III. DES INQUIÉTUDES NOUVELLES INDUITES PAR CERTAINES MESURES BUDGÉTAIRES
A. TO-DE : REPOUSSER LA DATE DE SA PÉRENNISATION POUR MIEUX LE SACRIFIER ?
1. Les exonérations de cotisations patronales pour travailleurs occasionnels et demandeurs d'emplois (TO-DE)
Depuis 1985, les employeurs de travailleurs saisonniers bénéficient d'une réduction de cotisations sur ces contrats par le biais d'un dispositif spécifique pour l'emploi des travailleurs occasionnels et de demandeurs d'emplois en agriculture (dit « TO-DE ») 5 ( * ) .
S'ils relèvent du régime de protection sociale agricole, les employeurs qui embauchent en CDD des travailleurs saisonniers ou en CDI des demandeurs d'emploi bénéficient d'une exonération de cotisations patronales et contributions sociales. Celle-ci est limitée à une période maximum d'emploi de 119 jours ouvrés, consécutifs ou non, par année civile pour un même salarié.
Avant 2019, le dispositif TO-DE permettait une exonération totale pour les cotisations patronales dues au titre des assurances sociales (prestations familiales et assurances sociales agricoles), à l'exception de la cotisation « accidents du travail », ainsi qu'une exonération de certaines cotisations patronales conventionnelles pour les rémunérations égales ou inférieures à 1,25 fois le montant mensuel du SMIC. Cette exonération devenait ensuite linéairement dégressive au-delà de 1,25 SMIC jusqu'à s'annuler pour les rémunérations égales ou supérieures à 1,5 SMIC.
La facturation du dispositif TO-DE, établie par la Caisse centrale de mutualité sociale agricole en février2019, et supportée par l'action n 25 « Protection sociale » du programme 149 s'élevait en 2018 à 540 M€.
2. Grâce à la mobilisation parlementaire, ce dispositif n'a pas été supprimé en 2019
Estimant que le renforcement des allègements généraux à compter de 2019 bénéficierait au secteur agricole dans son ensemble, le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018 proposait, en son article 8, de supprimer les exonérations spécifiques applicables pour l'emploi des travailleurs occasionnels et de demandeurs d'emploi (TO-DE).
La proposition gouvernementale a été refusée par une grande majorité des parlementaires, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. L'amendement des rapporteurs de la commission des affaires économiques du Sénat avaient par ailleurs fait l'unanimité et avaient rétabli le dispositif.
In fine , cette mobilisation des représentants des territoires avait permis d'obtenir un quasi-maintien du dispositif.
L'exonération reste déterminée conformément à un barème dégressif linéaire en fonction de la rémunération perçue par le salarié, dans les conditions suivantes : celle-ci est totale pour une rémunération mensuelle inférieure ou égale à 1,20 SMIC mensuel (au lieu de 1,25 SMIC avant 2019), dégressive pour les rémunérations comprises entre 1,20 SMIC mensuel et 1,6 SMIC (contre 1,5 SMIC avant 2019) puis nulle pour une rémunération mensuelle égale ou supérieure à 1,6 SMIC.
Au total, en 2019, la compensation des allègements de cotisations patronales en faveur des travailleurs saisonniers est estimée à 476 M€.
Son financement sera couvert :
- d'une part, par la compensation du dispositif transitoire qui se décompose en deux points :
1. la part des exonérations correspondant aux allègements généraux sera compensée par l'affectation d'une fraction de TVA à la MSA et à l'UNEDIC ;
2. le surplus d'exonération correspondant au maintien d'un plateau d'exonération totale à 1,2 SMIC par rapport aux allègements généraux sera compensé par crédits ministériels du MAA à la MSA et à l'UNEDIC ;
- d'autre part, la compensation du dispositif TO-DE tel qu'il était en vigueur jusqu'à fin décembre 2018, et qui s'applique sur la période d'activité du 4 ème trimestre 2018 pour les salariés déclarés sera entièrement compensé par crédits ministériels du MAA à la MSA.
Le Sénat plaidait pour la pérennisation du dispositif. Cela n'a pas été retenu. La solution moins ambitieuse adoptée finalement à l'Assemblée nationale dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ne prévoit le maintien de ce dispositif que durant une période de deux ans.
Il est donc programmé que le dispositif TO-DE soit abrogé à compter du 1 er janvier 2021 6 ( * ) .
3. Sa disparition programmée en 2021 serait une erreur stratégique
Le constat des rapporteurs n'a pas été modifié depuis l'année dernière : la suppression de ce dispositif TO-DE sur les travailleurs saisonniers est un drame pour certaines filières fortement dépendantes des coûts de main-d'oeuvre .
C'est le cas de la filière fruits et légumes, de l'horticulture ou de la filière viticole par exemple compte tenu de la consommation de main-d'oeuvre saisonnière au moment des récoltes. La main-d'oeuvre représente près de 60 % du coût de revient d'une pomme par exemple.
Or ces filières font l'objet d'une concurrence féroce de la part de nos voisins européens compte tenu de coûts de main-d'oeuvre largement inférieurs.
À titre d'exemple, les coûts du travail saisonnier en France sont 27 % plus élevés qu'en Allemagne, 37 % plus élevés qu'en Italie et 75 % plus élevés qu'en Pologne.
En conséquence, la pomme française, vendue en moyenne 2,5 € le kilo, se retrouve concurrencée directement par une pomme polonaise vendue 0,9 € le kilo.
Cette concurrence menace directement l'avenir de certaines de ces filières.
D'une part, les produits des filières concernées, par exemple les fruits et légumes, sont massivement importés en France à des prix défiant toute concurrence alors même qu'ils ne respectent pas l'ensemble des contraintes environnementales imposées aux producteurs français.
Ainsi, la part des fruits et légumes produits en France dans la consommation des ménages français est passée de 66 % en 2000 à 51 % en 2016 selon FranceAgriMer. C'est une baisse de près de 30 % en 16 ans, qui devrait inéluctablement se poursuivre si rien n'est fait.
D'autre part, ces produits ne peuvent être exportés faute d'une compétitivité suffisante, entraînant un surcroît d'offre en France pesant sur les prix nationaux donc sur les revenus des agriculteurs concernés.
Le renchérissement des coûts du travail saisonniers renforcera encore les très grandes difficultés rencontrées actuellement dans les territoires ruraux pour trouver suffisamment de saisonniers au moment des récoltes. Il ne serait d'ailleurs pas surprenant qu'il soit constaté une accélération massive du recours à de la main-d'oeuvre étrangère saisonnière.
La suppression du TO-DE pénalisera paradoxalement les filières les plus investies dans les solutions agroenvironnementales en ayant recours à de la main-d'oeuvre saisonnière puisque les modes de production qui font appel à plus d'agro-écologie nécessitent plus de main d'oeuvre.
Elle revient donc à accroître les charges pour les producteurs les plus investis dans des agricultures respectueuses de l'environnement : c'est un très mauvais signal pour les filières. Plus grave encore : c'est une trahison des promesses des États généraux de l'alimentation.
4. Au Sénat, la mobilisation ne faiblit pas pour acter définitivement sa pérennisation
Les rapporteurs ont, en leur nom, déposé des amendements identiques lors du débat sur le PLFSS au Sénat cette année afin de pérenniser le dispositif TO-DE dans sa forme actuelle.
Interpelé lors de son audition devant la commission des affaires économiques, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a pris un engagement clair : « Sur le TO-DE, je n'ai jamais dit : « Je ne vous dis rien pour la suite. » Je suis très clair : j'avais d'ailleurs posé, ici au Sénat, quinze jours avant d'être nommé ministre de l'agriculture, une question au Gouvernement sur ce sujet. Je n'ai aucun état d'âme sur le TO-DE - cela aurait été une erreur de le supprimer. Je ne peux cependant m'engager que sur un budget annuel. Ma position est qu'on ne parle plus de cette affaire. C'est que l'année prochaine cela continue, que l'année d'après cela continue, etc. sauf si on trouve un autre système. 7 ( * ) »
Si telle est la position du Gouvernement, pourquoi ne pas avoir dès lors soutenu les amendements appelant dès cette année à la pérennisation du dispositif ? Les problèmes dénoncés l'année dernière sur tous les bancs de l'Assemblée nationale comme du Sénat, notamment le problème de compétitivité des exploitations agricoles françaises, vont-ils disparaître comme par magie en deux ans ?
Si telle est la position du Gouvernement, comment interpréter les propos de M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, en séance publique lors de l'examen des amendements des rapporteurs proposant de pérenniser le dispositif : « le compromis retenu par le Gouvernement est celui qui est issu des deux lectures du PLFSS par les deux chambres. Il consiste à maintenir le régime décrit par M. le rapporteur général jusqu'au 31 décembre 2020 - j'émets donc, pour les mêmes raisons que la commission, un avis défavorable sur les amendements n os 272 rectifié bis et 780 rectifié bis - et à construire, au cours de la période 2019-2020, de nouvelles modalités d'intervention auprès du monde agricole. Je pense ainsi à diverses dispositions, figurant dans le projet de loi de finances, en faveur de la constitution d'une épargne de précaution ou au maintien d'un régime spécifique en matière de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), ce qui représente, en termes de dépenses fiscales, un engagement de 1,25 milliard d'euros. D'autres dispositifs doivent également être mentionnés, qu'ils relèvent de l'accompagnement de la gestion des crises ou de la mise en oeuvre de la loi Égalim. [...]. Les mesures votées l'an dernier au titre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour la période 2019-2020, constituent selon nous un bon compromis » ?
Les amendements des rapporteurs ont été largement adoptés en séance publique au Sénat en faisant, une nouvelle fois, l'objet d'un très large accord transpartisan.
* 5 Article L. 741-16 du code rural et de la pêche maritime.
* 6 Au 4° du III de l'article 8 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.
* 7 Audition devant la commission des affaires économiques le mardi 12 octobre 2019.