; les agences de presse, les services de presse en ligne, les vendeurs-colporteurs de presse, ainsi que les correspondants de la presse locale.

Les diffuseurs de presse bénéficient également, sous certaines conditions, de l'exonération de CET . En application de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, l'exonération s'applique à compter de l'imposition au titre de l'année 2015, sous réserve que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre concernés aient pris une délibération en ce sens avant le 1 er octobre 2014.

La faculté d'exonération étant cependant très peu pratiquée , la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 a prévu une exonération automatique de la CET pour les diffuseurs indépendants de presse (article 1458 bis nouveau du code général des impôts). Le dispositif fait désormais l'objet d'une compensation financière par l'État, dont le montant devrait s'élever à 11 millions d'euros en 2018 pour 11 500 points de vente exonérés.

II. LES ENJEUX DE LA PRESSE DIGITALE

A. LA PRESSE NUMÉRIQUE : UNE ÉVIDENCE INDUSTRIELLE À LA RENTABILITÉ INCERTAINE

1. Le numérique ou la mort ?

L'érosion continue et inéluctable du marché de la presse papier conduit depuis plusieurs années les éditeurs à orienter leur offre vers les supports numériques . Les offres digitales apparaissent en effet comme des leviers de croissance et un moyen de rajeunir un lectorat vieillissant .

Le poids du numérique

Source : ACPM/OJD

La structure de l'audience

Source : Étude ACPM/OJD

Les usages numériques eux-mêmes évoluent : si les sites fixes d'entreprises de presse continuent de comptabiliser la majorité des visites, ils perdent de leur attractivité, très fortement concurrencés par les sites mobiles et les applications, qui enregistrent, en 2016, une croissance spectaculaire , compte tenu de la montée en puissance des lectures mobiles , dans la presse comme dans l'ensemble des industries de contenus. Ainsi, si 77 % des Français déclarent lire au moins une marque de presse en version numérique, ils sont 58 % à le faire via un smartphone ou une tablette.

Fréquentation numérique

Source : ACPM/OJD

Répartition des usages numériques

Source : ACPM/OJD

Pourtant, bien qu'évidente, la mutation digitale de la presse est difficilement quantifiable . La principale difficulté est d'ordre comptable , dans la mesure où les entreprises de presse, dans leur majorité, ne distinguent, dans leur comptabilité, ni les charges ni les produits de leur activité liés à leurs services de presse en ligne. S'agissant des charges, les frais de personnel, et notamment ceux des journalistes, ne sont pratiquement jamais isolés dans le cadre d'une comptabilité analytique précise, tandis qu'au niveau des recettes, les formules d'abonnements liées à la seule consultation digitalisée du titre sont quasi inexistantes et ne font, de ce fait, pas non plus l'objet d'une ligne comptable dédiée. Les chiffres peuvent être observés uniquement dans le cas où existent des sociétés spécifiques, filiales de groupe de presse dédiées à cette activité, mais ils ne peuvent alors être obtenus sur un poste précis comme celui des recettes d'abonnements aux titres, puisqu'ils sont inclus dans un poste générique de « produits d'exploitation ».

L'enquête administrative annuelle lancée par la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture sur les entreprises ayant pour activité des services de presse en ligne ne fait pas encore l'objet d'une publication de résultats, tant ceux-ci restent peu satisfaisants en termes de qualité. En outre, l'activité elle-même n'est pas encore suffisamment inscrite dans la durée pour permettre l'obtention de résultats fiabilisés en termes statistiques.

Selon les estimations du SPQN, le chiffre d'affaires numérique s'établirait à 152 millions d'euros en 2016 , soit une hausse de 64 millions d'euros en trois ans.

L'évolution du chiffre d'affaires digital de la presse nationale

Source : SPQN

De manière absolument fiable, les seuls chiffres d'affaires disponibles liés aux services de presse en ligne sont ceux des recettes publicitaires globales produits par l'IREP et le pourcentage moyen de la part que représente cette activité au sein des plus grandes entreprises du secteur. Il ressort de ces données, certes partielles, qu' Internet demeure une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse écrite et ne compense pas les pertes de revenus traditionnels du secteur , sauf pour la presse technique professionnelle et la presse gratuite d'annonces, qui affichent des résultats remarquables bien supérieurs à la moyenne observée (respectivement 24,6 % et 64,0 %). De fait, malgré la croissance de l'activité numérique, le chiffre d'affaires de la presse s'est érodé de 50 millions d'euros entre 2013 et 2016.

L'évolution du chiffre d'affaires du secteur de la presse nationale

Source : SPQN

S'agissant de la presse quotidienne régionale et départementale, si en 2016, les ventes numériques enregistrent une croissance de près de 40 % , face à une diminution de 5,3 % pour la vente au numéro et à une relative stabilité des abonnements postés et portés, elles ne représentent encore que 1 % du chiffre d'affaires .

Globalement, le chiffre d'affaires lié aux services dématérialisés parvient difficilement à dépasser les 5 % du chiffre d'affaires de l'ensemble des 300 plus importants éditeurs de presse écrite, toutes catégories confondues.

Part de l'activité Internet dans le chiffre d'affaires total

En pourcentages

2012

2013

2014

2015

Chiffre d'affaires Presse

Info générale & politique nationale

2,17 %

3,29 %

4,47 %

4,74 %

Info générale & politique locale

0,30 %

0,38 %

0,68 %

0,82 %

Presse gratuite d'information

2,17 %

5,53 %

9,30 %

13,61 %

Presse spécialisée grand public

2,65 %

2,90 %

1,01 %

1,28 %

Presse spécialisée technique/pro

16,11 %

18,47 %

23,40 %

24,63 %

Presse gratuite d'annonces

35,47 %

41,82 %

57,97 %

64,03 %

Ensemble

4,52 %

4,69 %

4,64 %

5,05 %

Source : Enquête DGMIC

Ce résultat quelque peu décevant pourrait n'être que transitoire. En effet, le tarif de l'abonnement numérique étant très inférieur au tarif de l'abonnement « papier », la croissance observée du nombre d'abonnements, bien que fort variable selon les titres , permet, sous réserve d'une minoration proportionnelle, d'estimer comme non-négligeable le montant des recettes d'abonnements en version numérique et comme prometteuse l'évolution de la part du numérique dans le chiffre d'affaires de la presse .

La presse quotidienne nationale

Part de la diffusion numérique et évolution en 2016

Part du numérique
sur la diffusion payée

Évolution 2015-2016

Aujourd'hui en France

1,46 %

406,40 %

La Croix

9,54 %

18,65 %

Les Échos

27,01 %

10,57 %

L'Humanité

1,10 %

0,58 %

Libération

14,19 %

20,34 %

Le Monde

27,64 %

33,86 %

Le Figaro

19,57 %

81,68 %

La presse quotidienne régionale

Part de la diffusion numérique et évolution en 2016

Part du numérique
sur la diffusion payée

Évolution 2015-2016

Le Dauphiné Libéré

1,57 %

50,05 %

Le Progrès - La Tribune

2,88 %

16,16 %

Midi Libre

4,47 %

28,02 %

La Dépêche du Midi

2,57 %

37,14 %

Les Dernières Nouvelles d'Alsace

0,96 %

38,42 %

L'Est Républicain

2,30 %

30,27 %

La Nouvelle République du Centre-Ouest

0,66 %

13,04 %

Ouest France

1,87 %

43,89 %

Le Parisien

6,36 %

44,46 %

Le Populaire du Centre

1,87 %

19,49 %

La Provence

4,48 %

39,84 %

Le Républicain Lorrain

1,85 %

8,83 %

Sud-Ouest

5,09 %

75,67 %

Le Télégramme

1,82 %

83,32 %

La Voix du Nord

3,74 %

21,89 %

Source : ACPM/OJD

Signe que le numérique s'est définitivement imposé comme une nécessité pour les titres de presse, L'Humanité , dernier des Mohicans en la matière, a annoncé la mise en oeuvre d'un projet digital combinant des contenus et des services monétisables, afin, notamment, d'élargir l'audience quelque peu âgée du titre. À cet effet, une campagne de dons et souscriptions a été lancée par le quotidien en juillet dernier à hauteur de 350 000 euros.

2. Des réussites exemplaires

La majorité des éditeurs ont choisi de développer, parallèlement à la version papier de leur titre, une version numérique qui, progressivement, affiche une rentabilité satisfaisante tout en attirant un nouveau lectorat. En 2017, à titre d'illustration, The Economist affiche, avec plus de 402 000 exemplaires consultés sur les six premiers mois de 2017 (contre 325 000 en 2016 à la même période), une croissance continue de sa diffusion numérique. Au niveau mondial, la rentabilité de la version digitale a cru de 5 % et les abonnements de 23,7 % sur la période (+ 17,8 % en France). Le titre a également augmenté de 32,5 % son audience sur les réseaux sociaux avec 24,4 millions d'abonnés à son fil Twitter et 9,5 millions à son compte Facebook.

Le premier semestre de l'année 2017 a également vu la validation de la stratégie digitale du groupe Reworld Media ( Be , Auto-Moto , Gourmand , Pariscope ou Modes et travaux ), avec un chiffre d'affaires, en croissance de 23 % et un résultat opérationnel multiplié par trois. Pour la branche magazines, si les revenus proviennent encore majoritairement du papier (ventes et publicités), le recul de 6 % de l'imprimé sur les six premiers mois de l'année est compensé par l'augmentation de 38 % du chiffre d'affaires numérique. En fonction des titres et de leur lectorat, le groupe a imaginé supprimer certaines versions imprimées ( Pariscope et Be ), tandis qu'il ouvrait une version digitale pour d'autres titres ( Marie-France et Auto-Moto ).

Certains éditeurs ont préféré développer uniquement, soit par abandon de la version papier, soit par création d'un site ex nihilo , une version numérique de leur titre. Les pure players (ou service de presse « tout-en-ligne » selon le terme proposé par la commission générale de terminologie et de néologie pour traduire l'expression anglophone), en l'absence de charges fixes liées à l'impression, apparaissent plus facilement rentables , comme le montre l'expérience de l'ancien quotidien économique La Tribune ou, plus récemment, de The Independant , premier quotidien national britannique à cesser la parution papier en mars 2016, redevenu rentable pour la première fois depuis vingt-trois ans.

La presse locale n'est pas en reste avec un foisonnement de titres digitaux sous la forme de pure players , qui concurrence les versions numériques des titres de presse locale, à l'instar de Marsactu , quotidien d'enquêtes locales à Marseille animé par six journalistes indépendants épaulés par deux développeurs. Créé en 2010 sur le modèle d'un accès gratuit aux contenus financé par la publicité, il est, depuis 2015, uniquement dépendant des abonnements, avec un objectif de 5 000 abonnés en 2019, et, comme entreprise solidaire de presse, de ses lecteurs-actionnaires.

3. Le chaud-froid européen

Les réussites de nombreux titres, qu'ils soient ou non pure players , dans l'univers numérique et, plus globalement, la mutation digitale de la presse, doivent être encouragées. Dans cette perspective, le projet de création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse sur le modèle de celui qui existe, depuis 1985 en droit français, au profit des éditeurs producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle leur donnant la possibilité d'autoriser ou d'interdire l'utilisation et l'exploitation de leur prestation et de prétendre à une rémunération en contrepartie, est porteur de nombreux espoirs.

L'idée d'un droit voisin pour les éditeurs de presse émerge au moment du débat sur la création d'une « taxe Google », au début des années 2010, visant à faire contribuer la société au financement de la presse au titre des liens vers les articles fournis par Google News. En France, si la tentation est provisoirement abandonnée en 2012 au profit d'un fonds d'aide aux projets innovants financé par l'entreprise (cf supra), l'idée ressurgit au sujet de la sécurisation juridique des redevances pour copie privée au bénéfice des éditeurs de presse dans le cadre d'une exception, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 12 novembre 2015 défavorable aux droits des éditeurs.

Finalement, le droit voisin pour les éditeurs de presse réapparait dans le projet de réforme de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, présenté par la Commission européenne le 14 septembre 2016.

Si la France soutient très clairement cette disposition, afin de permettre aux éditeurs de disposer d'un levier de négociation avec les plateformes en matière d'exploitation numérique de leurs contenus et de partage de la valeur ainsi créée, les modalités de sa mise en oeuvre et son efficacité sur l'économie de la presse demeurent incertaines . En Allemagne et en Espagne, les tentatives de mise en oeuvre d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse se sont d'ailleurs soldées par des échecs.

De fait, la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse cristallise, comme plusieurs autres dispositifs controversés du projet de directive, les oppositions et conduit, par des reports de vote réguliers, à un retard important du calendrier d'adoption de la réforme par le Parlement européen puisque la commission au fond ne se prononcera au mieux qu'à la fin du mois de janvier 2018.

En outre, si la présidence estonienne a rappelé que la législation sur le droit d'auteur constituait la priorité de son mandat, les négociations entre États membres achoppent au sein du Conseil européen. Une douzaine de pays, dont le Benelux, la Pologne, le Royaume-Uni et l'Irlande, réfléchissent à une alternative au droit voisin, qui consisterait en un « droit à défendre en leur nom propre les droits des auteurs et à chercher des recours » , comme le proposait Therese Comodini Cachia, initialement rapporteur au fond au Parlement européen, démarche critiquée par Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, devant la commission culture du Parlement. La présidence estonienne a présenté aux États membres une solution de compromis sous la forme d'une double option : la création d'un droit voisin pour une durée de vingt ans ou la reconnaissance, pour les éditeurs de presse, qu'ils sont habilités à conclure des accords de licence et à faire appliquer un droit à la reproduction et à la diffusion de leurs contenus.

Le dispositif mérite d'être précisé et son impact juridique - le professeur Pierre Sirinelli a estimé devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale que « le droit voisin ne constituait pas l'instrument pertinent pour lutter contre certains hyperliens parasitant les sites de presse » - et économique plus finement analysé , alors qu'il apparaît urgent de mieux valoriser les contenus de presse. Des précisions utiles pourront être apportées par le rapport confié par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) à Laurence Franceschini, dont les conclusions seront connues le 22 décembre prochain.

Dans cette attente, la grande majorité des éditeurs soutient le dispositif , exception faite de certains éditeurs de la presse en ligne, qui rappellent, par la voix du SPIIL, que le « le lien constitue l'essence d'Internet et permet sa richesse . Chercher à instaurer une possibilité d'opposition à sa mise en place vers un contenu accessible publiquement reviendrait à détruire ce qui fait l'intérêt de ce média. Il nuirait aussi bien à nos concitoyens qu'aux éditeurs, avant de nuire à des acteurs potentiellement visés par une telle action. Il rajouterait aussi une barrière importante pour les petits acteurs et les startups , privés de la possibilité financière de rentrer sur ces marchés. Il ne nous apparaît pas pertinent de chercher à limiter le référencement des contenus accessibles sur Internet , notamment lorsqu'il s'agit d'un simple lien menant à un contenu, accessible de manière publique, ou de la reprise d'éléments partiels mis à disposition des sites au sein de leurs flux RSS ou des métadonnées présentes au sein de leurs pages par exemple, là encore de manière publique » .

Dans un entretien accordé au journal Les Echos le 12 juin dernier, Alexandre Malsh, fondateur du groupe média Melty, réfute la mise en oeuvre d'une nouvelle norme juridique pour réguler le système, lui préférant les solutions concertées entre acteurs à l'instar des fonds financés par Google au niveau français puis européen, et de conclure : « il serait heureux, en France, de cesser de croire, une fois pour toutes, que c'est avec des lignes Maginot qu'on régulera le Net. Et faisons confiance aux acteurs pour maintenir un cercle vertueux en organisant la convergence de leurs intérêts communs, au plus grand bénéfice de tous » .

Votre rapporteur pour avis ne partage pas cette analyse et soutient le projet de création d'un droit voisin des éditeurs de presse au niveau européen. Il s'inquiète, en revanche, du projet de règlement européen dit ePrivacy , destiné à remplacer la directive ePrivacy 2002/58/CE, adopté le 19 octobre dernier par la commission libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen et prochainement présenté au vote en assemblée plénière. En l'état, le texte, en particulier ses articles 8 à 10, risque fort d' affaiblir les entreprises de presse et la diffusion en ligne d'informations de qualité , tout en renforçant l'hégémonie des géants de l'Internet, sans apporter la protection nécessaire aux internautes.

Le règlement ePrivacy prévoit que les internautes donneront leur consentement pour le recueil de leurs comportements de navigation par le biais de cookies , non plus sur chaque site consulté, mais d'une manière globale, sur les navigateurs ou interfaces aujourd'hui détenus par les grands acteurs technologiques mondiaux (Google, Microsoft et Apple), qui captent déjà 79 % du marché de la publicité digitale et 85 % de sa croissance.

Le dispositif privera les entreprises de presse d'un moyen indispensable de connaître les préférences de navigation de leurs lecteurs et, ainsi, d'adapter leur offre . Alors que la diffusion d'informations de qualité représente un enjeu central dans l'univers numérique, face à la multiplication des fake news , le projet de règlement, en portant gravement atteinte aux capacités de développement de la presse dans l'univers digital, met en danger la production de contenus par des équipes de journalistes professionnels. De l'opinion de votre rapporteur pour avis, le rôle essentiel de la presse dans la vie démocratique européenne est menacé .

Le chiffre d'affaires de la presse avec ou sans le dispositif ePrivacy

Source : SPQN

En outre, contrairement à l'objectif poursuivi et annoncé, le projet de règlement réduit la protection de la vie privée des internautes en ce qu'il favorisera la croissance des seuls univers « logués » , aux premiers rangs desquels ceux de Facebook et d'Amazon, dont la gestion des données personnelles apparaît pour le moins questionnable. Il contredit également le règlement 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit règlement général sur la protection des données (RGPD), qui entrera en application le 25 mai 2018, en ce qu'il substitue au choix individuel, contextualisé, spécifique et informé réalisé par l'internaute à l'occasion de l'accès à un service déterminé, un choix préalable, global, non spécifique et décontextualisé visant à accepter ou à rejeter, sans information préalable conforme aux principes du RGPD, les cookies lors de l'installation d'un logiciel de navigation.

Après une rédaction critiquable de la Commission européenne et un vote inquiétant de la commission LIBE du Parlement européen, l'espoir de voir le texte modifié de façon à prendre en considération les intérêts économique de la presse et les enjeux démocratiques de l'information repose sur le Conseil européen, au sein duquel le Gouvernement français, selon les informations dont dispose votre rapporteur pour avis, devrait adopter une position offensive.

B. BIENVENU MAIS LOIN DU COMPTE, LE SOUTIEN PUBLIC À LA TRANSITION NUMÉRIQUE

1. La qualité de SPEL, un précieux sésame

Aux termes de l'article 1 er de la loi n° 86-897 portant réforme du régime juridique de la presse modifiée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, un service de presse en ligne (SPEL) peut être défini comme « tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu , consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique , qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d'une activité industrielle ou commerciale ». Les SPEL ayant un contenu violent ou pornographique sont exclus de ce statut, dans des termes similaires à ceux prévus pour la presse imprimée.

Le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 modifié par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 précise les conditions à remplir pour être reconnu en tant que SPEL par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), dont la composition et les modalités de fonctionnement font l'objet du décret n° 97-1065 du 20 novembre 1997. Avec la réforme intervenue en 2014, la reconnaissance du caractère d'information politique et générale n'est plus subordonnée à l'obligation d'emploi, à titre régulier, d'au moins un journaliste professionnel. Cet assouplissement permet d'inclure les dirigeants non-salariés au sens du code du travail.

Évolution de l'appréciation de la qualité de SPEL par la CPPAP

Par les décisions qu'elle prend, la CPPAP élabore et fait évoluer une doctrine précisant les critères de reconnaissance des SPEL . Parmi les questions ayant fait l'objet de débats approfondis, figurent notamment la notion d'« information politique et générale » . En sont exclus les contenus à caractère trop spécialisé (par exemple des sites d'information médicale) ou ne présentant pas suffisamment d'information à caractère politique ou à caractère général. À l'instar de la presse papier, le traitement de l'information peut être prioritairement axé sur l'information locale à condition qu'elle soit suffisamment variée et comporte des analyses et commentaires des sujets d'actualité traités. Il a également été décidé de reconnaître le caractère d'information politique et générale, sous réserve d'un traitement diversifié et accessible à un large lectorat, des services qui traitent l'actualité sous un prisme particulier comme celui de l'économie ou du développement durable.

La commission s'est également penchée sur le critère d'ensemble cohérent s'agissant des caractéristiques techniques et éditoriales . La reconnaissance de la qualité de SPEL est accordée aux sites, applications et lettres électroniques répondant aux critères réglementaires sous forme de certificat délivré à une adresse URL, un titre de lettre ou d'application mobile ou tablette.

Confrontée à un nombre élevé de services en ligne se présentant sous la forme de sous-domaines , la commission a, en 2015, précisé sa doctrine quant à la limite qu'il convenait de retenir pour l'arborescence des sites reconnus comme SPEL. Transposant la règle appliquée pour la presse imprimée « un titre, un numéro », la CPPAP a ainsi fixé le principe selon lequel la reconnaissance s'attache à un ensemble cohérent, autonome et consultable de manière isolée et s'oppose désormais à la délivrance d'un certificat propre à un sous-domaine dès lors qu'il s'agit d'un démembrement d'URL n'ayant pas d'autonomie.

Elle a également précisé que l'introduction de sous-domaines commerciaux devait demeurer accessoire, toute offre de commercialisation de produits ou services relevant de taux de TVA différents de la presse en ligne devant en outre faire l'objet d' une ventilation fiscale , conformément aux prévisions de l'instruction fiscale du 31 janvier 2014.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

En 2016, sur les 415 dossiers examinés par la CPPAP, 272 sites se sont vu reconnaître la qualité de SPEL. Au total, au 31 juillet 2017, le nombre de services bénéficiant du statut de SPEL s'élevait à 963, dont 327 avec le caractère d'information politique et générale (251 au sens strict défini par le décret du 29 octobre 2009 précité et 76 consacrés « pour une large part à l'information politique et générale » selon les termes du code général des impôts). Selon le « bleu » budgétaire de la mission « Médias, livre et industries culturelles », le nombre de SPEL d'information politique et générale devrait atteindre 345 à la fin de l'année, pour s'établir à 380 en 2018 (indicateur 2.2 attaché au programme 180 « presse et médias »).

Sur les 963 sites Internet reconnus SPEL, 431 dont des pure players , dont 132 d'information politique et générale. Ils représentaient 56 % des demandes présentées à la CPPAP en 2016.

2. Des aides mobiles pour des besoins mouvants

La reconnaissance d'un site en tant que SPEL, qu'il soit ou non pure player , lui permet de bénéficier de certains avantages dévolus à la presse imprimée : exonération de la CET, application , depuis le 1 er février 2014, du taux super réduit de TVA à 2,1 % sur les ventes de contenus d'information, reconnaissance facilitée du statut de journaliste pour l'obtention de la carte d'identité des journalistes professionnels (carte de presse) et l'application de l'abattement sur les cotisations sociales et les frais professionnels.

Les rebondissements du taux super réduit de TVA

La loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne a rendu applicable aux SPEL, au 1 er février 2014, le taux super réduit de TVA à 2,1 % dont bénéficiait la presse imprimée . La France s'appuyait, ce faisant, sur la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui consacre la neutralité fiscale entre activités économiques de même nature. Surtout, cette distorsion était lourdement handicapante pour l'équilibre économique et le développement numérique des acteurs de la presse.

La dépense fiscale associée au taux super-réduit sur la presse en ligne a été évaluée à 5 millions d'euros en année pleine dans une étude réalisée en 2012 par le cabinet Kurt Salmon, pour un passage de TVA de 20 % à 2,1 %. Ce chiffre se fonde sur une évaluation du chiffre d'affaires de la presse en ligne estimée à 100 millions d'euros, dont 30 % au titre des abonnements.

En application des articles 56 et 98 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA, la Commission européenne considère cependant que les services culturels en ligne (livre numérique, presse en ligne, vidéo à la demande, musique en ligne), qui entrent dans la catégorie des services fournis par voie électronique, sont exclus par la réglementation communautaire en vigueur du bénéfice d'un taux de TVA minoré . Elle a logiquement estimé que l'application en France du taux super réduit à la presse en ligne contrevenait au droit de l'Union européenne et lui a adressé une mise en demeure le 10 juillet 2014 , à laquelle il a été répondu en septembre de la même année.

Comme la France l'a exprimé de manière constante, l'objectif est d'obtenir une évolution du cadre réglementaire européen permettant explicitement l'application de taux réduits homothétiques non seulement pour le livre numérique, mais également pour la presse en ligne. La différenciation des taux de TVA applicables aux produits numériques et aux produits physiques constitue un obstacle à la transition numérique des secteurs culturels et à la neutralité des taux.

Le 6 mai 2015, lors d'une communication sur la stratégie pour un marché unique du numérique en Europe, la Commission européenne a indiqué qu'elle « se penchera en 2016 sur la question du traitement fiscal de certains services électroniques tels que les livres électroniques et les publications en ligne dans le cadre de la réforme générale sur la TVA » . Lors de la présentation de son plan d'action sur la TVA le 7 avril 2016, elle a reconnu que les « règles actuelles ne tiennent pas pleinement compte de l'évolution technologique et économique » et que leur actualisation constituait une priorité.

Le 1 er décembre 2016, la Commission européenne a présenté une proposition de révision de la directive TVA 2006/112 qui permettrait d'accorder à l'ensemble des États membres la possibilité d'appliquer aux publications électroniques (livres numériques et presse en ligne) les mêmes taux de TVA que ceux qui sont appliqués aux publications imprimées . La procédure prévoit que l'unanimité du Conseil doit être réunie pour adopter le texte, après consultation du Parlement européen.

Le 1 er juin dernier, le Parlement européen a émis un avis favorable à la réforme, mais, lors du conseil ECOFIN du 16 juin, la République tchèque s'est opposée au texte. L'unanimité n'ayant pas été réunie, le sujet sera de nouveau inscrit à l'ordre du jour du prochain conseil ECOFIN, sous la nouvelle présidence estonienne.

Source : Ministère de la culture

Les SPEL, dont le contenu a le caractère d'information politique et générale, peuvent accéder à des avantages spécifiques . Les titres consacrés pour une large part à l'information politique et générale sont ainsi également éligibles au bénéfice de l'article 39 bis A du code général des impôts, qui permet la déductibilité fiscale des provisions pour investissement (limitée aux acquisitions strictement nécessaires à l'exploitation de ce service). En application de l'article 39 bis B, les sites d'information professionnel ou d'accès au savoir et à la recherche scientifique bénéficient, depuis la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, du même avantage.

Surtout, le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 prévoit que les SPEL ayant le caractère d'information politique et générale au sens du décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 modifié sont éligibles au soutien du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), issu du fonds d'aide au développement des services de presse en ligne actif entre 2009 et 2011 et du fonds de modernisation de la presse. Pour en bénéficier, l'objet principal du SPEL doit être « d'apporter, de façon permanente et continue, des informations, des analyses et des commentaires sur l'actualité politique et générale locale, nationale ou internationale susceptibles d'éclairer le jugement des citoyens » dont l'« intérêt [dépasse] significativement les préoccupations d'une catégorie de lecteurs » . En outre, son équipe rédactionnelle doit comporter « au moins un journaliste professionnel, au sens de l'article L.7111-3 du code du travail. »

Le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a, conformément aux recommandations de la mission d'expertise menée sous l'égide de Roch-Olivier Maistre au printemps 2013 sur les aides à la presse, profondément modifié les modalités de fonctionnement du fonds stratégique et les principes d'attribution de ses aides :

- les trois sections du fonds ont été fusionnées, afin d' uniformiser et de simplifier l'examen des demandes d'aide. Le comité d'orientation du fonds s'est ouvert à des personnalités qualifiées, aux côtés des représentants de l'État et de la presse ;

- l' éligibilité des services de presse en ligne a été recentrée : les SPEL d'information pratique du public ne sont plus éligibles, tandis que le sont devenus les sites, dits « consacrés pour une large part à l'information politique et générale » , qui proposent une information professionnelle, sportive ou favorisent l'accès au savoir et à la diffusion de la recherche ;

- la prise en compte des dépenses internes a été accordée pour les tâches de développement informatique ou de mise à disposition de contenus numériques ;

- la priorité du soutien à l'innovation et aux projets mutualisés a été affirmée : l'innovation représente désormais le critère premier d'éligibilité des projets. Par ailleurs, un taux bonifié de soutien à 50 % est réservé aux projets présentant une innovation pour le secteur et aux projets collectifs.

Conformément aux recommandations du rapport remis par Jean-Marie Charon en juin 2015 intitulé « Presse et numérique : l'invention d'un nouvel écosystème » , le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016 permet au FSDP de poursuivre son adaptation aux besoins du secteur et de se concentrer sur l' aide aux structures les plus fragiles. Ainsi :

- la presse en ligne de la connaissance et du savoir , qui n'était plus éligible depuis le 31 décembre 2015, est rétablie dans le périmètre du fonds ;

- l'éligibilité des publications d'information politique et générale, précédemment limitée aux publications de périodicité au maximum hebdomadaire, est étendue à toute périodicité ;

- le périmètre des dépenses éligibles au fonds stratégique a été élargi en intégrant les innovations de commercialisation et liées à la gestion de données , visant à augmenter les recettes publicitaires et les abonnements ;

- enfin, le taux de subvention des projets éligibles au fonds est revalorisé de 30 % à 40 % des dépenses éligibles . Les projets collectifs, représentant une innovation pour le secteur, portés par des sociétés de moins de 25 salariés ou par des titres fragiles bénéficiant des aides aux publications nationales à faibles ressources publicitaires ou aux quotidiens à faibles ressources de petites annonces, pourront accéder à un taux bonifié de 60 % des dépenses éligibles, pouvant aller jusqu'à 70 % pour les entreprises émergentes de moins de 25 salariés et de moins de trois ans d'existence.

La création d'un taux particulièrement favorable pour les entreprises de presse émergentes, s'il ne répond pas au problème des éditeurs qui, ne disposant pas des moyens de mettre en ligne une première version de leur site ni, en conséquence, d'un numéro de CPPAP, ne peuvent accéder au fonds, constitue une solution efficace à l'une des principales lacunes du dispositif , qui, par son fonctionnement (versement de la subvention sur factures acquittées), obligeait les éditeurs à disposer des moyens d'investir eux-mêmes majoritairement dans les projets pour lesquels ils sollicitaient une aide . Le fait de pouvoir prendre en compte les dépenses de salaires directement afférentes à la création éditoriale, même limité à six mois pour éviter tout effet d'aubaine, représente également un progrès.

Par ailleurs, deux évolutions organisationnelles permettent de fluidifier le fonctionnement du fonds : la possibilité d'auditionner en comité les directeurs des publications concernées pour tous les projets supérieurs à un certain seuil de demande de subvention et le relèvement à 75 000 euros du plafond pour les dossiers examinés par la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture.

Pour 2018, le FNSP est doté d'une enveloppe de 27,3 millions d'euros, soit une quasi-stabilité par rapport aux crédits ouverts en 2015 comme en 2017, année où ils se sont établis en loi de finances à 27,4 millions d'euros, ramenés cependant à 18,2 millions d'euros après application de la réserve de précaution. L'enveloppe du fonds apparaît, en revanche, en repli par rapport aux 29,5 millions d'euros annoncés en 2016, repli néanmoins théorique dans la mesure où ces crédits, faisant l'objet d'importants gels budgétaires, ne furent jamais intégralement dépensés en raison du faible attrait du dispositif avant 2016 et de la concurrence du fonds dit « Google » (cf supra) pour le financement de projets numériques innovants. En 2016, le FSDP a soutenu 71 dossiers, dont 41 de développement de SPEL et six projets bi-médias. Neuf dossiers concernaient des pure players pour près de 649 000 euros, soit 6 % des aides accordées.

Bilan des aides versées par le FSDP en 2016

Source : Ministère de la culture

Les crédits prévus pour 2017 et 2018, dès lors qu'ils seraient intégralement versés, devraient correspondre aux besoins exprimés par les éditeurs , en forte croissance depuis la réforme de 2016. En 2017, l'attractivité du fonds se reflète dans l'augmentation du nombre de demandes, qui retrouve son niveau de 2013. Au 31 août dernier, les engagements s'élevaient à 8,7 millions d'euros pour 53 dossiers et les paiements à 6,4 millions d'euros pour 81 dossiers, soit un niveau jamais atteint depuis 2013 grâce au rehaussement des taux et à l'assouplissement des règles opérés par le décret précité du 26 août 2016, situation qui nécessite, de l'aveu même de la direction générale des médias et des industries culturelles, le dégel, au moins partiel, de la réserve de précaution.

Selon l'indicateur 3.1 du programme 180 « presse et médias », l'effet de levier de l'aide à l'investissement du FSDP, soit le ratio entre le montant total des projets soutenus et celui des aides attribuées, s'élèvera à 3,7 % en 2017 puis à 3,8 % en 2018. Il convient de rappeler que le fonds ne peut verser plus de 1,5 million d'euros par projet, ni plus de 10 % de sa réserve opérationnelle (soit 1,8 million d'euros en 2017) à un même titre de presse, ni enfin plus de 15 % de ses crédits (2,7 millions d'euros en 2017) à un seul groupe de presse.

Par ailleurs, le décret précité du 26 août 2016 a créé un fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, doté de 5 millions d'euros en 2017 et d'une somme équivalente en 2018 , chargé, sous l'égide du club des innovateurs composé de professionnels de la presse, d'experts de l'innovation et de représentants de l'État, d'une triple action :

- distribuer des bourses d'un montant unitaire d'au maximum 50 000 euros pour les entrepreneurs de presse émergents . La sélection des projets, réalisée par le club des innovateurs et par le ministère de la culture et de la communication, sur la base d'une expertise fournie par la Banque publique d'investissement, combinera l'évaluation de l'innovation éditoriale et l'analyse de la viabilité économique . Le 30 novembre 2016, 36 bourses étaient attribuées pour un montant total d'1,5 million d'euros, 19 nouvelles bourses ont été accordées le 19 septembre dernier pour 670 800 euros ;

- subventionner des programmes d'incubation dédiés aux médias émergents et aux fournisseurs de solutions aux médias. Il s'agit de faciliter le lancement de projets collectifs et de renforcer la visibilité et l'attractivité de l'entrepreneuriat de presse. Les entreprises sélectionnées après avis du Club des innovateurs, bénéficieront de services administratifs, sociaux, juridiques et comptables mutualisés, ainsi que d'un accès à des ateliers thématiques, des hackathons , des réseaux d'experts et de tuteurs. L'aide est versée pendant deux ans par tranches annuelles, après conclusion d'une convention entre l'État et le bénéficiaire. Les premiers appels à projets ont été lancés à la fin de l'année 2016 et dix programmes ont été retenus pour une aide totale de 2,4 millions d'euros ;

- lancer des appels à projets sur des programmes de recherche consacrés à des sujets d'innovation intéressant le secteur de la presse (monétisation de l'information, big data , paywall , micro paiements, plateformes d'échanges, etc.), mission autrefois dévolues au FSDP. Le premier appel à projet a été lancé en juillet dernier ; les résultats en seront connus à la fin de l'année.

Enfin, depuis 2014, le soutien de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), via le fonds d'avances remboursables aux entreprises de presse (FAREP), est ouvert aux projets de création et de développement de titres de presse en ligne. Depuis 2016, son champ d'action est élargi aux SPEL du savoir et de la connaissance, ainsi qu'aux entreprises de presse ayant plus de trois ans d'existence . L'objet du financement a, en outre, été élargi aux dépenses de fonctionnement.

Les avances sont octroyées dans la limite d'un encours maximum de 200 000 euros par entreprise représentant jusqu'à 70 % du programme de dépenses. Elles présentent un caractère participatif et sont donc assimilables à des fonds propres. Les modalités de remboursement sont adaptées au développement progressif de l'activité avec une durée maximum de sept ans pouvant inclure une période de franchise de remboursement allant jusqu'à deux ans.

En complément des avances du FAREP, les mêmes sites peuvent bénéficier, pour leurs crédits bancaires, de la garantie offerte par le fonds « industries culturelles » de l'IFCIC à un taux de 50 % du montant du crédit pour un risque maximum d'un million d'euros, pouvant atteindre 70 % pour des concours inférieurs à 150 000 euros. Peuvent bénéficier de la garantie les crédits confirmés, les crédits à moyen et long terme, les crédits-bails, les contrats de location financière et les engagements par signature.

3. Des moyens encore très inégalement répartis

Si le soutien à la mutation numérique de la presse a opéré, en 2016, une réforme prometteuse, votre rapporteur pour avis déplore qu'il demeure en proportion très en-deçà des aides apportées à la presse imprimée . Pire, malgré les enjeux de la révolution digitale pour les entreprises de presse, la proportion d'aides réservées au papier demeure, en 2016, la même qu'en 2008, année de la convocation des États généraux de la presse, qui ont entraîné une série de réformes.

En 2016, les aides indirectes à la presse, correspondant à des dispositifs fiscaux ou sociaux, demeurent stables. Elles se sont élevées à 1,3 milliard d'euros, soit 93% du total des aides et 17% du chiffre d'affaires du secteur. Si elles sont neutres d'un point de vue du support , puisque presse papier et presse numérique peuvent également en bénéficier, les aides indirectes profitent à 54 % à l'imprimé , soit une proportion invariable depuis de nombreuses années malgré la reconnaissance du statut de SPEL en 2009 et l'harmonisation des taux de TVA en 2014. Ce statu quo s'explique par le transfert, en 2014, des aides pour le transport postal du programme 180 « presse et médias » au programme 134 « développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », par l'exonération de l'éco-contribution Écofolio pour les entreprises de presse papier et par le maintien du privilège de l'imprimé pour la publication des annonces judiciaires et légales.

La chasse gardée des annonces judiciaires et légales

Sous réserve des annonces dont la parution doit être assurée par le Journal officiel de la République française ou par ses annexes, les annonces exigées par les lois et décrets sont insérées, en application de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales, dans des publications habilitées à les recevoir dans chaque département. Seules peuvent d'être habilitées les publications imprimées d'information générale, judiciaire ou technique, inscrites sur les registres de la CPPAP, publiées dans le département ou comporter pour le département une édition au moins hebdomadaire et justifier depuis au moins six mois d'une vente effective par abonnements, dépositaires ou vendeurs, atteignant le minimum fixé, par arrondissement ou par département, par le décret n° 55-1650 du 17 décembre 1955 modifié. La liste des journaux habilités, soit dans tout le département, soit dans l'un ou plusieurs de ses arrondissements, est publiée en décembre pour l'année suivante par un arrêté préfectoral. L'inscription sur la liste est de droit pour toute publication remplissant les conditions légales et réglementaires.

La loi du 4 janvier 1955 a été modifiée par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, d'une part, et par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions relatives à la modernisation du secteur de la presse, d'autre part. Ces modifications ont permis de favoriser la diffusion numérique des annonces judiciaires et légales , de maîtriser le coût de leur publication pour les annonceurs et de favoriser la dématérialisation des procédures administratives de candidature des publications.

Depuis le 1 er janvier 2013, les annonces judiciaires et légales relatives aux sociétés et fonds de commerce imprimées par les journaux habilités sont obligatoirement mises en ligne sur une base de données centrale . À cette fin, et conformément aux dispositions du décret n° 2012-1547 du 28 décembre 2012 relatif à l'insertion des annonces légales portant sur les sociétés et fonds de commerce dans une base de données numérique centrale, les éditeurs de journaux d'annonces légales se sont regroupés en association agréée par l'État pour exploiter la base Actulegales.fr. Par ailleurs, depuis 2016, existe un portail unique d'accès aux annonces « vie des entreprises et des sociétés » (www.pple.fr) porté par le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), le registre des greffes des tribunaux de commerce (Infogreffe) et les journaux d'annonces légales (Actulegales.fr). Enfin, la loi du 17 avril 2015 précitée a supprimé les commissions consultatives préfectorales - auparavant compétentes dans chaque département pour préparer la liste des journaux habilités à recevoir des annonces légales - et instauré la compétence unique du préfet pour arrêter cette liste.

L'article 21 de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias a rétabli l'obligation de publier dans un journal d'annonces légales les informations relatives aux mutations et cessions de fonds de commerce. Cette obligation avait été supprimée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Cependant, compte tenu de l'impact financier majeur de cette suppression pour les titres départementaux et la presse spécialisée , il a été décidé de rétablir cette obligation .

La dématérialisation ne valant en conséquence nullement ouverture de la publication des annonces judiciaires et légales à la presse en ligne, de récentes initiatives parlementaires ont tenté, en vain, de mettre un terme au monopole de la presse imprimée dans ce domaine. Toutefois, en partenariat avec les représentants des éditeurs de la presse habilitée imprimée et de la presse en ligne, les pouvoirs publics mènent actuellement une réflexion sur l'ouverture de la procédure d'inscription précitée aux SPEL, qui bénéficient déjà d'un agrément de la CPPAP.

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

La différence est encore plus nette s'agissant des aides directes . En 2016, selon le panorama des aides à la presse publié le 18 septembre dernier par le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) sur les 100,2 millions d'euros d'aides versées, 89,5 millions d'euros ont bénéficié à la presse papier.

La ventilation des aides directes

Source : Spiil

De fait, à l'exception des crédits du FSDP - 10 % des aides directes depuis la réforme de 2016 -, les autres dispositifs sont strictement réservés à l'imprimé , qu'il s'agisse de l'aide au portage de la presse, de l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse, de l'aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires, de l'aide aux quotidiens nationaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces, de l'aide à la presse hebdomadaire régionale, de l'aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale, de l'aide à la modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale ou de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse.

Si certains dispositifs, notamment ceux intrinsèquement liés à la distribution physique, sont par nature réservés à la presse papier, votre rapporteur pour avis estime regrettable que tel soit également le cas des aides au pluralisme. Ces aides, qui bénéficient de la presse locale comme à la presse nationale d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires, sont encore inaccessibles aux éditeurs numériques, qui souffrent pourtant également de faibles ressources publicitaires ou, a fortiori , de faibles ressources de petites annonces. Cette privation est d'autant plus problématique que le pluralisme, objectif à valeur constitutionnelle, est particulièrement à l'oeuvre dans la presse en ligne , ainsi que l'a confirmé Jean-François Mary, président de la CPPAP, lors de son audition, le 17 septembre 2015, par la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, en affirmant : « l'expression du pluralisme est plus marquée sur Internet que dans la presse traditionnelle » .

Du fait de ce déséquilibre dans la répartition des aides directes, comme le regrette le Spill, « les éditeurs ne sont pas encouragés à faire les bons choix stratégiques en terme de support . Les aides semblent même contre-productives : il est révélateur que ce soit l'une des familles de presse les moins aidées, la presse professionnelle, qui affiche la plus forte part de son chiffre d'affaires issue du numérique » .

Votre rapporteur pour avis appelle donc de ses voeux une refonte des aides à la presse au bénéfice d'une meilleure répartition entre presse imprimée et presse en ligne , afin d'adapter les politiques publiques en faveur de la presse aux défis à venir, sans qu'elles ne constituent indirectement un frein au développement, déjà difficile, du secteur. Une meilleure répartition permettrait également de remédier à l'extrême concentration des aides directes , qui profitent, pour 99 % d'entre elles, à 8,6 % des titres. Déjà, dans son rapport spécial relatif à la mission « Médias, livre et industries culturelles » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, notre ancien collègue sénateur Claude Bélot pointait que « 50 % du montant total des aides directes bénéficient à 2 % des titres aidés (neuf titres) ».

C. UNE CONCURRENCE QUI INTERROGE SUR LA DÉFINITION DE LA PRESSE

1. Journalisme et Internet : atout ou danger des nouveaux canaux d'information ?
a) Les dérives de l'information à l'ère d'Internet

L'essor des usages digitaux, qui s'est considérablement accéléré avec la généralisation des smartphones , concerne l'ensemble des industries de contenus : la musique, qui fut le premier secteur touché par la mutation numérique, le visionnage de vidéos et, dans une moindre mesure, le livre. Parallèlement aux industries culturelles, la presse n'a pas échappé à ce bouleversement. En mettant en oeuvre une politique dynamique de mise à disposition de ses contenus en ligne, gratuitement, en paiement à l'acte ou sur abonnement, elle l'a même accompagné.

Avec l'apparition puis le succès phénoménal, notamment auprès des jeunes, des réseaux sociaux, l'enjeu a évolué pour les éditeurs de presse : il ne s'agit plus seulement d'être présents sur Internet et de développer une offre digitale économiquement efficiente, mais également désormais de lutter contre la concurrence de sites diffusant, sur les réseaux sociaux, des informations pour le moins sujettes à caution , les fake news .

Relayée par les internautes par le biais des partages et des like , ces informations, dont la véracité ne fait l'objet d'aucun contrôle et ses diffuseurs d'aucune responsabilité, peuvent rapidement devenir virales et aisément tromper les lecteurs.

Longtemps, les hébergeurs de ces sites et les réseaux sociaux qui laissent apparaître leurs contenus sur leur fil n'ont pas jugé leur responsabilité mise en cause, limitant leur contrôle aux post faisant l'apologie du terrorisme, du racisme ou à caractère pornographique. La prolifération des fake news a conduit plusieurs acteurs à s'emparer du phénomène, notamment en cherchant à promouvoir les contenus diffusés par de véritables titres de presse et, parfois, à les accompagner dans le développement de leurs activités numériques .

En août dernier, Facebook a annoncé le lancement, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis, d' articles vérifiés par des partenaires tiers, liés à des publications largement partagées ou suspectées d'être fausses ou trompeuses. Ils apparaitront sous la publication incriminée pour proposer d'autres points de vue et analyses à l'internaute.

b) Le rôle ambigu des diffuseurs de contenus
(1) Du paternalisme

Pionnier en la matière, non pas tant en raison, à l'époque, de sa volonté de promouvoir une information fiable et de qualité, mais pour répondre aux critiques relatives à la captation, par le moteur de recherche, d'une grande partie des revenus publicitaires tirés des contenus de presse qu'il met à disposition.

Afin de se soustraire à la menace d'une législation défavorable à son activité de moteur de recherche, Google a négocié, avec l'Association de la presse d'information politique et générale (AIGP), un accord conclu le 13 juin 2013, prévoyant la mise en place d' un fonds pour l'innovation numérique de la presse (FINP) abondé par Google à hauteur de 60 millions d'euros pour trois années de fonctionnement et d'une coopération en matière de régie publicitaire en ligne .

Le fonds a été effectivement créé au deuxième semestre 2013 au bénéfice des seuls services de presse en ligne d'information politique et générale, bimédias ou pure players . Les projets retenus, qui ne peuvent parallèlement bénéficier des crédits du fonds stratégique, doivent avoir pour objectif direct de créer de nouvelles sources de revenus pour les éditeurs de presse en ligne ou de promouvoir de nouveaux modèles économiques , notamment par la production de contenus éditoriaux innovants. Sont éligibles à ce titre l'ensemble des dépenses : investissement, prestations extérieures et exploitation, y compris les salaires de journalistes et techniciens. Un plafond de 2 millions d'euros et 60 % des dépenses engagées est applicable. Une première avance de 30 % du montant de l'aide est consentie ab initio, sans devis ni facture.

En 2016, pour sa dernière année d'existence - le fonds aurait dû clore son activité en 2015 mais la signature n'étant intervenue qu'au milieu de l'année 2013, le dispositif a été prolongé -, sur 54 projets présentés, 33 ont été retenus par les administrateurs.

Le 28 avril 2015, dans le contexte de l'enquête pour abus de position dominante engagée par la Commission européenne, Google a annoncé la création du Digital News Initiative . Inspiré de l'expérience française, le projet est conçu comme un partenariat entre Google et des éditeurs de presse européens , notamment les grands noms que représentent Les Échos en France, le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Zeit en Allemagne, The Financial Times et The Guardian au Royaume-Uni, NRC Media aux Pays-Bas (éditeur du Handelsblatt ), El Pais en Espagne et La Stampa en Italie. À cet effet, un fonds doté de 150 millions d'euros pour trois ans est destiné à soutenir l'innovation, notamment en vue d'aider les titres de presse à faire face à trois défis majeurs : l'enrichissement en vidéo des sites de presse en ligne, une meilleure monétisation des contenus et un partage de la valeur plus juste entre les éditeurs de presse et Google sur les revenus publicitaires.

En février 2016, Google a publié un rapport d'étape présentant les principaux critères de sélection : le fonds est ouvert aux éditeurs de toutes tailles, aux pure-players et aux start-up ayant leur siège dans un pays de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange. Si l'enveloppe qui reviendra aux projets français sera moindre , compte tenu de la dimension européenne du nouveau fonds, la France a d'ores et déjà bénéficié de 15,3 millions d'euros d'aides en 2016 pour 37 projets, notamment au profit de l'Agence France-Presse, d'Euronews, de la Société éditrice du Monde et de La Nouvelle République du Centre Ouest, sur un total de 51 millions d'euros distribués.

Si l'initiative de Google peut être saluée, quand bien même elle apparaîtrait utilitariste, votre rapporteur pour avis s'interroge sur la pérennité des financements du fonds européen qui, depuis 2016, n'a pas été doté d'une nouvelle enveloppe , qui aurait dû avoisiner les 50 millions d'euros pour l'année 2017.

Parallèlement, la société a annoncé la mise en place de nouveaux outils pour aider les éditeurs de presse à recruter de nouveaux abonnés. Est notamment mis fin, depuis le mois d'octobre 2017, après une série de tests effectués auprès du New York Times et du Financial Times , au système du « premier clic gratuit » au profil d' un modèle au choix de l'éditeur en fonction de sa stratégie commerciale . L'entreprise prévoit également de faciliter l'abonnement par un simple clic en lieu et place du fastidieux processus d'inscription sur un site.

En janvier 2017, Facebook a, pour sa part, lancé le Facebook Journalism project destiné à mettre en valeur sur son fil d'actualité les contenus des éditeurs de presse, via en particulier l'outil Instant articles , sorte de flux d'informations correspondant aux thématiques qui intéressent l'internaute utilisé à ce jour par plus de 10 000 éditeurs à l'échelle mondiale. Depuis le mois d'octobre et pour un nombre limité d'éditeurs seulement, Instant articles permet également de monétiser les contenus après un certain nombre de visionnages et de mettre leurs articles à disposition de leurs abonnés via Facebook. L'entreprise a annoncé cet été, avant même la mise en place de ce service, reverser au niveau mondial un million de dollars par jour aux éditeurs par le biais de Facebook audience network , qui calcule l'audience réalisée par les contenus postés.

(2) À l'abus de position dominante

À rebours de ses tentatives de monétisation des contenus des éditeurs de presse sur son réseau social, Facebook a lancé, depuis quelques semaines, au Sri Lanka, en Bolivie, au Guatemala, au Cambodge, en Serbie et en Slovaquie, une expérimentation visant à exclure les pages d'éditeurs ou de marques tierces du fil principal des utilisateurs pour les cantonner à un onglet dédié intitulé « Explore ». L'objectif annoncé est d'analyser si les internautes préfèrent utiliser des espaces séparés pour leurs informations personnelles et leurs contenus publics.

En réalité, l'onglet Explore, symbolisé par une fusée, n'est pas encore entré dans les moeurs des utilisateurs du réseau social. Le déplacement des pages d'éditeurs et de marques tierces sur ce second fil pourrait donc fortement nuire à leur visibilité et à leur diffusion , obligeant les entreprises concernées à acheter des espaces publicitaires sur le fil principal d'actualité pour y conserver une place, même minime et dégradée.

De fait, les premiers retours des pays concernés par l'expérimentation sont inquiétants : en Slovaquie, le nombre de moyen d'interactions ( likes , commentaires, partages) sur les soixante pages Facebook de médias les plus importantes a chuté de moitié, tandis qu'au Guatemala, la fréquentation des sites de presse via Facebook a diminué de 66 %, alors même que dans cette démocratie fragile, le réseau social représente une source d'information essentielle.

En outre, malgré les bons offices du fonds Google à l'échelle française et désormais européenne et les efforts de monétisation de la presse par Facebook, les revenus publicitaires en ligne continuent à être largement captés par les deux sociétés au détriment des éditeurs de presse . Au premier semestre 2017, le marché de la publicité en ligne a progressé de 9,8 % par rapport aux six premiers mois de l'année 2016 pour atteindre 1,8 milliard d'euros , porté à la fois par le display (644 millions d'euros, soit 34 % du marché, en croissance de 17,7 %), notamment les réseaux sociaux (45 % du display , en augmentation de 45 %) et la vidéo (36 % du display en hausse de 26 %), et par le mobile (690 millions d'euros, en croissance de 63 %). Sur ce total, Google et Facebook s'arrogent, en France, 71 % des recettes, contre 65 % au Royaume-Uni.

Ce déséquilibre contribue à la très faible rentabilité de l'activité digitale des éditeurs de presse. Votre rapporteur pour avis est, à cet égard, impatient de connaître les résultats à venir de l'étude de l'Autorité de la concurrence sur la publicité en ligne, qui pourrait, le cas échéant, conduire à une adaptation de la législation voire à des enquêtes antitrust. Il salue également les initiatives de rapprochement des éditeurs français pour lutter contre l'hégémonie des géants de l'Internet , et notamment l'alliance Skyline nouée cet été entre Le Monde et Le Figaro pour commercialiser ensemble leurs espaces de publicité numérique. Les régies publicitaires des deux groupes, qui rassemblent une vingtaine de médias, proposent désormais des offres conjointes et sans intermédiaire. Cette initiative place, en termes d'audience nationale, les deux groupes français au niveau de Microsoft (36 millions de visiteurs uniques mensuels) et non loin de Google (44 millions) et de Facebook (40 millions).

Les éditeurs de presse sont également à la manoeuvre de l'autre côté de l'Atlantique : en juillet dernier, 2 000 titres de presse ont demandé au Congrès américain de légiférer pour leur permettre de négocier collectivement avec Google et Facebook , démarche actuellement prohibée par la loi antitrust, en particulier s'agissant de la monétisation de leurs contenus.

Autre acteur à la fois partenaire et concurrent pour les éditeurs de presse, les kiosques numériques des opérateurs télécom (SFR Presse de SFP ou LeKiosk et son partenariat avec Bouygues Télécom et Canal +) interrogent également s'agissant de leur stratégie en matière de presse. Les opérateurs, en proposant gratuitement des contenus de presse dans leurs offres commerciales, élargissent le lectorat des titres de presse mais n'améliorent guère leur situation en termes de rentabilité ni de valorisation des contenus auprès du public, alors que la presse cherche à imposer sur Internet le modèle des abonnements payants.

Les offres de presse couplées posent également question en matière fiscale en raison d' un risque d'instrumentalisation du taux de TVA super réduit pour la presse en ligne au service d'acteurs économiques dont la presse ne constitue pas le principal métier.

L'activation automatique de ces offres, sans rapport avec les demandes ni les besoins des abonnés, à la résiliation complexe (uniquement sur appel au service client), laisse craindre que leur fonction essentielle soit, pour les opérateurs, de réduire l'impôt. À titre d'illustration, ce sont plusieurs dizaines de millions de clients SFR qui se voient appliquer la TVA à 2,1 % sur une partie de leur facture, alors que le service ne revendique que 100 000 téléchargements quotidiens.

Cette optimisation fiscale pourrait conduire, selon les calculs du SPIIL, à une multiplication par six du coût budgétaire de la TVA à taux super réduit sur la presse . Ainsi, si l'on estime à environ 1,36 euro par abonné le gain net pour SFR de l'inclusion des offres de presse aux factures, cela correspond à près de 300 millions d'euros par an de perte de recettes fiscales pour l'État. Si les quatre opérateurs proposaient un kiosque, le coût annuel dépasserait donc le milliard d'euros, ce qui nuirait indéniablement à la légitimité du dispositif. En comparaison, le coût global du taux de TVA réduit sur l'ensemble de la presse était de 160 millions d'euros en 2017.

L'évolution du coût du taux super réduit de TVA
en cas d'application à tous les opérateurs télécom

Source : Spiil

Par ailleurs, les offres presse des opérateurs télécom se caractérisent par l'opacité des conditions d'accès et de rémunérations proposées aux médias participants . Il est, par exemple, impossible de savoir si le groupe Altice (SFR) favorise certains médias, soit qui lui appartiennent, soit qu'il juge leur participation indispensable au succès de l'offre.

Enfin, votre rapporteur pour avis estime que cette situation fiscale pourrait attirer l'attention de la Commission européenne et être considérée à terme comme une aide d'État indirecte aux opérateurs télécom . Il se réjouit à cet égard que l'article 4 du présent projet de loi de finances, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, prévoie des règles spécifiques de ventilation d'assiette , à l'instar de celle prévues pour les offres couplées de services de télévision ( triple play ), en fixant l'assiette du taux super réduit de TVA à raison du coût d'acquisition des services de presse en ligne proposés. Dès lors, il ne reviendra plus, à compter du 1 er janvier 2018, à chaque opérateur, de ventiler lui-même les recettes correspondant à chaque taux comme le droit commun le permet, au risque d'une erreur d'interprétation ou d'un effet d'aubaine.

2. La vigilance légitime des pouvoirs publics

Parce qu' une presse indépendante, qualitative et pluraliste est indispensable , en ce qu'elle permet la bonne information du citoyen, et un bon fonctionnement de la démocratie, l'État soutient, au travers d'aides directes et de dispositifs fiscaux dédiés, la presse d'information politique et générale. Il veille particulièrement, dans ce cadre, au maintien d'un pluralisme vivant.

a) Les privilèges de la presse d'information politique et générale
(1) Des investissements encouragés

Aux termes de l'article 39 bis A du code général des impôts, les entreprises exploitant soit un journal quotidien, soit une publication de périodicité au maximum mensuelle consacrée pour une large part à l'information politique et générale, soit un service de presse en ligne, reconnu par la CPPAP et consacré pour une large part à l'information politique et générale, sont autorisées à constituer une provision déductible du résultat imposable, en vue de faire face à différentes dépenses d'investissement. Ces dépenses doivent être réalisées avant la fin de la cinquième année suivant celle de la constitution de la provision et ne sont prises en compte que pour la partie des journaux ou des publications que les entreprises impriment dans un État membre de l'Union européenne.

Les sommes déduites sont limitées à 30 % du bénéfice de l'exercice concerné pour la généralité des publications et pour les services de presse en ligne reconnus et à 60 % pour les quotidiens et publications assimilées (titres de presse hebdomadaire régionale), dans la limite du financement d'une fraction du prix de revient des immobilisations qui y sont définies (40 % pour la généralité des publications et pour les services de presse en ligne reconnus et à 90 % pour les quotidiens et les publications assimilées).

Depuis la loi de finances pour 2011, ce dispositif a été reconduit chaque année pour un an, jusqu'à ce que la loi de finances rectificative pour 2014 n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 le proroge jusqu'en 2017. Une prolongation pour trois années supplémentaires, soit jusqu'en 2020 , est prévue par l'article 44 bis du présent projet de loi de finances, afin de s'aligner sur le dispositif prévu pour les SPEL à l'article 39 bis B du code général des impôts, institué par la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

Le montant de la dépense fiscale est évalué, pour 2018, à un million d'euros au bénéfice de 78 entreprises de presse .

(2) Des particuliers mobilisés

La loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse a introduit, dans le code général des impôts, le nouvel article 199 terdecies -0 C, qui, à l'initiative de notre collègue David Assouline, institue une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des particuliers qui souscrivent au capital d'entreprises de presse au sens de l'article 39 bis A du même code.

Il s'agissait, au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo , de rendre plus attractive la prise de participation des lecteurs dans des projets innovants de la presse d'information politique et générale imprimée ou numérique ou la reprise d'entreprises en difficulté, sous la forme de financement participatif . Le taux de la réduction d'impôt est fixé à 30 % dans la limite d'un plafond de versement de 1 000 euros par an pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et 2 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune.

Il est porté à 50 %, lorsque les souscriptions sont effectuées au capital d'entreprises solidaires de presse d'information (ESPI) créé par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse. L'avantage fiscal renforcé à leur profit a pour objectif de développer ce type d'entreprises de presse, dans lesquelles les actionnaires s'engagent à réinvestir une part significative des bénéfices de l'activité. À titre d'illustration, L'Humanité , Charlie Hebdo et Les Jours ont opté pour ce statut.

Le dispositif a été doté par le législateur d'un caractère temporaire : seuls les versements effectués jusqu'au 31 décembre 2018 y sont éligibles. Son coût estimé pour l'année 2018 est inférieur à 500 000 euros. La mesure a bénéficié, en 2016, à 158 ménages.

Afin de renforcer l'attractivité du dispositif , la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias y a apporté plusieurs adaptations :

- le relèvement du plafond de versement ouvrant droit à une réduction d'impôt à 5 000 euros pour les célibataires et à 10 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune ;

- l'élargissement du périmètre des entreprises éligibles aux titres d'information politique et générale de longue périodicité ;

- l' extension du bénéfice de la réduction d'impôt aux versements effectués en faveur d'une société dont l'objet statutaire exclusif est de prendre une participation au capital d'une entreprise de presse et regroupant exclusivement des actionnaires individuels, notamment les « sociétés des amis » ou « sociétés de lecteurs ». Le quotidien Le Monde dispose, par exemple, d'une société des lecteurs actionnaire de la société éditrice. C réée en 1985, elle réunit 12 000 lecteurs-actionnaires, qui se sont mobilisés à trois reprises (1985, 1987 et 2002) pour lever 6 millions d'euros intégralement investis dans le quotidien. Il existe également depuis vingt ans une association des amis du Monde Diplomatique et une association des amis de La Vie. Libération dispose d'une société des lecteurs depuis 2006 ; L'Humanité a une société des amis depuis 1996 et une société des lecteurs depuis 2002 qui compte 11 200 adhérents. En presse magazine, Alternatives économiques a une société civile des lecteurs. C'est également le cas de Médiapart en presse digitale.

Par ailleurs, la loi susmentionnée du 17 avril 2015, grâce à l'adoption de « l'amendement Charb » à l'initiative de nos collègues Pierre Laurent et David Assouline, a donné un ancrage légal au rescrit fiscal précédemment applicable en matière de mécénat au bénéfice de presse. L'article 200 du code général des impôts a ainsi été complété pour ouvrir le bénéfice du régime fiscal du mécénat , institué par la loi n° 2003-709 du 1 er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, aux associations oeuvrant pour le pluralisme de la presse . Par ailleurs, est ouverte, pour des fonds de dotation, la possibilité de soutenir des associations ou fondations agissant dans le soutien du pluralisme de la presse .

Dans ce cadre, les dons et versements aux associations d'intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse, par la prise de participations minoritaires, l'octroi de subventions ou encore de prêts bonifiés à des entreprises de presse d'information politique et générale au sens de l'article 39 bis A du code général des impôts, ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % du montant du don dans la limite de 20 % du revenu imposable .

La même réduction s'applique aux fonds de dotation conduisant des actions identiques. Les dons peuvent être nominatifs ou généraux (le montant des dons est alors affecté par un comité d'orientation) ; ils sont gérés par deux associations : Presse et Pluralisme et J'aime l'info .

L'association Presse et Pluralisme a été créée en 2007 à l'initiative des principaux syndicats de la presse imprimée. Elle a pour vocation d' « oeuvrer en faveur du pluralisme de la presse payante en France » par des actions financées par appel au don. En 2015, les dons collectés ont atteint à 7,4 millions d'euros, dont 2,9 millions d'euros issus de dons en ligne , cette proportion croissant chaque année. La quasi-totalité des dons sont nominatifs au bénéfice d'une ou plusieurs publications (46 en 2015). L'année fut particulièrement exceptionnelle puisque c'est à l'initiative de Presse et Pluralisme qu' une collecte d'envergure s'est organisée au profit de Charlie Hebdo . L'association a apporté un concours immédiat de 200 000 euros à Charlie Hebdo pour que puisse être publié son numéro « historique » du 14 janvier. Surtout, elle a mis en place, en moins de 48 heures, le site www.jaidecharlie.fr , sur lequel plus d'un million d'euros de dons en ligne ont été collectés dans les cinq jours qui ont suivi l'attentat, en provenance de plus de 80 pays. 2,7 millions d'euros, issus de près de 45 000 dons, ont pu être reversés au titre.

L'effet « Charlie hebdo » quelque peu émoussé, l'année 2016 a enregistré une diminution sensible du montant total des dons à 5,6 millions d'euros, mais au bénéfice d'un nombre plus élevé de publications (49). En réalité, faisant abstraction des événements tragiques de 2015, le dispositif poursuit sa montée en charge . Pour mémoire, Presse et Pluralisme n'avait engrangé que 900 000 euros de dons en 2010, 1,7 million d'euros en 2012 et 3,3 millions d'euros en 2014.

Pour sa part, l'association J'aime l'info a été créée en 2011, à l'initiative de la presse en ligne et notamment du SPIIL et du site Rue89 . En 2016, 42 sites ont bénéficié de dons avec 308 593 euros récoltés , contre 757 340 euros en 2015, année record en raison des collectes réalisées au bénéfice d' Arrêt sur images et de Médiapart , mais seulement 147 402 euros en 2014 .

b) Un soutien réitéré au pluralisme

Au total, les aides au pluralisme, sans lesquelles ne pourrait survivre une presse d'opinion diversifiée, atteindront 16,03 millions d'euros en 2018, stables par rapport à 2017 où l'enveloppe avait bénéficié d'une augmentation de 3,5 %. Comme l'a rappelé Françoise Nyssen, ministre de la culture lors de son audition devant notre commission de culture, de l'éducation et de la communication, la défense du pluralisme constitue une priorité du Gouvernement en matière d'aides à la presse.

(1) Un élément de survie pour la presse à faible ressources publicitaires

Dans le double contexte de l'attentat contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo et du risque d'érosion de la diversité de l'offre de presse d'information politique et générale, il est apparu évident de renforcer les aides au pluralisme de la presse.

À ce titre, l'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires, régie par le décret n° 86-616 du 12 mars 1986, a été étendue à l'ensemble des publications nationales d'information politique et générale, sans distinction de périodicité , par le décret n° 2015-1440 du 6 novembre 2015 relatif au soutien de l'État au pluralisme de la presse, élargissement applaudi à l'époque par votre rapporteur pour avis .

À cette occasion, l'aide existante pour les quotidiens n'a pas été modifiée, compte tenu de sa sensibilité pour les titres concernés, mais deux conditions supplémentaires ont été ajoutées pour les titres de périodicités longues : ne pas avoir touché l'aide aux revues du Centre national du livre (CNL) et ne pas se limiter à la republication d'articles déjà parus dans des publications à périodicité plus courte.

En outre, une nouvelle condition d'éligibilité s'applique à l'ensemble des titres : le contenu d'une publication ne doit pas avoir donné lieu à une condamnation du directeur de la publication devenue définitive au cours des cinq années précédant la demande d'aide, en application des articles 24 ou 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Cette aide, rebaptisée en 2015 « aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires » et à laquelle deux nouvelles sections ont été ajoutées aux trois existantes, vise à soutenir les titres qui bénéficient structurellement de recettes publicitaires faibles compte tenu de leur positionnement éditorial, comme ceux qui traversent de façon conjoncturelle des difficultés financières. L'aide contribue ainsi au maintien de la diversité de l'offre de presse et au pluralisme du débat démocratique .

L'aide attribuée au titre de la première section du fonds bénéficie aux quotidiens répondant à certaines conditions relatives au prix de vente (dans une fourchette de 80 à 130 % du prix moyen pondéré pour les quotidiens nationaux), à la diffusion (moins de 150 000 exemplaires), au tirage (moins de 250 000 exemplaires) et au pourcentage de recettes publicitaires dans leurs recettes totales (moins de 25 %). L'aide accordée dans le cadre de cette section ne peut dépasser 25 % des recettes totales du titre, hors subventions publiques. En 2016, La Croix, L'Humanité et Libération en ont bénéficié.

L'aide attribuée au titre de la deuxième section bénéficie à des quotidiens qui répondent aux critères de la première section mais n'y sont pas éligibles car leur prix est inférieur à 80 % du prix moyen pondéré. Seul l'éditeur Play Bac Presse émarge à cette section, pour différents quotidiens à destination des enfants et adolescents, diffusés exclusivement par abonnement : Mon Quotidien, Le Petit Quotidien et L'Actu.

L'aide attribuée au titre de la troisième section est destinée à des quotidiens qui ont bénéficié de crédits de la première section pendant au moins trois ans et dont les recettes de publicité représentent moins de 35 % des recettes totales. Il s'agit de permettre une sortie progressive du dispositif d'aide. En 2016, seul Présent y a été éligible.

Sur le modèle de ce qui existait pour les quotidiens, la quatrième section est ouverte aux publications d'autres périodicités et répondant à plusieurs critères : relever de l'information politique et générale ; être vendues à un prix inférieur à 130 % du prix moyen pour les hebdomadaires, bimensuels et mensuels, et 160 % pour les bimestriels et trimestriels ; avoir eu une diffusion par numéro inférieure à 300 000 exemplaires ; enfin, tirer ses recettes pour moins de 25 % de la publicité. Un taux unitaire de subvention est fixé en divisant les crédits par la diffusion totale des publications éligibles. Un abattement de 50 % s'applique entre un et deux millions d'exemplaires diffusés annuellement ; il est intégral au-delà de ce seuil. En outre, comme pour les quotidiens, nul titre ne peut recevoir dans ce cadre une aide supérieure à 25 % de ses recettes annuelles.

En 2016, trente-six publications, dont Famille chrétienne , Courrier international , La Vie , Le Monde diplomatique, Marianne, Alternatives économiques et, - votre rapporteur pour avis s'en étonne, compte tenu du caractère plus indiscutable de sa qualité de publication d'information politique et générale -, VSD , pour les plus importants bénéficiaires, ont reçu une aide de cette section pour un montant maximum de 300 000 euros.

La cinquième section du fonds est destinée, sur le modèle des quotidiens, aux publications ayant été éligibles pendant trois ans à la quatrième section, mais dont la publicité représente désormais entre 25 % et 35 % des recettes. Pour éviter un effet de seuil brutal, la sortie du dispositif se fait ainsi en sifflet avec le versement d'une aide dégressive d'une année sur l'autre. Par définition, aucun titre n'a pu bénéficier de l'aide au titre de cette section en 2016.

La réforme opérée en 2015 avait porté, en loi de finances pour 2016, le montant de l'aide à 12,6 millions d'euros, contre 8,6 millions d'euros l'année précédente. En 2017, l'aide aux publications nationale d'information politique et générale à faibles ressources publicitaire s'est établie à 13,2 millions d'euros. Elle sera identique en 2018 .

(2) Un élargissement utile à la presse locale

L' aide aux quotidiens locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces (QFRPA) a pour objet de concourir au maintien du pluralisme et à la préservation de l'indépendance des titres concernés. Les règles régissant le fonds, divisé en deux sections , sont fixées par le décret n° 89-528 du 28 juillet 1989 modifié par le décret n° 2010-1088 du 15 septembre 2010 relatif au développement et à la modernisation de la presse en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, qui a admis à son bénéfice les journaux édités dans les collectivités d'outre-mer.

L'aide attribuée au titre de la première section bénéficie aux quotidiens locaux répondant à certaines conditions relatives au prix de vente (l'édition locale la plus diffusée doit être vendue à un prix inférieur à 130 % du prix de vente moyen des quotidiens régionaux), à la diffusion (un maximum de 60 000 exemplaires en moyenne), au tirage (un maximum de 70 000 exemplaires en moyenne) et au pourcentage de recettes de petites annonces dans leurs recettes publicitaires totales (moins de 5 %).

L'aide attribuée au titre de la seconde section bénéficie à des quotidiens locaux qui ne sont pas éligibles à la première section, en raison notamment de la part des petites annonces dans leurs recettes publicitaires totales, mais qui répondent néanmoins aux conditions relatives au prix de vente, à la diffusion, dont plus du quart doit être assurée par voie postale, et au tirage moyen, ainsi qu'au pourcentage de recettes de petites annonces dans leurs recettes publicitaires totales (moins de 15 %).

Pour la première section, le taux unitaire de subvention attribué à chaque titre est multiplié par le nombre d'exemplaires effectivement vendus au cours de l'année civile précédant l'année d'attribution de l'aide ; pour la deuxième section, il est multiplié par le nombre d'exemplaires acheminés par voie postale au cours de l'année civile précédente.

En 2018, comme en 2017, l'aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces reste stable à 1,4 million d'euros . La dotation 2016 a été consommée en intégralité au bénéfice de titres comme L'Écho , La République des Pyrénées , Le Journal de la Haute-Marne , La Presse de la Manche et Presse Océan . Au titre de la seconde section, seul Centre Presse a reçu une subvention, qui s'est élevée à 84 000 euros.

Par ailleurs un fonds spécifique a été créé par le décret n° 96-1067 du 10 mai 1996, afin de favoriser la diffusion au numéro des titres de la presse hebdomadaire régionale d'information politique et générale . Son dispositif a été modifié à quatre reprises :

- par le décret n° 97-1067 du 20 novembre 1997, qui a scindé le fonds en deux sections, afin de tenir compte de la situation des hebdomadaires les plus touchés par l'augmentation des tarifs postaux résultant des accords dits « Galmot » conclus entre les éditeurs de presse, La Poste et l'État ;

- par le décret n° 2004-1312 du 26 novembre 2004, qui a ouvert le bénéfice du fonds aux titres de la presse locale rédigés en langue française ou dans une langue régionale en usage en France et a renforcé l'égalité de traitement entre les titres, en introduisant pour la seconde section un plafond de diffusion fixé à 10 000 exemplaires ;

- par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 réformant les aides à la presse, qui a institué un plafonnement progressif du soutien pouvant être reçu par un même groupe de presse au titre de l'aide à la presse hebdomadaire régionale ;

- enfin, par le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016 relatif au soutien, à l'émergence et à l'innovation dans la presse et réformant les aides à la presse, qui a étendu l'aide aux titres locaux d'information politique et générale de périodicité jusque trimestrielle et l'a rebaptisée « aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale » . À compter de cette date, le total des aides attribuées au cours d'une même année à des sociétés filiales ou sous contrôle d'une même société ne peut être supérieur à 25 % du montant de la dotation du fonds. Par ailleurs, aux termes du même décret, les titres concernés deviennent éligibles au fonds stratégique et au nouveau fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse.

Le fonds est désormais scindé en trois sections : la première, qui bénéficie d' a minima 85 % des crédits, concerne l'ensemble des hebdomadaires éligibles. Sa répartition est définie proportionnellement au nombre d'exemplaires vendus au numéro, dans la limite d'un plafond de 20 000 exemplaires et d'un plancher de 2 000 exemplaires.

La deuxième section est ouverte aux hebdomadaires qui, répondant aux conditions fixées pour bénéficier de la première section, peuvent en outre justifier d'une part, que 50 % au moins des exemplaires parus au cours de l'année civile précédant l'année d'attribution de l'aide pesaient moins de cent grammes, d'autre part, que leur diffusion effective par abonnement postal a représenté, en nombre d'exemplaires par parution, au moins 50 % de leur diffusion totale. L'aide attribuée à chaque titre, qui peut se cumuler avec celle reçue au titre de la première section, est définie proportionnellement au nombre d'exemplaires effectivement vendus par abonnement postal au cours de l'année précédente, dans la limite de 10 000 exemplaires par parution.

Enfin, la nouvelle troisième section est ouverte aux publications éligibles autres que les hebdomadaires. Sa répartition est réalisée proportionnellement au nombre d'exemplaires effectivement vendus, dans la limite d'un plafond de 200 000 exemplaires et d'un plancher de 20 000 exemplaires.

L'aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale, avec 1,47 million d'euros en 2017 , soit 50 000 euros supplémentaires pour financer son extension à l'ensemble des titres locaux d'information autres que les quotidiens par le décret précité du 26 août 2016, a bénéficié à 93,7 % à la première section du fond, contre 97,8 % en 2016 avant la réforme de l'aide. Au 31 août, la dotation était intégralement consommée. Le montant prévu pour 2018 est identique, afin de doter de façon pérenne la troisième section de 50 000 euros.

c) Un législateur attentif à la déontologie de la presse

Au-delà du ciblage de la majorité des aides directes à la presse au profit de la presse d'information politique et générale et du renforcement récent des aides au pluralisme, le législateur a pris soin, pour assurer la qualité, l'indépendance et donc la valeur des informations diffusées par les éditeurs de presse, de doter le secteur de solides règles déontologiques .

La ventilation des aides directes en 2016 (millions d'euros)

Source : Rapport annuel de performance (RAP) 2016 du programme 180 « Presse »

L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi . » Un siècle plus tard, l'article 1 er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse confirme ce principe : « L'imprimerie et la librairie sont libres ».

Au niveau européen, la Convention européenne des droits de l'homme de 1950, en son article 10, prévoit que « toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière . » La résolution 1003 adoptée par l'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe relative à l'éthique du journalisme rappelle pour sa part que « l'exercice du journalisme comporte des droits et des devoirs, des libertés et des responsabilités », « que la fin ne justifie pas les moyens » mais également que « dans les rapports nécessaires qu'il leur faut entretenir avec les pouvoirs publics ou les milieux économiques, les journalistes doivent éviter d'en arriver à une connivence de nature à nuire à l'indépendance et l'impartialité de leur profession ».

À titre particulier, le législateur a entendu fixer les obligations fondamentales des journalistes et de leur employeur. Ainsi en est-il de l'Agence France-Presse (AFP), qui « ne peut en aucune circonstance tenir compte d'influences ou de considérations de nature à compromettre l'exactitude ou l'objectivité de l'information » , et « ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d'un groupement idéologique, politique ou économique » (article 2 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l'Agence France-Presse).

Par ailleurs, dans le seul secteur de la publicité, l'article 10 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse prévoit qu'« il est interdit à toute entreprise éditrice ou à l'un de ses collaborateurs de recevoir ou de se faire promettre une somme d'argent, ou tout autre avantage, aux fins de travestir en information de la publicité financière . Tout article de publicité à présentation rédactionnelle doit être précédé de la mention "publicité" ou "communiqué" ».

En 2009, le législateur est à nouveau intervenu pour reconnaître un droit d'opposition aux journalistes de l'audiovisuel public (loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision), droit récemment étendu à l'ensemble de la profession par l'article 1 er de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche ».

Les dispositions de la loi Bloche
relative à la déontologie de la presse et leur mise en oeuvre

La loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias reconnaît un droit d'opposition aux journalistes . En effet, l'article 1 er étend à l'ensemble des journalistes la protection prévue en faveur des journalistes de l'audiovisuel public aux termes de laquelle ils peuvent refuser tout acte contraire à leur conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de l'entreprise .

En outre, est imposée aux entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles, l'adoption d'une charte déontologique rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes. À défaut de conclusion d'une charte avant le 1 er juillet 2017 et jusqu'à l'adoption de celle-ci, les déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste peuvent être invoqués en cas de litige. La loi oblige les employeurs à remettre cette charte à tous leurs journalistes et garantit l'information du comité d'entreprise de l'application de ces chartes à travers un bilan annuel.

L'article 20 de la loi prévoit que la violation, par une entreprise éditrice de presse, des dispositions relatives au droit d'opposition des journalistes, aux chartes déontologiques ou à l'information du public sur les modifications relatives aux titres entraîne la suspension de tout ou partie des aides directes ou indirectes dont elle bénéficie.

En ce qui concerne les 39 titres édités par des entreprises devant, aux termes des dispositions du décret du 13 avril 2012, signer une convention-cadre avec l'État, 15 titres étaient dotés d'une charte déontologique au 1 er juillet 2017. Pour les autres titres, la quasi-intégralité des entreprises éditrices déclarent que les négociations sont en cours avec les représentants des journalistes et, parmi elles, près de la moitié estiment que la charte pourrait être adoptée avant la fin de l'année 2017.

Pour l'ensemble de la presse française, un bilan quantitatif de l'adoption des chartes déontologiques est en cours de réalisation avec l'aide des syndicats professionnels. Ce travail de recensement se heurte toutefois, pour certains syndicats, à un taux de réponse relativement faible de la part des sociétés éditrices concernées, de sorte que les statistiques présentées ci-après doivent être appréhendées avec prudence. Au 30 septembre 2017 :

- pour le SPQN, sept des dix sociétés éditrices affiliées, représentant neuf des treize titres rattachés, déclarent avoir adopté une charte ; celles dont ce n'est pas encore le cas estiment que ce sera chose faite à la fin de l'année 2017 ;

- pour l'Union pour la presse régionale (UPREG), 23 des 43 sociétés éditrices, représentant 27 des 51 titres rattachés, déclarent avoir adopté une charte (soit 53 % des éditeurs et des titres) ; la plupart des sociétés éditrices déclarant ne pas être dotées de charte précisent que les négociations sont en cours et devraient, pour une part significative d'entre elles, être signée d'ici la fin de l'année ;

- Pour la Fédération de la presse périodique régionale (FPPR), le très faible taux de réponse des sociétés éditrices du SNPJ et du SNPR ne permet pas de disposer de vision claire de la situation ;

- pour le SPIIL, 45 % des sociétés ayant répondu déclarent être dotées de chartes ; elles représentent 15 % des 119 éditeurs affiliés et des 130 titres rattachés ; là encore, les sociétés déclarant ne pas être dotées de charte précisent que les négociations sont en cours avec les représentants des journalistes.

Ce premier bilan quantitatif n'a pas pu être réalisé à temps par le SEPM et la FNPS, deux organisations comptant de très nombreux membres et dont le taux de réponse est, à ce jour, demeuré très bas.

Enfin, conformément aux dispositions combinées de l'article 20 de la loi et du chapitre I er du décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 modifié, les conventions-cadres entre l'État et les titres et groupes de presse ont pour but de conditionner le versement des aides à la presse à l'adoption par ces derniers d'engagements et de bonnes pratiques sociales, environnementales, éducatives, etc. Elles portent sur les années 2017 à 2019 et concernent principalement les titres et groupes percevant plus d'un million d'euros d'aides par an.

Le ministère de la culture assurera un suivi régulier des engagements pris , au moyen de rapports annuels qui lui seront remis et qui contiendront des indicateurs de suivi. Il pourra suspendre en partie les aides en cas de non-respect des engagements. Le modèle des conventions-cadres a été finalisé fin 2016 en accord avec les organisations professionnelles et a été transmis aux groupes concernés. Les négociations sont en cours.

Source : Ministère de la culture

III. LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE : MOINS DE QUANTITÉS, PLUS DE QUALITÉ ?

A. PRESSTALIS/MLP : L'ÉTERNELLE QUERELLE AUTOUR DE LA VENTE AU NUMÉRO

1. Je t'aime, moi non plus
a) Presstalis, l'enfant gâté
(1) De l'élan de solidarité

Presstalis représente l'opérateur historique de la distribution de la presse en France depuis la Libération. La messagerie assure la distribution d'un peu moins de 75 % de la presse vendue au numéro , soit l'ensemble des quotidiens nationaux, plus de 2 000 magazines et plus de 4 000 produits « hors presse ». Depuis le retrait de la société Lagardère, qui en possédait 49 %, en juillet 2011, le capital de 16 millions d'euros de la société Presstalis est détenu par deux coopératives de distribution, l'une détenue par les quotidiens, l'autre par les magazines.

L'activité de distribution de la presse quotidienne nationale assurée uniquement par Presstalis est structurellement déficitaire depuis plusieurs années, en raison notamment de l'érosion continue des ventes au numéro
(- 52 % en volume et - 37 % en valeur entre 2006 et 2016). Ce déficit a longtemps pu être financé par le résultat positif de la distribution des autres publications, en application du principe de solidarité entre éditeurs et en contrepartie du bénéfice, par les magazines, de tarifs postaux avantageux et du taux de TVA super réduit. Mais, en 2010, la société s'est trouvée au bord de la cessation de paiement, ce qui a obligé l'État à intervenir.

Une aide à la distribution de la presse quotidienne d'information politique et générale a ainsi été mise en place en 2002 par le décret n° 2002-629 du 25 avril 2002 modifié instituant une aide à la distribution de la presse, qui s'établit, dans le présent projet de loi de finances pour 2018, à 18,8 millions d'euros, dont 850 000 euros destinés à soutenir l'exportation de la presse française, soit un montant stable depuis 2015.

En outre, l'État a soutenu les plans de restructuration successifs de Presstalis, notamment par la voie de la signature d'accords avec la messagerie et les éditeurs qui la détiennent et utilisent ses services.

Le premier plan de réforme, baptisé « Défi 2010 », couvrait la période 2007-2012 et visait la modernisation du réseau de distribution et des points de vente, ainsi que la diversification des activités de la messagerie. Hélas, dès 2009, Presstalis enregistrait une nouvelle dégradation de ses résultats en raison d'une diminution brutale de ses ventes.

Dès lors, plusieurs mesures de sauvetage du système de distribution des quotidiens nationaux ont été décidées. La dotation budgétaire pour l'aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale a été revalorisée de 7 millions d'euros, pour s'établir à 18 millions d'euros en 2009, niveau depuis maintenu. De surcroît, au titre de l'année 2010 et dans le cadre du financement de la réforme de la distribution, l'État s'est engagé à verser, sous la forme d'une aide exceptionnelle, une somme de 20 millions d'euros au titre de l'aide à la distribution des quotidiens.

Puis, en 2011, dans un contexte d'aggravation de la baisse de la vente au numéro de la presse et de concurrence accrue avec les Messageries lyonnaises de presse pour la distribution des magazines, la situation de Presstalis s'est à nouveau trouvée très dégradée, conduisant le conseil d'administration de la messagerie à adopter un ambitieux plan de restructuration visant à rétablir l'équilibre financier à l'horizon 2015.

Mais devant l'ampleur des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du volet social , une mission de médiation fut confiée à Raymond Redding aboutissant, en mai 2013, à un accord sur l'accompagnement social des réformes prévues, pour un coût de 32,7 millions d'euros, pris en charge par l'État à hauteur de 14 millions d'euros . Presstalis a reçu 7 millions d'euros en mai 2014, puis 3,5 millions d'euros en novembre de la même année, le versement du solde étant conditionné à la création de la société commune pour l'exploitation du système informatique commun et à une amélioration de la qualité de service avec les diffuseurs. Malgré le retard pris dans la mise en oeuvre de ces dernières mesures, le dernier versement est intervenu dès le mois de décembre 2014.

Aides versées à Presstalis depuis 2005 depuis le programme 180

Source : DGMIC

Ce fut à nouveau insuffisant et, en décembre 2014, un nouveau prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) est accordé à Presstalis pour un montant de 30 millions d'euros , assorti de conditions. Dans ce cadre, les éditeurs ont autorisé la poursuite de l'utilisation, par Presstalis, de la totalité des fonds leur appartenant dans la limite de 90 millions d'euros, l'affectation en priorité des produits de cession éventuels au remboursement du prêt, une garantie sur le capital des coopératives et, enfin, le nantissement en cas de défaillance sur le fonds de commerce et/ou sur des branches d'activité de la société, ainsi que sur la part de Presstalis au capital de la société commune de moyens en charge du système d'information.

Principales actions engagées par Presstalis pour permettre un retour à l'équilibre
de ses comptes, suite aux préconisations du rapport Mettling

Source : Deloitte

En 2015, Presstalis a pu faire face à ses impasses de trésorerie avec la mise à disposition de ce prêt, tandis que, grâce aux réformes successivement mises en oeuvre, le résultat d'exploitation s'est amélioré à hauteur de 2,1 millions d'euros. Néanmoins, le résultat net continue d'être largement négatif (-38,3 millions d'euros), compte tenu notamment des charges sur les plans sociaux antérieurs (34,7 millions d'euros) et des dépréciations d'actifs (27,6 millions d'euros) liées à la mise en oeuvre du nouveau schéma directeur des dépositaires de presse.

(2) À l'échec industriel

Malgré un marché de la vente au numéro toujours en fort recul (- 7,1 % en valeur pour les quotidiens et - 4,1 % pour les publications), Presstalis prévoyait pour 2016 un bénéfice avant intérêts et impôts (EBIT) en augmentation, à hauteur de 5,1 millions d'euros . Ce résultat positif attendu devait être le fruit du plan de restructuration qui touchait à son terme - les effectifs sont passés de 2 504 salariés fin 2012 à 1 319 fin 2015 -, de gains de parts de marché vis-à-vis de son concurrent et d'un plan d'action complémentaire via notamment de nouveaux contrats d'affacturage, mécanisme risqué et de très court terme. Les prévisions pour l'EBIT s'établissaient alors à 12,5 millions d'euros en 2017 et à 22,3 millions d'euros en 2018.

Hélas, alors que Presstalis semblait avoir résolu certaines de ses difficultés financières grâce au soutien de l'État et à des opérations de financements externes, en mai dernier, un dérapage significatif vis-à-vis de la trajectoire budgétaire a été découvert au moment de la certification des comptes 2016 par les commissaires aux comptes. Le résultat d'exploitation 2016 s'élève finalement à - 1,9 million d'euros et le résultat net s'établit à - 48 millions d'euros. Les résultats de 2017 devraient également être significativement négatifs.

La direction de Presstalis impute la découverte tardive de ce décrochage à la migration du logiciel comptable et au changement du logiciel budgétaire. La différence par rapport au résultat courant prévisionnel proviendrait principalement de données de marché indépendantes des charges propres à la messagerie : effet de ciseaux entre les rémunérations des niveaux 1 et 2, sous-provisionnement de la rémunération diffuseurs, augmentation de la provision client, etc. Le CSMP, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, a pour sa part pointé du doigt le coût des plans sociaux très généreux mis en oeuvre.

Sur la base des comptes consolidés de Presstalis en 2015, les fonds propres de la messagerie sont négatifs de -255 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 51 millions d'euros de pertes consolidées en 2016, ce qui porte ses fonds propres négatifs à un inquiétant résultat de -306 millions d'euros . Pour mémoire, les fonds propres de la coopérative n'étaient négatifs que de 65 millions d'euros en 2010, niveau qui avait à l'époque était jugé fort inquiétant.

La situation financière à nouveau très dégradée de la messagerie a conduit à ce que le mandat de sa présidente, arrivé à échéance en juin dernier, ne soit pas reconduit et qu'il ait été procédé à un changement de directeur général cet automne.

Enfin la crise traversée par la messagerie, couplée à l'homologation de nouveaux barèmes particulièrement compétitifs chez la messagerie concurrente, a poussé un nombre significatif d'éditeurs de la presse magazine à poser un préavis de départ auprès de la messagerie Presstalis pour un montant total de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires , dont 210 millions d'euros venant des groupes Prisma et Mondadori.

b) Messageries lyonnaises de presse : et si le trublion avait raison ?
(1) Un assainissement de la situation financière

Face à Presstalis, acteur dominant du marché de la distribution de la presse en France, les messageries lyonnaises de presse (MLP) ont principalement développé leur activité sur des publications à périodicité lente et à fort prix de vente , à la fois plus faciles à distribuer et plus rémunératrices .

Elles assurent ainsi la distribution, au niveau 1, de publications de périodicité hebdomadaire, mensuelle, bimensuelle, etc. Avec plus de 600 éditeurs adhérents, les MLP représentent entre 27 % et 30 % de la vente au numéro. Par ailleurs, la messagerie a engagé, à partir de 2007, une stratégie de développement sur le niveau 2 avec sa filiale Forum Diffusion Presse et la constitution du groupement Alliance Distribution (dépôts indépendants déléguant certaines opérations aux MLP). Enfin, elle a tenté de développer, depuis 1999, un niveau 3 avec l'enseigne Agora, concept de points de vente « spécialistes de la presse, de l'information et de l'actualité culturelle et récréative ».

Après une volonté d'expansion sur le marché de la messagerie concurrente , MLP a décidé de revenir à son coeur de métier : la distribution des flux froids au niveau 1, en cédant une partie de ses actifs sur les niveaux 2 et 3. Ce changement de stratégie s'est imposé lorsque sont apparues, en 2014, de considérables difficultés de trésorerie , passée de 42 millions d'euros en 2012 à moins de 15 millions d'euros en 2014 et obligeant la messagerie à avoir recours à des retards croissants de paiement de ses fournisseurs. En 2013 et 2014, les MLP ont en effet perdu une part importante de leur chiffre d'affaires , de l'ordre de 50 % sur les deux années, en raison de l'attrition des volumes distribués et, surtout, de transferts d'éditeurs vers Presstalis ( Marianne , magazines du groupe Mondadori, encyclopédies et hors presse, etc.).

Une procédure d'alerte a été lancée par les commissaires aux comptes en mai 2014, dont les MLP ont obtenu la levée grâce à la décision de geler les acquisitions de dépôts. Le mois suivant, la messagerie annonçait un besoin de trésorerie complémentaire d'environ 17 millions d'euros, finalement traité par des mesures endogènes (décalages des paiements aux éditeurs pour 4 millions d'euros), la vente d'actifs non stratégiques, notamment de la filiale Agora, pour environ 5 millions d'euros et des réductions d'effectifs sans licenciement sec.

La mise en lumière brutale des difficultés de trésorerie a entraîné, lors des conseils d'administration des 13 mai et 28 décembre 2014, un changement de gouvernance à la tête des MLP, dans un esprit plus favorable au renforcement de la mutualisation avec Presstalis.

La situation financière de la messagerie s'est considérablement améliorée en 2015 avec un résultat d'exploitation positif à 1,2 million d'euros et une restauration d'ensemble de la trésorerie , grâce à la conclusion d'un contrat d'affacturage et de la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie consistant à ne livrer que sur un, deux ou trois jours par semaine les dépôts, selon un rythme qui correspond aux besoins des clients (mensuels, trimestriels, voire certains hebdomadaires), ce qui a permis de diminuer les coûts de 5 % environ. Enfin a été actée la vente progressive de la centrale d'achat et d'Agora.

Néanmoins, en raison de profonds désaccords manifestés au cours de l'assemblée générale du 21 juin 2016 sur la question des barèmes applicables aux éditeurs (cf supra ) et du niveau de mutualisation souhaitable avec Presstalis, le conseil d'administration des MLP a démissionné et un nouveau président a été élu sur la base du soutien des plus petits éditeurs , groupés dans le Syndicat de l'association des éditeurs de presse (SAEP).

À la suite de ce nouveau changement de gouvernance, avançant le manque de visibilité quant à la nouvelle stratégie, plusieurs éditeurs ont donné, à titre conservatoire, leur préavis de départ, décision collective qui risquait d'engendrer un fort déséquilibre au sein de la messagerie , dont la situation financière était d'ores et déjà tendue. Elle n'aurait pu en effet fonctionner avec les seuls volumes confiés par les petits éditeurs, ce dont s'était émue l'an passé notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication. De fait, les douze éditeurs les plus importants recourant aux services des MLP (magazines Le Point , Télé Z , certains magazines du groupe Mondadori, UFC-Que choisir , etc.) représentent 60 % du chiffre d'affaires de la messagerie. A contrario , 82 % des éditeurs clients des MLP ne réalisent que 10 % de son chiffre d'affaires.

Confrontée à la baisse continue du marché de la vente au numéro et au risque financier encouru à raison des départs annoncés de certains éditeurs, la nouvelle direction a mis en place, en concertation avec les syndicats, un plan d'une centaine de départs volontaires , afin de diminuer la masse salariale et de maintenir un résultat d'exploitation positif. Le coût de ce plan s'élève à 6,8 millions d'euros et le climat social s'est fortement dégradé , sur fond d'inquiétude quant à la pérennité de la messagerie et à l'avenir de la filière.

Il semble que cette stratégie ait néanmoins payé puisque les chiffres définitifs de l'année 2016 font état d'une situation financière convenable malgré un nouveau recul du marché (- 15 %), les MLP ayant perdu des titres à gros tirage ( Marianne , Nouveau Détective , Point de Vue ). L'arrêt de certaines activités déficitaires (Agora, une partie d'Alliance Distribution), ainsi que la restructuration du niveau 2 (presque tous les dépôts sont désormais rentables), permettent d'atteindre un résultat d'exploitation de 4,6 millions d'euros, même si le résultat net reste négatif (- 500 000 euros) du fait de la restructuration en cours. Selon la direction des MLP, auditionnée par votre rapporteur pour avis, les économies réalisées en 2016 devraient mettre la messagerie à l'abri des problèmes de trésorerie pendant les quatre prochains exercices.

Votre rapporteur pour avis salue l'effort réalisé par la messagerie pour revenir à l'équilibre , alors même que le changement brutal de gouvernance intervenu en 2016, le départ de clients importants (correspondant à 117 millions d'euros de chiffre d'affaires) et le conflit avec Presstalis, soutenue par les régulateurs, quant aux chantiers en cours en matière de mutualisation, laissaient craindre le pire. Il rappelle cependant que la messagerie demeure en fonds propres négatifs , qu'elle a, comme Presstalis, consommé son ducroire et qu'elle use également de l'affacturage.

(2) Une mutualisation qui tourne au vinaigre

En réalité, il semblerait bien que les MLP, qui passaient l'an dernier pour des frondeurs de la mutualisation , aient eu raison sur certains dossiers, notamment sur celui de la mise en oeuvre d'un système d'information commun, qui s'avère aujourd'hui constituer un colossal échec.

Le système d'information commun, chronique d'un immense gâchis

La décision 2014-01 du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) relative au choix d'un système d'information au service de l'ensemble des acteurs de la distribution de la presse a retenu la solution d'informatique en nuage de Presstalis. Initialement réticentes, les MLP ont finalement accepté d'intégrer le nouveau système sous la condition expresse d'une gouvernance partagée avec Presstalis et la prise en charge par la filière de leurs coûts de retournement , c'est-à-dire les coûts générés par la bascule sur le système commun. Une société commune de moyens a été créée afin de permettre le développement du projet, qui devait permettre une économie annuelle estimée à 15 millions d'euros pour la filière.

Début 2015, le conseil d'administration des MLP avait intégré dans ses comptes un investissement total de 3,4 millions d'euros pour le projet , dont la moitié supportés par la messagerie. Le financement semblait donc alors assuré. Pourtant, les MLP ne se sont engagées dans le projet qu'à partir d'avril 2015. En outre, le coût du projet a été réévalué entre temps entre 6 et 7 millions d'euros : cet écart a précipité le changement de direction générale à la tête de la messagerie et freiné considérablement la mise en oeuvre du projet , dont le calendrier initial prévoyait un déploiement complet au 30 juin 2016.

Après avoir menacé la messagerie de saisir la Cour d'appel de Paris pour l'obliger à appliquer sa décision 2014-01, le CSMP a finalement modifié sa stratégie et commandé une étude au cabinet EY pour jauger l'état d'avancement technique et financier du dossier. Ses conclusions ont révélé, outre des retards permanents, un dépassement invraisemblable de 12,1 millions d'euros , qui conduit à doubler le budget initialement prévu pour le développement du système d'information commun.

Dans ces conditions, le coût du projet devient intenable ; il reviendrait, pour les MLP, à payer 500 000 euros de plus chaque année pour un système d'information moins efficace que l'actuel. Pour le CSMP, auditionné par votre rapporteur pour avis, l'échec est imputable à un mauvais choix du maître d'oeuvre : ce n'est pas le principe de la mutualisation de cette activité qui doit être remise en cause.

Aujourd'hui, le système d'information commun est au point mort : chaque messagerie fonctionne avec son propre système. Les MLP ont cependant donné récemment leur accord pour travailler sur un référentiel réseau et diffuseurs commun.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Par ailleurs, pour assurer l'adaptation économique du réseau des dépositaires-mandataires du niveau 2, au nombre de 133 en 2012, le CSMP a voté, le 26 juillet 2012, la mise en oeuvre d'un schéma directeur d'organisation le réduisant à 99 plates-formes et 63 dépôts en métropole, avant le 31 décembre 2014. L'ARDP a rendu cette décision exécutoire par sa délibération n° 2012-06. La commission du réseau du CSMP a procédé ensuite à la nomination de 63 mandataires parmi les dépositaires ayant répondu à son appel d'offres.

Afin de remédier à l'accumulation de retards dans la mise en oeuvre du projet, le CSMP adoptait, le 3 octobre 2013, la décision n° 2013-05 encadrant dans des délais contraints le mode d'exécution du schéma directeur, rendue exécutoire par la décision n° 2013-07 de l'ARDP.

Mais, malgré les procédures de conciliations menées par le CSMP, les difficultés de trésorerie des MLP et les désaccords entre messageries et dépositaires sur la valorisation des dépôts par la méthode dite « Ricol », du nom du cabinet en ayant défini le mode de calcul, ont entraîné le blocage des opérations d'acquisition et de vente . En outre, la décision n° 2013-05 susmentionnée ayant fait l'objet d'un recours en annulation de la part du Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP), une ordonnance de référé, rendue le 5 mars 2014, en a suspendu l'application, dans l'attente que la cour d'appel se prononce.

On comptait ainsi encore, au 1er janvier 2015, 114 dépôts de presse sur le territoire métropolitain. Sur les 35 rattachements prévus par le nouveau schéma directeur, seulement 20 avaient pu être effectués, soit un état d'avancement de 60 % par rapport à l'objectif initial. Le 29 janvier 2015, la cour d'appel de Paris a rejeté sur le fond les griefs soulevés par les plaignants, relançant l'exécution contrainte du schéma directeur dans son calendrier. Depuis lors, de nombreuses opérations ont pu être menées et le niveau 2 s'oriente vers la cartographie à 63 mandats initialement dessinée , dont un peu moins de soixante répartis par moitié entre Presstalis et indépendants, le reste étant possédé par les MLP. Au 30 juillet 2017, 95 % des opérations prévues ont pu aboutir . Il reste encore six rattachements à opérer : deux sont programmés à l'automne 2017 (Brive et Metz), un est suspendu par un recours (Foix) et trois demeurent à finaliser (Beauvais, Millau et La Canourgue).

S'il était indispensable de rationaliser le niveau 2, les retards pris pour la réforme et l'attrition continue des volumes distribués a conduit à ce que le calibrage initialement prévu ne corresponde plus aux besoins, comme l'a reconnu le CSMP lui-même lors de son audition par votre rapporteur pour avis. Les dépôts de Presstalis, notamment, se trouvent en telle surcapacité , estimée à environ 40 %, que du fait de goulots d'étranglement, la distribution des magazines ferme deux jours par semaine et que la mise en vente au jour J n'est assurée que dans 47 % des cas. Le choix de la massification ne résiste pas, en effet, à l'attrition du marché et a pour conséquence une augmentation des coûts et une détérioration de la qualité de service . Le modèle des MLP, qui s'appuie majoritairement sur des dépositaires indépendants, est infiniment plus souple , ce qui constitue une qualité majeure dans un marché baissier.

Taux de mise en vente global à J

Source : MLP

En outre, compte tenu des avantages obtenus par les salariés de Presstalis, la réforme du niveau 2 s'est avérée extrêmement coûteuse, d'autant que la valeur ajoutée par salariée est de 2/3 inférieure à celle d'un salarié d'un dépositaire indépendant. En particulier, le transfert de salariés de Presstalis vers Géodis en conservant leurs avantages acquis annule partiellement les effets d'économie attendus de l'externalisation .

c) Et maintenant ?

La totalité des acteurs de la vente au numéro entendus par votre rapporteur pour avis dans le cadre de la préparation de l'examen du présent projet de budget 3 ( * ) se sont déclarés extrêmement inquiets quant à l'avenir du modèle coopératif de distribution de la presse . L'échec, à ce stade, du redressement de Presstalis, malgré une aide publique colossale et les efforts indéniables d'économies de la messagerie, les résultats décevants des projets de mutualisation et l'érosion continue des volumes distribués n'invitent effectivement guère à l'optimisme.

Comme lors de chaque crise, chacun y va de sa solution. Selon votre rapporteur pour avis, aucune n'est évidente et il convient d'avancer sur ce sujet avec une grande prudence :

- la fusion des deux messageries entraînerait a minima 500 licenciements, notamment chez les MLP, sans certitude qu'un monopole ne soit in fine pas défavorable aux tarifs appliqués aux éditeurs ;

- la spécialisation des messageries par flux (flux chauds/flux froids) n'aurait guère de sens si l'on considère que des publications à périodicité moyenne ou longue peuvent constituer des flux chauds à cause de la publicité ou des programmes télévisés qui sont connus fort tard ;

- la mise en faillite de Presstalis ne semble ni crédible ni souhaitable compte tenu des conséquences désastreuses sur les dépositaires et, temporairement, sur des diffuseurs déjà très fragiles. Les dépositaires considèrent qu'ils pourraient se passer de toute messagerie coopérative et les MLP seraient capables de reprendre l'activité magazines de Presstalis. Cette solution semble trop extrême et poserait des problèmes tarifaires liés à l'absence de concurrence ;

- de nouvelles formes de mutualisation pourraient être inventées, comme le propose le CSMP.

Peut-être ces querelles n'auront-elles plus de sens lorsque la vente au numéro des quotidiens, la plus contraignante et la plus couteuse, sera réduite à portion congrue. Déjà, Le Monde et Le Figaro sont passés sous le seuil symbolique des 40 000 exemplaires vendus chaque jour par ce canal. En attendant, il convient d'assurer l'avenir du système coopératif de la loi Bichet. Dans cette perspective, une mission a été confiée à Gérard Rameix afin d'éclairer les pouvoirs publics sur la situation économique des messageries et sur les perspectives en matière de régulation et de soutien de la vente au numéro.

2. Une gouvernance impuissante ?
a) Du temps des décisions fondatrices

Aux termes de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite « Bichet », s'ajoute aux aides publiques, en matière de financement de la distribution de la presse, une solidarité professionnelle organisée sous l'égide du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP).

L'entrée de la presse écrite dans une grave crise économique et les intérêts parfois divergents des acteurs de la filière au regard des réformes, parfois douloureuses, que nécessitait la situation a conduit le Législateur, avec la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse, à créer, au côté de l'instance de gouvernance professionnelle que représente le CSMP, une Autorité de régulation de la presse (ARDP).

La nouvelle autorité administrative s'est vue chargée de rendre exécutoires les décisions normatives prises par le CSMP et d'arbitrer les différends relatifs au fonctionnement des messageries ou à l'organisation du réseau de distribution en cas d'échec de la procédure de conciliation devant le Conseil supérieur.

La double gouvernance ainsi installée a largement contribué à la restructuration de la filière , en imposant, par des décisions fondatrices et au prix de multiples contentieux : la mise en place d'une péréquation inter-coopérative destinée à compenser, à Presstalis, les surcoûts industriels entraînés par la distribution des quotidiens (soit environ 4 millions d'euros versés en 2016 par les MLP) ; le lancement du projet de système d'information mutualisé ; l'adoption du schéma directeur du niveau 2 ; ou encore à la refonte des conditions d'approvisionnement (assortiment et plafonnement) et de rémunération des diffuseurs.

L'attelage déséquilibré des premières années - à l'origine, l'ARDP ne comptait que quatre membres, ne disposait pas de sa propre expertise et était financée par la profession - s'appuie désormais sur deux piliers d'égale importance. Avec la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, l'ARDP a été installée dans un statut d' autorité administrative indépendante , financée à ce titre par les pouvoirs publics et non plus, ce qui représentait une sérieuse brèche dans le principe d'indépendance, par les éditeurs. En outre, son expertise a été renforcée par l'adjonction d'un quatrième membre, désigné par le président de l'Autorité de la concurrence pour ses compétences dans les domaines économique et industriel. Enfin, l'ARDP s'est vue reconnaître la faculté d'inscrire une question à l'ordre du jour du CSMP, mais également le pouvoir de réformer ses décisions.

b) Au temps des doutes

Les efforts de synergies imposés par le binôme CSMP/ARDP n'ont cependant pas suffi à équilibrer durablement le système solidaire de la distribution de la presse au numéro , même s'ils lui ont certainement offert un répit. Le retour de Presstalis à une situation des plus dégradées et la concurrence ravivée avec les MLP interrogent cependant sur l'efficacité du système de gouvernance. Pire, l'échec des grands projets de mutualisation, informatique en tête, font douter tant du bien-fondé de la méthode que du choix de l'objectif.

Le constat est si critique que le doute s'est désormais installé chez les éditeurs, les messageries, les dépositaires et les régulateurs eux-mêmes. Ces derniers, d'ailleurs, hasard ou non, affichent pour la première fois leurs désaccords . En 2017, ce fut le cas sur deux dossiers d'inégale importance : les barèmes des MLP et l'ouverture de rayons presse dans les supérettes des grandes métropoles.

Pour mémoire, aux termes de la loi du 20 juillet 2011 précitée, l'ARDP rend un avis annuel sur l'action du CSMP en matière de barèmes, dans le cadre duquel elle a régulièrement estimé que les tarifs appliqués n'étaient ni égaux ni transparents dans la mesure où « les éditeurs les plus puissants entrent dans une stratégie de chantage avec les messageries afin d'obtenir les tarifs les plus avantageux, au détriment des éditeurs les plus modestes et les moins influents ». L'étude confiée au cabinet Mazars par le CSMP en 2014 a confirmé cette analyse et dénoncé la faible adaptation des barèmes aux coûts réels de la distribution des publications. À l'initiative de votre commission de culture, de l'éducation et de la communication, convaincue de l'urgence à agir sur ce dossier, la loi du 17 avril 2015 a confié à l'ARDP le soin d' homologuer, sur la base d'un avis transmis par le président du CSMP, les barèmes des messageries décidés par leur conseil d'administration.

La réforme des barèmes des messageries a constitué la priorité des autorités de régulation en 2016. Elle représente un sujet de tension et d'inquiétude pour des éditeurs majoritairement en difficulté financière. Ainsi, l'ARDP, sur la base d'un avis défavorable du CSMP, n'a pas été en mesure, le 1 er juillet 2016, d'homologuer les premiers barèmes présentés par Presstalis pour les quotidiens, qui, au-delà d'un vice de forme constaté, ne permettaient nullement de couvrir les coûts de la messagerie.

S'agissant des MLP, la demande d'homologation des nouveaux barèmes a été transmise aux régulateurs le 21 octobre 2016. A l'occasion de l'examen de cette proposition, l'ARDP et le CSMP ont pris connaissance de l'existence, au sein de cette messagerie comme de Presstalis, d' accords privilégiés permettant à certains éditeurs d'obtenir des tarifs plus favorables que ceux votés par l'assemblée générale de la coopérative . Les pratiques ont été déclarées illicites et, pour la première fois, le Conseil supérieur a fait usage de son droit d'opposition. Au 30 juin 2017, les deux messageries ont confirmé au Conseil supérieur, qu'il n'était plus fait application de conditions tarifaires non prévues au tarif public des prestations de groupage et de distribution.

Un second projet de barèmes, à la baisse, a été transmis le 16 février dernier. Dans son avis au président de l'ARDP, celui du CSMP a émis les plus grandes réserves sur les montants envisagés , notamment parce qu'extrêmement agressifs au profit des magazines les plus diffusés, ils faisaient craindre une fuite des éditeurs de cette catégorie vers les MLP, ce qui aurait contribué à déstabiliser un peu plus Presstalis. Malgré cela, et fort étonnamment, l'ARDP a homologué, le 24 mars 2017, les nouveaux tarifs de MLP, qui ont immédiatement conduit certains éditeurs à annoncer leur volonté de rejoindre la messagerie.

Au cours de sa séance du 17 juillet dernier, l'ARDP a, en revanche, rendu exécutoires deux décisions du CSMP en date du 1 er juin 2017 visant à encadrer les pratiques tarifaires des messageries de presse . La première (n° 2017-01) prévoit que le Conseil supérieur fasse obligation aux coopératives et aux entreprises commerciales de messageries de presse de confier à leurs commissaires aux comptes une mission de contrôle de l'application effective des barèmes coopératifs, dont tout éditeur pourra demander communication des conclusions. Il s'agit de s'assurer que les barèmes prévus par la loi Bichet sont effectivement appliqués et qu'ils ne font plus l'objet, comme par le passé, de dérogations occultes. La seconde (n° 2017-02) modifie, pour les assouplir, les critères d'accès des hors-séries aux conditions de distribution des produits « presse ».

A l'occasion de ce double blanc-seing, l'ARDP a indiqué, s'agissant de l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messagerie de presse, qu' « il serait illusoire de considérer que les évolutions des barèmes permettront, à elles seules, de résoudre les difficultés actuelles de la distribution de la presse , qui, compte tenu de la baisse constante de la diffusion, sont durables et structurelles . L'Autorité est convaincue que la construction d'un nouvel équilibre économique de la filière ne peut résulter que d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs, et notamment des actionnaires des coopératives » . Votre rapporteur pour avis partage cette analyse : la situation appelle sans attendre de nouvelles réformes structurelles .

Par ailleurs, l'ARDP a décidé de ne pas rendre exécutoire la décision n° 2017-04 du CSMP permettant l'ouverture de rayons presse dans les supérettes des grandes métropoles, destinée à répondre à l'érosion du nombre de points de vente de la presse, en particulier à Paris. L'Autorité a estimé que le fait de devoir obtenir l'accord du diffuseur de presse préexistant dans un rayon de 250 mètres autour de la supérette méconnaissait tant les principes du droit de la concurrence que ceux du droit européen , notamment l'article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

Le CSMP a, dans des observations formulées le 16 octobre dernier, contesté cette analyse , en rappelant que l'article 1 er de la même directive dispose qu'elle ne s'oppose pas aux mesures prises par les États membres « en vue de la protection ou de la promotion de la diversité culturelle et linguistique, ou du pluralisme des médias » et, s'agissant du droit de la concurrence que, « eu égard au caractère marginal des recettes que les supérettes tireront des rayons de vente de presse par rapport à leurs chiffres d'affaires global, il ne semble pas que ce mécanisme porte une atteinte disproportionnée aux principes du droit de la concurrence ». Réunie pour une nouvelle délibération le 20 octobre, l'ARDP n'a visiblement pas été convaincue par les arguments du Conseil supérieur et a maintenu son choix de ne pas rendre exécutoire sa décision n° 2017-04, en l'invitant à proposer une solution alternative pour dynamiser le réseau des diffuseurs dans les grandes villes.

Sans aucunement prendre position sur les arguments développés par les parties dans les deux dossiers précédemment évoqués, votre rapporteur pour avis s'inquiète d'une possible désolidarisation des deux régulateurs , qui, si elle perdurait, aurait des conséquences fort néfastes sur un secteur d'activité en situation déjà plus que critique . Le renouvellement à venir d'une partie du collège de l'ARDP peut apporter des réponses utiles à cette interrogation.

3. Le niveau 3, victime collatérale
a) Un réseau de vente en pleine crise

Dans un contexte de dramatique érosion du marché, qui devrait se poursuivre tendanciellement au cours des prochaines années, voire s'accélérer du fait de la stratégie de hausse des prix des quotidiens nationaux et de la bascule sur support numérique, le réseau des diffuseurs de presse, dit niveau 3, est marqué par une double tendance de perte de sa densité et de perte de sa qualité . Entre décembre 2009 et décembre 2016, il a ainsi enregistré une diminution de plus de 5 000 points de vente (- 18%). En 2016, 24 134 points de vente sont actifs, soit 743 de moins qu'en 2015 (- 3%), dont 44 % de commerces spécialisés, 30 % de commerces non spécialisés, 12 % de linéaires en grandes surfaces alimentaires, 9 % de linéaires de capillarité et 3 de concessions Relay. La filière estime que le réseau devrait se réduire à 21 000 points de vente en 2020 .

La province, et notamment les zones les moins denses, concentre encore la majorité des fermetures et représente 78 % des pertes (578 points de vente perdus en 2016, 700 en 2015), alors que l'Île-de-France a enregistré, en 2016, la perte de 165 points de vente « seulement ».

Concernant le réseau parisien intra-muros , avec 745 points de vente actifs en 2016, le recul est particulièrement important. Près de 300 points de vente ont disparu en six ans (-28%) et seul le réseau des kiosques présente une stabilité sur la période, tandis que celui des magasins traditionnels est en diminution sensible (- 40%). Par ailleurs, l'enseigne Relay a informé la Commission du réseau du CSMP que l'enseigne envisageait un nombre élevé de fermetures de magasins dans la concession RATP (jusqu'à soixante-dix fermetures à terme).

La fermeture de points de vente engendre un effet de concentration du réseau et par voie de conséquence sa fragilisation et sa précarisation . En 2015, les 1 000 premiers diffuseurs, qui ne représentaient que 2,5 % du réseau, réalisaient 26 % du chiffre d'affaires. Les 5 000 premiers diffuseurs, soit 20 % du réseau, réalisent près de 70 % des ventes.

Les créations de points de vente ont surtout concerné les « points de vente complémentaires » (PVC) à offre réduite (entre 50 et 150 titres), présents notamment dans les grandes surfaces alimentaires, ce qui constitue une substitution inquiétante du réseau de capillarité au détriment du réseau traditionnel, à offre plus large . Cette reconfiguration conduit à une réduction du chiffre d'affaires moyen de la filière : alors qu'un point de vente spécialisé réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 150 000 euros, le chiffre d'affaires « presse » d'un PVC s'établit à seulement 15 000 euros.

Un point de vente est ouvert en moyenne 13 heures 30 par jour et 80 heures par semaine. À ces contraintes horaires s'ajoute la pénibilité des tâches matérielles : un diffuseur spécialisé consacre quotidiennement 4 à 6 heures aux seules opérations de mise en place des produits et de gestion des stocks et des invendus. Le fort accroissement du nombre de produits à traiter, lié notamment au développement des produits hors presse (DVD, multimédias, livres, encyclopédies, etc.) et l'accroissement de forts taux d'invendus (40 % en 2007, 45 % en 2014) engendrent un encombrement croissant des linéaires, ce qui contribue largement à la dégradation des conditions de travail tout en nuisant à la bonne exposition des titres et, partant, à leur vente.

Le Livre vert des États généraux de la presse écrite de 2009 recommandait de « donner au point de vente la capacité d'intervenir dans le choix des titres et des quantités » . Concernant les quantités distribuées et afin d'assurer l'efficience du réseau collectif de distribution, le CSMP a institué un dispositif de plafonnement des volumes distribués , calculé selon des tranches de volumes de diffusion auxquelles s'appliquent un taux de plafonnement. Cependant, une part importante des volumes n'est pas concernée par cette décision qui ne concerne ni la presse d'information politique et générale ni les hebdomadaires vendus à plus de 400 000 exemplaires (soit une quinzaine de titres, principalement de presse télévisée). S'agissant de l'assortiment, qui permet d'adapter le nombre de titres à l'espace disponible en magasin, la décision initialement prise par le CSMP de réguler le nombre de titres proposés aux diffuseurs n'est en pratique pas appliquée en raison d'un système informatique obsolète . Dans les deux cas, les décisions prises n'ont guère amélioré les conditions de travail et de vente des diffuseurs de presse, qui demeurent critiques.

Par ailleurs, la rémunération des diffuseurs a longtemps pâti d'un taux de commission bien inférieur aux autres pays européens 4 ( * ) . Après un premier plan en 2001, qui avait permis de passer la commission moyenne de 15 % à 17 % du chiffre d'affaires, un deuxième plan interprofessionnel signé en juin 2007 et appliqué depuis le 1 er janvier 2009 a conduit à une hausse relative de la rémunération des diffuseurs de presse, qui restait cependant insuffisante. Les États généraux de la presse avaient fait, dès 2009, de l'augmentation de la rémunération une priorité, mais il aura fallu l'intervention du commissaire du gouvernement en juillet 2013 lors de l'assemblée générale du CSMP pour que le sujet soit pleinement porté à l'ordre du jour.

Le CSMP a alors lancé une consultation publique sur l'évolution de la rémunération des diffuseurs de presse, donnant lieu à la décision n° 2014-03 en date du 1 er juillet 2014, qui définit une nouvelle grille de rémunération simplifiée fondée sur une revalorisation de la commission moyenne perçue par le diffuseur de presse sur ses ventes.

Cette augmentation est comprise entre deux et trois points pour le réseau spécialisé sur la base de différents critères : lisibilité, représentativité, informatisation, géocommercialité, etc. L'effort représente un coût global supplémentaire de 27,6 millions d'euros pour les éditeurs, soit 1,7 % du coût de diffusion en l'état actuel des ventes. Deux augmentations de la rémunération moyenne de 0,5 % chacune ont été prises en charge par les éditeurs respectivement en 2015 puis en 2016. Une dernière étape de 0,7% en 2017 devait être financée par les économies réalisées par la filière. Mais, devant l'incapacité du système de distribution à dégager de telles économies, les éditeurs se sont engagés à supporter provisoirement la hausse correspondante. L'augmentation de la rémunération semble néanmoins insuffisante pour venir compenser la baisse des revenus causée par la chute des ventes .

Enfin, s'il est acquis que de nombreuses difficultés qui affectent la filière sont liées à un système d'information obsolète dont les déficiences entraînent de graves erreurs dans les échanges entre les différents niveaux du circuit de distribution, l'échec de la mise en oeuvre du système d'information commun prévu par la décision n° 2014-01 du CSMP constitue un signal extrêmement inquiétant pour l'avenir, déjà compromis, du réseau de diffuseurs.

Diffuseurs de presse : la paupérisation d'une profession

Selon la loi susmentionnée du 2 avril 1947, les commissions de rémunération perçues par les diffuseurs de presse relèvent de la filière de la distribution, sous l'égide du CSMP et d'accords interprofessionnels. En tant que mandataires commissionnaires ducroire, les diffuseurs sont rémunérés par une commission ad valorem assise sur le prix de vente facial du titre. En pratique, cette commission prélevée sur le produit des ventes au numéro de la presse est composée de deux parties : une commission de base et des compléments de commission.

1. La commission de base ad valorem des diffuseurs

La commission des diffuseurs était fondée à l'origine sur un unique taux assis sur le prix de vente facial de la publication, dite rémunération ad valorem . L'article 11 de la loi du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d'ordre social posait en effet le principe d'une rémunération uniforme des agents de la vente de la presse et le décret d'application n° 88-136 du 9 février 1988 fixait des taux de commissions maximales, modulées en fonction de la qualité de l'agent concerné et du lieu de son activité. Toutefois, en pratique, un consensus tacite entre les membres de la profession a permis de considérer que le décret introduisait une norme et non une limite indépassable dans les taux de rémunération.

La loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse dispose désormais que le CSMP fixe les conditions de rémunération des agents de la vente de la presse (dépositaires et diffuseurs) après consultation de leurs organisations professionnelles. Elle a également supprimé la rémunération ad valorem . Le CSMP a alors fixé une rémunération transitoire consistant en une mesure conservatoire de maintien de la rémunération ad valorem .

2. Les compléments de commission issus des accords interprofessionnels de qualification des diffuseurs

Les accords interprofessionnels conclus entre les éditeurs et les diffuseurs de presse permettent, depuis 1994, d'encadrer des augmentations de la rémunération des diffuseurs par rapport aux montants des commissions de base.

Ces accords ont mis en place des plans de qualification professionnelle des diffuseurs : en contrepartie d'efforts de modernisation de leur point de vente et de leurs pratiques professionnelles et commerciales, les diffuseurs qualifiés peuvent bénéficier de compléments de rémunération.

3. Les mesures de réforme de la rémunération des diffuseurs de presse

En 2013, le CSMP a engagé un certain nombre de chantiers portant sur l'amélioration des conditions de travail des diffuseurs (quantité des titres distribués, flux de trésorerie, etc.). Dans ce cadre, il a décidé le maintien de la rémunération du réseau en cas de baisse promotionnelle du prix de vente d'un titre. Cette mesure doit permettre aux diffuseurs de bénéficier à plein de l'augmentation des ventes en exemplaires liée à une baisse de prix promotionnelle.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

b) Un soutien heureusement renforcé

Outre l'effort, louable mais insuffisant pour enrayer la crise profonde de la diffusion de la presse , le niveau 3 bénéficie de plusieurs dispositifs de soutien.

(1) En matière de qualification des diffuseurs

D'abord, dans le cadre des accords professionnels précités permettant, en contrepartie d'efforts de modernisation des points de vente et des pratiques professionnelles et commerciales, de bénéficier de compléments de rémunération de la part des éditeurs, les diffuseurs ont profité de deux plans de qualification successifs.

Le premier accord interprofessionnel, initié en 1994 et finalisé en 2001, a permis aux diffuseurs éligibles, hors Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille, de bénéficier d'une rémunération nette de 15 % sur la vente des quotidiens, publications, produits multimédias et encyclopédies. Ce plan a fait l'objet de deux accords distincts signés, d'un côté en 2001 avec Presstalis, les représentants des dépositaires et ceux des diffuseurs, de l'autre en 2002 avec les MLP. Des avenants ont été signés en 2005, 2006, 2009 et 2010. Les diffuseurs qualifiés doivent satisfaire différents critères d'exigence, cumulant notamment la présence d'une enseigne presse sur la vitrine, la représentativité de la presse exposée ou encore le respect d'horaires d'ouverture impératifs.

Le second plan, matérialisé par le protocole d'accord interprofessionnel du 30 juin 2005, inclut un nouveau programme de revalorisation des rémunérations pour les diffuseurs spécialistes , dont la vente de presse est l'activité principale. Il a également fait l'objet de la conclusion de deux protocoles séparés pour chaque messagerie de presse, signés en 2006 pour les MLP et en 2007 pour Presstalis, avec des avenants en 2008, 2009 et 2010. Ce plan est ouvert aux diffuseurs qualifiés au titre du premier plan mais également à ceux des métropoles qui en étaient exclues. Pour avoir droit aux compléments de rémunération, les diffuseurs doivent répondre aux critères d'éligibilité du premier plan et à un certain nombre d'autres critères relatifs notamment à l'informatisation de l'activité et à la formation régulière de l'agent de vente . Le complément de rémunération peut être augmenté en fonction du mètre linéaire du diffuseur et de sa performance commerciale. Afin d'adapter les objectifs à l'érosion continue des ventes, ces critères ont été assouplis en 2013. Les rémunérations versées dans ce cadre se sont élevées en moyenne à 16,6 % des ventes.

(2) En matière de modernisation des points de vente

Le rapport relatif à l'implantation des kiosques à journaux, remis par Michel Balluteau en juillet 2009, préconisait un certain nombre d'actions de nature réglementaire ou financière destinées à dynamiser le développement de l'implantation des kiosques à journaux , notamment l'utilisation les ressources du fonds de modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale (FDM, fondu depuis dans le FSDP) en faveur de créations de kiosques et la rédaction d'une charte pour l'implantation de kiosques à journaux à l'usage des collectivités territoriales.

À sa suite, plusieurs mesures ont été engagées. Mediakiosk a bénéficié d'une subvention de 2,6 millions d'euros au titre du FDM puis du FSDP pour la période 2010-2012, pour l'installation d'environ 300 kiosques à journaux sur l'ensemble du territoire. Puis, en 2010, les exploitants de kiosques à journaux sont devenus éligibles au dispositif d'aide à la modernisation des diffuseurs de presse , créé en 2004 et destiné à soutenir la modernisation du réseau du niveau 3. Par cette aide, l'État subventionne, à hauteur de 40 %, les investissements des diffuseurs éligibles en équipements mobiliers (présentation de la presse) et informatiques.

Afin de tenir compte de la situation de fragilité économique des exploitants de kiosque, et de soutenir leurs efforts d'informatisation, l'État a décidé en 2013 une mesure de soutien spécifique à l'informatisation des kiosques , au sein de l'aide à la modernisation des diffuseurs. Cette mesure, adoptée en mai 2013, vise à rendre l'aide plus incitative en portant le taux de subvention des projets d'informatisation des kiosquiers à 80 % de leurs dépenses éligibles. Cette mesure est prévue pour 300 kiosques au total.

Sur le plan juridique, pour clarifier les régimes complexes et hétérogènes applicables à l'implantation des kiosques , une convention a été conclue entre le ministère de la culture, le CSMP et l'Association des maires de France en 2011, puis une circulaire ministérielle a été diffusée l'année suivante auprès des maires et des préfets.

Par ailleurs, un dispositif d'allègement de la charge de la taxe sur la publicité extérieure pesant sur les opérateurs des kiosques a été adopté par la loi de finances rectificative pour 2011. Le régime fiscal applicable à la publicité apposée sur les façades des kiosques à journaux a ainsi été aligné sur celui des dispositifs publicitaires apposés sur les éléments de mobilier urbain. Les kiosques peuvent désormais bénéficier, à l'appréciation de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale, d'une exonération de cette taxe ou d'une réfaction à hauteur de 50 % de son montant, quel que soit l'objet de l'affichage.

Le décret n° 2009-856 du 8 juillet 2009 a institué une aide exceptionnelle aux diffuseurs de presse . Elle a donné lieu à un versement unique de 4 000 euros , montant correspondant, en moyenne, à une exonération de 30 % des cotisations sociales personnelles des diffuseurs. 12 342 diffuseurs en ont bénéficié pour un montant attribué de 49,4 millions d'euros . Des difficultés économiques persistant, le décret n° 2011-1086 du 8 septembre 2011 a institué une nouvelle aide exceptionnelle d'un montant de 1 500 euros , porté à 2 000 euros pour les diffuseurs établis à Paris ou dans l'une des onze communes limitrophes, ayant eu à subir les conséquences de la grève du dépôt de Presstalis en décembre 2010. 9 649 versements ont été décidés pour un total de 14,7 millions d'euros .

Le mouvement social au sein de Presstalis (trente jours de blocage à l'automne 2012) a durement touché la profession, avec par exemple des pertes d'environ 70 % de chiffre d'affaires par jour de grève pour les kiosquiers de la région parisienne. À nouveau, une aide exceptionnelle de 1 500 euros a dû être débloquée au profit de 570 points de vente pour un coût de l'ordre de 1,1 million d'euros (décret n° 2013-933 du 17 octobre 2013).

Pour remédier au caractère par nature provisoire de la succession d'aides exceptionnelles , l'élargissement aux diffuseurs de presse de l'activité du Fonds d'avances remboursables aux entreprises de presse (FAREP) géré par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) a été mis en oeuvre au printemps 2016. Créé en avril 2012, le FAREP était initialement destiné au financement de la création et de la reprise des entreprises de presse écrite, quotidienne ou assimilée, d'information politique et générale. Le fonds a désormais également vocation à accompagner les opérations de création et de reprise des diffuseurs de presse indépendants , à travers l'octroi d'un prêt ou en tant que garant auprès d'un établissement bancaire.

En outre, la loi de finances pour 2017 a transformé l'exonération de cotisation foncière des entreprises en faveur des diffuseurs de presse spécialistes et indépendants, jusqu'alors facultative, non compensée et prise sur délibération des collectivités territoriales, en une exonération obligatoire. L'impact financier, en compensation pour l'État, est estimé à 7,5 millions d'euros par an .

Ces récentes réformes installent de façon plus pérenne le soutien aux diffuseurs de presse les plus fragiles . Pour autant, l'aide à la modernisation des diffuseurs demeure le seul levier direct et ciblé , puisqu'elle accompagne les projets d'investissement. Votre rapporteur pour avis salue donc l'assouplissement des modalités de l'aide dans le cadre du nouveau plan de soutien lancé en 2016, pour tenir compte des besoins et de la situation des marchands :

- l'aide à la modernisation, avec des dépenses éligibles pour le calcul de l'aide supérieures à 3 500 euros, excluait mécaniquement les plus petits points de vente. Ce seuil a été utilement abaissé à 1 500 euros à compter du 1 er janvier 2017 ;

- depuis le 1 er juillet 2017, les dépenses éligibles intègrent les dépenses pour l'accessibilité des personnes à mobilité réduite, les éclairages autres que ceux du linéaire et la liste du matériel informatique subventionné a été actualisée et étendue (tablettes portatives, dalles tactiles en libre-service, etc.).

- enfin, les délais pour bénéficier à nouveau d'une aide pour les investissements informatiques ont été ramenés de quatre à deux ans, afin de lutte contre l'obsolescence des systèmes de vente.

Pour 2018, compte tenu des besoins constatés et de ces mesures d'assouplissement, l'aide est budgétée, comme en 2017 à 6 millions d'euros, contre 3,7 millions d'euros en 2016.

Évolution de l'aide à la modernisation des diffuseurs

Source : DGMIC

B. PORTAGE ET POSTAGE À LA RECHERCHE DE L'EFFICIENCE

1. Une judicieuse réforme de l'aide au portage
a) Un mode de diffusion plébiscité

Le portage, qui consiste à apporter à domicile un titre de presse à ses abonnés, propose le double avantage de ne nécessiter aucun déplacement pour le client , contrairement à la vente en kiosque, et de mettre la publication à disposition dès les premières heures du matin , bien avant le passage du facteur.

Sur le long terme, s'agissant de la distribution de la presse imprimée, la part des ventes au numéro a chuté au profit du portage , tandis que les abonnements par voie postale observaient une relative stabilité. Ainsi, alors qu'en 1992, le portage ne représentait que 31,3 % des exemplaires diffusés, cette proportion s'établissait à 38,6 % en 2014.

Répartition de la diffusion par mode

En proportion de l'ensemble et en pourcentage

1992

1995

2000

2005

2010

2012

2013

2014

Réseau de vente

46.9

44.3

42.2

35.6

33.8

38.4

37.9

36.9

La Poste

21.8

21.8

20.9

19.9

21.2

23.7

23.8

24.5

Portage

31.3

33.9

36.9

44.5

45.0

37.9

38.3

38.6

Total

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

Source : DGMIC

Même si le recours au portage pour les abonnements a augmenté de 6,5 % entre 2011 et 2016, les familles de presse n'en usent pas dans les mêmes proportions. Traditionnellement, il est préféré par la presse quotidienne régionale et départementale , qui dispose d'un efficace réseau de portage, dont il diffuse plus de 80 % des abonnements individuels, proportion qui paraît difficile à augmenter davantage, compte tenu des contraintes liées aux abonnés géographiquement excentrés que seule la Poste est en mesure de servir . Forte de ce réseau, la presse hebdomadaire régionale, dont la périodicité ne nécessite pas absolument de recourir au portage, en a largement développé l'usage ces dernières années.

La presse quotidienne nationale , confrontée à l'explosion des coûts de la vente au numéro et aux contraintes horaires de La Poste, développe doucement le portage. Son utilisation a ainsi crû de 11 % entre 2011 et 2016, même s'il ne représente encore que 45 % environ des abonnements, soit 56,8 millions d'exemplaires en 2016. 35 % des abonnés à un titre de la presse quotidienne nationale reçoivent désormais leur journal par portage ; ils n'étaient que 24 % en 2006.

Nombre d'exemplaires portés en presse quotidienne nationale

Source : SPQN

La presse magazine est celle dont le recours au portage a le plus été développé depuis 2011, avec une augmentation de 455 % de son usage pour la distribution des abonnements individuels, en conséquence de l'augmentation considérable des tarifs postaux opérée ces dernières années pour ces publications. Toutefois, le portage ne représente encore, pour les magazines, que 35,7 % de leur distribution d'abonnements.

Taux de portage (abonnés portés/total des abonnements) par famille de presse

Famille de presse

2011

2013

2014

2015

2016

Progression 2016/2011

PQN

40,4 %

43,8 %

45,6 %

46,4 %

44,9 %

+ 11 %

PQR

84,0 %

85,5 %

86,2 %

86,7 %

87,2 %

+ 4 %

PQD

79,4 %

82,4 %

83,4 %

84,1 %

84,7 %

+ 7 %

Presse magazine

3,3 %

10,8 %

12,6 %

17,6 %

18,3 %

+ 455 %

PHR

29,3 %

30,5 %

32,1 %

34,7 %

35,7 %

+ 22 %

TOTAL

73,8 %

75,9 %

76,9 %

78,1 %

78,6 %

+ 6,5 %

Source : DGMIC

Toutefois, l'attrition des volumes de tirage a conduit à réduire le nombre d'exemplaires portés de 3,5 % sur la période, toutes familles de presse confondues, exception faite de la presse hebdomadaire régionale (+ 16 % du nombre d'exemplaires portés) et, surtout, de la presse magazine (+ 334 %), qui utilisaient très peu ce mode de distribution. Elles représentent néanmoins des volumes relativement faibles dans la masse globale des volumes portés, de l'ordre de 1 % du total.

Nombre d'exemplaires portés

(en millions d'exemplaires, hors abonnements collectifs et compagnies aériennes)

Famille de presse

2011

2013

2014

2015

2016

Progression 2016/2011

PQN

59,11

61,37

62,31

60,35

56,82

- 4 %

PQR

759,00

751,21

744,94

731,07

723,51

- 5 %

PQD

73,72

73,81

73,61

72,11

72,63

- 1,5 %

Presse magazine

2,12

6,81

7,57

9,60

9,21

+ 334 %

PHR

2,30

2,49

2,6

2,61

2,66

+ 16 %

TOTAL

896,25

895,70

890,45

875,74

864,83

- 3,5 %

Source : DGMIC

Le tassement des volumes portés s'observe particulièrement pour la presse quotidienne nationale et régionale, depuis plusieurs années déjà et pour des montants élevés (recul de 36 millions d'exemplaires au total entre 2011 et 2016), qui font plus que compenser les hausses venant de la presse magazine et de la presse hebdomadaire régionale (augmentation de 7 millions d'exemplaires sur la période).

Par comparaison, le taux de portage des abonnements atteint 61,8 % au Canada, 70 % en Finlande, 74 % aux États-Unis et 95 % au Japon, selon les chiffres récemment publiés par l'Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d'information (WAN-IFRA) pour l'année 2016.

b) Des modalités de soutien en constante adaptation
(1) 2017 : nouveau changement pour un dispositif régulièrement réformé

L'aide au portage a été instituée par le décret n° 98-1009 du 6 novembre 1998 relatif au fonds d'aide au portage. Lors des États généraux de la presse de 2009, il a été décidé d' encourager ce mode de distribution favorisant la fidélisation des lecteurs et améliorant la qualité du service . Dès lors, les crédits consacrés à l'aide au portage, qui s'établissaient à 8,2 millions d'euros en 2008, ont été augmentés à 70 millions d'euros en 2009.

Suivant les préconisations de la Cour des comptes, qui, en 2013, dénonçait certains effets d'aubaine de ce généreux dispositif , et les conclusions de l'étude menée en 2014 par le cabinet Roland Berger, l'aide au portage a été réformée par le décret n° 2014-1080 du 24 septembre 2014 portant réforme du fonds d'aide au portage de la presse. La distinction entre aide au flux et aide au stock a alors disparu et les crédits consacrés au soutien au portage, déjà ramenés à 37,6 millions d'euros en 2013, se sont établis depuis à 36 millions d'euros par an jusqu'en 2017.

La réforme de 2014 s'est toutefois rapidement heurtée - pour ce qui concerne le volet éditeurs de l'aide - à l'attrition d'ensemble des volumes pour la presse quotidienne . Sans le correctif finalement mis en place, le tassement des volumes aurait conduit, en tendance, à une aide nulle pour ces familles de presse, ce qui aurait accélérer leurs difficultés.

L'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et l'Inspection générale des finances (IGF) ont publié en février dernier un rapport d'évaluation de l'aide au portage , destiné à proposer des solutions pour rendre l'aide plus incitative et assurer une meilleure visibilité des montants distribués . Leurs travaux ont confirmé le diagnostic traditionnellement porté sur la réforme intervenue en 2014 : celle-ci s'est avérée inadaptée à la presse quotidienne régionale , en raison d'une stagnation de son portage, tant pour des raisons économiques que logistiques. Le dispositif d'aide n'a pu être mis en oeuvre qu'avec l'ajout d'une clause de sauvegarde, qui garantissait aux éditeurs 90 % de l'aide versée l'année précédente, renouvelée chaque année par voie réglementaire pour atténuer les effets potentiellement trop brutaux de la réforme.

Le décret n° 2017-1332 du 11 septembre 2017 réforme l'aide au portage en maintenant cependant sa division en deux sections :


• sur la première section , qui incite les éditeurs à développer le portage des abonnements, sont éligibles les titres d'information politique et générale au maximum hebdomadaire et les publications d'information sportive. Il s'agit d'une aide à l'exemplaire porté , multipliée, pour chaque titre, par le volume total des exemplaires individuels et collectifs portés. Les titres bénéficiaires des aides au pluralisme reçoivent une bonification.

Un correctif a été apporté en 2014, 2015 et 2016 afin de maintenir un montant d'aide égal à 90 % du montant perçu l'année précédente, dans la limite des crédits disponibles. La réforme menée en 2017 intègre cette clause de sauvegarde de manière pérenne dans le calcul de l'aide, afin d'assurer une visibilité du soutien public aux éditeurs de presse. Elle est cependant plafonnée à 110 % de l'aide perçue l'année précédente ;


• la seconde section , qui incite les réseaux de portage à porter pour compte de tiers et donc à mutualiser davantage le portage , concerne essentiellement le portage par les réseaux de la presse régionale, de titres de la presse quotidienne nationale ou de la presse magazine, mais également les réseaux de portage indépendants. L'aide est calculée en fonction de la progression du portage pour le compte de tiers. Cette progression, autrefois calculée sur trois ans, l'est désormais sur quatre, afin de lisser dans le temps la tendance au ralentissement de la progression de ce type de portage.

Par ailleurs, la réforme de 2017 a introduit un principe de dégressivité de l'aide aux réseaux à partir de quinze millions d'exemplaires tiers portés, afin qu'une éventuelle augmentation de la part de l'aide consacrée aux réseaux ne constitue pas un effet d'aubaine pour les acteurs dominants du secteur, notamment les réseaux de portage en Ile-de-France.

En 2016, neuf entreprises de portage dépendant d'éditeurs de presse et deux réseaux de portage indépendants ont été subventionnés au titre de la seconde section, pour un total de 3,91 millions d'euros , sur un total de 35,3 millions d'euros de subventions accordées au titre du fonds d'aide au portage, soit 11,1 % des versements. Les réseaux de portage avaient prévu de porter 52,5 millions d'exemplaires pour le compte de tiers , contre 537,8 millions d'exemplaires pour leurs propres titres (ou leur titre principal pour les réseaux de portage indépendants), soit 8,9 % de portage pour compte de tiers hors livraisons aux compagnies aériennes. À titre de comparaison, en 2011, cette proportion s'était élevée à 3,9 %. Dans un contexte de tassement du portage en propre, le portage pour les titres tiers, dont les volumes ont plus que doublé entre 2011 et 2016, fait donc montre d'une dynamique vertueuse, que la réforme de 2017 devrait encourager un peu plus.

Enfin, dans un souci de visibilité et de simplification administrative , les aides des deux sections sont désormais calculées sur la base des données réelles définitives de l'année n+1 et non plus en fonction de données prévisionnelles sur l'année en cours, ce qui entraînait de trop fréquents trop-perçus et moins-perçus.

Favorable à la mutualisation des réseaux de distribution , votre rapporteur pour avis salue l'esprit de cette nouvelle réforme de l'aide au portage, dont il souhaite qu'elle permette enfin un essor du portage pour compte de tiers et le développement de partenariats entre acteurs du portage et de la vente au numéro .

(2) L'enjeu de la mutualisation

Si nécessaires soient-ils, les projets de mutualisation du portage à domicile et vers les points de vente entre la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale ont dû faire face à plusieurs obstacles :

- en matière de production et d'organisation de la distribution , l'horaire de fin de l'impression de la presse quotidienne nationale sur un site adapté à son format (berlinois ou tabloïd), cumulé au temps de transport nécessaire pour arriver sur les lieux de routage de la presse quotidienne régionale, n'est pas forcément compatible avec les horaires de départ des tournées de cette dernière. Cette difficulté est encore accrue par l'horaire de bouclage tardif des quotidiens nationaux sportifs. Toutefois, un rapport précité du cabinet PMP relativise ce facteur pour l'essentiel du territoire ;

- d'un point de vue juridique , la mutualisation de ces réseaux se heurtait à la double contrainte de l'exclusivité du contrat Presstalis et de la loi du 2 avril 1947. Dans le cadre de la loi Bichet, deux titres partageant leur logistique pour la distribution d'exemplaires destinés à la vente au numéro devaient créer une coopérative à laquelle tout autre éditeur devait pouvoir adhérer. La loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse a assoupli ce point. Elle prévoit en effet que le CSMP « définit les conditions dans lesquelles les entreprises de presse [...] peuvent, dans des zones géographiques déterminées, sans adhésion à une société coopérative de messageries de presse commune, recourir à des réseaux locaux de distribution aux points de vente et homologue les contrats de distribution conclus dans ces conditions, au regard des principes de la présente loi » ;

- des raisons économiques : alors que Presstalis offre aujourd'hui à la presse quotidienne nationale une couverture intégrale du territoire, la presse quotidienne régionale ne peut offrir que des solutions de distribution locales en raison de son organisation par définition décentralisée. Il conviendrait donc de négocier avec chaque acteur de la presse quotidienne régionale les conditions de distribution de la presse quotidienne nationale. En outre, la presse quotidienne régionale n'est pas soumise au même cadre social que la presse quotidienne et que Presstalis pour son impression et sa distribution ;

- des raisons d'opportunité : les éditeurs de presse quotidienne régionale ont pu considérer que porter les abonnés d'autres titres faisait peser un risque de cannibalisation de leur propre lectorat . Ils se sont donc souvent montrés peu enclins à ouvrir leur réseau ou, lorsqu'ils le faisaient, à opter pour des conditions peu favorables pour les autres éditeurs. Afin de lever cette difficulté, la réforme de l'aide au portage intervenue en 2014 oriente une partie de cette aide vers les réseaux de portage, évolution qu'accentue la réforme de 2017.

Dès lors, l'ouverture des réseaux de portage fait apparaître une très forte hétérogénéité . Deux groupes ( Le Parisien-Les Echos et Le Figaro ) ont pleinement joué le jeu de la mutualisation, aidés par leur position géographique particulièrement favorable, tandis que plusieurs autres progressent dans cette voie, quoique de façon encore modeste. Par ailleurs, dans le Grand Est, l'absence quasi-totale d'ouverture des réseaux de portage d'EBRA a entraîné l'émergence de réseaux de portage indépendants, qui assurent la distribution abonnée portée de titres de la presse quotidienne nationale et de magazines.

Le portage pour compte de tiers en 2016
(exemplaires individuels et collectifs payés
hors exemplaires livrés aux entreprises de transport aérien)

Réseau

Exemplaires des titres du groupe portés

Exemplaires des titres tiers portés

% d'exemplaires tiers portés

Alsace de portage (DNA)

-

-

-

La Dépêche

23 984 103

2 174 300

8,3 %

Mediaportage (L'Alsace)

22 797 937

181 000

0,8 %

Midi Libre

28 200 116

1 710 530

5,7 %

Nordispresse (La Voix)

100 462 677

1 413 222

1,4 %

Ouest Plus Service (Ouest France)

199 947 601

988 888

0,5%

Presse Portage (NRCO)

18 446 830

1 444 061

7,3 %

Promoporte (Le Figaro)

19 973 719

7 132 891

26,3 %

Azur Distribution (Nice-Matin)

21 820 529

1 521 366

6,5 %

Pyrénées Presse

7 255 744

76 950

1,0%

Proximy (Le Parisien-Les Echos, ex-SDVP)

36 319 417

27 738 128

43,3 %

Sud-Ouest

40 066 417

1 046 700

2,8 %

Sud Presse Distribution
(La Provence)

13 500 000

1 046 700

7,2 %

Source : DGMIC

Depuis une dizaine d'années, en raison de l'érosion des ventes au numéro et d'une complémentarité industrielle avec son activité de réseau de dépôts, Presstalis accompagne les initiatives des éditeurs qui souhaitaient favoriser le développement du portage au travers des différents acteurs de la vente au numéro (messageries, dépositaires, diffuseurs). La messagerie, compte tenu de son savoir-faire , pourrait même envisager d' assurer la logistique d'approche des volumes de presse portés vers les centres de répartition régionaux - Presstalis a d'ailleurs conclu un accord de sous-traitance logistique avec le groupe La Dépêche -, voire jouer le rôle d'intégrateur du flux de portage , valorisant ainsi son organisation logistique et son réseau.

Un certain nombre de tests ont été menés, notamment en 2008 et en 2009, qui ont confirmé la capacité opérationnelle de Presstalis et des dépositaires à mettre en oeuvre des solutions de portage . Mais le passage à une phase industrielle de la gestion intégrée et complète de ces flux nécessiterait le développement ou l'acquisition d'un système d'information adapté et coûteux. Outre les difficultés économiques de la messagerie, la présence d'acteurs de la presse quotidienne régionale déjà fortement implantés rend malheureusement cette perspective quelque peu lointaine.

c) Vendeurs-colporteurs et porteurs de presse : des professions originales à sécuriser

Le dispositif d'aide à l'activité des vendeurs-colporteurs et des porteurs de presse constitue un volet complémentaire de l'aide directe au portage . L'article 22 de loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail, pour l'application du troisième plan pour l'emploi a établi un double statut pour ces professions sur le modèle de ce qui existait déjà en Alsace-Moselle :

- les vendeurs-colporteurs de presse exercent leur profession à titre indépendant pour le compte d'un éditeur de presse quotidienne ou assimilée, d'un dépositaire (niveau 2) ou d'un diffuseur (niveau 3), qui est juridiquement leur mandant ;

- les porteurs de presse salariés sont employés par des sociétés de portage , souvent développées par des quotidiens régionaux, dont 52 % des titres sont portés. Leur statut est organisé par le code du travail et par la convention collective nationale du portage de presse du 26 juin 2007, étendus par un arrêté en date du 3 juin 2016, lorsque l'activité principale de l'entreprise de laquelle ils dépendent est le portage de presse.

Afin de réglementer ces professions, alors majoritairement exercées en travail dissimulé, la loi précité du 3 janvier de 1991 a également établi une assiette forfaitaire de cotisations , assise sur le nombre d'exemplaires portés chaque mois, correspondant, par tranche de cent journaux vendus ou distribués, à 4 % du plafond journalier de la sécurité sociale pour la presse départementale, régionale et nationale et à 8 % du plafond journalier pour la presse dite « de rue », d'autre part. Une entreprise peut donc à chaque versement de la rémunération et pour chaque salarié opter soit pour l'application de l'assiette forfaitaire des cotisations dues, soit pour un calcul des cotisations selon les conditions de droit commun, c'est-à-dire sur les rémunérations effectivement allouées.

L'article 22 bis de la loi du 3 janvier 1991 précitée a été introduit en 2009 afin d'accompagner le développement du portage. Il prévoit, pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs salariés, l'exonération de versements de charges sociales patronales (hors accidents du travail et maladies professionnelles) pour l'employeur ou le mandant. Une circulaire du 14 septembre 2009 de la direction de la sécurité sociale a étendu le bénéfice des exonérations aux porteurs de presse quotidienne gratuite d'information politique et générale. Puis, un courrier du 13 janvier 2014 du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, a étendu cette exonération aux porteurs de presse hebdomadaire d'information politique et générale.

Le manque à gagner qui en résulte pour les régimes de sécurité sociale est compensé par l'État sur le budget du programme 180 « presse et médias » et versé à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), gestionnaire du dispositif. L'exonération présente des caractéristiques de guichet : le tendanciel correspond donc aux prévisions de l'ACOSS, ajustées ensuite par ses soins par rapport aux réalisations. Ces dernières années, les prévisions ont fréquemment été revues à la baisse, compte tenu de l'attrition des volumes portés.

L'évolution des sommes compensées par l'Etat

Source : DGMIC

Le montant inscrit en loi de finances pour 2017, soit 15,3 millions d'euros, se fondait sur les prévisions de septembre 2016. Cependant, en gestion 2017, la trajectoire de l'aide a été réévaluée sur les prévisions actualisées en mars et le montant retenu dans l'échéancier de versement de l'État à l'ACOSS s'élève désormais à 14,4 millions d'euros . Compte tenu de la réduction des prévisions d'exécution de l'ACOSS, un versement de 11,8 millions d'euros a été effectué fin juin dernier, après qu'un surgel de crédits au programme de 3 millions d'euros a été affecté sur la dotation du dispositif fin avril.

Pour 2018 , le montant retenu s'élève à 14,2 millions d'euros . Il s'appuie sur un nombre de porteurs de presse estimé à 14 496 pour la presse payante et à 15 372 pour la presse gratuite, ainsi que sur un nombre moyen d'exemplaires portés mensuellement par porteur de 3 286 pour la presse payante et de 1 062 pour la presse gratuite. L'exonération de cotisations patronales, qui représente pour 2018 un taux de 26,79 % de l'assiette de cotisations, est estimée pour ce niveau moyen d'exemplaires portés à 50,6 euros en moyenne par mois pour l'employeur s'agissant du portage de la presse payante et à 29,5 euros pour la presse gratuite.

Estimations pour 2018

Estimation des effectifs en 2018

Montant mensuel de l'exonération en 2018

Prévision
du montant de l'exonération 2018

Vendeurs-colporteurs et porteurs de presse payante

14 496

50,63 €

8,81 M€

Vendeurs-colporteurs et porteurs de presse gratuite

15 372

29,47 €

5,43 M€

Total

14,24 M€

Source : DGMIC

Les conditions de travail des vendeurs-colporteurs de presse et porteurs n'en demeurent pas moins particulièrement difficiles : en tant qu'indépendants, les VCP ne bénéficient pas des garanties du droit du travail en matière de rémunération, de conditions de travail ou encore de représentation. Les porteurs, quoique salariés, connaissent également un statut social difficile, lié notamment à l'assiette forfaitaire de cotisation définie en application de l'article 22 bis de la même loi.

Une étude d'impact de l'aide au portage sur les éditeurs de presse quotidienne et les entreprises de presse, menée en 2013 par le cabinet Arthur D. Little, a mis en exergue la précarité de la situation des porteurs et des vendeurs-colporteurs . Les aides existantes n'ont pas permis d'améliorer le statut de ces acteurs, chevilles ouvrières de la distribution de la presse par portage.

Aussi, le 10 juillet 2013, dans sa communication en Conseil des ministres sur la réforme des aides à la presse, Aurélie Filippetti, alors ministre en charge de la culture, a présenté un volet social, en appelant notamment les professionnels à conclure un code de bonnes pratiques professionnelles à l'égard de ces professionnels.

Afin de mener à bien cette réforme, une mission d'étude conjointe de l'IGAC et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été lancée en avril 2014, en vue d'établir un panorama général de ces métiers et des personnes qui les exercent, mais également de définir les bonnes pratiques des éditeurs à l'égard des vendeurs-colporteurs et de déterminer les pistes de réforme du statut de porteur . Plusieurs évolutions ont été évoquées dans ce cadre, sans véritable suite néanmoins. Les conventions-cadres avec les grands groupes de presse, dont la nouvelle version doit être signée avant la fin de l'année 2017, pourraient constituer un levier pertinent pour assurer une responsabilisation renforcée des employeurs .

Le rapport relatif à la réforme de l'aide au portage de la presse, réalisé conjointement par l'IGF et l'IGAC, publié en février dernier, préconise pour sa part la révision du statut des vendeurs-colporteurs afin de permettre le développement du portage multi-titres , ce que réclame également le SPQR. En effet, tant que n'est pas entendu le fait que le portage multi-titres ne remet pas en cause l'indépendance du vendeur colporteur, un risque existe que les éditeurs qui font appel à leurs services soient, pour cette tâche, considérés comme des donneurs d'ordres, ce qui obligerait à une requalification des contrats en salariat.

Selon les informations dont dispose votre rapporteur pour avis, un accord aurait été trouvé pour