B. LA CRISE ÉNERGÉTIQUE, FERMENT D'UNE GRAVE CRISE ALIMENTAIRE
Malgré de bons résultats en 2022, producteurs et transformateurs font face à un mur avec l'envolée des prix de l'énergie (+ 63 % pour le pétrole et + 290 % pour le gaz entre mi-2021 et mi-2022), a fortiori quand ils ont dû renégocier leur contrat au prix du marché dans cette période. Certains risquent de ne pas passer l'hiver. C'est l'impensé de ce budget agricole .
Parmi les filières les plus affectées, on trouve, entre autres, le maraîchage sous serres chauffées (à 80 % au gaz environ), l'élevage en général, les mûrisseries ainsi que la transformation laitière (séchage du lait, réfrigération des caves d'affinage) et sucrière (amidonnerie). Certaines productions comme celle de l'endive , dans le nord de la France, qui recourt au forçage en chambre froide, se trouvent même dans une situation alarmante.
De façon générale, l'agriculture est spécialement vulnérable à une telle crise énergétique, pour trois raisons :
- en amont , le prix des intrants , engrais azotés de synthèse (urée, solution azotée, ammonitrate), dont la fabrication, essentiellement en Russie et en Biélorussie, repose sur le gaz fossile, a augmenté les coûts de production sur longue période ;
- entre amont et aval , à la différence des grandes et moyennes surfaces et des commerces de proximité, qui peuvent plus facilement répercuter leurs hausses de charges sur le consommateur, l'échelon de la transformation semble avoir servi de variable d'ajustement sous le régime d'Egalim ;
- en aval , les rapporteurs mettent en garde sur le risque de coupures d'électricité pour les filières périssables , qui serait dramatique au regard de la rentabilité économique, du gaspillage alimentaire et, plus grave encore, de la sécurité sanitaire des aliments.
Or, depuis le début de la crise énergétique, il a semblé difficile au Gouvernement de faire rentrer le « pied » des agriculteurs dans la « chaussure » des aides aux entreprises . Ainsi, l'éligibilité aux aides « énergo-intensifs » a été calibrée de telle façon (3 % du chiffre d'affaires consacré au gaz et à l'électricité en 2021) que la plupart des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire n'ont pu en bénéficier. Pour les rapporteurs, ce calibrage inadéquat est symptomatique du manque de considération subi par l'agriculture et l'industrie agro-alimentaire, pourtant première de France en emplois et en valeur ajoutée.
Recommandation : créer un « bouclier tarifaire » spécifique à la production agricole et agroalimentaire plutôt que des aides a posteriori, pour réduire la charge administrative des opérateurs économiques et leur redonner de la visibilité.
Si l'inflation, de 6 %, a jusqu'à présent été plus modérée qu'ailleurs en Europe, la hausse de 12 % du prix des produits alimentaires en octobre 2022 témoigne du rattrapage en cours, la hausse des coûts de l'énergie et des matières premières s'étant peu à peu transmise aux prix alimentaires, qui tirent eux-mêmes les prix vers le haut.
À court terme , le risque est que la contrainte budgétaire des ménages les détourne encore davantage des produits fabriqués en France au profit de productions plus accessibles, dégradant de nouveau la balance agroalimentaire du pays. Si, au contraire les producteurs et transformateurs prennent sur eux, en ne répercutant pas la hausse des coûts, ce sont les marges, les investissements et, in fine , la productivité agricole, qui risquent de diminuer.
À long terme , en déstabilisant l'écosystème agricole, la crise risque de retarder l'atteinte des objectifs de souveraineté alimentaire et de transition agro-écologique. À titre d'exemple :
- les chambres d'agriculture , maillon essentiel de l'animation territoriale et du conseil aux agriculteurs, n'ont pas bénéficié d'une hausse de leur subvention pour charge de service public ni d'une hausse de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB), malgré les hausses des rémunérations auxquelles elles ont consenti face à l'inflation, fortement encouragées par le ministère ;
Amendement : compenser le réseau des chambres d'agriculture pour la hausse de 2,75 % des rémunérations imposée par le ministère de l'Agriculture, mais non financée par l'État.
- en raison de son emprise immobilière et de ses dispositifs expérimentaux (chambres climatiques, animaleries en ambiance contrôlée...), l' INRAE (essentiellement financé sur la mission « Recherche ») devrait connaît des surcoûts de l'ordre de 35 M€ en 2023. En attendant le Fonds de compensation du surcoût de l'énergie annoncé par le ministère de la recherche, ce sont des projets innovants de recherche qui sont fragilisés.
La crise énergétique comporte enfin des conséquences parfois insoupçonnées, sur certaines filières, en raison d'un conflit d'usages entre alimentation et biocarburants.
Levures : un conflit d'usages avec les biocarburants qui gonfle
Les rapporteurs ont été alertés par la Chambre syndicale française de la levure (CSFL) sur l'article 8 du PLF , par lequel le Gouvernement entend porter le pourcentage national cible d'incorporation d'énergie renouvelable dans les transports, pour certains coproduits sucriers, de 1 à 1,1 %. Son non-respect entraîne le paiement d'une taxe, la TIRUERT.
À l'heure où les prix des carburants flambent, rendant l'incitation du marché déjà forte pour la destination biocarburants, le Gouvernement surenchérit et prend le risque de détourner les coproduits sucriers de leur débouché historique, la filière levure française. Leader mondiale de ce secteur , celle-ci a récemment été contrainte, pour la première fois, d'importer du sucre brut du Brésil, alors qu'elle cherche à privilégier un approvisionnement local en coproduits sucriers (mélasses et EP2), issus de la production betteravière française. Ces matières premières sucrières servent à nourrir les levures qui entrent dans la fabrication de la levure boulangère, de l'alcool ou de produits pharmaceutiques.
Les rapporteurs ont déposé un amendement ramenant la cible d'incorporation à 0,8 % , pour libérer 100 000 t de coproduits en « équivalent mélasse », soit le tiers des besoins identifiés par la filière levure. La souveraineté énergétique et la souveraineté alimentaire doivent aller de pair.