Avis n° 140 (2020-2021) de MM. Ronan LE GLEUT et André VALLINI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 19 novembre 2020

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N° 140

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME II

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT :

Diplomatie culturelle et d'influence (Programme 185)

Par MM. Ronan LE GLEUT et André VALLINI,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

DIPLOMATIE CULTURELLE ET D'INFLUENCE :
UNE MONTÉE EN PUISSANCE EST NÉCESSAIRE

Budget constant dans une politique en crise, les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence s'élèvent à 718 M€. La pandémie a en effet conduit à la fermeture provisoire de la plupart des établissements scolaires français à l'étranger, Instituts français et Alliances françaises, au report de nombreuses manifestations et à une réduction du nombre d'étudiants étrangers accueillis en France.

Dans ce contexte difficile, la commission a 6 points d'attention :

1- Priorité absolue, la sécurisation du réseau des établissements scolaires et culturels français à l'étranger doit bénéficier de crédits supplémentaires pour tenir compte de l'accroissement récent de la menace terroriste et des manifestations anti-françaises.

2- Le système de garantie des prêts aux établissements scolaires doit être rapidement débloqué, en préservant la mutualisation des risques entre établissements.

3- L'année 2021 sera celle de tous les dangers pour les réseaux de la diplomatie d'influence à l'étranger. Les mesures de soutien adoptées en cours d'année 2020 devront être reconduites.

4- La situation des Alliances françaises doit être suivie de très près, y compris celles des Alliances situées sur le territoire national qui sont en grand danger.

5- Les politiques en faveur du tourisme et de la mobilité étudiante devront pouvoir remonter rapidement en puissance dès que les circonstances sanitaires le permettront.

6- Le soutien apporté aux établissements scolaires du Liban , y compris les établissements francophones chrétiens non homologués, doit être poursuivi et amplifié en 2021.

pour le programme 185

pour l'AEFE

pour les bourses étudiantes

I. DES CRÉDITS GLOBALEMENT STABLES MAIS DES ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES

A. UNE STABILITÉ GLOBALE

Au sein de la mission « Action extérieure de l'État », dont le montant (2,93 Md€) augmente de 2%, l'enveloppe des crédits consacrés à la diplomatie culturelle et d'influence est à 718 M€. Les crédits hors personnel représentent l'essentiel : 645 M€, en très légère augmentation (+0,5 % soit 3 M€).

PLF 2020 : Les crédits du programme 185

En Millions d'euros

PLF 2020

Évolution (2019)

AEFE Agence pour l'enseignement français à l'étranger

417,6

+2 %

Alliances françaises

7,27

0 %

Animation du réseau

2,51

-23 %

Appui logistique

1,54

-33 %

Atout France

28,69

-7 %

Autres crédits d'intervention

27,08

+8 %

Bourses de mobilité

58,07

-9 %

Campus France

3,85

0 %

Échanges experts & scientifiques

13,7

0 %

Fonctionnement EAF 1 ( * )

38,49

+1 %

Institut Français

28,79

0 %

Opérations EAF

17,41

+9 %

Total hors T2

645

+0,5 %

T2

73,04

-2,5 %

Total P 185

718,06

+0,2 %

La répartition des crédits du programme 185

pour l'AEFE

pour les Instituts français

pour les bourses étudiantes

pour les Alliances françaises

B. DES ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES

58 % des crédits du programme sont consacrés à l'AEFE , dont la subvention augmente de 9 M€, au titre de la sécurisation des établissements. Le plafond d'emplois de l'AEFE (personnels expatriés et résidents) baisse de 71 ETPT .

La substitution de personnel de droit local au personnel expatrié et résident se poursuit. Entre 2015 et 2019, les effectifs de personnels expatriés ont diminué de 15 % (- 171) et ceux de personnels résidents ont diminué de 6 % (-314). Les effectifs de personnel de droit local ont augmenté de 7 % (+287). À la rentrée 2020, le réseau comprenait 535 établissements homologués (+13 en un an et +39 en deux ans).

Le réseau de l'enseignement français à l'étranger (EFE) est confronté à un problème d'attractivité , aggravé par la crise sanitaire : alors qu'habituellement une soixantaine de postes sont non pourvus en septembre, ce sont 200 postes qui sont concernés cette année, pour des raisons sanitaires et de sécurité. Une réflexion sur les moyens d'améliorer l'attractivité de ces postes est nécessaire .

Les crédits de personnel (titre 2) du programme 185 s'élèvent à 73 M€ (-3 %). Le programme rémunère 791 emplois (+2) en administration centrale et dans le réseau, hors pays éligibles à l'aide publique au développement, ceux-ci relevant du programme 209 de la mission « Aide publique au développement »). La stabilisation des effectifs était souhaitable après deux années de baisse (-47 en 2019 et -21 en 2020 pour les programmes 185 et 209 réunis).

La rationalisation du fonctionnement du réseau culturel génère 2 M€ d'économies. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a décidé en 2019 la fermeture de 4 établissements à autonomie financière EAF (IFAC 2 ( * ) , IF Brésil, IF Norvège, CCF 3 ( * ) Canada). Il a finalement renoncé à fermer l'Institut français de Norvège . Par ailleurs, 9 villes pourraient accueillir prochainement un institut culturel franco-allemand , en application du traité d'Aix-La-Chapelle du 22 janvier 2019.

Les crédits pour opérations des établissements à autonomie financière (EAF), c'est-à-dire des Instituts français, augmentent de 9 %. Le bon fonctionnement du réseau nécessite de sécuriser le fonctionnement des EAF , dont le taux d'autofinancement moyen est de 75 %, en introduisant dès que possible, dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une disposition régularisant leur statut dérogatoire au regard des grands principes budgétaires.

Les Alliances françaises bénéficient d'une enveloppe identique à celle de l'an dernier.

Plusieurs autres enveloppes du programme 185 sont en forte baisse : c'est le cas des crédits consacrés aux bourses de mobilité (- 9 %) et au tourisme (- 7 %). Ces deux volets du programme 185 subissent la crise de plein fouet. Il faudra toutefois qu'elles puissent remonter rapidement en puissance dès que les circonstances sanitaires le permettront .

C. DES MESURES DE SOUTIEN NON RECONDUITES

Ce budget ne reconduit pas « en base » les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la loi de finances rectificatives du 30 juillet 2020 (LFR 3) pour répondre à la crise sanitaire.

La LFR 3 a en effet ouvert 55 M€ de crédits supplémentaires sur le programme 185 , au titre de l'année 2020. Il s'agit de 50 M€ de subvention exceptionnelle pour l'AEFE, afin de venir en aide aux établissements du réseau, et de 5 M€ pour l'opérateur Atout France, dans l'objectif de relancer l'activité touristique en France.

En outre, 50 M€ d'avances France Trésor ont été ouverts au profit des établissements de l'EFE sur le programme 823 et 50 M€ ont été ouverts au titre des aides à la scolarité sur le programme 151.

Au 1 er octobre, un montant de 23,3 M€ sur les 50 M€ de subvention exceptionnelle à l'AEFE avait été mobilisé, dont 11,4 M€ pour l'aide aux familles étrangères en difficulté, 4,9 M€ pour l'aide aux établissements en difficulté et 7 M€ pour l'aide à la reconstruction des établissements touchés par l'explosion du 4 août à Beyrouth.

Une deuxième phase du plan d'urgence est actuellement mise en oeuvre, pour consommer le reliquat en portant une attention particulière aux établissements ayant perdu plus de 5 % de leur effectif. Par ailleurs, le total des avances aux établissements pourrait atteindre près de 45 M€ d'ici la fin de l'année.

La crise sanitaire et ses conséquences économiques se prolongeant, il aurait été légitime de reconduire d'emblée ces mesures nouvelles . L'année 2021 sera en effet celle de tous les dangers pour nos réseaux à l'étranger.

Le plan de relance de juillet 2020

pour l'AEFE

d'avances France Trésor

d'aides à la scolarité

pour le tourisme

II. DES RÉSEAUX CONFRONTÉS À UNE CRISE MULTIFORME

A. LE RÉSEAU D'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER EN DANGER

1. Une situation critique en 2021

Avec 365 000 élèves , les effectifs de l'EFE ne diminuent que de 1 % à la rentrée 2020. La baisse est de 8000 élèves , si l'on prend en compte l'entrée de 5000 nouveaux élèves dans le réseau du fait de l'homologation de 13 nouveaux établissements.

Source : AEFE (2019-2020)

60 % des établissements ont perdu des effectifs. Un tiers a perdu plus de 5 % d'élèves . Mais certains perdent beaucoup plus - jusqu'à la moitié. La baisse est particulièrement importante en Asie (-5 %) et aux États-Unis (-9 %). La diminution des effectifs touche surtout les élèves français (- 5,4 %). Elle est plus marquée dans le premier que dans le second degré (- 7,2 % en maternelle), ce qui est préoccupant pour l'avenir.

La crise sanitaire entraîne une perte de ressources propres estimées à 11 M€ pour l'AEFE, en raison d'une diminution du produit de la participation à la rémunération des résidents (PRR) et de la participation financière complémentaire (PFC) payées par les établissements. Aucun établissement n'a fermé, mais certains sont très fragilisés et risquent de l'être encore davantage en 2021. La croissance du réseau, conformément à l'objectif présidentiel de doubler les effectifs en 2030, ne doit pas se faire au détriment de la qualité de l'enseignement .

Les établissements subissent la suspension, depuis 2018, du dispositif de garantie des prêts de l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (ANEFE). Créée en 1975, l'ANEFE a garanti 169 prêts pour 112 établissements dans 95 pays. Le fonds de garantie mutuel, alimenté par la cotisation payée par les établissements, n'a été mis en oeuvre qu'à deux reprises (pour des établissements à Abidjan et à Damas). C'est un dispositif à coût nul pour l'État.

Afin de remédier à la suspension du dispositif pour des raisons prudentielles, l'article 49 du PLF pour 2021 crée un nouveau système de garantie. S'il est souhaitable de réintroduire rapidement un tel système, il est regrettable que le nouveau dispositif soit moins favorable que l'ancien : en effet, l'encours total garanti sera désormais plafonné, le montant de la garantie sera limité (à 80 % dans l'UE et 90 % hors UE du montant du capital et des intérêts). La commission due par les établissements deviendrait, en outre, variable, alors qu'elle est, aujourd'hui, unique et mutualisée. Il serait souhaitable, à tout le moins, de préserver cette mutualisation .

2. Une sécurisation contre le risque terroriste qui doit s'accélérer

En 2019 et 2020, le gouvernement a décidé de financer la sécurisation des établissements scolaires par le biais du compte d'affectation spéciale 723 « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », alimenté par le produit des cessions de biens domaniaux du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères. L'AEFE a bénéficié d'un droit de tirage de 27 M€ sur ce CAS. Mais la gestion du CAS 723 a conduit à n'accorder, en 2019, à l'AEFE que 3,1 M€ en AE et 1 M€ en CP. Pour l'année 2020, de fortes incertitudes subsistent. Ce système s'est révélé inadapté pour financer les besoins hors domaine de l'État, des projets de cybersécurité ou de formation. L'AEFE s'est vue contrainte de financer des dépenses de sécurité inéligibles au CAS.

La réintégration des crédits de sécurité au sein du programme 185 était nécessaire. Le PLF 2021 prévoit 9 M€ à ce titre . Ce montant doit être réévalué , compte tenu des blocages passés et de l'accroissement récent de la menace à l'encontre des citoyens et intérêts français à l'étranger.

B. DES RÉSEAUX CULTURELS À L'ARRÊT

1. Le réseau des Instituts français

Au cours du premier semestre 2020, 87 % des Instituts français (EAF), soit 83 sur 95, ont fermé leurs portes au public, de même que les 27 IFRE (Instituts français de recherche à l'étranger). La moitié des Instituts ont mis en place des solutions en ligne (cours à distance, offre culturelle en ligne). Le taux d'autofinancement des Instituts devrait passer de 75 % en 2019 à 66 % en 2020.

Dans ce contexte de forte diminution des ressources propres, les Instituts français ont puisé sur leurs fonds de roulement . Au 1 er octobre 2020, un tiers des Instituts français avait été affecté par une chute de fonds de roulement au niveau du seuil prudentiel de 60 jours, un autre tiers restait fragile et faisait l'objet d'une surveillance renforcée de la part du MEAE.

Des redéploiements internes au programme 185 ont permis de répondre à l'urgence : 5 M€ ont été mobilisés à partir des enveloppes de bourses, missions et invitations. Les ambassades ont été invitées à redéployer des moyens économisés en raison d'actions annulées ou reportées du fait de la crise.

La situation des Instituts français reste très évolutive . L'année 2021 sera particulièrement critique, alors que la pandémie se poursuit et que de nouveaux confinements sont mis en oeuvre, mais que les fonds de roulement ont déjà été asséchés.

Source : Institut français du Royaume-Uni.

Au 1er octobre 2020, l'Institut français du Royaume-Uni (ci-dessus) enregistrait un manque à gagner de 22 % sur ses recettes. Le ministère lui versera une aide exceptionnelle de 0,3 M€.

2. Le réseau des Alliances françaises

Au cours du premier semestre 2020, 80 % des Alliances françaises, soit 650 Alliances (sur 832 dont 386 conventionnées avec les ambassades) ont cessé leurs activités.

De la même façon que pour les Instituts français, la fongibilité des moyens a permis au MEAE de redéployer 2 M€ au profit des Alliances françaises . Une aide au renforcement des capacités numériques des Alliances a été accordée (0,6 M€). Des aides complémentaires sont en cours d'étude.

Pour les Alliances françaises, l'année 2021 sera difficile . Elles devront à nouveau pouvoir être aidées par le MEAE. À défaut, des fermetures sont probables. Or le réseau des Alliances françaises apporte une contribution indispensable à l'universalité de la diplomatie culturelle française.

La situation est aussi très critique pour les Alliances françaises situées sur le territoire national , qui ne relèvent pas du P 185, mais doivent être soutenues d'une autre façon, par exemple dans le cadre du plan de relance du tourisme.

3. Des conséquences sur l'apprentissage de la langue française

Le ministère table sur une diminution du nombre d'élèves (et d'heures / élèves) dans les cours de langue française, dispensés par le réseau culturel et par le réseau des Alliances françaises, de l'ordre de 30 % en 2020 , suivie par une remontée de l'ordre de 10 % en 2021.

Le retour à la fréquentation de 2019 ne peut s'envisager qu'à l'horizon 2023, compte tenu de la situation sanitaire et des conséquences économiques et sociales de la crise.

C. UNE MOBILITÉ ÉTUDIANTE FORTEMENT ENTRAVÉE

La France est passée au 6 e rang des pays d'accueil d'étudiants internationaux , après l'Allemagne et la Russie . Pour l'accueil d'étudiants européens, la France a rétrogradé à la 9 e place , après la Turquie, l'Italie, la Pologne. Le plan « Bienvenue en France » présenté en novembre 2018 fixe l'objectif de 500 000 étudiants étrangers accueillis en France d'ici 2027. Il met en place des frais de scolarité différenciés pour les étudiants extra-communautaires et annonce un triplement des bourses octroyées. Des exonérations de droits peuvent être accordées par les ambassades ou par les établissements d'enseignement supérieur.

La mobilité internationale étudiante est très impactée par la crise. Pour 2020-2021, le nombre d'étudiants étrangers en mobilité internationale dans les universités françaises baisse de 30 %. Certaines régions d'origine (Amériques, Asie) sont particulièrement impactées, tandis que d'autres, au contraire, progressent (Afrique du nord Moyen-Orient). Le nombre de mensualités de bourses devrait baisser de 25 % en 2020.

La France est toutefois l'un des rares pays à être resté ouvert aux étudiants étrangers . Les demandes de visas pour études ont été traitées de façon prioritaire, y compris pour les étudiants en provenance de pays classés en « rouge ». Une prolongation exceptionnelle des bourses a été proposée aux étudiants bloqués en France. Des bourses ont pu être exceptionnellement versées, en 2020, avant l'arrivée des étudiants sur le territoire.

De façon générale, la mobilité internationale étudiante fait l'objet d'une forte concurrence entre États. Elle est devenue une dimension essentielle de toute politique d'influence. C'est la raison pour laquelle la politique des bourses doit devenir globalement plus visible par l'instauration d'une « marque » dédiée (autre que « bourses du gouvernement français ») avec des appels à candidatures mondiaux et un recrutement selon des critères unifiés.

D. UN EFFONDREMENT DU TOURISME

De janvier à août 2020, le nombre de touristes internationaux a chuté de 70 % dans le monde , par rapport à la même période en 2019. En France, la bonne tenue du marché domestique et de certains marchés européens (Belgique, Suisse et Pays-Bas) a permis de contenir l'impact de la crise sanitaire entre mi-juillet et mi-août. Les recettes internationales totales cumulées de janvier à juin 2020 pour la France s'élèvent à 12,3 Md€ contre 25,5 Md€ de janvier à juin 2019, soit -52 %. La situation est toutefois relativement meilleure en France qu'en Italie ou en Espagne.

Atout France estime à -50 à -60 Md€ l'impact global sur les recettes touristiques de l'année , ce qui représente une baisse de la consommation touristique annuelle de -30 à -35%. Le nombre de touristes internationaux à Paris a fortement chuté (-60% de touristes en juillet/août).

L'inquiétude est grande pour la saison d'hiver 2021, compte tenu de la reprise de l'épidémie, ainsi que pour les grandes villes et pour le tourisme événementiel.

Dans ce contexte, Atout France a redéployé pour la première fois son activité vers le marché domestique . L'opérateur a réalisé des économies de fonctionnement et a bénéficié de 5 M€ de crédits supplémentaires en 2020 ainsi que de 5 M€ de recettes visas. Ces recettes visas s'effondreront toutefois en 2021 (1 M€ escomptés). Il est nécessaire que les moyens non consommés puissent être reportés sur 2021 afin d'être disponibles, le moment venu, pour relancer les marchés internationaux .

III. LA DIPLOMATIE CULTURELLE EN SOUTIEN À UN PAYS EN CRISE : LE LIBAN

La France au Liban (Résidence des Pins)

Source : Ambassade de France au Liban

Le Liban connaît une grave crise politique, économique et sociale, récemment aggravée par la pandémie et par l'explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth. La proximité historique et linguistique entre la France et le Liban a créé des liens durables entre les deux pays. L'aide humanitaire d'urgence déployée par la France après l'explosion du 4 août a été complétée et renforcée par un soutien financier de 50 millions d'euros au Liban dans les domaines de la santé, de l'emploi, du logement, de la culture et de l'éducation .

A. LE SOUTIEN APPORTÉ AUX ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES LIBANAIS

Le réseau des écoles francophones au Liban est essentiel au maintien du pluralisme culturel et religieux du Liban, donc à ce qui fait l'identité et la spécificité de ce pays.

1. Le réseau homologué

Le réseau libanais de l'enseignement français à l'étranger est le premier mondial en termes de nombre d'élèves. Il compte une cinquantaine d'établissements dont 5 établissements de la Mission laïque française (MLF). À la rentrée 2020-2021, ce réseau perdait plus de 3000 élèves sur 62 000 .

Environ 20 M€ d'aides ont été attribuées pour venir en aide à ce réseau , dont, au 1 er octobre 2020, 1 M€ supplémentaire au titre des bourses, 950 000 € d'avances de trésorerie, 5M€ à destination des établissements partenaires, dans le cadre du soutien aux familles étrangères, et 4,4 M€ en faveur des 5 établissements de la MLF. Enfin, une enveloppe de 7 M€ a été attribuée à la trentaine d'établissements touchés par l'explosion du 4 août 2020.

2. Le réseau des écoles chrétiennes francophones

Ces aides aux établissements homologués sont complétées par le Fonds pour les écoles francophones chrétiennes au Moyen-Orient , récemment créé, qui a vocation à soutenir des établissements non homologués, principalement au Liban, mais aussi en Égypte, Jordanie, Israël et dans les territoires palestiniens.

Au Liban, 20% des élèves sont scolarisés dans le réseau des écoles chrétiennes francophones . Ce réseau est constitué de plus de 300 écoles s'adressant à toutes les classes sociales et réparties sur l'ensemble du territoire.

En 2020, le Quai d'Orsay finance ce fonds à hauteur d'1,1 M€ , destinés à des établissements fragilisés par leur fermeture durable au cours de l'année scolaire 2019-2020. Le Fonds bénéficie par ailleurs d'un apport de même montant de la part de l'OEuvre d'Orient, soit, au total, 2,2 M€. En 2021, un financement du MEAE s'élevant à 1 M€ serait envisagé .

Ce soutien est essentiel. Il doit se poursuivre en 2021, s'agissant tant des établissements homologués que des écoles non homologuées . Un effort de formation doit, en outre, être réalisé pour assurer la pérennité de l'enseignement francophone sur l'ensemble du territoire libanais.

B. L'ACCUEIL D'ÉTUDIANTS LIBANAIS EN FRANCE

Dans le prolongement du soutien apporté au réseau d'enseignement primaire et secondaire, le Président de la République a annoncé, lors de son déplacement à Beyrouth le 1er septembre 2020, la création d'un dispositif d'aide à l'installation et aux études des étudiants libanais en France.

Le programme Ma'akum (« Avec vous »), d'un montant de 3 millions d'euros, s'adresse à près de 3000 étudiants libanais primo-arrivants inscrits dans des établissements publics d'enseignement supérieur.

C. LE RÔLE DES RÉSEAUX CULTURELS

Les réseaux culturels ont également un rôle important à jouer pour consolider la francophonie au Liban. Depuis septembre 2011, l'Institut français du Liban (IFL) a remplacé l'ancienne Mission culturelle française au Liban. L'Institut français du Liban dispose de 9 sites : Beyrouth, Jounieh, Tripoli, Zahlé, Tyr, Saida, Nabatieh et Deir el Qamar. Il a noué des partenariats avec plusieurs centres culturels, dont celui de Tibnine. Il a pour mission de contribuer à la coopération entre la France et le Liban dans des domaines variés : éducation, langue française, spectacle vivant, arts visuels, architecture, cinéma, livre, débat d'idées.

L'IFL contribue à pérenniser la francophonie et à former des professeurs de français au Liban. Or la crise sanitaire l'a mis en difficulté . Malgré le développement d'une offre en ligne, la diminution des recettes prévisionnelles, estimée à 10 % en septembre 2020, a entraîné une baisse du résultat prévisionnel et une diminution préoccupante du fonds de roulement.

Dans le cadre de l'effort global en faveur du Liban, l'Institut français (opérateur national) prévoit une augmentation du nombre d'artistes libanais accueillis en résidence en France, ainsi qu'un soutien accru à la programmation culturelle dans ce pays où le mécénat culturel s'est effondré.

Les luttes d'influence au niveau international sont aiguës. Toutes les puissances - grandes et moyennes - mènent des politiques de rayonnement à l'étranger. Les campagnes antifrançaises et appels au boycott récents montrent l'apparition d'une opinion publique internationale versatile et fortement influençable, sous l'effet de la mondialisation et de la médiatisation de nombreux enjeux.

Dans ce contexte, la diplomatie culturelle et d'influence de la France doit monter rapidement en puissance dans ses différentes dimensions, afin de soutenir un réseau historique universel, qui n'a pas d'équivalent dans le monde, et dont le rôle est crucial pour promouvoir l'image de la France et ses valeurs.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021.

M. Ronan Le Gleut, co-rapporteur . - Monsieur le Président, mes chers collègues, nos trois premiers points d'attention, sur le programme consacré à la diplomatie culturelle et d'influence, sont les suivants.

La sécurisation du réseau des établissements scolaires et culturels français à l'étranger doit être une priorité absolue. L'AEFE bénéficie de 9 M€ à ce titre. Nous pensons que ce montant doit être réévalué au regard de deux éléments : d'une part, en raison des dysfonctionnements du financement par le compte d'affectation spéciale, qui s'est révélé inadapté pour des besoins hors domaine de l'État, ou des projets de cybersécurité par exemple. L'AEFE n'a pratiquement pas pu utiliser son droit de tirage sur le CAS. D'autre part, l'accroissement très récent de la menace à l'encontre des citoyens et intérêts français à l'étranger doit être pris en compte. Les crédits de sécurisation doivent être revus à l'aune de ces circonstances nouvelles.

Nous comptons sur le gouvernement pour ajuster en gestion ou abonder en cours d'année en fonction de l'évaluation des besoins Cette question de la sécurité, en plus de la crise sanitaire, a des conséquences fortes sur l'attractivité du réseau de l'enseignement français à l'étranger. Plus de 200 postes sont non pourvus et l'AEFE perd 71 ETPT... la situation est critique.

Notre deuxième point d'attention porte sur le système de garantie des prêts aux établissements scolaires, bloqué depuis 2 ans. L'article 49 du projet de loi de finances crée un nouveau système de garantie qui vient se substituer à l'ANEFE (l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger). Ce système est moins favorable que le précédent pour des raisons que nous détaillons dans notre rapport. Il est notamment mis fin à la mutualisation des risques entre établissements. Nous proposerons des amendements à cet article 49.

Enfin, l'année 2021 sera celle de tous les dangers pour l'ensemble de nos réseaux. La LFR 3 a ouvert des crédits et avances pour l'AEFE et pour le tourisme. Les avances devront être remboursées par les établissements scolaires, alors que 60 % d'entre eux ont perdu des effectifs. Hors nouvelles homologations, le réseau perd 8000 élèves. La diminution touche surtout les élèves français, et le premier degré, ce qui est préoccupant.

La fongibilité du programme a permis de dégager des moyens en faveur des instituts français et alliances françaises. Mais les fonds de roulement ont déjà été vidés... Et la crise est loin d'être terminée. Nous craignons donc de façon générale des dommages importants sur nos réseaux l'an prochain, ce qui nécessiterait un nouveau plan de sauvetage tel que celui adopté en LFR 3.

À titre personnel et pour toutes ces raisons, je suis très réservé sur ce budget du programme 185 mais mon avis sera néanmoins favorable sur la Mission Action extérieure de l'Etat.

M. André Vallini, co-rapporteur . - Monsieur le Président, mes chers collègues, ce programme 185 appelle trois remarques supplémentaires. En premier lieu, la situation des Alliances françaises doit être suivie de très près.

Leur enveloppe est strictement identique à celle de l'an dernier alors que la crise sanitaire les met en grande difficulté. Le réseau compte 832 alliances qui en assurent l'universalité. À défaut d'un suivi très étroit, et de crédits supplémentaires, des fermetures sont très probables.

La situation est particulièrement critique pour les Alliances françaises situées sur le territoire national, qui ne relèvent pas du programme 185. Certaines d'entre elles ont déjà cessé leurs activités. Les ministères en charge de l'éducation nationale, du tourisme, se renvoient la balle... Une solution doit être trouvée car ces alliances situées en France jouent un rôle important et leurs élèves sont potentiellement de futurs ambassadeurs de la France à l'étranger.

En deuxième lieu, les politiques en faveur du tourisme et de la mobilité étudiante devront pouvoir remonter en puissance dès que les circonstances sanitaires le permettront. Une réflexion globale est indispensable : la France a récemment été rétrogradée à la 9e place pour l'accueil d'étudiants européens... nous arrivons après la Turquie, l'Italie et la Pologne.

Un effort important a été réalisé pour continuer à accueillir des étudiants cette année, malgré la crise. Le nombre d'étudiants en mobilité internationale dans les universités françaises chute néanmoins de 30 %.

Les bourses jouent un rôle essentiel dans un environnement international très concurrentiel. Ces bourses devront remonter rapidement en puissance, et les crédits être intégralement consommés.

Enfin, notre dernier point d'attention porte sur le soutien aux établissements scolaires libanais.

Les écoles francophones au Liban jouent un rôle essentiel dans le maintien du pluralisme culturel et religieux dans ce pays. Le réseau libanais de l'enseignement français à l'étranger est le premier mondial en termes d'effectifs. À la rentrée 2020, il perd plus de 3 000 élèves sur 62 000. Environ 20 M€ d'aides ont été attribuées. Il faudra continuer à suivre la situation de très près.

Nous souhaitons également que l'aide au réseau des écoles chrétiennes francophones, non homologuées, soit reconduite. Il s'agit de plus de 300 écoles. Un Fonds de soutien a été institué, financé à hauteur d'1,1 M€ en 2020 par le ministère. Ce soutien doit perdurer.

En conclusion, l'année 2021 sera difficile, mais il me semble qu'il faut encourager le ministère qui a été actif, en 2020, pour soutenir nos réseaux.

Mon avis sur la Mission « Action extérieure de l'Etat » sera favorable.

M. Richard Yung . - La baisse des effectifs de l'enseignement français à l'étranger, de l'ordre de 1 %, est plus faible que ce que nous craignions. C'est une bonne surprise. Les Français qui sont rentrés en France devraient revenir à l'étranger à moyen terme.

S'agissant des aides à la scolarité, Bercy a autorisé le report des crédits pour répondre aux besoins.

Je partage vos craintes concernant la politique immobilière de l'AEFE. Ce sera une vraie difficulté l'an prochain.

M. Ronan Le Gleut, co-rapporteur . - 14 nouveaux établissements ont été homologués. Par conséquent, la baisse de 1 % ne reflète pas la réalité. À périmètre constant, le réseau perd 8 000 élèves, et non 3 000. Nous n'avons pas évoqué les aides à la scolarité car elles ne sont pas inscrites au programme 185 mais au programme 151.

M. Olivier Cadic. - L'augmentation des effectifs du réseau est présentée chaque année en intégrant les nouveaux établissements homologués. Nous avons craint un moment que l'évolution ne soit bien plus défavorable que ce que nous observons actuellement.

Quelles sont vos orientations concernant l'ANEFE ?

M. Ronan Le Gleut, co-rapporteur . - Pour la justesse de l'analyse, il est nécessaire de comparer les effectifs à périmètre constant. Un tiers des établissements ont perdu plus de 5 % de leur effectif.

S'agissant de l'ANEFE, le ministère nous a confirmé qu'elle continuera à gérer l'encours existant. L'article 49 du projet de loi de finances crée un nouveau système de garantie. L'ANEFE aura un rôle de conseil et d'expertise dans l'attribution des garanties sur les nouveaux prêts. Ce schéma sera précisé par arrêté. Le nouveau dispositif plafonne l'encours total garanti à 80 % ou 90 % du montant du capital et des intérêts. Nous souhaiterions que ce plafond soit porté à 95 %, ce qui pourrait faire l'objet d'un amendement, compte tenu du fait que l'encours total des garanties est plafonné.

Au cours de sa réunion du 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2021.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Auditions en commission plénière

Mardi 3 novembre 2020

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : M. Jean-Yves LE DRIAN , ministre (voir compte rendu en annexe 1).

Mercredi 4 novembre 2020

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : M. François DELATTRE , secrétaire général.

Mercredi 18 novembre 2020

- Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) : M. Olivier BROCHET , directeur (voir compte rendu en annexe 2).

Auditions rapporteurs

Mardi 3 novembre 2020

- ANEFE (Association Nationale des Écoles Françaises de l'Étranger) : M. André FERRAND , Président.

- Institut français : M. Erol OK , Directeur général délégué, Mme Maud GRIMAUD , responsable de la coordination du Réseau.

Mercredi 4 novembre 2020

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères/Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international : M. Michel MIRAILLET , directeur général, M. Jean-François PACTET , Direction de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau, M. Bertrand POUS , Délégation des programmes et des opérateurs.

- Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (FAPEE) : M. François NORMANT , Président.

- Assemblée des Français de l'étranger (AFE) : Mme Pascale SEUX , présidente de la commission enseignement, affaires culturelles, audiovisuel extérieur et francophonie, Mme Cécilia GONDARD, présidente de la commission des finances, du budget et de la fiscalité, Mme Michèle MALIVEL , vice-présidente de la commission enseignement, affaires culturelles, audiovisuel extérieur et francophonie, M. Jean-Philippe KEIL , vice-président de la commission des finances, du budget et de la fiscalité, Mme Marie-José CARON , M. Jean-Hervé FRASLIN , M. Mazen HAKKI, M. Francis HUSS, M. Jérémy MICHEL, Mme Isabelle SCHMIDT-DUVOISIN.

Jeudi 5 novembre 2020

- Atout France : Mme Caroline LEBOUCHER , Directrice générale.

- Campus France : M. Alain FUCHS , Président, Mme Béatrice KHAIAT , Directrice Générale,

- Institut national du patrimoine : M. Charles PERSONNAZ , Directeur.

Mardi 17 novembre 2020

- Fondation des alliances françaises : M. Yves BIGOT , président.

Lundi 23 novembre 2020

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : M. Emmanuel PUISAIS-JAUVIN , directeur-adjoint de cabinet, M. Baptiste PRUDHOMME , chef de cabinet, conseiller politique et parlementaire, M. Joachim BOKOBZA , Conseiller commerce extérieur, politique commerciale, tourisme, budget.

ANNEXE 1 - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE
M. JEAN-YVES LE DRIAN, MINISTRE DE L'EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, LE MARDI 3 NOVEMBRE 2020

M. Christian Cambon, président. - Je souhaitais d'abord vous informer que, le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires (GEST) ayant demandé le retour à la procédure normale, la convention avec l'Inde sur le trafic de stupéfiants sera examinée en séance le 4 novembre, avec des interventions du rapporteur et des groupes. Je remercie chacun de sa mobilisation.

Monsieur le ministre, je suis heureux de vous accueillir pour une audition budgétaire sur les moyens de votre ministère pour 2021.

Élément de satisfaction, les crédits du ministère de l'Europe et des affaires étrangères augmentent de 8 %, hausse qui recouvre deux mouvements opposés : l'augmentation importante, de 16 %, des moyens de l'aide publique au développement (APD) et celle, peut-être trop modérée au regard des enjeux, de l'action extérieure de l'État, de 2 %.

S'agissant de l'aide publique au développement, nos questionnements sur la réalité du pilotage politique de l'opérateur Agence française de développement (AFD) ne sont pas apaisés - je vous ai d'ailleurs interrogé la semaine dernière lors des questions d'actualité au Gouvernement sur les prêts accordés à la Turquie - compte tenu de sa croissance, de l'éclatement de ses tutelles et de la disproportion croissante de leurs moyens respectifs.

La trajectoire susceptible de conduire au 0,55 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'aide publique au développement demanderait une augmentation encore très importante des crédits l'année prochaine : est-ce réaliste dans le contexte budgétaire que nous connaissons, caractérisé par l'accroissement du niveau d'endettement en réponse à la pandémie ? Quand pourrons-nous enfin débattre de cette trajectoire financière, des grandes orientations, de la répartition entre aide bi- et multilatérale, de l'évaluation et de l'avenir d'Expertise France ? Quand sera déposé le projet de loi de programmation relatif à la politique d'aide publique au développement et à la lutte contre les inégalités mondiales ?

Concernant les moyens du réseau diplomatique, les économies prévues par le programme Action publique 2022 marquent le pas, sous l'effet de la pandémie. N'avons-nous pas été imprudents, comme le souligne notre commission depuis des années, de fragiliser notre réseau qui n'a pu faire face aux défis liés au coronavirus qu'au prix de l'engagement sans faille des personnels que je salue ?

La crise politique s'ajoute à la crise sanitaire ; les appels au boycott se multiplient. L'affaire des caricatures a mis en danger nos concitoyens sur toutes nos emprises dans le monde musulman. Nous avons bien sûr une pensée pour le vigile du consulat français à Jeddah blessé le 29 octobre dernier et, au-delà, pour tous nos diplomates : je rappelle que 50 000 personnes manifestaient hier devant notre ambassade à Dacca, au Bangladesh, sans parler de l'Indonésie, du Pakistan... Nous sommes très inquiets. Quels moyens seront consacrés à la protection de notre personnel diplomatique ?

Par ailleurs, comment rendre crédible le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger et ses objectifs très ambitieux, puisqu'il s'agit de doubler le nombre d'élèves d'ici à 2030, si la sécurité des élèves et des enseignants n'est pas assurée ?

Sur ces sujets graves, nous vous écouterons avec attention.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . -Je ne reviendrai pas sur le tour d'horizon de la brutalité du monde que nous avons fait il y a quinze jours, bien que, depuis, les épreuves se soient malheureusement ajoutées aux épreuves. La plus grande vigilance s'impose s'agissant de la sécurité des Français vivant à l'étranger ; ma préoccupation pour que nos compatriotes fassent preuve de prudence et que nos implantations soient sécurisées est permanente. Nous portons une attention particulière aux incidents pouvant affecter des Français et aux manifestations. En lien avec les autorités locales, nous veillons à la sécurité de nos concitoyens et de nos sites. Malgré des manifestations, la situation semble contrôlée. Souvenons-nous toutefois de l'incident impliquant un vigile du consulat de Jeddah et de celui qui est survenu à Alexandrie. Nos ambassadeurs font le nécessaire pour que soient suivies les consignes de sécurité et, dans les établissements scolaires, la rentrée s'est déroulée dans des conditions satisfaisantes. Il convient, cependant, de ne pas baisser la garde.

Effectivement, le budget de mon ministère enregistre une augmentation de 8 % par rapport à 2020, où il avait déjà crû de 3 %. La progression des crédits, indispensable à une diplomatie forte, se poursuit. Nos moyens s'élèvent à 5,411 milliards d'euros, soit une augmentation de 411 millions d'euros. Ils se partagent en deux missions : « Action extérieure de l'État », dotée de 2,93 milliards d'euros en progression de 2 %, et « Aide publique au développement » dont le programme 209, avec 2,48 milliards d'euros, affiche une progression de 16 %. Il s'agit donc d'une amélioration quantitative et qualitative, qui devrait apaiser une partie de vos inquiétudes.

Le budget de 2021 traduit cinq orientations majeures de notre politique. D'abord, les nouveaux moyens accordés à l'action extérieure de l'État devront permettre d'en renforcer l'efficacité. Pour la première fois depuis vingt ans, les effectifs du ministère seront stabilisés à un plafond de 13 563 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Nécessité fait loi : cette mesure signe la fin de l'hémorragie et le début du redressement.

Nous avons tous en mémoire la mobilisation sans faille de nos agents, à Paris comme dans les postes, lors de la première vague de l'épidémie. Ils ont permis le retour sur le territoire national de 370 000 Français et apporté un soutien sanitaire, éducatif et social aux communautés françaises à l'étranger. Dans le cadre de ce budget, la valeur de leur engagement a été reconnue. En 2021, la masse salariale représentera 1,159 milliard d'euros, soit une augmentation de 15 millions d'euros, dont 11 millions consacrés au mécanisme créé l'année dernière pour corriger les effets de l'inflation et du change et garantir ainsi le pouvoir d'achat des agents du ministère à l'étranger - cela permet davantage de lisibilité et de transparence - et 4,3 millions d'euros notamment pour la revalorisation, réclamée depuis longtemps, des agents de droit local.

La stabilisation des effectifs s'accompagne d'un renforcement des moyens de fonctionnement des services centraux et des postes à hauteur de 46 millions d'euros sur trois volets essentiels. D'abord, la politique immobilière du ministère voit ses ressources augmenter. Avec le compte d'affectation spéciale (CAS) 723 « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », qui permettait le financement des opérations immobilières par le produit des ventes, nous nous trouvions, sauf à nous séparer de biens symboliques de notre patrimoine et chers à l'image de la France, dans une impasse. Nous revenons donc à une budgétisation de nos engagements immobiliers pour lesquels les moyens augmentent de 33 %. Au surplus, 28 millions d'euros demeurant sur le compte d'affectation spéciale s'ajoutent aux 107 millions affectés aux opérations immobilières du ministère. Rappelons, par ailleurs, qu'en 2020 nous avons déjà obtenu le retour à 100% des droits sur les produits de cessions sur le compte d'affectation spéciale 723.

Ensuite, les moyens destinés à la sécurité des postes à l'étranger augmentent de 7,4 millions d'euros, afin d'achever la mise en oeuvre du plan quadriennal de sécurisation en 2021 s'agissant des ambassades et en 2022 pour les établissements scolaires. À cet effet, un rebasage de 9 millions d'euros de la subvention de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est aussi prévu en 2021. Nous arriverons ainsi au terme de ce plan de renforcement de notre dispositif de sécurité. Déjà, la totalité de nos emprises dans les pays en crise a été renforcée en fonction des recommandations établies par les spécialistes du ministère.

Enfin, les crédits destinés à la numérisation de nos activités enregistrent une hausse de 9 millions d'euros, pour atteindre 49,5 millions d'euros, soit une augmentation de 22 %, afin de répondre aux besoins sécuritaires - contrer les attaques - ainsi que techniques - renforcer les outils de communication des agents - et d'accélérer la modernisation des services aux usagers, notamment pour simplifier les démarches administratives. Un plan pluriannuel doté de 13 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) y contribue.

La deuxième orientation de notre politique concerne la poursuite de notre engagement en faveur de la préservation de la paix, du règlement des crises et de la défense du multilatéralisme. Les deux tiers du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » y sont consacrés avec 718 millions d'euros de contribution aux organismes européens et internationaux. Les trois quarts de nos contributions internationales bénéficient à l'Organisation des Nations unies (ONU), dont 294 millions d'euros sont affectés aux opérations de maintien de la paix. Le renforcement de l'euro face au dollar a dégagé une marge nous permettant d'accroître nos participations à certaines organisations, à l'instar de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) ou du Fonds de consolidation de la paix rattaché à l'ONU dont le département des opérations de paix est dirigé par notre compatriote Jean-Pierre Lacroix.

Notre troisième priorité porte sur le renforcement de l'action consulaire pour quatre millions de Français vivant à l'étranger. Hors dépenses de personnel, le budget qui y est destiné reste stable, après l'effort engagé en juillet 2020 à hauteur de 200 millions d'euros pour apporter un appui social et éducatif à nos compatriotes : 50 millions d'euros pour les secours de solidarité, 50 millions d'euros supplémentaires pour les bourses scolaires, 50 millions d'euros pour les familles ayant choisi l'enseignement français et 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor pour soutenir les établissements scolaires. Une partie de ces sommes, en cours de consommation, va être reportée sur l'année 2021. L'aide sociale augmente de 17 %, pour atteindre 20 millions d'euros, afin de soutenir les communautés françaises et de répondre aux incertitudes économiques liées à la crise.

Dans le cadre de l'action consulaire, nous prévoyons de mettre en oeuvre le vote par Internet pour les élections consulaires de mai 2021, d'installer, après un report d'un an dû à la crise, le service France consulaire, de mettre en place le registre de l'état civil électronique et de poursuivre le projet France-Visas.

Notre quatrième priorité concerne la diplomatie d'influence dans un contexte d'intensification de la compétition internationale ; elle est portée par le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». À mon arrivée, j'ai veillé à la stabilisation de ce qui constituait auparavant une variable d'ajustement. En 2021, 645 millions d'euros y seront consacrés, soit 3 millions d'euros de plus qu'en 2020, pour soutenir trois priorités : la promotion de la langue française et de l'enseignement du français, le rayonnement culturel et artistique de la France grâce à l'exportation de nos industries culturelles et créatives, et les partenariats universitaires et scientifiques. Il s'agit d'attirer des talents étrangers en France, mais également d'installer des projets universitaires, en particulier en Afrique. Je pense notamment à l'université franco-tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée et aux universités de Dakar et de Yamoussoukro. Par ailleurs, l'effort de renforcement des capacités numériques se poursuivra à hauteur de 3 millions d'euros, avec le soutien de l'Institut français de Paris et la fondation Alliance française.

S'agissant des opérateurs, l'AEFE est dotée de 417,6 millions d'euros, dont 9 millions d'euros supplémentaires destinés à la sécurisation des établissements et 24,6 millions d'euros engagés au titre de 2020 et, bien évidemment, maintenus pour accompagner le développement maîtrisé du réseau. Malgré la crise, quinze nouveaux établissements ont été homologués cette année. Quelque 105 millions d'euros bénéficieront aux bourses scolaires, auxquels s'ajoute un droit de tirage sur les 50 millions d'euros d'aide exceptionnelle votée cet été.

Les crédits versés à Campus France et à l'Institut français sont maintenus, malgré la réduction de 6 millions d'euros, à 58 millions d'euros, pour les bourses destinées aux étudiants étrangers, moins nombreux en raison de la crise sanitaire. Cette somme sera augmentée en fonction des besoins les années suivantes.

Atout France bénéficie pour sa part d'une subvention de 28,7 millions d'euros, après avoir reçu un soutien de 5 millions d'euros cet été pour développer une campagne de promotion. De fait, face aux difficultés du secteur du tourisme, l'opérateur sera à la manoeuvre, le moment venu, pour promouvoir nos destinations.

Enfin, l'effort apparaît soutenu en faveur de l'aide publique au développement, notre cinquième priorité, qui émarge aux programmes 209 « Aide économique et financière au développement et solidarité à l'égard des pays en développement », en augmentation de 344 millions d'euros soit 17 %, et 110 « Aide économique et financière au développement » géré par le ministère de l'économie et des finances. En outre, le programme 365 a été créé, afin de doter l'AFD de 953 millions d'euros en capital pour, notamment, lui permettre d'assurer son activité de prêt dans le respect de la réglementation bancaire. S'agissant du programme 209, la trajectoire de financement poursuit son ascension afin d'atteindre l'objectif de 0,55 % du RNB en 2022.

Je vous informe, par ailleurs, que le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales sera présenté en conseil des ministres dans le courant du mois de novembre.

M. Christian Cambon, président . - De cette année ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Absolument ! Vous le savez, ce texte a été handicapé par la crise sanitaire... Il devait passer en mars dernier devant le conseil des ministres.

Nous souhaitons renforcer la composante bilatérale de notre aide publique au développement en augmentant de 154 millions d'euros les crédits de l'AFD destinés à l'aide projet. Ils atteindront ainsi un montant supérieur à la somme versée au Fonds européen de développement (FED). Les subventions versées par l'AFD à des organisations internationales augmenteront également et le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), à la main des ambassadeurs, sera doté de 10 millions d'euros supplémentaires. L'aide humanitaire devrait, pour sa part, atteindre 500 millions d'euros en 2022. Nous revenons de loin... Déjà, en 2021, elle s'établit à 329 millions d'euros grâce à une augmentation de 82,4 millions d'euros de son enveloppe. Enfin, les crédits de la coopération décentralisée demeurent stables à 11,5 millions d'euros, en raison de la crise sanitaire et des élections municipales. Ils poursuivront ensuite leur ascension.

Concernant la composante multilatérale de l'aide au développement, la France accroît ses contributions volontaires, dont une augmentation de 50 millions d'euros à l'ONU, en faveur de trois priorités : les questions humanitaires, notamment l'action du bureau de coordination humanitaire en Syrie, les biens publics mondiaux - la santé avec le Fonds mondial de lutte contre le sida et une contribution exceptionnelle à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'éducation et le climat en abondant le Fonds vert pour le climat auquel notre contribution s'établira à 1,55 milliard d'euros - et les droits de l'Homme, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes avec l'accueil du Forum Génération Égalité organisé avec le Mexique en 2021 et l'engagement pris au G7 de Biarritz de soutenir des projets comme celui en faveur de l'entrepreneuriat féminin en Afrique ou le soutien aux victimes de violences sexuelles dans les conflits.

En 2021, la Francophonie sera à l'honneur : nous célèbrerons, avec un an de retard en raison de la pandémie, le cinquantième anniversaire de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Tunisie.

Notre aide publique au développement s'inscrit enfin dans une logique européenne. D'ailleurs, un tiers des crédits du programme 209 alimente le FED, qui oeuvre dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, du développement durable ou encore de l'intégration économique des pays signataires de la convention de Lomé. Il s'agit du deuxième poste budgétaire du programme. Le FED, dont la France est deuxième contributeur, sera intégré, pour la période 2021-2027, dans l'instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale, le NDICI.

Selon les normes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France consacrait 0,44 % de son produit intérieur brut (PIB) à l'aide publique au développement en 2019, contre 0,37 % précédemment. Cette proportion atteindra 0,56 % en 2020 et 0,69 % en 2021 grâce à l'annulation de la dette soudanaise et, mécaniquement, à la réduction du PIB en raison de la crise.

L'objectif reste à 0,55 % en 2022. Ces chiffres seront annexés au projet de loi de programmation.

S'agissant du pilotage politique de l'AFD, j'ai, en séance publique, pris des engagements. Ainsi, j'ai réactivé le Conseil d'orientation stratégique, qui rassemble les différents ministères concernés et mis en place, après le débat au Sénat l'an dernier, un comité de pilotage restreint qui se réunit tous les deux mois sous ma présidence, avec la direction de l'AFD et les services du ministère. Cet instrument permet de renforcer la programmation géographique et sectorielle des engagements de l'AFD. La réforme précisera aussi qu'il revient à l'ambassadeur de piloter localement la politique de développement et, en conséquence, d'intervenir en amont des actions menées par l'AFD. À cet effet, un conseil local du développement devra être créé dans chaque poste. Nous sommes donc dans une phase de cohérence de notre action.

M. Jean-Pierre Grand, co-rapporteur pour avis pour le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » . - Sur la politique immobilière du ministère et la sécurisation des emprises françaises à l'étranger, j'ai de vives inquiétudes.

La sécurisation des emprises françaises à l'étranger a fait l'objet d'un plan exceptionnel, ces deux dernières années, de 100 millions d'euros. Sommes-nous en état de faire face aux menaces et à la montée de l'hostilité qu'affronte notre pays ? Comment évaluez-vous les besoins ? Ils semblent très évolutifs. Vous annoncez, en 2021, 52,2 millions d'euros pour la sécurité des postes, soit une hausse de 7,4 millions d'euros : de nouveaux besoins sont-ils apparus ? La sécurisation de toutes les emprises à l'étranger est essentielle : les écoles, collèges, lycées, alliances et instituts, tous nos établissements doivent faire l'objet des protections permettant de garantir la sécurité des personnels, enfants et publics accueillis. L'urgence est absolue !

Cela me conduit à évoquer le projet Quai d'Orsay 21, qui me paraît moins raisonnable que jamais face à l'urgence de sécurisation de nos emprises à l'étranger. Pourquoi dépenser 90 millions d'euros pour déménager 150 agents installés aux Invalides ? Ce projet a dérapé en coûts et en délais. Il était au point mort en 2020 avec un avant-projet sommaire qui ne pouvait être validé en l'état compte tenu des dépassements. Le confinement a sans doute ajouté aux retards. En outre, le projet prévoit des espaces sans lumière et aucun lieu de restauration pour le personnel. Est-ce vraiment un axe stratégique pour le ministère ?

Hier, les bijoux du Quai ont été vendus pour un illusoire désendettement de l'État au regard du contexte financier actuel. Aujourd'hui, on vend encore ce qui reste pour financer, sans y parvenir complètement, les mesures de sécurisation. Certains bâtiments à l'étranger ne font pas honneur à la France, avec, parfois, des espaces de travail en sous-sol qui font penser à un atelier de confection au bout du monde. Que fera-t-on demain avec des personnels qui ne se logent plus ou qui louent, dilapidant en dix ans le produit d'une cession ? Il est temps d'oser innover en la matière ! Pourquoi ne pas envisager pour le ministère une approche immobilière plus innovante, comme ont su le faire nos collectivités territoriales en période budgétaire contrainte ?

M. André Gattolin, co-rapporteur pour avis pour le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » . - Je souhaite vous interroger sur les contributions européennes et internationales du programme 105.

Les efforts déployés en vue de la diminution du coût des opérations de maintien de la paix, la réduction de la quote-part française dans les organisations internationales et une intelligente gestion du risque de change portent leurs fruits : le poids des contributions internationales diminue un peu dans le programme 105. Elles représentent désormais un peu moins de 37 % des crédits, contre encore 40 % au début du quinquennat. La marge de pilotage des dépenses du programme ainsi regagnée est faible, mais représente un progrès.

Cette année, vous nous annoncez une très faible progression de 1,4 million d'euros des contributions européennes et internationales qui s'établissent à 718 millions d'euros. Cette relative stabilité dissimule, toutefois, l'amorce d'une politique volontariste. En effet, elle est le résultat d'une mesure d'économie de 16 millions d'euros grâce au renchérissement de l'euro face au dollar et d'une mesure de dépense nouvelle de 17,2 millions d'euros sur les contributions volontaires du programme 105.

J'y vois la décision d'affirmer l'engagement français en faveur du multilatéralisme. Cette mesure de dépense nouvelle est-elle exceptionnelle ou représente-t-elle l'amorce d'une politique volontariste de restauration de notre influence au coeur du multilatéralisme ?

À quelles contributions internationales sont dédiés ces 17,2 millions d'euros supplémentaires ? Quel effet auront-ils sur le rang de contributeur de la France dans les institutions concernées ? J'ai été étonné d'apprendre que la France était, devant l'Allemagne, le premier contributeur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Quel serait l'effet d'un changement de gouvernance aux États-Unis à l'OMS ou dans une autre instance ?

M. Ronan Le Gleut, co-rapporteur pour avis pour le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » . - À périmètre constant, les établissements français à l'étranger ont perdu 8 000 élèves, non 3 000 comme évoqué en tenant compte des quatorze nouveaux établissements homologués. Près d'un tiers des établissements a enregistré une baisse d'au moins 5 % de leur effectif. Combien subissent un recul de plus de 10 % et seraient, comme à Pékin ou à Pondichéry, au bord de la fermeture ? Effectivement, quatorze nouveaux établissements ont été homologués en 2020, mais, compte tenu du contexte, le doublement du nombre d'élèves en 2030 doit-il toujours constituer une priorité ?

Alors que 71 emplois titulaires seront remplacés par des contrats locaux en 2021, envisagez-vous de faire fonctionner des établissements sans personnel titulaire qui apporte la vision de l'enseignement à la française ?

Je partage votre analyse quant à la brutalisation des relations internationales, notamment à l'encontre de la France. Vous consacrez 9 millions d'euros à la sécurisation des établissements. Avec la multiplication des manifestations, seront-ils suffisants ?

Enfin, la stabilité des moyens de l'Alliance française et de l'Institut français cache-t-elle un budget de crise ? Aucune structure n'a fermé en 2020, mais la crise a considérablement réduit leur activité et a nécessité un recours aux fonds de roulement. La fongibilité entre les crédits d'intervention et de fonctionnement a été autorisée, tandis que la règle prudentielle des soixante jours était dépassée. Devons-nous craindre des fermetures en 2021 ?

Au nom de mon collègue André Vallini, co-rapporteur pour le programme 185, j'aimerais également vous interroger sur le Liban. Quelle y est la situation de notre réseau ? La diminution du nombre d'élèves et la situation financière des 53 établissements apparaissent inquiétantes. L'explosion du 4 août a-t-elle nécessité des travaux ? Quelle sera la mobilisation du fonds de soutien aux écoles chrétiennes francophones d'Orient récemment créé et de l'Institut français ? Enfin, accueillerons-nous, en solidarité, davantage d'étudiants libanais cette année ?

M. Guillaume Gontard, co-rapporteur pour le programme 151 « Français de l'étranger et affaires consulaires » . - Les Français de l'étranger s'inquiètent de la reprise de la crise. Sommes-nous mieux organisés dans le cadre du plan de soutien que lors de la première vague ? Les aides et les bourses seront-elles suffisantes ? Faut-il s'attendre au retour de Français déjà économiquement fragilisés ? Au Royaume-Uni, nos compatriotes rencontrent des difficultés liées au Brexit avec la procédure d'enregistrement dématérialisée nécessaire à l'obtention du statut de résident. Les problèmes constatés en termes d'universalité et d'accès ont-ils été réglés ?

M. Bruno Sido, co-rapporteur pour le programme 151 « Français de l'étranger et affaires consulaires » . - La France possède 206 postes consulaires, dont certains, évidemment, dans des pays musulmans. Les propos du Président de la République sur le droit de caricaturer le prophète suscitent de très vives réactions. Je pense aux déclarations de l'ancien premier ministre de Malaisie ou à l'incident survenu à Jeddah notamment. La sécurité de notre personnel et des communautés françaises est-elle assurée ?

M. Hugues Saury, co-rapporteur pour le programme 209 « Aide économique et financière au développement et solidarité à l'égard des pays en développement » . - La Cour des comptes a dénoncé, dans un rapport de février 2020, les dysfonctionnements de la gouvernance de l'ADF et recommandé la mise en place des mécanismes de pilotage, de contrôle et d'évaluation. A-t-elle été suivie ?

L'AFD poursuit une politique active de prêt, tandis que d'autres pays préfèrent une politique de don. Ceci bénéficie d'abord à des États susceptibles de pouvoir rembourser. Dans ce cadre, la France accorde, pour un montant de 400 millions d'euros par an à partir de 2020, des prêts à la Turquie. Compte tenu du contexte, est-il prévu de réviser cet objectif ?

M. Rachid Temal, co-rapporteur pour le programme 209 « Aide économique et financière au développement et solidarité à l'égard des pays en développement » . - Je m'inquiète du niveau des ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dont une partie provient de la taxe sur les billets d'avion, dans le contexte actuel d'un recul considérable du transport aérien. Par ailleurs, seule une fraction de la taxe sur les transactions financières est attribuée à l'aide publique au développement. Est-il envisagé de l'augmenter ?

Par ailleurs, un moratoire est-il prévu sur les dettes de pays comme le Cameroun, le Mali ou la République démocratique du Congo (RDC) ? Allons-nous continuer à leur accorder des prêts ?

Je souhaiterais enfin des éléments d'information sur la matrice budgétaire et financière du projet du nouveau siège de l'AFD.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Le compte d'affectation spéciale ne correspondait plus, monsieur Grand, à la réalité, sauf à vendre l'essentiel du patrimoine français à l'étranger. Il fallait donc réactiver un financement budgétaire. Ce sera le cas en 2021, avec 107 millions d'euros destinés aux opérations immobilières. Cette politique est amenée à perdurer pour les 1 800 biens immobiliers dépendants du ministère. Le programme Quai d'Orsay 21 est déjà financé par le compte d'affectation spéciale. Nous avons pris un peu de retard, mais les difficultés sont désormais réglées et le permis de construire devrait être accordé mi-2021. Nous sommes désormais dans une phase opérationnelle.

Nous consacrons 52,2 millions d'euros aux mesures de sécurité : contrats de gardiennage et sécurité passive notamment. Le plan applicable aux pays en crise est en cours d'achèvement ; il aboutira en 2022 pour les établissements scolaires. Toutefois, la menace s'étend et, dès lors, nous poursuivrons les travaux pour l'ensemble de nos emprises. Cela représente, pour le ministère, une préoccupation centrale.

Monsieur Gattolin, le différentiel entre l'euro et le dollar nous a effectivement offert des disponibilités pour renforcer notre participation aux organisations multilatérales que nous soutenons particulièrement, à l'instar de l'AIEA et de l'OIAC par exemple.

Monsieur Le Gleut, je maintiens l'objectif fixé pour 2030, même si nous avons perdu 8 000 élèves en 2020 en raison de la pandémie. Le nombre de nouveaux établissements homologués - dont deux en Tunisie - montre que notre démarche est fondée. Je ne dispose d'aucune information sur les établissements rencontrant une crise majeure au point de devoir fermer. Nous avons beaucoup aidé, avec les bourses, au maintien des effectifs. Concernant la sécurité des établissements, dépensons déjà les 9 millions d'euros dédiés, puis nous verrons. Parfois, les services de l'État ont tendance à ne pas utiliser tous les crédits affectés... Notre objectif pour 2030 ne pourra être atteint qu'avec des agents titulaires pour assurer l'encadrement et la formation et des agents de droit local pour contribuer à la pédagogie. De fait, l'enseignement français à l'étranger n'est pas destiné aux seuls Français. Le nouveau processus d'homologation des établissements a priori est utile : avant, aucun projet n'était lancé, car il fallait attendre deux ans pour être homologué.

Pour répondre à M. Vallini sur le Liban, où je me suis rendu trois fois, nous avons mobilisé 7 millions d'euros pour la reconstruction des établissements touchés par l'explosion ; 4,5 millions pour les établissements de la Mission laïque française ; 5 millions d'euros pour les établissements partenaires et 2 millions d'euros pour les écoles chrétiennes francophones. Je suis de près l'affectation et l'utilisation de ces sommes.

Monsieur Saury, sur l'organisation de l'AFD, nous mettons en oeuvre les recommandations de la Cour des comptes et du Sénat. Pour maîtriser les charges d'exploitation, j'ai demandé que soit réduite et maîtrisée la masse salariale. Par ailleurs, notre orientation politique est de faire davantage de dons à destination des dix-neuf pays prioritaires de notre action. Depuis 2017, nos objectifs pour l'aide publique au développement sont clairs : davantage de dons, de bilatéral, d'action des ONG et d'implication des collectivités territoriales. A la Turquie, comme à la Chine, nous n'accordons pas de prêts avantageux, qui sont ceux qui nécessitent des crédits de bonification inscrits sur le programme 110, mais des prêts aux taux du marché qui ne coûtent pas aux contribuables français et qui nous permettent d'orienter les actions financées, en faveur de la lutte contre le changement climatique s'agissant de la Chine par exemple. Il me semble étrange de les considérer comme une aide. Du reste, ils renforcent l'attractivité des entreprises françaises pour remporter des marchés. Nous ne participons, en Turquie, qu'au soutien aux réfugiés syriens dont le financement ne transite pas par les autorités turques et à des aides aux collectivités territoriales qui ne sont pas toutes favorables à M. Erdogan. La France n'octroie ni subvention ni bonification de prêt à la Turquie. La question, pour autant, peut se poser...

Monsieur Temal, il est indispensable, pour l'AFD, de déménager. D'abord, son siège actuel ne permet pas d'accueillir les effectifs d'Expertise France ni de gérer sa propre croissance. Ensuite, l'agence dispose de cinq implantations dans Paris, ce qui n'apparaît guère pratique. Enfin, d'importants travaux de remise aux normes de sécurité sont nécessaires. Le projet, approuvé par le conseil d'administration de l'agence en janvier 2020, est placé sous le contrôle rigoureux de la direction de l'immobilier de l'État. Son financement, en outre, ne mobilise pas les moyens de l'État. Vous serez associés au choix du lieu où 10 000 mètres carrés supplémentaires seront disponibles.

M. Christian Cambon, président. - Il s'agirait de 50 000 mètres carrés, dont 10 000 pourront être vendus.

M. Rachid Temal, co-rapporteur . - Nous nous interrogeons sur les différents étages de l'opération.

M. Christian Cambon, président . - Nous aurions effectivement pu envisager un projet de dimension plus ajustée...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Ce n'est pas le projet qui a été retenu.

S'agissant du moratoire sur les dettes qui a été décidé par le G20 sur proposition du Président de la République, il est en cours de mise en oeuvre.

S'agissant enfin du FSD et de son financement par la taxe de solidarité sur les billets d'avion, nous avons obtenu la compensation rendue nécessaire en 2020 en raison des difficultés rencontrées par les compagnies aériennes et recommencerons en 2021 si la crise se poursuit.

M. Jean-Noël Guérini. - J'aurais aimé vous parler de l'Arménie, mais il me faut respecter l'ordre du jour... Pourquoi ne prévoyez-vous pas de reconduire les mesures de soutien à l'enseignement français à l'étranger affecté par la crise, votées en loi de finances rectificative ? Par ailleurs, l'influence étant indissociable de la puissance, quels nouveaux outils envisagez-vous pour l'action de la France à l'étranger ?

M. Gilbert Roger. - Vous avez évoqué l'organisation des élections consulaires. Il semblerait que des consulats souhaitent réduire le nombre de bureaux de vote, notamment en Belgique où la moitié d'entre eux serait supprimée. Comment s'assurer que ces élections se déroulent dans des conditions satisfaisantes, alors que le développement du vote électronique se heurte à la fracture numérique ? Les conseillers consulaires seront-ils associés aux décisions, notamment pour éviter la suppression de bureaux de vote visant uniquement à faciliter l'organisation administrative des opérations ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - La stabilisation du budget et des effectifs doit être saluée. Les 105 millions d'euros pour les bourses ont été intégralement dépensés en septembre, contre 70 % de la somme en 2019. Les crédits supplémentaires votés dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 pourront-ils être mobilisés, de même que les 50 millions d'euros d'aide sociale dont seulement un million d'euros a été utilisé ?

Allez-vous poursuivre votre programme Action publique 2022 de suppression de 416 postes sur trois ans ? En 2019, 130 postes ont été supprimés, puis 81 en 2020 et aucun en 2021. Pour atteindre votre objectif, vous devriez donc supprimer 205 postes en 2022, ce qui apparaît considérable.

Enfin, nous sommes assaillis de messages du collectif Love is not tourism attirant notre attention sur les couples binationaux non mariés séparés par l'épidémie depuis plusieurs mois et sur les familles dans l'impossibilité de se regrouper, notamment en Algérie. Comment régler cette situation ?

M. Jacques Le Nay . - Je vous remercie pour votre présentation budgétaire. Vous avez réduit temporairement, en raison de la crise sanitaire, de 6 millions d'euros le programme de bourses à destination des étudiants étrangers. Crise ou pas, ces crédits sont rarement consommés en intégralité. Comment améliorer le recours à ce dispositif ?

Mme Vivette Lopez . - Vous avez demandé aux ambassadeurs de renforcer la sécurité des ambassades, consulats, instituts, alliances et établissements scolaires. Bénéficient-ils à cet effet de l'aide des autorités locales ?

M. François Bonneau . - Quelles actions seront déployées grâce aux crédits supplémentaires de la direction numérique de votre ministère ? Quid de l'adaptation des contenus culturels des alliances et instituts français ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Monsieur Guérini, les crédits ouverts à hauteur de 200 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2020 ont été ont été relativement bien consommés s'agissant des bourses et des aides aux familles. Comme nous nous y étions engagés, nous reporterons sur 2021 les crédits non consommés, quelle que soit l'évolution de l'épidémie. L'aide sociale sera, en outre, augmentée de 17 %. Les actions menées en matière de diplomatie d'influence viseront trois priorités : la promotion de la langue française, la diffusion des industries culturelles et créatives et les partenariats scientifiques et universitaires.

Monsieur Roger, je ne saurais vous répondre sur les bureaux de vote à Bruxelles. Je vais me renseigner.

M. Gilbert Roger . - Bruxelles n'était qu'un exemple. Je souhaite savoir si l'organisation du vote est-elle décidée par le ministère ou par les consulats ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Madame Conway-Mouret, les 105 millions de bourses ne suffisant pas l'an passé, nous les avons complétés. Le dispositif prévu en 2021 - 105 millions d'euros, le reliquat des 50 millions supplémentaires accordés en 2020 et le solde existant de l'AEFE - devrait permettre à répondre aux besoins, n'ayez pas d'inquiétude.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Il faudrait anticiper ce report dans le cadre du projet de loi de finances rectificative à venir.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Nous le prévoirons dans le projet de loi de finances pour 2021. Par ailleurs, je vous confirme que le programme de suppression de postes a été abandonné à mon initiative.

Monsieur Le Nay, les crédits non consommés pour les bourses d'étudiants étrangers seront affectés aux instituts français.

Madame Lopez, en matière de sécurité, nous collaborons étroitement avec les autorités locales.

Enfin, madame Conway-Mouret, nous avons délivré près de 800 visas depuis le mois de septembre pour les couples séparés par la pandémie, mais nous ne pouvons agir sans disposer de la preuve d'une relation dans le dossier présenté. Il y aurait, sinon, beaucoup d'amoureux... Le regroupement familial dépend, pour sa part, du ministère de l'intérieur.

M. Olivier Cadic . - Pour la première fois depuis vingt ans, les effectifs du ministère ne diminueront pas, tandis que l'immobilier bénéficiera d'une augmentation de crédits de 33 %. Cela doit être salué. Le site de contact France consulaire, doté de 560 000 euros en 2020 et de 500 000 euros en 2021, doit être mis à la disposition des Français de l'étranger vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand va-t-il enfin ouvrir ?

Il y a vingt ans, le différentiel entre l'enseignement français et l'enseignement anglo-saxon dans le monde était d'un tiers ; la proportion est désormais d'un sur vingt. Je soutiens donc l'objectif affiché pour 2030. Les effectifs, cependant, n'augmentent toujours que de 2 % par an depuis 2017, soit 24 000 élèves supplémentaires en trois ans. L'avion roule, mais il n'a toujours pas quitté le tarmac... Or, vous prévoyez un nouveau dispositif, moins avantageux, de garantie de l'État, remplaçant le dispositif actuel passant par l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (Anefe), pour l'acquisition d'immobilier scolaire, qui rendrait plus difficile le développement souhaité du réseau puisque la quotité garantie passerait de 100% aujourd'hui à 80 ou 90% demain. Par ailleurs, la situation semble critique pour certains remboursements de prêts. Il conviendrait de mobiliser la direction générale du Trésor.

M. Mickaël Vallet . - Les retraités de l'étranger ayant effectué leur carrière en France doivent fournir annuellement un certificat de vie, désormais unique. Mais, depuis la crise sanitaire, certains peinent à obtenir une réponse d'Info Retraite lorsqu'ils effectuent une démarche par courrier. La voie postale fonctionne-t-elle encore officiellement ?

Mme Gisèle Jourda . - J'ai été très intéressée par votre développement sur la priorité donnée au maintien de la paix et à la contribution européenne, dans une Europe qui traverse de nombreuses interrogations. Pourriez-vous détailler les opérations concernées, en dehors du soutien aux organisations internationales ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - L'audiovisuel extérieur joue un rôle important en matière de diplomatie d'influence. En 2018, nous avions suggéré une augmentation des moyens de France Médias Monde, que vous avez soutenue. Où en sommes-nous ? Qu'en est-il, par ailleurs, de la situation des alliances françaises ? Enfin, que pensez-vous de l'idée de nommer un médiateur dans l'affaire des couples binationaux et des familles séparés par la crise sanitaire ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je pense, madame Jourda, aux opérations de maintien de la paix décidées par l'ONU, auxquelles nous participons à hauteur de 300 millions d'euros environ, et au Fonds de consolidation de la paix qui intervient à l'issue d'un conflit pour des actions immédiates de prédéveloppement, par exemple pour reconstituer l'appareil éducatif.

Votre question est intéressante, monsieur Vallet ; je vais demander à Jean-Baptiste Lemoyne de vous répondre.

Monsieur Cadic, le site de contact consulaire ouvrira l'an prochain. Il est effectivement impératif d'augmenter les effectifs d'élèves de l'enseignement français à l'étranger ; il s'agit d'un levier d'influence considérable. Quant au nouveau dispositif de garantie des prêts immobiliers qui vient remplacer celui confié à l'Anefe, je vais le vérifier, mais il restera attractif.

S'agissant du développement multimédia, madame Garriaud-Maylam, je suis favorable au projet, mais, concernant les dépenses de fonctionnement, elles relèvent de la contribution à l'audiovisuel public. Le ministère, toutefois, contribue à des projets spécifiques comme Média Sahel. Enfin, concernant le médiateur, il serait utile de vous rapprocher de Jean-Baptiste Lemoyne, car certains cas sont complexes.

M. Christian Cambon, président . - Nous vous remercions pour ces précisions et resterons attentifs à la sécurisation de nos postes à l'étranger.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - J'ai demandé aux ambassadeurs de s'en charger prioritairement et de faire preuve de la plus grande vigilance dans les pays à risque. Nous ne rencontrons, sur le sujet, aucune difficulté avec les autorités locales.

M. Christian Cambon, président . - Nous attendons désormais avec impatience le projet de loi d'orientation sur le développement. Les commissions des affaires étrangères du Sénat et de l'Assemblée nationale ont déjà travaillé sur un cahier des charges à l'attention des parlementaires en vue de son examen.

ANNEXE 2 - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. OLIVIER BROCHET, DIRECTEUR DE L'AGENCE POUR L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER,
LE 18 NOVEMBRE 2020

M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons M. Olivier Brochet, directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Nous vous avons auditionné le 7 mai dernier sur les conséquences de la crise sanitaire pour le réseau des écoles et lycées français à l'étranger. Nous sommes heureux de vous entendre à nouveau, sur le projet de loi de finances pour 2021.

Les crédits de l'AEFE sont stables, mais votre budget subira les conséquences de la pandémie, qui a entraîné un recul des effectifs malgré l'augmentation du nombre d'établissements homologués. Certains établissements sont durablement fragilisés.

Un plan d'urgence, dont le montant s'élève à 150 millions d'euros, a été annoncé par le Gouvernement le 30 avril dernier. Vous nous direz comment ce plan a été mis en oeuvre. Sera-t-il suffisant, alors que de nombreux pays ont été contraints de prendre de nouvelles mesures de confinement ?

Le Président de la République souhaite doubler le nombre d'élèves du réseau d'enseignement français à l'étranger à l'horizon 2030. Est-ce encore un objectif raisonnable, alors que les emplois de l'Agence continuent de reculer ? Notre commission a affirmé à plusieurs reprises qu'elle ne souhaitait pas que cette extension du réseau se fasse au détriment de la qualité de l'enseignement.

Ce réseau est, en effet, l'un des fleurons de notre diplomatie culturelle et d'influence, je l'ai constaté encore récemment au Caire et à Rabat. C'est une composante essentielle du « soft power » français à l'étranger, à l'heure où toutes les puissances, grandes ou moyennes, mènent des stratégies d'influence de plus en plus affirmées.

M. Olivier Brochet, directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) . - La crise sanitaire a effectivement rendu la situation très difficile pour l'ensemble du réseau, avec de forts écarts cependant selon les territoires - et il nous faut aussi compter avec le risque terroriste, suite à l'assassinat de Samuel Paty, qui nous a conduit à passer en revue la sécurité de nos établissements, à rappeler les règles, et, au-delà de la sécurisation physique des établissements, à développer une culture de la sécurité pour tous les personnels. Dans ce contexte difficile, je remercie les familles qui font confiance à l'enseignement français à l'étranger, ainsi que les personnels de l'Agence, sans lesquels nous ne pourrions affronter la crise comme nous le faisons.

L'impact de cette crise sans précédent a montré la résilience du réseau de l'enseignement français à l'étranger. Le 7 mai, je vous disais que tout le réseau avait dû fermer ; avant l'été, quelque 150 établissements avaient rouvert, la moitié étaient ouverts à la rentrée de septembre puis, à la rentrée de la Toussaint, il ne restait plus que 11% des établissements encore fermés. La rescolarisation des enfants est un point très positif. La situation reste fragile, nous prenons toutes les mesures pour garantir la sécurité sanitaire de nos établissements, y compris la fermeture de tout ou partie d'un établissement lorsque c'est nécessaire, mais il y a du mieux, et j'espère que cela va continuer.

En cette rentrée, les effectifs, ensuite, sont presque préservés. L'enquête dite « de rentrée » a révélé à ce stade une perte globale d'environ 1 % des effectifs. Le réseau résiste. Cependant, les variations sont fortes : 40 % des établissements voient leur effectifs stables ou en augmentation, 60 % en perdent, un tiers en perdent plus de 5%. Les pertes peuvent aller jusqu'à 50 % dans de petites structures. Aucun établissement n'a fermé. Mais nous sommes inquiets pour la capacité de certains d'entre eux à passer le cap de l'an prochain, d'autant que l'année s'annonce encore incertaine. L'analyse par zones géographiques souligne aussi les contrastes : le Maghreb fait figure d'exception, avec une progression de 6 % des effectifs, grâce à une bonne résistance des établissements existants et à l'homologation de nouveaux établissements, conformément au plan de développement ; en Europe, les effectifs baissent très peu, de 1 % ; ailleurs, la baisse s'établit aux alentours de 3 ou 4 %, mais elle atteint 5 % en Asie. Le Liban est particulièrement touché : plusieurs milliers d'élèves manquent à l'appel alors que ce pays, avec 62 000 élèves, est notre premier contingent mondial. Aux États-Unis, la baisse est importante, de 9 %, alors que les effectifs sont stables dans le Canada voisin. L'analyse par nationalités montre que la diminution est la plus importante chez les élèves français (- 5%). L'effectif des étrangers de pays tiers baisse de 3,3 %. L'effectif des nationaux augmente (+ 1,4 %) notamment grâce à l'extension du réseau. L'analyse par catégories d'établissements, enfin, montre que les établissements en gestion directe (EGD) perdent peu d'effectifs (-1,3 %). Les difficultés sont concentrées sur quelques établissements. En revanche, les conventionnés perdent davantage d'élèves (- 3,8 %), ce qui fait mécaniquement perdre des recettes à l'Agence. Nous estimons la perte de recettes à environ 11 millions d'euros. Les établissements partenaires connaissent une croissance de leurs effectifs de 1,4 %, portés par les nouvelles homologations.

L'Agence n'a pas ménagé ses efforts au plus près du terrain pour soutenir la mise en place d'un enseignement à distance de qualité. Nous avons lancé, début septembre, une enquête pour évaluer l'enseignement à distance mis en oeuvre de janvier à juin 2020, préparée avec les enseignants et les parents d'élèves : les quelque 70 000 réponses que nous avons reçues établissent une bonne réception par les familles des dispositifs mis en place et indiquent des points à améliorer. Nous communiquerons très prochainement sur le sujet.

Nous avons mis en place le plan d'urgence demandé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et voté par le parlement pour aider les familles en difficulté. Sur les 50 millions d'euros qui ont été ouverts au programme 151 pour l'aide aux familles françaises, nous en aurons consommés 16 millions environ et Bercy accepte le report des sommes non dépensées sur l'année prochaine. Je suis donc confiant sur l'aide aux familles françaises. Pour l'aide aux familles étrangères en difficulté, 13,43 millions d'euros ont été mobilisés sur le programme 185, sous forme de subventions aux établissements pour qu'ils les répercutent aux familles ; une enveloppe spécifique, de 7 millions d'euros, a été prévue pour la trentaine d'établissements touchés par l'explosion du 4 août sur le port de Beyrouth, au Liban, une somme qui s'ajoute aux crédits qui ont été fléchés sur la Mission laïque française au Liban.

Nous entrons dans la deuxième phase du plan d'urgence, consistant à aider tous les établissements pour des dépenses qu'ils ont faites dans crise sanitaire, en protection, en équipement informatique, en prêts, en formation. Nous avons reçu 350 dossiers d'établissements, nous y consacrerons 25 millions d'euros, avec une attention particulière à ceux qui ont perdu plus de 5 % d'élèves. S'agissant des avances de trésorerie, nous avons accordé 38 avances, à hauteur de 4,7 millions d'euros, principalement à destination des établissements partenaires. Nous avons également utilisé notre trésorerie pour aider les établissements conventionnés, avec des échéanciers décalés pour le paiement de la participation à la rémunération des résidents (PRR) : au total, nous avons mobilisé 19,7 millions d'euros.

Quelles leçons tirer de cette crise sans précédent ? D'abord, la force et la résilience de notre modèle, celui d'un réseau soutenu fortement par l'État, ce qui le distingue par exemple des réseaux anglo-saxons. Nous constatons l'intérêt pour ce modèle, qui se traduit par une hausse des demandes d'homologation. L'Agence a aidé tous les établissements, quels que soient leurs statuts, nous nous sommes adaptés pour soutenir tout le réseau. La crise a démontré aussi que la solidarité dans notre réseau valait à l'égard des Français mais aussi des étrangers, au-delà, donc, du simple critère de la nationalité, je crois que c'est très important. Nous avons également démontré notre capacité à mettre sur pied, en partant de presque rien, un enseignement à distance qui soit de qualité, mais aussi de la formation à distance pour les enseignants - entre mars et juin, nous avons mené quelque 90 000 actions de formation des équipes dans les établissements.

Du côté des points de vigilance, il y a une inquiétude forte pour une trentaine d'établissements, qui se trouvent en grande difficulté et pour lesquels nous devons regarder jusqu'où nous pouvons les aider, et, plus généralement, une inquiétude sur les conséquences financières de la crise pour l'Agence.

Le plan de développement qu'a souhaité le Président de la République s'est trouvé perturbé par la crise, mais nous ne le perdons pas de vue. Nous avons homologué 14 établissements représentant 5 000 élèves de plus, nous en attendons de nouvelles avant la fin de l'année, ce qui témoigne de notre attractivité. J'espère que nous pourrons poursuivre nos actions en 2021, notamment dans le domaine de la formation et dans le sens d'une augmentation de nos capacités informatiques.

M. Ronan Le Gleut, co-rapporteur du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » . - Le lycée français de Lomé, au Togo, a perdu un cinquième de ses effectifs en quelques années, passant de 1 000 élèves à 812 élèves ; or, l'établissement, qui demande à rééchelonner un emprunt pour disposer de ressources, bute sur le blocage entre la Direction du Trésor et l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (Anefe) : comment en sortir - pensez-vous que l'article 49 du projet de loi de finances apporte une solution rapide ?

Autre problème, la sécurité et la question des recrutements. On le voit cette année à Ouagadougou, au Burkina-Faso, avec l'embuscade qui, le 11 novembre, vient de tuer quatorze soldats burkinabés. Le lycée Saint-Exupéry avait six postes vacants, il n'y a pas eu de candidats... il faut dire que la carte de conseils aux voyageurs publiée par le Quai d'Orsay s'est détériorée deux fois cette année pour ce pays. Comment, dans ces conditions, assurer le recrutement des enseignants ?

M. André Vallini, co-rapporteur pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Votre exposé ayant répondu à bien des questions que j'avais préparées, je ne vous poserai que celle-ci : le soutien que vous apportez au Liban est-il coordonné avec le Fonds pour les écoles chrétiennes francophones au Moyen-Orient ?

M. Bruno Sido, co-rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » . - Les frais de scolarité augmentent régulièrement, ce qui rend plus sensible la question des bourses dont l'acuité devient encore plus forte dans le contexte de crise sanitaire. Les 14 et 15 décembre prochains, l'AEFE va tenir sa commission des bourses scolaires : allez-vous adapter les critères à la situation, en particulier pour les familles ayant souscrit un emprunt pour régler les frais de scolarité ? Dans quelle proportion pensez-vous utiliser les 50 millions d'euros qui sont ouverts pour l'an prochain ?

M. Guillaume Gontard, co-rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » .. - Les critères actuels utilisés pour l'octroi des bourses se fondent sur les revenus, le patrimoine immobilier et le patrimoine mobilier ; le système a des défauts, il ne tient en particulier pas compte du caractère de résidence principale, ou secondaire, pour le calcul du patrimoine immobilier. Il serait possible de se caler sur le patrimoine net de la famille : qu'en pensez-vous ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Les crédits pour les bourses sont-ils constants, ou bien allez-vous pouvoir utiliser ceux qui n'auront pas été consommés cette année ? Seront-ils suffisants dès lors que le nombre d'élèves va augmenter, de même que le nombre de familles en difficulté ? Allez-vous adapter les critères d'attribution ?

Une nouvelle organisation administrative et financière du réseau est mise en place en Allemagne, avec une seule agence comptable à Munich : pourquoi ce choix et quel impact sur les emplois ? D'autres regroupements de ce type sont-ils prévus ? Quel impact cela aura-t-il sur les ETPT ?

M. Philippe Folliot . - Lors d'un déplacement au Salvador il y a quelques années, j'avais été frappé de voir que si les élèves du lycée français n'y représentaient qu'une infime minorité des lycéens, nos interlocuteurs parlaient très souvent le français parce que, nous avait-on dit, l'élite du pays était passée par ce lycée français. Nous avions là un outil de rayonnement pour notre pays, avec des conséquences économiques puisque la compagnie aérienne régionale s'équipait en Airbus... Cependant, alors que l'Union européenne soutenait les écoles salvadoriennes, le lycée français n'avait pas accès aux crédits européens, ce qui était un frein à son développement : la situation a-t-elle changé sur ce point ?

M. Richard Yung . - Vous nous annoncez de bonnes nouvelles, et nous aurions été peu nombreux, en mai, à penser que la fermeture complète se traduirait par une baisse d'1% seulement du nombre des élèves. Je me réjouis, également, que Bercy autorise un report des reliquats des trois tranches de 50 millions d'euros prévus par le plan de relance - l'une pour les bourses aux élèves français, la deuxième pour les élèves étrangers et la troisième pour les établissements eux-mêmes.

L'objectif de doubler le nombre d'élèves d'ici 2030 paraît cependant bien ambitieux, parce qu'il demande de gagner, en moyenne, quelque 45 000 élèves chaque année ; vous nous annoncez 14 homologations et 5 000 nouveaux élèves, nous sommes loin de l'objectif : qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Cadic . - Depuis vingt ans, nous avons gagné 2 % d'élèves chaque année, mais, mais dans la même période, le nombre d'élèves qui apprennent l'anglais est passé de trois, à vingt fois celui des élèves qui apprennent le français : c'est dire le terrain que nous avons perdu et c'est ce qui motive l'objectif de doubler le nombre d'élèves en dix ans. L'an passé, je vous ai demandé quel était votre objectif chiffré pour l'année, vous avez bien voulu me répondre par écrit mais sans me dire de chiffre précis. Or, si l'on veut tenir le rythme, il faudrait que les effectifs augmentent chaque année de 8%, soit 100 000 élèves de plus dans les trois prochaines années : où envisagez-vous ces progressions ? Quel est votre objectif à l'horizon 2023 ? De combien comptez-vous augmenter les effectifs des 71 établissements en gestion directe ? Vous avez mis en place un service d'appui au développement du réseau (SADR), qui fournit des prestations de services pour aider l'installation d'établissement ; quel est son chiffre d'affaires ? Je vois dans son organigramme qu'il est constitué pour beaucoup d'anciens enseignants et membres de l'inspection académique : des profils d'ingénieurs et de commerciaux n'y seraient-ils pas plus à même de développer l'activité et de convaincre de nouveaux investisseurs ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - L'Anefe a été créée il y a 45 ans par notre ancien collègue Jacques Habert pour aider à garantir les emprunts des établissements français d'enseignement à l'étranger. Elle est remise en question depuis un rapport de 2018 et l'article 49 du projet de loi de finances la dessaisit de sa compétence au profit de l'État. Je le regrette car cette association fonctionnait très bien, sous la présidence de notre ancien collègue André Ferrand à qui je veux rendre hommage. J'en profite d'ailleurs pour rendre hommage à tous les personnels de l'enseignement français à l'étranger.

La sécurité, ensuite, nous inquiète vivement. Nos établissements ont besoin de recruter. J'ai déposé une proposition de loi pour instituer un volontariat national d'enseignement en français, le Président de la République a fait figurer l'idée dans son discours de la Sorbonne, mais il semble que rien n'ait avancé depuis : pourquoi ? L'insécurité pour les enseignants est un fléau, on l'a vu au Cameroun, anglophone, où les assassinats d'enseignants camerounais se sont traduits par une déscolarisation des enfants.

M. Bernard Fournier . - Comment expliquez-vous que les effectifs aient diminué autant aux États-Unis - de 9% nous avez-vous dit ?

M. Olivier Brochet . - L'établissement de Lomé, au Burkina-Faso, s'est effectivement réorganisé et il rencontre des difficultés financières, j'espère qu'il pourra les surmonter dans un avenir proche. Nous l'accompagnons, en y détachant six enseignants formateurs, qui feront chacun un enseignement à mi-temps qui ne coutera rien à l'établissement puisque l'Agence prend en charge ces postes. Une renégociation de son emprunt redonnerait des marges de manoeuvres à l'établissement, il n'est d'ailleurs pas le seul à être dans cette situation, les banques peuvent être tout à fait disposées à renégocier, mais elles s'interrogent sur la reconduction de la garantie de l'État dès lors que l'Anefe sort du jeu. J'espère qu'une solution rapide et claire sera trouvée.

Les difficultés de recrutement à Ouagadougou illustrent le problème de la faible attractivité dans certains pays - qui a été aggravé par la crise sanitaire : l'an passé, il y avait huit postes à pourvoir à Ouagadougou et ils l'ont tous été. Cette année, aucun des cinq postes vacants n'a été pourvu. La covid vient s'ajouter au contexte sécuritaire. Le problème est général : alors que nous avons habituellement une soixantaine de postes non pourvus en septembre, nous en enregistrons plus de deux cents cette année, car des enseignants ont préféré rester en France, et pas seulement pour des raisons de sécurité, mais de crainte d'être bloqués pendant plusieurs mois loin de leurs familles. Les difficultés sont les plus grandes quand le contexte est difficile et que l'indemnité spécifique de vie locale (ISVL) n'est pas élevée. Une piste est aussi de créer des postes d'expatriés formateurs, qui ont pour mission de former des personnels locaux, et reçoivent des primes d'expatriation plus élevées.

Au Liban, nos apports sont bien entendu articulés avec ceux du Fonds de soutien aux écoles chrétiennes francophones, qui est géré par le Quai d'Orsay ; ses quelque 2 millions d'euros iront principalement à des établissements non homologués. Nous soutenons pour notre part les établissements homologués, dont un grand nombre sont d'ailleurs des établissements chrétiens : nous avons soutenu les familles libanaises en difficulté à hauteur de 5 millions d'euros, nous disposons de 7 millions d'euros pour la reconstruction suite à l'explosion du 4 août. L'Agence est à disposition des établissements bénéficiant du Fonds, pour engager ensuite des actions de formation pour leur compte avec l'aide de ces financements.

Le report des crédits pour les bourses - nous en aurons consommés 15 à 16 millions d'euros, sur une enveloppe de 50 millions d'euros - va nous aider l'an prochain. L'augmentation du nombre d'élèves n'est pas tellement due à des élèves français, à qui vont ces bourses. Nous tâchons bien sûr de tenir compte des circonstances, tout en respectant les critères réglementaires : nous avons par exemple calculé le montant de référence sur une année glissante, de juillet à juillet, pour prendre en compte la crise. Nous devons aussi appliquer les seuils de patrimoine immobilier, mais nous faisons preuve de souplesse et nous tâchons de tenir compte des revenus, quand la famille est proche du seuil. Nous devions former un groupe de travail pour examiner ces critères, la crise ne nous l'a pas permis, nous allons le réunir dès que possible avec des représentants qui sont à la Commission nationale des bourses (CNB).

En Allemagne, nous regroupons les fonctions comptables, pour mieux séparer ordonnateur et comptable, comme nous l'a demandé la Cour des comptes et comme nous le faisons aussi en Tunisie, au Maroc et en Italie, avec un seul agent comptable pour un réseau d'établissements et un secrétaire général dans chacun d'eux. Nous regroupons ainsi un réseau dans l'agence comptable de Munich, nous ne savons pas encore si Berlin y sera rattaché ou bien s'il le sera à Francfort. Une réflexion est en cours pour savoir si nous n'aurions pas intérêt à regrouper, en France, une agence comptable pour toute la zone euro. Quoiqu'il en soit, nous faisons toujours ces regroupements en tenant compte de leurs conséquences sociales.

L'enseignement français est un formidable outil d'influence, dans ce que le ministre appelle un terrain d'affrontement de l'influence. Les crédits européens soutiennent la coopération et l'aide au développement, les établissements français n'en relèvent pas puisque l'éducation reste une compétence nationale, je ne crois pas qu'il y ait d'évolution sur ce point.

Sur les chiffres et le développement du réseau, je serais d'un optimisme raisonnable, car si nous enregistrons effectivement une baisse, nous pouvons compter sur le retour des expatriés, qui a déjà lieu par exemple en Asie quand les parents ont compris que les établissements scolaires rouvraient. Les familles devraient continuer à revenir dans les prochains mois.

Nous aurons un reliquat reporté sur le programme 151. Sur le 185, les 50 M€ seront consommés cette année. S'agissant des avances France Trésor, nous n'allons pas consommer les 25 M€ ouverts. La Mission laïque française est revenue sur un besoin estimé en juin à 10 M€ de trésorerie, qui ne s'est pas concrétisé. Nous avons donc revu nos calculs initiaux.

Au-delà des chiffres récents, il faut aussi retenir notre méthode d'accompagnement du réseau - et le plan de développement annoncé le 3 octobre 2019 reste notre feuille de route, même si la crise sanitaire l'a perturbé. Nous avons installé le Service d'appui au développement du réseau, il suit 47 dossiers d'établissements, prépare des conventions d'accompagnement vers l'homologation, en lien avec les ambassades qui repèrent les investisseurs. Ce soutien porte tant sur le besoin en personnel que sur le besoin immobilier, la réglementation... La croissance est difficile à prédire : 5 000 nouveaux élèves à l'été, d'autres arrivent, nous pourrions dépasser les 10 000 nouveaux élèves cette année. Nous ne serons certes pas à 45 000 nouveaux élèves, d'autant qu'il faudra décompter ceux qui partent, mais nous faisons au mieux et renforçons notre méthode.

Le développement des établissements se heurte effectivement à des problèmes de financement, donc à la question de la garantie de l'État, l'Agence est prête à opérer dès que le nouveau système sera opérationnel. Des besoins importants existent aussi dans les EGD. Or notre mode de fonctionnement ne nous permet pas de recourir à l'emprunt. Je suis un peu inquiet car il sera très difficile d'augmenter les frais de scolarité. Or nous avons des besoins tant pour l'extension que pour l'amélioration de la qualité des bâtiments. L'extension des EGD et des conventionnés est indispensable à la croissance des partenaires car ce sont eux qui, bien souvent, permettront d'assurer la continuité éducative au collège et au lycée.

Le recrutement de nouveaux enseignants est nécessaire, le ministère de l'Éducation nationale a mis en place dans le master d'enseignement du français, un certificat d'aptitude à l'enseignement français à l'étranger. Des étudiants l'ont déjà validé, le travail se poursuit et nous coopérons avec le ministère de l'Éducation nationale sur ce point.

La sécurité est un sujet important de préoccupation. Nous souhaitons développer la culture de la sécurité. Nous avons aussi pris mesures et des instructions très précises pour rendre hommage à Samuel Paty tout en tenant compte des contextes locaux : nous voulons être fermes sur les valeurs - la quatrième édition de la Semaine des Lycées français du monde sera l'occasion de les mettre en exergue - tout en étant sobres dans l'expression, en tenant compte des publics et de l'environnement.

La baisse des effectifs aux États-Unis tient pour beaucoup aux familles expatriées, qui sont revenues en France et ont ensuite rencontré des problèmes de visas pour revenir outre-Atlantique. La crise sanitaire a eu des impacts directs aux États-Unis beaucoup plus qu'en Europe - où les familles bénéficient d'amortisseurs sociaux.

M. Christian Cambon, président . - Merci, nous sommes à vos côtés, pour le rayonnement du français et je rends hommage aux équipes qui font un travail extraordinaire. Les enseignants font honneur à la France. Nous serons particulièrement vigilants sur le Liban, un pays cher à notre coeur mais qui est dans un état d'implosion, et sur les questions de sécurité en général, face à la menace terroriste.


* 1 Établissements à autonomie financière (EAF)

* 2 Institut français Amérique centrale

* 3 Centre culturel français Canada

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