II. UNE POLITIQUE D'ATTRACTIVITÉ DONT LES MOYENS ET LE PILOTAGE SONT INSUFFISANTS
A côté des crédits destinés aux différents réseaux de promotion de la culture française dans le monde, le programme 185 comporte des crédits de promotion de l'attractivité du territoire français.
A. LA MOBILITÉ ÉTUDIANTE : UNE POLITIQUE À REPENSER
1. Les étudiants étrangers, un atout dans la mondialisation
Selon l'UNESCO, la population étudiante mondiale a crû de près de 50 % en 10 ans (2006-2016) pour atteindre 212 millions . Cette augmentation est portée majoritairement par les pays d'Asie et d'Océanie, notamment la Chine et l'Inde. La population étudiante mondiale devrait continuer à croître dans les prochaines années pour atteindre 290 millions d'étudiants d'ici 2025.
Sur ce total, 5,3 millions d'étudiants sont en mobilité à travers le monde en 2017, chiffre qui devrait atteindre 9 millions en 2025 .
Dans ce contexte très concurrentiel se joue une véritable bataille d'influence au niveau mondial. La France est passée en quelques années du troisième au cinquième rang des pays d'accueil après les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et l'Allemagne suivie de près par la Russie et le Canada. Cette rétrogradation de la France est toutefois en partie artificielle, liée à un changement des modalités de comptage par l'UNESCO.
En 2017, la France a accueilli 258 380 étudiants internationaux 9 ( * ) , ce qui représente une croissance de 5 % en un an .
D'autres tendances sont à noter : la Turquie a progressé de +180 % en 5 ans ; La Malaisie de + 79 %, l'Arabie saoudite de + 63 %. Le Canada, la Russie, les Pays-Bas connaissent également une croissance soutenue de leurs effectifs d'étudiants en mobilité.
La concurrence internationale s'avive en particulier dans les régions du monde où la France est traditionnellement le premier pays de destination des étudiants : la Chine, la Turquie, l'Arabie saoudite et la Russie sont de plus en plus compétitifs auprès des étudiants d'Afrique et du Maghreb, grâce à d'importants programmes de bourses.
En parallèle, les étudiants français partent de plus en plus souvent à l'étranger : la mobilité sortante des étudiants français a crû de 50 % entre 2011 et 2016. La France confirme ainsi sa place de sixième pays d'origine des étudiants en mobilité avec plus de 90 000 étudiants en mobilité sortante en 2016, et de premier pays d'envoi des étudiants en programme Erasmus.
Les retombées économiques de la mobilité étudiante internationale sont estimées, pour la France, à plus de 1,7 milliard d'euros nets par an. La promotion de l'enseignement supérieur et de la recherche est évidemment, en outre, un facteur de diffusion de la langue française à travers le monde, et de transmission des valeurs véhiculées par la France au plan international.
2. Une réforme aux effets ambigus
Le Premier ministre a présenté le 19 novembre 2018 une nouvelle stratégie nationale d'accueil et d'attractivité des étudiants internationaux .
Intitulée « Bienvenue en France », cette stratégie vise à améliorer les conditions d'accueil et à renforcer l'attractivité de la France auprès des pays émergents, d'Asie et anglophones, tout en maintenant des liens forts avec les pays francophones, tout particulièrement en Afrique.
La stratégie « Bienvenue en France » comporte plusieurs volets :
- Un renforcement de l'offre de formation en français langue étrangère (FLE) et en anglais, notamment au niveau master ;
- La création d'une labellisation des établissements d'enseignement supérieur en matière d'accueil ;
- Une simplification de la délivrance des visas pour études et des titres de séjour ;
- Un rapprochement des services des ambassades des établissements d'enseignement supérieur de façon à rendre plus performantes les procédures de sélection ;
- La mise en place de frais d'inscription différenciés pour les étudiants extra-communautaires, assortie de capacités d'exonération des établissements et des ambassades : Ainsi, pour les étudiants de premier cycle, l'inscription s'élève à 2 770 € (au lieu de 170 €) ; pour les étudiants de deuxième cycle, les frais d'inscription sont de 3 770 € (au lieu de 243 €). Les frais d'inscription pour le doctorat (troisième cycle) ne sont pas différenciés.
- Un financement à hauteur de 5 M€ par an sur cinq ans de l'appui aux partenariats et à l'implantation de nos établissements en Afrique.
les établissements d'enseignement supérieur ont la possibilité de pratiquer une politique d'exonération pour tout ou partie des étudiants concernés dans la limite de 10 % de la totalité des étudiants inscrits sur une année donnée 10 ( * ) . Ainsi, pour la rentrée 2019, seules 7 universités et 6 écoles ont mis en place un dispositif introduisant des droits différenciés .
Enfin, les postes diplomatiques disposent de la capacité d'exonérer des frais différenciés 14 000 étudiants 11 ( * ) . Ce dispositif vient s'ajouter aux bourses du gouvernement français .
La réforme des droits d'inscription a suscité des craintes quant à son impact sur le nombre d'étudiants originaires des zones traditionnelles d'influence de la France. Celle-ci est le premier pays d'accueil des étudiants d'Afrique (46 % des étudiants en mobilité admis à l'université). La réforme « Bienvenue en France » a engendré une baisse du nombre de candidatures d'étudiants africains. Début septembre 2019, la baisse du nombre de dossiers de candidature soumis était de 14 % pour l'Afrique subsaharienne (-18 % en moyenne sur tous les pays) et de 24 % cependant pour les pays du Maghreb, les pays les plus touchés étant la Guinée (- 35 %), Djibouti (- 31 %), Maurice (-30 %) et l'Algérie (-30 %). Toutefois, cette réforme n'a pas affecté négativement tous les pays de la région, avec une légère augmentation des dossiers soumis au Congo, RDC, Benin et Cameroun. Toutefois, étant donné qu'un nombre comparable de dossiers de demandes d'inscription ont fait l'objet d'une réponse positive par les établissements (qualité des dossiers et taux d'acceptation en hausse), la France pourrait accueillir à la rentrée 2019 un nombre d'étudiants originaires du continent africain proche de celui enregistré à la rentrée 2018. Les éléments chiffrés définitifs ne sont toutefois pas encore disponibles.
Afin de compenser l'introduction de frais d'inscription différenciés pour les étudiants africains, 6 000 des 14 000 exonérations de frais d'inscription dont dispose le MEAE sont octroyés via ses postes diplomatiques en Afrique sub-saharienne et 4 000 via ses postes diplomatiques dans le nord de l'Afrique (Maghreb et Egypte), s'ajoutant aux exonérations que vont mettre en place les établissements français cette année. Le gouvernement s'est également engagé à allouer une enveloppe de 20 M€ par an et sur cinq ans pour accompagner la projection des établissements d'enseignement supérieur français en Afrique et 5 M€ ont été débloqués dès 2019 par le MEAE via son Fonds de Solidarité pour les Projets Innovants (FSPI) sur une période de deux ans.
Les exonérations posent toutefois un problème financier aux établissements d'enseignement. Lorsqu'elles sont décidées par le MEAE, elles leur sont imposées, ce qui deviendra problématique lorsque le taux de 10 % des effectifs sera atteint (ce qui ne manquera pas de se produire d'ici quelques années si le système mis en place à la rentrée 2019-2020 est reconduit).
Une récente décision 12 ( * ) du Conseil constitutionnel pourrait toutefois remettre en cause la hausse différenciée des droits d'inscription . Elle introduit, dans l'immédiat, une incertitude supplémentaire pour les établissements et pour les étudiants. Cette décision établit en effet qu' « aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation garantit l'égal accès... de l'adulte à l'instruction... L'organisation de l'enseignement public gratuit... à tous les degrés est un devoir de l'État ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public. Cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ».
Il reviendra au Conseil d'État, qui avait saisi le Conseil constitutionnel, d'interpréter cette décision dont la portée n'est pas claire et qui dépasse potentiellement la seule question de l'accueil des étudiants étrangers.
Cette question des modalités financières d'accueil des étudiants étranger se pose alors que les universités connaissent déjà des difficultés , étant sous-financées, en application d'un modèle financier fragile, y compris pour l'accueil des étudiants français.
La hausse des droits d'inscription , dans le cadre d'une stratégie d'attractivité, doit s'accompagner d'une refondation de la politique des bourses.
3. Une politique des bourses à refonder
Il est regrettable que la nouvelle stratégie d'accueil et d'attractivité des étudiants en mobilité ne s'accompagne pas de moyens suffisants , en termes de bourses.
Évolution des bourses du gouvernement français (BGF)
Années |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
Nombre de BGF |
13 497 |
12 900 |
11 739 |
11 010 |
11 250 |
dont bourses d'études |
9 054 |
9 305 |
8 617 |
8 156 |
9 147 |
dont bourses de stages |
4 443 |
3 595 |
3 122 |
2 854 |
2 103 |
Nombre total de mensualités |
65 384 |
66 998 |
61 369 |
57 128 |
58 870 |
Moyenne de mois par boursier |
4,8 |
5,2 |
5,23 |
5,19 |
5,23 |
Coût total en M€ |
62,2 |
60,4 |
54,7 |
54,5 |
52,9 |
Pour 2020, les crédits des bourses du programme 185 sont stables à 64,6 M€ .
On constate, en premier lieu, une forte diminution des bourses du gouvernement français depuis 2014 : - 15 % en 5 ans et - 34 % depuis 2010.
D'après un rapport récent 13 ( * ) de la Cour des comptes, en dix ans (2008-2017), les crédits des BGF ont diminué de 43 % . Cette baisse s'est traduite, d'une part, par une réduction du nombre de bénéficiaires de bourses de 30 % et, d'autre part, par une baisse du montant unitaire des bourses de 18 %.
Par ailleurs, une sous-consommation des crédits votés en loi de finances est observable. Ainsi, en 2019, les programmes 185 et 209 comportaient à eux deux 73,6 M€ de bourses destinés à être gérés par Campus France (hors subvention et réserve de cet établissement) ; or seuls 56,3 M€ ont été réellement confiés en gestion à ce titre à Campus France, soit 76 % seulement de crédits consommés . Ce taux était déjà du même ordre l'an dernier. Le principe de fongibilité permet aux ambassades de disposer différemment des crédits votés. Or, comme le souligne la Cour des comptes : « Au regard de la baisse sensible du montant versé au titre des BGF, il est indispensable de s'assurer de l'emploi effectif de ces fonds en faveur des bourses ».
Ces chiffres reflètent une gouvernance insatisfaisante des bourses de mobilité. En 2017, un rapport d'évaluation stratégique du cabinet COTA avait déjà constaté que la politique des bourses était essentiellement la résultante des objectifs locaux des postes diplomatiques. Ce rapport recommandait, par conséquent, une recentralisation de la gestion des bourses.
Le rapport précité de la Cour des comptes 14 ( * ) se fait l'écho des mêmes préoccupations :
- Les bourses attribuées au niveau central, par le MEAE, répondent clairement à une stratégie d'excellence. Il s'agit des bourses Eiffel (environ 400, attribuées en fonction des priorités du ministère) et des bourses Excellence major (environ 200, attribuées en partenariat avec le réseau de l'AEFE).
- Les autres bourses du gouvernement français (soit 77 % des crédits) sont attribuées par les postes diplomatiques, selon des règles opaques et probablement hétérogènes. Ces bourses relèvent de l'attaché de coopération universitaire de l'ambassade. La mise en place de commissions d'attribution n'est pas obligatoire.
Le rapport de la Cour des comptes souligne en outre certaines dérives :
- Un taux de réussite insatisfaisant des étudiants internationaux (inférieur à ceux des étudiants français) ;
- Un manque de transparence concernant le statut des diplômes proposés aux étudiants en mobilité (diplôme national ou diplôme d'établissement) ;
- Une forte concentration d'étudiants internationaux dans certains établissements, résultant parfois de « stratégies de remplissage ».
Le système de gouvernance de l'accueil des étudiants en mobilité est globalement insatisfaisant : il relève de plusieurs administrations, dont les deux agences : l'établissement public industriel et commercial Campus France et le groupement d'intérêt public Erasmus+ 15 ( * ) , ainsi que des établissements d'enseignement supérieur dont les objectifs sont peu explicites. Il n'existe aucune synthèse nationale ni aucun encadrement contractuel de cette politique. La mobilité sortante est complètement déconnectée de la mobilité entrante.
La Cour des comptes souligne, par conséquent, la nécessité de disposer d'un seul organe de suivi et de pilotage opérationnel de la mobilité, grâce à un rapprochement des deux agences . Elle préconise une meilleure articulation entre les établissements d'enseignement et les postes diplomatiques , grâce à la formulation de critères académiques propres à chaque filière.
Le même constat pourrait probablement être fait, s'agissant de la politique d'exonération précédemment évoquée.
Enfin, des retards dans l'attribution des visas ont été signalés aux rapporteurs, retardant la rentrée universitaire de certains étudiants étrangers. Ces retards constituent un obstacle à la réussite de ces étudiants et un facteur défavorable à l'image et à l'attractivité de la France.
* 9 Chiffre publié par l'Institut statistique de l'Unesco en septembre 2019. Ce chiffre diffère des chiffres nationaux mais présente l'intérêt d'être comparable avec ceux des autres pays étudiés.
* 10 Article R719-50 du code de l'éducation.
* 11 En application de l'article R719-49-1 du code de l'éducation introduit par le décret n°2019-344 du 19 avril 2019.
* 12 Décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 du Conseil constitutionnel, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres.
* 13 « La mobilité internationale des étudiants », rapport de la Cour des comptes en date de septembre 2019.
* 14 La mobilité internationale des étudiants, rapport de la Cour des comptes en date de septembre 2019.
* 15 Erasmus+ est l'agence en charge de gérer 90 % des crédits européens du programme de mobilité de l'Union européenne Erasmus + (2014-2020)