C. RADIO FRANCE : DES INTERROGATIONS PERSISTANTES SUR L'ISSUE DU CHANTIER
Votre rapporteur pour avis rappelle, depuis plusieurs années maintenant, l'inquiétude que lui inspire la situation de Radio France. La grande grève de 2015 a mis en évidence à la fois la gravité de la situation financière de l'entreprise et les résistances d'un corps social qui n'avait sans doute pas été suffisamment informé de gravité de la situation.
Le retour à une certaine paix sociale s'est fait au prix d'accommodements sur le rythme et l'ampleur des réformes, l'entreprise obtenant du temps pour conduire les évolutions indispensables et l'État fermant les yeux sur le caractère insuffisant des réformes conduites comme en témoigne l'absence de véritables suites données aux recommandations du rapport de la Cour des comptes.
La situation en 2019 pourrait néanmoins évoluer de manière positive. L'arrivée d'une nouvelle présidente, Sibyle Veil 25 ( * ) , très au fait de la situation de l'entreprise, les bonnes audiences fondées sur une stratégie cohérente et le projet de rapprochement entre France Bleu et France 3 donnent des perspectives pour les années à venir. La principale incertitude à lever concerne le chantier de la Maison de la Radio pour lequel il reste à confirmer les délais de réalisation, le coût et le financement à travers des moyens supplémentaires non prévus dans le PLF.
1. Des succès d'audience qui confortent l'entreprise dans ses choix de programmes
Avec 14 706 000 auditeurs, Radio France réalise sa meilleure rentrée radiophonique. La radio publique obtient 27,1 % d'audience cumulée.
La stratégie de complémentarité des antennes et de développement des offres numériques explique ce succès. Cette rentrée marque le succès des radios de service public qui contraste avec l'effondrement de l'audience d'Europe 1, un phénomène de vases communicants ne pouvant être exclu.
Avec 6 258 000 auditeurs, soit 11,5 % en audience cumulée (+ 0,4 pt) France Inter gagne 260 000 auditeurs en un an et signe sa meilleure rentrée. Elle confirme sa place de radio la plus écoutée sur les supports numériques en direct et en différé.
France Info confirme sa place de 4 e radio la plus écoutée de France. Elle rassemble chaque jour 4 423 000 auditeurs, soit 8,1% d'audience cumulée. France Bleu réunit près de 3 600 000 auditeurs chaque jour.
Avec une audience cumulée de 2,8 %, soit une progression de 0,6 point sur un an, France Culture gagne 319 000 auditeurs.
Avec une hausse de 40 000 auditeurs en un an, France Musique rassemble 921 000 auditeurs.
Mouv' rassemble 335 000 auditeurs et atteint 0,6 % d'audience cumulée.
Les résultats d'audience des différentes antennes de Radio France illustrent la pertinence d'une offre différenciée par rapport aux autres radios ainsi que l'utilité d'une diffusion sur différents supports.
2. Une situation financière toujours précaire
La situation financière de Radio France demeure dépendante des ressources publiques mais aussi commerciales, la hausse des recettes publicitaires jouant un rôle déterminant pour maintenir l'équilibre du budget de l'entreprise.
Le COM 2015-2019 signé par Radio France avec l'État prévoyait le retour à l'équilibre de la société en 2018 avec un résultat positif de 2,1 millions d'euros, pour la première fois depuis 2014. La prévision actualisée qui figure dans le bleu budgétaire prévoit un résultat net pour 2018 de 0,5 million d'euros ce qui illustre la fragilité de l'entreprise en dépit des efforts produits (politique des achats optimisée, réduction des coûts de diffusion, hausse des ressources propres, efforts sur la masse salariale...). Plus que jamais, c'est la hausse de la dotation de fonctionnement, à hauteur de 8,7 millions d'euros en 2018, qui a permis d'afficher un retour à l'équilibre des comptes.
Le bleu budgétaire indique que « le budget de Radio France repose sur une hypothèse centrale de maîtrise de la masse salariale. Cet effort, prévu dans le COM 2015-2019, doit se poursuivre en 2018 et 2019 » . Même si le rythme de la baisse de la masse salariale est lent, une inflexion semble effectivement en cours même s'il est difficile d'en mesurer la portée, faute de données actualisées. Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, la présidente de Radio France a indiqué que le travail sur la masse salariale était difficile d'autant qu'il n'y avait pas de changement de périmètre et que l'entreprise devait déployer son activité sur tous les supports (chaînes, sites et réseaux sociaux). L'objectif de 230 départs non remplacés aura été atteint en trois années au lieu de deux selon Sibyle Veil. La présidente de Radio France indique cependant que la chaîne d'information a nécessité la mobilisation de 47 ETP ce qui a rendu difficile le maintien de la trajectoire.
Radio France ne devrait pas recourir à un plan de départs volontaires contrairement à France Télévisions, Sibyle Veil estimant que les leviers d'action de l'entreprise doivent d'abord être trouvés dans la négociation sociale. La présidente de Radio France estime que « l'entreprise a fait un effort pour être agile et productive » . Un plan de départs volontaires aurait par ailleurs deux inconvénients , il solliciterait la trésorerie et inciterait au départ des meilleurs éléments. Elle rappelle par ailleurs que Radio France n'a pas prévu de réduire son offre ou son périmètre. L'enjeu est davantage d'adapter les métiers au numérique.
Au final, la situation de Radio France demeure très incertaine . La baisse de la ressource de 4 millions d'euros dans le PLF 2019 ne constitue qu'une première étape compte tenu d'un objectif de réduction des dépenses de 20 millions d'euros d'ici 2022 . Le COM de l'entreprise est à son tour devenu caduc. La principale marge de manoeuvre semble donc résider dans le développement des ressources propres dont on peut rappeler qu'elles étaient évaluées en 2018 à 61,9 millions d'euros.
Concernant plus particulièrement les recettes publicitaires on peut rappeler que la cible de 42 millions a été dépassée de 6 millions d'euros. De nombreux auditeurs regrettent par ailleurs la multiplication des annonces commerciales aux heures de grande écoute qui font ressembler l'antenne aux chaînes commerciales. Votre rapporteur pour avis ne peut que rappeler sa réserve face à l'augmentation de la place de la publicité sur les antennes du service public. En particulier, la forte présence de publicité sur les sites internet de Radio France ne correspond pas à l'image du service public.
La dotation de Radio France en 2019 s'élèvera à 592,3 millions d'euros et seuls des redéploiements de moyens peuvent permettre d'adapter dans la durée l'offre de l'entreprise à son nouvel environnement numérique. À plus long terme, des mutualisations de grande ampleur avec France Télévisions pourraient également constituer une source d'économies importante.
3. Une remise à plat salutaire du chantier de la Maison de la Radio
L'évaluation du coût du chantier de la Maison de la Radio semble se compliquer à mesure que l'échéance se rapproche... L'année 2018 constituera, on l'espère, un tournant après la reprise en main effectuée par l'État et la direction de l'entreprise à l'issue de la dérive constatée au cours des dernières années.
Pour mémoire, dans le COM 2015-2019, la trajectoire financière du chantier reposait sur trois paramètres :
- une dotation en capital de 55 millions d'euros versée en deux fois (27,5 millions d'euros en 2016 puis en 2017) 26 ( * ) ;
- le maintien d'une subvention d'investissements courants de 24,6 millions d'euros par an sur la période du COM et le versement d'une subvention complémentaire de 25 millions d'euros répartie sur les exercices 2016, 2017 et 2018 27 ( * ) ;
- la possibilité pour l'entreprise de recourir à l'emprunt dans la limite de 70 millions d'euros.
Les retards constatés dans l'avancée du chantier ont eu pour effet en 2018 de limiter la subvention d'investissement à 10 millions d'euros.
Afin de clarifier une situation qui était devenue particulièrement inquiétante, l'État a confié, fin 2016, une mission d'expertise à Jean-Pierre Weiss, ingénieur des ponts et chaussées spécialisé dans les grandes infrastructures publiques.
Le rapport Weiss met l'accent sur les problèmes rencontrés depuis 2015 en termes de dépassements des montants initiaux de certains marchés. Il rappelle également qu'en juin 2017 l'entreprise a indiqué ne pas être en mesure de tenir son objectif déjà décalé de livraison en juillet 2019.
Cette situation a donné lieu à l'élaboration de quatre scenarii pour guider les suites de la réalisation du chantier avec des prévisions de dates d'achèvement s'étalant selon les cas de décembre 2021 à décembre 2023, chaque scenario étant assorti d'augmentations prévisionnelles de coûts d'investissement et de fonctionnement très importantes.
La Cour des comptes, dans son rapport sur Radio France d'avril 2015, avait estimé qu' « au regard de l'estimation prévisionnelle qui a servi à valider initialement le projet de mise en sécurité de Radio France (170 M€ en coûts complets, valeur février 2004, soit environ 230 M€ valeur juillet 2014), le coût final estimé du chantier est passé à 430 M€ en valeur courante 2014, soit un quasi-doublement » 28 ( * ) . Le même rapport de la cour évaluait le coût global en euros courants à 575,5 millions d'euros en tenant compte des coûts de fonctionnement et des indemnités de transaction. Dès ce moment, la Cour des comptes dénonçait « une véritable dérive des coûts de l'opération principalement due aux conditions approximatives dans lesquelles l'opération a été engagée, au défaut de programmation initiale et aux réévaluations successives qui en ont résulté et, dans une moindre mesure, aux insuffisances postérieures qui ont affecté le pilotage du chantier et en ont prolongé les délais d'exécution » .
Ce jugement de la Cour des comptes sur les insuffisances du pilotage du chantier doit être révisé à son tour si l'on souhaite comprendre la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui l'entreprise. Les défaillances postérieures à 2015 n'ont en effet pas été moindres, elles se sont même aggravées et multipliées jusqu'en 2017, ce qui explique les nouvelles difficultés rencontrées.
Le rapport Weiss estime, en effet, que « les écarts considérables apparus entre la prévision présentée en février 2017 et les nouvelles hypothèses de juin 2017 sont la conséquence d'une prise de conscience très tardive par Radio France de l'ampleur des obstacles empêchant le respect non seulement des délais contractualisés avec les entreprises [...] mais même de délais recalés au fur et à mesure de la survenance d'obstacles au respect du calendrier » . C'est ainsi l'échec non anticipé de l'objectif de livraison à fin 2016 de la première tranche de la phase 4 dans des conditions acceptables de qualité qui a conduit l'entreprise à une analyse a posteriori des difficultés rencontrées. Cette analyse a abouti à multiplier par trois (de 4 à 12 mois) le temps nécessaire pour libérer les locaux et à doubler la durée consacrée aux travaux (de 16 à 32 mois).
Les scenarii envisagés par le rapport Weiss tiennent compte de ce rallongement des délais. Le scénario qui a été retenu par l'entreprise en accord avec ses tutelles vise, en outre, à dissocier certaines prestations afin de les remettre en concurrence compte tenu des dérives de coûts et des nombreuses malfaçons constatées. Le rapport Weiss a, enfin, mis en évidence l'omission d'une période complémentaire de 6 à 8 mois pour permettre l'achèvement effectif des travaux avant l'installation des personnels.
Pour Jean-Pierre Weiss, les problèmes rencontrés trouvent leur origine dans une erreur de pilotage du chantier qui a consisté à privilégier le critère des délais sur les objectifs de coût et de qualité . Or, pour cet ingénieur, « il est périlleux de dissocier ces trois objectifs, ce qui d'une certaine façon est intervenu en privilégiant le seul objectif de respect des délais jusqu'à ce que l'impasse sur la qualité conduise à de très mauvaises conditions d'achèvement des locaux [...] et révèle a posteriori l'impossibilité de tenir les futurs délais, à un moment où nombre de mesures correctrices ne pouvaient plus être décidées » . Pour Jean-Pierre Weiss le pilotage de l'opération a été biaisé par l'apparition en 2015 d'une « crise dans la crise » du fait des difficultés apparues pour respecter les règles de concurrence en limitant la croissance des montants initiaux des marchés passés. De ce fait, il observe que « l'essentiel du dispositif de suivi de l'opération a été conçu à compter de cette date autour de cette question, au détriment du pilotage de l'opération elle-même sans sa triple dimension indissociable de respect des objectifs de coûts, délais et qualité » .
En termes de coûts, le scénario finalement retenu - un scénario de poursuite par rapport aux scenarii de « réinitialisation » envisagés par ailleurs - se traduit par une remise en concurrence d'un nombre limité de marchés pour éviter des retards trop importants . Il apparaît également moins coûteux que les scenarii qui envisageaient une remise en concurrence totale. Ce scénario central revient à retenir un achèvement des travaux en août 2022 pour un coût total de l'investissement en réhabilitation de 493,3 millions d'euros (+ 31,3 millions d'euros par rapport à février 2017) auquel il convient d'ajouter + 48,1 millions d'euros au titre de l'augmentation prévisionnelle du coût de fonctionnement.
Ce choix de scénario nécessitait que l'entreprise purge les risques juridiques identifiés, ce qu'elle a fait en invoquant des « sujétions imprévues ». Le scénario a ensuite été validé en février 2018 par un vote du conseil d'administration.
Alors que le rapport Weiss évoquait une fin des travaux en août 2022, les délais nécessaires au vote intervenu en février comme l'adjonction au projet de la réhabilitation des studios moyens amène la présidente directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, à retenir la fin 2022 pour l'achèvement des travaux et à prévoir une réintégration dans les locaux en 2023 . La présidente de Radio France a également indiqué que les studios moyens seraient arrêtés en décembre 2018, ce qui occasionnera un coût qu'il conviendra de prendre en compte.
Le coût final du chantier compte tenu des nouveaux délais et des surcoûts afférents n'a pas été présenté dans le cadre du PLF. Un financement ad hoc est annoncé et devrait être approuvé par le conseil d'administration de l'entreprise en décembre 2018.
Selon le directeur général des médias et des industries culturelles, la seconde tranche de 27,5 millions d'euros de dotation sera versée à l'entreprise en 2019, qui pourra également compter sur la reconduction d'une subvention d'investissement de 10 millions d'euros. Le financement du chantier en 2019 ne devrait donc pas, selon lui, poser de difficultés. En revanche, un besoin de financement est attendu en 2022 et 2023 ; il devra être comblé soit en recourant à l'emprunt soit au moyen d'une nouvelle dotation en capital.
Le débat à l'Assemblée nationale sur le PLF a été l'occasion de déplorer le manque de transparence de l'État sur cette question du coût et du financement du chantier de la Maison de la Radio. Votre rapporteur pour avis a donc établi sa propre estimation, qui n'a pas été démentie par l'entreprise qui prépare en ce moment un chiffrage précis qu'elle devra remettre en décembre à ses tutelles.
Si l'on tient compte de l'évaluation du rapport Weiss de 493,3 millions d'euros, du coût de fonctionnement afférent au chantier et des nouveaux délais intervenus en 2018, votre rapporteur pour avis estime que le coût du chantier de la Maison de la Radio devrait s'établir à 550 millions d'euros. Si l'on ajoute le coût de la rénovation des studios moyens qui n'était pas prévue dans le projet d'origine, le coût pourrait même avoisiner les 600 millions d'euros.
Cette somme très importante doit toutefois être ramenée à sa juste proportion puisque le consortium du stade de France a estimé récemment à 450 millions d'euros le coût de la rénovation nécessaire afin de moderniser l'enceinte construite pour la Coupe du monde de 1998. La rénovation du Grand Palais devrait, pour sa part, coûter 466 millions d'euros d'ici 2024.
Plus que la dérive des coûts qui est, malheureusement, habituelle dans ce type de projet 29 ( * ) , votre rapporteur pour avis déplore l'erreur de jugement ayant consisté à vouloir engager un tel chantier en site occupé en en faisant supporter les conséquences aux salariés... et au contribuable .
* 25 Sibyle Veil a été désignée le 12 avril 2018 par le CSA pour succéder à Matthieu Gallet.
* 26 Le second versement de 27,5 millions d'euros est attendu en 2019 selon la DGMIC.
* 27 Au total la subvention issue de la CAP pour l'investissement devait représenter 24,6 millions d'euros en 2015, 29,6 millions d'euros en 2016, 34,6 millions d'euros en 2017 et 2018 et 24,6 millions d'euros en 2019.
* 28 « Radio France, les raisons d'une crise, les pistes d'une réforme », rapport de la Cour des comptes (avril 2015), p. 101.
* 29 Évaluée à 173,1 millions d'euros lors de son préprogramme en 2006, la construction de Philharmonie de Paris a coûté 534,7 millions (valeur en 2015) selon un rapport de la Chambre régionale des comptes d'Ile-de-France.