EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 16 novembre 2022, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport de MM. Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, sur les crédits « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons aujourd'hui quatre rapports concernant la mission « Défense ». Nous commençons par le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - En 2023, les crédits du programme 144 atteindront près de 2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de plus de 7 % par rapport à 2022. En matière d'innovation, pour la deuxième année consécutive, l'enveloppe consacrée aux études en amont atteindra 1 milliard d'euros, ce qui est conforme aux engagements pris ; nous en prenons acte.
Ces crédits importants permettront notamment le financement des études relatives au Main Ground Combat System (MGCS) - le char remplaçant du Leclerc - et au système de combat aérien du futur (SCAF), ainsi que la poursuite des études sur des thématiques telles que la lutte anti-drones, l'hyper-vélocité, le quantique et l'énergie.
Si les priorités retenues par le ministère et les moyens inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) nous semblent aller dans le bon sens, nous constatons cependant que l'Agence de l'innovation de défense (AID) n'a plus de directeur de plein exercice depuis près de six mois. Le message envoyé n'est pas le bon, alors que le rôle de cette agence est absolument fondamental.
Concernant le Scaf, nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas plus transparent. L'accord sur le démarrage de la phase 1B annoncée par le gouvernement allemand nous semble bienvenu, mais mérite d'être suivi avec vigilance.
Au-delà de la question des moyens consacrés à l'innovation, plusieurs défis doivent être relevés par l'AID et la direction générale de l'armement (DGA). Le premier défi concerne l'accélération de la montée en maturité des technologies. Au-delà des initiatives déjà prises par l'AID en la matière et qui commencent à porter leurs fruits, nous proposons que le rôle crucial des démonstrateurs soit renforcé avec la réalisation d'un prototype ou démonstrateur à un stade assez précoce, afin de permettre aux opérationnels de confirmer le cas d'usage et de proposer les incréments nécessaires.
Par ailleurs, les personnes entendues ont insisté sur la nécessité de retrouver de la masse et de prendre en compte cette exigence dès le stade des études en amont, par exemple en envisageant deux versions d'une même technologie ; une première version de haute technologie, permettant l'entrée en premier, et une seconde version, moins sophistiquée, mais produite en plus grande quantité, permettant un volume d'attrition plus important et, le cas échéant, une exportation plus aisée.
J'en viens à la question du financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), à laquelle nous attachons une attention particulière. Le passage à une économie de guerre nous semble nécessiter, aujourd'hui plus encore qu'hier, de garantir l'accès aux sources de financement des entreprises du secteur de la défense. Les discours tenus autour de cette question sont contradictoires. Les entreprises nous font part de difficultés d'accès au financement ; les banques, quant à elles, considèrent qu'il n'y a pas de sujet ; et les administrations, selon qu'il s'agisse de Bercy ou de la DGA, sont divisées.
À l'issue des auditions réalisées, nous considérons qu'il existe bien des cas de refus de financement, du fait de l'appartenance au secteur de la défense. Par ailleurs, les projets de taxonomie ou encore la montée en puissance des normes environnementales, sociales ou de gouvernance constituent autant de risques pour nos entreprises. Nos alertes répétées ont permis de sensibiliser jusqu'au sommet de l'État sur cette problématique, ce dont nous nous félicitons. Pour autant, nous formulons plusieurs recommandations dans le rapport afin de lever les blocages rencontrés par les entreprises de la défense, en particulier la mise en place rapide de « référents défense », sortes de médiateurs, au sein des banques.
Sous bénéfice de ces observations et de celles qui vont vous être présentées par Yannick Vaugrenard, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Je fais la même observation que Pascal Allizard sur la concordance globale des crédits du programme 144 avec la ligne tracée par la loi de programmation militaire (LPM) ; c'est vrai en ce qui concerne l'innovation et les études amont. Sur ce sujet, et sous réserve que soit confirmée l'évolution favorable du dossier sur le Scaf, les problèmes à résoudre en priorité sont d'ordre extrabudgétaire ; je pense au financement de la BITD, ainsi qu'à la souveraineté industrielle, le vrai sujet de l'économie de guerre. Dans mon département de Loire-Atlantique par exemple, la préparation de la construction du futur porte-avion de nouvelle génération et la mobilisation de tout l'écosystème autour des chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire commencent dès aujourd'hui, alors que la livraison n'est prévue qu'en 2038.
Au sujet du renseignement intéressant la sécurité de la France, l'année 2023 correspondra, pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), à une montée en puissance de projets structurants dans la cyberdéfense et la modernisation immobilière de leurs sièges respectifs. Je rappelle que la DGSE va engager une opération de grande ampleur de déménagement à Vincennes afin de regrouper plus de 6 000 postes de travail, dont la direction technique. Depuis le 1er novembre dernier, elle conduit une importante réforme de son organisation, avec la fusion des fonctions de recherche et d'opération au sein d'une même direction, ainsi que le maintien de la direction technique dans son périmètre de compétence.
La DRSD conduit également une vaste reconfiguration de son siège au fort de Vanves afin de construire et de regrouper dans un nouveau bâtiment ses systèmes d'information du renseignement de contre-ingérence de la défense (Sircid), de traitement de big data et d'automatisation du traitement des demandes d'enquêtes administratives.
Dans ce contexte de transformation, la hausse des CP portera le budget global - celui, cumulé, de la DGSE et de la DRSD, hors les dépenses de personnels - à 476,8 millions d'euros, soit 16,5 % de plus par rapport à 2022.
Cependant, trois sujets posent question et devront être surveillés tout au long de l'exécution de ce budget 2023. Il y a d'abord la question du recrutement. La priorité donnée à l'embauche de cybercombattants continue de se heurter aux réalités du marché civil de l'emploi, mais aussi au déficit de sous-officiers s'agissant de la voie militaire. On note une plus grande communication auprès du grand public et aussi un soutien à certains organismes de formation ; c'est une politique novatrice qu'il convient d'encourager.
Autre sujet à surveiller en 2023 : la question du chiffrage de l'impact budgétaire de la guerre en Ukraine. Nécessairement, et sans entrer dans le détail, la DGSE comme la DRSD opèrent un redéploiement opérationnel sur le flanc Est de l'Otan. Le rôle de la DRSD est précisément de sécuriser les éléments français de l'opération Aigle en Roumanie. Je rappelle que 350 soldats français sont actuellement sur le terrain en Roumanie et que, dans les prochaines semaines, seront livrés une douzaine de véhicules blindés et une douzaine de chars Leclerc.
Enfin, nos services vont devoir, dès 2023, s'investir dans le champ de la guerre informationnelle et de l'influence, afin de mettre en oeuvre ce que le Président de la République a désigné comme une nouvelle « fonction stratégique » lors de son discours du 9 novembre dernier à Toulon.
Avec la guerre en Ukraine, il s'agit bien là de nouvelles priorités qui n'étaient pas prévues dans la LPM actuelle et qu'il faudra prendre en compte dans la future LPM sur la période 2024-2030. En conséquence, sous bénéfice des observations précédemment formulées, je propose un avis favorable sur les crédits du programme 144.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».