II. L'AVENIR DES SALLES DE CINÉMA EN JEU
A. AVANT LA PANDÉMIE : UN SECTEUR PROMETTEUR ET EN CROISSANCE
La France est le pays d'Europe disposant du plus grand nombre d'écrans et où les entrées sont les plus importantes. En moyenne, chaque Français va 3,3 fois au cinéma dans l'année, contre 2,2 en Espagne et 1,6 en Suède. L'Allemagne, à population supérieure, enregistre près de 100 millions d'entrées en moins.
La France se singularise également par la part de la production nationale, qui représente en moyenne 35 % de la fréquentation, contre 10 % en Angleterre et 22 % en Allemagne.
Ces deux éléments soulignent la place du cinéma dans le patrimoine et dans l'histoire .
En 2019, le parc cinématographique comptait 2 045 établissements et 6 114 écrans actifs, soit 131 de plus qu'en 2018. Sur les dix dernières années, le parc s'est ainsi enrichi de 65 écrans chaque année en moyenne.
Cette même année, 213,1 millions d'entrées ont été enregistrées dans les salles de cinéma, soit la 6 ème année consécutive au-dessus de 200 millions . Les entrées totales ont progressé de 3,8 % entre 2015 et 2019 .
En 2019, selon le bilan annuel du CNC, 43,3 millions de personnes, soit près de 70 % de la population , ont fréquenté une salle de cinéma, en progression de 5,6 %. Signe de l'avenir de ce média, 83,8 % des moins de 25 ans sont allés au cinéma au moins une fois.
Les établissements cinématographiques ont généré 1,4 milliard d'euros de recettes en 2019, soit une progression de 8,6 % entre 2014 et 2019 .
B. UNE PANDÉMIE QUI MET EN JEU L'AVENIR DES SALLES
1. Les conséquences du premier confinement
Les salles de cinéma ont été contraintes de fermer entre le 14 mars et le 22 juin. À compter de cette date, elles ont pu ouvrir, ce qui n'a pas empêché la fréquentation de chuter de plus de 70 % durant l'été. Cela s'explique par la conjonction de deux facteurs :
- les cinémas ont été contraints de respecter un protocole sanitaire strict , qui prévoyait notamment une jauge extrêmement réduite et le port du masque durant la séance, ce qui a pu éloigner un public qui, entre temps, a visionné des oeuvres sur les plateformes en ligne ;
- la fermeture des salles en Amérique du Nord et en Asie a dissuadé les producteurs américains de sortir les « blockbusters » qui drainent normalement le public vers les salles, à l'exception notable du « Tenet » de Christopher Nolan, faute d'assurance d'amortir des coûts de production calibrés pour une sortie mondiale.
On peut cependant dans ce contexte saluer la capacité de résilience du cinéma français . Les productions nationales ont en effet pu suppléer l'absence sur les écrans d'oeuvres américaine, et les salles ont diffusé massivement des créations françaises de qualité, dont certaines ont rencontré un beau succès.
Avant même le second confinement, le chiffre d'affaires des salles était cependant attendu en diminution de près de 50 % pour l'année.
2. Un deuxième confinement aux conséquences potentiellement dramatiques
Le deuxième confinement a interrompu une activité qui repartait petit à petit, porté par les succès français qui ont pu occuper les écrans en l'absence des films américains.
Le cas du cinéma est semblable à celui du spectacle vivant : en l'absence de possibilités d'ouvrir, les recettes sont nulles , et l'ensemble de la filière menacé.
« Les films attendront-ils la réouverture ? »
A l'occasion d'une table ronde organisée par la commission le mardi 27 octobre 2020, M. Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des salles de cinéma (FNCF), a fait état des préoccupations pour le futur des exploitants :
« La problématique des cinémas tient également à l'offre de films. Les films attendront-ils la réouverture ? Combien de temps attendront-ils la réouverture ? Aujourd'hui, nous ne fonctionnons presque qu'avec des films français. Nous enregistrons le niveau habituel de fréquentation des films français en année normale, c'est-à-dire 50 % du marché. Ce résultat est extraordinaire. Nous sommes le seul pays en Europe qui enregistre un tel niveau de fréquentation. Partout ailleurs où les cinémas sont ouverts, le taux de fréquentation atteint 10 à 15 % du taux habituel. Nous avons ainsi la chance que l'écosystème financé année après année grâce au CNC et grâce à la contribution des pouvoirs publics et du Parlement fonctionne et nous permette de proposer du spectacle cinématographique à nos spectateurs. Demain, en revanche, les producteurs et les distributeurs pourront-ils résister, jusqu'à rouvrir dans des conditions plus favorables ? La question est posée . »
Interrogé par le rapporteur pour avis, il ajoutait :
« Les films américains ne sont plus distribués, de leur côté, parce que les cinémas sont fermés dans les grandes villes des côtes est et ouest des États-Unis. La diffusion sur les plateformes, quant à elle, reste une exception. La plupart des blockbusters américains seront distribués en salle après la crise. Seule l'exploitation en salle permet en effet d'amortir le coût de production de ces films .
« Les distributeurs français, pour leur part, se sont montrés extrêmement volontaristes grâce à l'appui des pouvoirs publics au cours des semaines écoulées. Ils retireront cependant évidemment leurs films si les salles referment. »
Dans les semaines qui viennent, les salles seront confrontées à trois défis.
Ø À très court terme , obtenir de l'État, avec le plein soutien du rapporteur pour avis, la prorogation du fonds de compensation géré par le CNC. Les 50 millions d'euros de ce dernier ne suffiront pas à compenser des entrées nulles, et il difficile de prévoir combien de temps les crédits affectés permettront de durer.
Ø À moyen terme , la réouverture des salles, annoncée pour le 15 décembre, risque de se traduire par une multiplication de sorties simultanées , dont les « blockbusters », qui n'offriront pas aux différentes productions les meilleures chances de trouver leur public. Cela serait particulièrement vrai pour le cinéma français. Il faut donc organiser au mieux le calendrier des sorties.
Ø À plus long terme , il faudra être attentif aux modifications de comportements des spectateurs, qui pour certains auront pris l'habitude de visionner les oeuvres, dans des conditions dégradées par rapport à une salle mais rendues satisfaisantes par la technologie. Les producteurs pourraient être tentés de « basculer » en numérique, sur le modèle de Disney qui a proposé aux abonnés de sa plateforme Disney + de voir son film « Mulan » moyennant un prix équivalent à celui d'une entrée en salle.