II. UN ÉTAT ACTIONNAIRE DONT L'AMBITION ET L'ENVERGURE SONT PROGRESSIVEMENT REVUES À LA BAISSE

A. UN RENDEMENT EN BAISSE, UNE MOINDRE DIVERSIFICATION DU PORTEFEUILLE

1. Le rendement financier de l'État actionnaire diminue, en raison notamment de sa concentration sur un petit nombre d'entreprises

Tant la dynamique de la dette sur quatre ans que le taux de rendement de l'actionnaire présentent des évolutions inquiétantes.

Le ratio dette nette/EBITDA 8 ( * ) , qui mesure la soutenabilité de l'endettement, s'est en effet dégradé en passant de 4,42 à 4,48 années entre 2017 et 2018, en même temps que la dette augmentait de 5,9 % en 2018 , après une hausse de 3,3 % en 2017 (et une hausse de la dette nette de 63 % entre 2007 et 2015), en raison d'une capacité d'autofinancement insuffisante.

Parallèlement, le taux de rendement de l'actionnaire (qui ne tient compte que des douze entreprises cotées du portefeuille) est passé de 18,25 % en 2017 à 12,9 % en 2018, et est attendu à 5 % environ en 2019.

Selon le Gouvernement, cette diminution s'explique avant tout par le niveau inhabituellement élevé du rendement les années précédentes . En 2018, le portefeuille de l'État s'est apprécié de 10,5 % lorsque le CAC 40 diminuait de 11 %. Ce haut rendement est lui-même principalement tiré par les bonnes performances des valeurs énergétiques (le titre EDF a crû de 32,4 % en 2018).

Or, le secteur énergétique représente 50 % environ du portefeuille de l'État actionnaire . Dès lors que ce secteur, dont la performance dépend de facteurs nombreux et souvent exogènes (conflits dans le monde, incidents techniques, accidents industriels, ruptures d'approvisionnement, etc.), enregistre des performances moindres, le rendement de l'ensemble du portefeuille de l'État en est affecté . Ainsi, le titre EDF a perdu 33,8 % de sa valeur entre le 1 er janvier et le 4 novembre 2019 9 ( * ) , et la valorisation du portefeuille côté a diminué de 5,2 %.

Par ailleurs, cette moindre rentabilité s'inscrit dans un contexte plus général de dégradation des performances financières du portefeuille de l'APE, longuement documenté par la Cour des comptes dans un rapport de 2017 10 ( * ) . Ainsi, « la rentabilité financière des entreprises à participation publique chute lourdement pour s'établir à 2,8 % en moyenne entre 2010 et 2015, contre 10 % pour les entreprises de l'indice SBF 120. La valeur boursière du portefeuille coté décroche sensiblement, avec une baisse de 54 % entre 2006 et 2016, à périmètre constant. Alors que la performance du portefeuille de l'APE était meilleure que celle du CAC 40 avant 2010, cette situation s'est inversée depuis cette date : -29 % de 2010 à 2016 pour l'APE, contre + 28 % pour le CAC 40, notamment en raison du poids de l'énergie dans le portefeuille public ». Les secteurs de l'énergie, des transports ferroviaires et de l'audiovisuel sont les premiers concernés.

Le rapporteur souligne que l'indicateur de performance relatif au taux de rendement de l'actionnaire gagnerait à être décomposé de façon sectorielle . Il semble peu cohérent d'informer le Parlement et l'ensemble des citoyens sur un taux de rendement qui agrège des secteurs si différents les uns des autres. Connaître les performances boursières de ce portefeuille dans tel ou tel secteur (automobile, énergie, défense, aéronautique, etc.) serait à la fois plus transparent et plus juste au regard des efforts déployés par l'État actionnaire , parfois injustement masqués par une sur- ou sous-performance d'un secteur en particulier.

Enfin, il convient de noter que les cessions progressives de participations de l'État entraînent mécaniquement une diminution des dividendes qu'il touche.

2. Cette concentration est appelée à croître, à mesure que l'État cède ses participations

En 2018, l'État a initié un recentrage de son portefeuille autour de trois axes prioritaires :

• les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de la France (défense et nucléaire) ;

• les entreprises participant à des missions de service public ou d'intérêt général national ou local , pour lesquelles l'État ne détient pas de leviers non actionnariaux suffisants pour préserver les intérêts publics ;

• les interventions dans les entreprises lorsqu'il y a risque systémique .

Par conséquent, il a souhaité cédé ses participations dans des entreprises qu'il considère ne pas appartenir à l'une de ces trois catégories (ADP, FDJ, etc.).

Une telle décision entraîne dès lors une diminution de la taille du portefeuille de l'État actionnaire et une concentration encore plus élevée sur le secteur énergétique . Cette contraction est d'autant plus sujette à caution qu'elle réduit les marges de manoeuvre financières de l'État : dès lors que son portefeuille n'est plus que composé d'actifs stratégiques ou d'intérêt général national ou local, il devient impossible pour lui de réaliser des cessions de participations dans ces entreprises aux fins de combler un besoin de financement (comme une augmentation de capital). Seul un versement du budget général permettrait donc de parer à cette éventualité, contribuant encore un peu plus à déconnecter les recettes du CAS de ses dépenses .

Surtout, les décisions de cession intervenues (ou suspendues) en 2019 ne visent pas à financer un besoin de financement d'urgence apparu dans une des entreprises des trois catégories prioritaires. Au contraire, elles visent à alimenter un fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) à partir des produits de ces cessions.


* 8 Earnings before interests, taxes, depreciation and amortization (à peu près similaire à l'excédent brut d'exploitation en comptabilité française).

* 9 Sur la base d'un cours de 13,6734 euros le 2 janvier et de 9,1860 euros le 4 novembre 2019.

* 10 Cour des comptes, l'État actionnaire, 25 janvier 2017.

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