B. UN SOUTIEN À LA VALEUR TRAVAIL QUI PEUT RELEVER DE L'EFFET D'ANNONCE
1. La prime de partage de la valeur suscite en l'état actuel de sa rédaction plus d'interrogations sur ses effets que de garanties sur un réel gain de pouvoir d'achat
Les articles 1 er , qui met en place une prime de partage de la valeur, appelée à prendre la suite de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA), et les articles 3 et 4 répondent donc à une logique de responsabilisation des entreprises et de valorisation du travail. L'ambition peut être saluée, elle doit cependant être relativisée en termes de gains de pouvoir d'achat.
Le précédent que constitue la PEPA est assez révélateur. Le nombre de salariés concernés par la PEPA tend à décroître depuis 2019 (3,38 millions en 2021 contre 4,91 millions en 2019) quand le montant moyen versé atteint 494 euros en 2022 (572 euros en 2021). Dans ces conditions, la nouvelle prime , dont l es plafonds sont portés à 3 000 et 6 000 euros (pour les entreprises mettant en place un dispositif d'intéressement) contre respectivement 1 000 euros et 2 000 euros pour la PEPA, relève plus d'une logique d'affichage que d'une appréciation juste de la situation des entreprises et des rapports salariaux en leur sein.
L'appui sur les entreprises peut, par ailleurs, équivaloir à une fuite de l'État devant ses responsabilités. Faute de critères d'attribution explicites dans le contenu du dispositif, il revient aux entreprises de réaliser les arbitrages nécessaires au soutien du pouvoir d'achat des moins aisés.
Le dispositif tel que proposé appelle par ailleurs quatre observations :
- rien n'indique que la prime de partage de la valeur ajoutée ne contribue pas à un effet d'aubaine , déjà mis en avant pour la PEPA. Le nouveau dispositif se substituerait alors à des éléments de rémunération habituellement versés ou prévus par un accord d'entreprise ou le contrat de travail ;
- la défiscalisation de la prime, sur une seule base individuelle, conduit inévitablement à des différences de traitement entre les ménages ;
- le bénéfice de l'exonération fiscale étant réservé aux seuls salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le montant annuel du SMIC, il existe un risque d' effet de seuil certain ;
- la prime de partage de la valeur présente en outre le risque, relevé notamment par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi, de cannibaliser les dispositifs d'intéressement existant, que le texte entend par ailleurs favoriser. Il existe bien un risque d'effet d'éviction de ces mécanismes, trop faiblement utilisés notamment par les PME, au profit de la prime désormais pérennisée et présentée comme une réponse à un supposé partage inégal de la valeur .
Dans ces conditions, il est possible de s'interroger sur l'efficience du dispositif présenté à l'article 1 er du présent projet de loi voire sur sa compatibilité avec l'encouragement à l'intéressement prévu à l'article 3.
Une réécriture de l'ensemble afin de se prémunir contre les risques d'effet d'aubaine, de rupture d'égalité devant les charges publiques et de disparition des dispositifs d'intéressement apparaît indispensable.
Il ne s'agit pas de freiner le dispositif proposé par le Gouvernement mais de le rendre avant tout utile et cohérent avec la législation existante, en tenant compte de la diversité des situations face à l'inflation. Il convient de rappeler à ce stade que celle-ci se nourrit également de l'afflux de liquidités, auquel la généralisation et la pérennisation d'une prime dédiée au pouvoir d'achat contribuerait inévitablement.
2. Un soutien cosmétique à la revalorisation des grilles salariales
L'article 4 du présent projet de loi vise à inciter à la revalorisation des grilles salariales , 120 branches sur 171 affichant au moins un coefficient inférieur au SMIC en vigueur revalorisé au 1 er mai 2022. Cet objectif est louable dans un contexte de forte tension sur le marché du travail, où la question du faible écart entre revenus d'assistance et salaires est posée.
Reste que la rédaction initialement proposée par le Gouvernement était dépourvue de valeur normative, voire inefficiente , le texte se bornant à renforcer les pouvoirs du ministre en matière de fusion de branches sans pour autant que la question du minimum conventionnel ne soit centrale.
Le texte a été enrichi lors de son examen à l'Assemblée nationale . Il prévoit désormais de réduire le délai imparti aux organisations patronales pour ouvrir des négociations salariales de branche, si les minima conventionnels sont en dessous du niveau du SMIC. Un risque d 'effet pervers n'est pas à exclure avec la tenue de négociations trop rapides, qui pourraient in fine léser les salariés.
3. Un allègement modeste des cotisations des travailleurs indépendants
L'allègement des cotisations des indépendants, prévu à l'article 2, doit être relativisé. Il convient de rappeler à ce stade que le dispositif devra être complété par un décret d'application.
Le législateur ne dispose donc que de l'étude d'impact pour évaluer la portée du mécanisme envisagé. Aux termes de celle-ci, les gains moyens peuvent apparaître plus que relatifs. Un indépendant dont la rémunération atteint le SMIC bénéficierait ainsi d'un gain de pouvoir d'achat effectif d'environ 46 euros par mois, soit une augmentation de son revenu de 3,5 %. Cette progression reste inférieure à l'inflation constatée en 2022. Ce montant devrait cependant être plus faible, la hausse du revenu net entraînant mécaniquement une majoration de l'impôt. Le gain moyen pour l'ensemble des indépendants concernés - 70 % du nombre total d'indépendants - est chiffré quant à lui à 20 euros par mois, avant impôt. Là encore, le gain de pouvoir d'achat peut relever de l'effet d'annonce. Il convient de rappeler à ce stade, que 44 % des indépendants classiques (hors praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés) et 90 % des auto-entrepreneurs, ont des revenus moyens inférieurs au Smic.