N° 130

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

TOME VII

DÉFENSE

Soutien de la politique de la défense (Programme 212)

Par M. Jean-Pierre GRAND et Mme Marie-Arlette CARLOTTI,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le projet de loi de finances pour 2024 affecte 24,6 milliards d'euros au programme 212, soit une hausse, par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, de 3,1 % en autorisations d'engagement et de 3,5 % en crédits de paiement.

Les rapporteurs pour avis se sont cette année penchés sur les moyens déployés pour atteindre les cibles de recrutement, de militaires d'active et de réserve, fixés par la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030, et conserver les compétences des armées en leur sein.

Constatant que ce premier exercice respecte certes les engagements financiers pris par le législateur, mais s'écarte pourtant déjà de la cible de recrutement fixée alors, ils insistent sur :

- l'urgence du chantier de refonte des grilles indiciaires, facteur d'attractivité certes non exclusif mais essentiel ;

- les moyens d'améliorer la fidélisation des militaires en poste ;

- l'enjeu de la définition d'une doctrine d'emploi précise pour atteindre les objectifs de recrutement dans la réserve ;

- les pistes de réflexion à approfondir pour resserrer les liens entre les armées et la société.

I. SE DOTER D'ARMÉES APTES À FAIRE FACE À UNE GUERRE DE HAUTE INTENSITÉ : UNE POLITIQUE D'ATTRACTIVITÉ À RENFORCER

A. UN PILOTAGE DES EFFECTIFS DEVENU PLUS DÉLICAT

1. Le déficit d'attractivité manifeste met à mal les ambitions de la LPM

L'année 2024 sera le premier exercice de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 promulguée le 1er août dernier1(*). Elle prévoyait un calendrier d'augmentation des effectifs relativement ambitieux, devant conduire à une augmentation nette de 6 300 ETP par marches progressivement surélevées.

Calendrier d'augmentation nette des effectifs du ministère de la défense voté en LPM

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total

Cibles d'augmentation nette des effectifs

700

700

800

900

1000

1000

1200

6300

Source : article 7 de la LPM 2024-2030.

Or au lieu des 700 prévus, le schéma d'emplois inscrit au programme 212 de la mission « Défense » ne porte création que de 400 ETP en 2024, auxquels s'ajoutent 30 ETP dans le cadre de la « réinternalisation des compétences numériques » et 26 ETP au titre du service industriel de l'aéronautique.

Une telle réévaluation des prévisions de recrutement ne représente certes une variation que de 0,1 % des effectifs du ministère et n'est pas contraire à la lettre de la LPM, dont le même article 7 dispose qu'« en fonction de la réalité du marché du travail, le ministère de la défense peut employer les crédits rendus disponibles par une sous-réalisation de ses cibles d'effectifs pour renforcer son attractivité et la fidélisation de ses agents ».

Cet écart à la cible n'en fait pas moins peser un doute sur la capacité du ministère à respecter l'objectif de la LPM, d'autant que la sous-exécution systématique des schémas d'emplois des dernières années a conduit le nombre d'ETP du ministère à diminuer depuis trois ans au lieu d'augmenter, comme l'illustre le graphique ci-après, en raison des difficultés de recrutement des militaires du rang.

Évolution du schéma d'emploi, programmé et réalisé, du ministère des armées

Source : DRH-MD, synthèse ministérielle des effectifs arrêtée au 30/09/2023, fournie en réponse au questionnaire. Lecture :

- SE prév. : schéma d'emplois prévisionnel de l'année de gestion en cours ;

- SE réalisé (N) : schéma d'emplois constaté au 31/12 de l'année de gestion (N) ;

- Av./Ret. (N-1) : avance (histogrammes verts) ou retard (histogrammes rouges) d'exécution du SE constaté en fin d'année de gestion (N-1) ainsi que mesures de soutenabilité (cf. gestion 2023), reportées sur le SE voté en LFI (N) afin de déterminer le SE cible de gestion (N).

- SE LFI (N) : schéma d'emplois ministériels voté en loi de finances initiale pour l'année N ;

- SE DPGECP (N) : schéma d'emplois ministériels inscrit en document prévisionnel de gestion et d'emploi des crédits de personnel élaboré pour l'année de gestion N.

2. Des enjeux variables selon les armées

L'analyse du phénomène conduit à identifier, selon les armées, différentes variables.

L'armée de terre rencontre manifestement un problème de recrutement, que le général Marc Conruyt, son directeur des ressources humaines, qualifie de « trou d'air ». L'objectif de recrutement a été quasiment rempli en 2022, avec un écart à la cible d'une quarantaine d'ETP, soit 0,03% du total seulement. Mais les difficultés sont plus fortes en 2023, avec un déficit prévisionnel de recrutement au 31 décembre évalué à 2 500 ETP, qui n'a pu être atténué par la diminution des sorties, lesquelles s'établissent à un niveau légèrement supérieur à celui de 2022. En 2024, la trajectoire pluriannuelle de référence du ministère du 9 octobre 2023 prévoit un schéma d'emploi de nouveau négatif. Des causes conjoncturelles sont notamment mises en avant, telles que le creusement de certaines classes d'âge et les contrecoups de la pandémie de covid-19, qui a fortement détérioré les capacités de communication des armées et de projection des candidats potentiels.

Le niveau de sélectivité du recrutement diminue en conséquence mécaniquement, puisqu'à l'heure où paraît le présent rapport, le nombre de candidatures pour chaque poste à honorer est passé sous la barre de l'unité.

Taux de sélection des militaires du rang dans l'armée de terre

Source : DRHAT, réponse au questionnaire

La pertinence du taux de sélection moyen doit certes être nuancée car celui-ci varie selon les métiers, fait apparaître des variations à l'intérieur d'une tendance de long terme à la baisse, liée à la prévalence de certaines affections en population générale - tels l'obésité ou les troubles anxieux et dépressifs - et car il n'est certes pas synonyme de contournement de critères de sélection fixés ex ante. Les rapporteurs s'inquiètent néanmoins des conséquences que pourrait avoir une telle tendance, au-delà d'un certain point, sur la qualité du recrutement, soit par pression de sélection, soit en conduisant à céder à la tentation d'assouplir effectivement les critères.

Dans l'armée de l'air et de l'espace ainsi que dans la marine nationale, le recrutement semble poser moins de difficultés que la fidélisation des militaires en poste. Entre 2019 et 2022, le nombre de candidatures reçues pour un poste a légèrement diminué dans la première, et légèrement augmenté dans la seconde, mais se maintiennent autour de 2. Les prévisions pour 2023 sont légèrement meilleures dans l'armée de l'air et plus préoccupantes dans la marine, mais les chiffres ne sont pas encore consolidés.

Évolution du taux de sélection des militaires du rang par armée

 

2019

2020

2021

2022

2023*

Armée de Terre

1,19

1,04

1,42

1,1

NC

Marine nationale

1,6

1,3

1,6

1,75

NC

Armée de l'Air
et de l'Espace

2,4

3

2,8

2,1

NC

Source : DRH-MD. *non consolidé

Les chefs d'état-major de la marine nationale et de l'armée de l'air et de l'espace, entendus en audition, s'inquiètent davantage d'un phénomène d'évaporation des talents. Les militaires, de grade moyen et élevé ou disposant de compétences spécifiques, sont en effet aisément attirés, surtout en milieu de carrière, par les employeurs du secteur privé qui leur proposent des emplois mieux rémunérés et exposés à moins de contraintes professionnelles - de disponibilité et de mobilité géographique, notamment - que les armées.

L'évolution du taux de renouvellement des contrats dont le ministère souhaite le renouvellement, demeuré le seul indicateur de fidélisation figurant dans les documents budgétaires, présente une légère tendance à la baisse à la notable exception de l'armée de l'air et de l'espace. Sans doute peut-on le rapprocher du taux de démission qui, lui aussi, affiche des valeurs supérieures dans ces deux armées à ce qu'il est dans l'armée de terre, et une tendance légèrement haussière.

Taux de renouvellement des primo-contrats dont le Minarm souhaite le renouvellement

Évolution du taux de démission par armée

 

Source : DRH-MD.

Source : DRH-MD.

 

Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire a mieux cerné ce phénomène d'évaporation concernant les officiers dans son rapport de juillet 20232(*). Il constate en particulier une « érosion lente mais constante entre 0 et 15 ans de services avec un pic modéré des départs entre 12 et 16 ans de services, surtout pour l'armée de terre et la marine nationale, période qui correspond à la réussite de l'enseignement militaire du 2e niveau et à l'entrée dans la deuxième partie de carrière ». Seule, la gendarmerie nationale échappe, pour l'essentiel, à ce phénomène de départ des officiers en milieu de carrière.

Nombre d'officiers de carrière de recrutement direct, selon le parcours de carrière

Source : HCECM, d'après les données DRHAT, DPM, DRHAAE et DPMGN.

B. UN IMPÉRIEUX BESOIN DE STRATÉGIE D'ATTRACTIVITÉ DES CARRIÈRES

1. Offrir des perspectives de rémunération suffisantes

Le programme 212 porte 263 M€ de crédits correspondants à la mise en oeuvre de la dernière marche de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont le coût en année pleine est estimé à 351 M€. Ce dernier volet de la réforme, contenu dans une série de décrets du printemps entrés en vigueur le 1er octobre 2023, porte création de :

- l'indemnité d'état militaire (IEM) et de l'indemnité de garnison des militaires (IGAR)3(*), qui remplacent l'indemnité pour charge militaire afin de compenser, de manière plus lisible et plus juste, diverses sujétions inhérentes au statut des militaires. La première est universelle et défiscalisée. La seconde compense la contrainte de logement résultant de l'incertitude du lieu et de la durée d'affectation. Une indemnité compensatrice transitoire sera versée aux perdants que ferait le nouveau dispositif.

- la prime de parcours professionnels des militaires4(*), qui fusionne toutes les primes liées à la qualification professionnelle, valorise la qualification et la progression des sous-officiers et officiers en étant versée « en fonction du niveau de qualification professionnelle qu'ils détiennent ». Elle est également versée aux « militaires du rang titulaires d'un titre de guerre ». Elle peut toutefois être soumise à contingentement. fusionne en une prime unique.

- la prime de compétences spécifiques des militaires5(*) a pour objet de valoriser les compétences opérationnelles rares, difficiles à générer et essentielles pour assurer la supériorité dans les opérations militaires.

Si les effets de la NPRM ne sauraient être si tôt mesurés, le Conseil supérieur de la fonction militaire alerte sur certaines de ses conséquences prévisibles, notamment le rognement des nouvelles primes, forfaitaires, par l'inflation, et leur intégration à l'assiette des revenus imposables. L'échéance de fin 2026, fixée par la loi de programmation, pour la remise au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport d'évaluation des effets de la NPRM, peut sembler lointaine et appeler des correctifs plus précoces.

Outre les aspects indemnitaires, le HCECM et le CSFM alertent sur l'urgence du chantier de refonte des grilles indiciaires. La revalorisation des bas salaires de la fonction publique et les mesures catégorielles afférentes ont conduit à diviser par deux en 25 ans l'écart entre l'entrée de grille salariale d'un militaire du rang et d'un colonel.

Plus largement, le HCECM calcule que « l'échelonnement indiciaire entre l'indice plancher du soldat et l'indice sommital du général de division a perdu 52 points entre 2011 et 2023. La grille indiciaire des officiers a subi un tassement de 25 points (4 points pour les militaires du rang) ». Ce tassement des grilles indiciaires, qui se traduit par exemple par le chevauchement partiel des échelles de rémunération de base du caporal-chef et de l'adjudant, du major et du capitaine ou encore du commandant et du lieutenant-colonel, a pour conséquence une moindre incitation à la formation et à la progression dans la carrière, donc à la fidélisation.

Grilles indiciaires des militaires au 1er janvier 2023

Source : HCECM, rapport 2023.

L'hypothèse d'une forme de déclassement des officiers ne s'étaie pas seulement sur le tassement des grilles les unes par rapport aux autres mais encore par le décrochement des officiers et officiers supérieurs par rapport aux autres cadres supérieurs de l'État. En effet, la création, en 2021, de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l'État a accentué très significativement le décalage entre les parcours respectifs alors qu'à plusieurs moments de leur carrière ils peuvent exercer des fonctions comparables.

Simulation de parcours indiciaire d'un officier des armées et d'un administrateur de l'État, de recrutement externe,
en fonction de l'âge et du rythme d'avancement

Source : HCECM, rapport 2023.

Au-delà de la seule rémunération de l'officier, c'est surtout le niveau des revenus du ménage qui est affecté car l'écart de revenu individuel moyen est de 35,5 % entre les conjoints d'officier et d'agent civil de catégorie A, sans compter que le taux de conjoints sans revenu individuel est plus important chez les conjoints d'officier (20,7 %) que les conjoints d'agent civil de catégorie A (6,1 %) !

Pour mémoire, l'article 7 de la loi de programmation dispose encore que « les grilles indiciaires des militaires du rang seront révisées avant la fin de l'année 2023. Les grilles indiciaires des sous-officiers et des militaires assimilés seront révisées avant la fin de l'année 2024. Les grilles indiciaires des officiers seront révisées avant la fin de l'année 2025 ». Le HCECM préconise mettre en oeuvre les nouvelles grilles en commençant par les officiers, « pour redonner sans délai du sens à l'escalier social » et ainsi améliorer la fidélisation des sous-officiers. Les informations communiquées par le ministère des armées n'ont hélas pas permis à la rapporteure de se faire une idée très précise de l'état d'avancement de ce chantier.

Le conseil supérieur de la fonction militaire s'alarme enfin de certaines malfaçons de la réforme des retraites, dont les effets risquent d'aller en sens contraire de la fidélisation du personnel en place : ainsi du maintien à 52 ans de la borne de décote pour carrière longue, de l'accélération de la réforme Touraine, ou de la suppression de la dégressivité de la bonification du cinquième.

Le taux de remplacement étant dans les armées inférieur à ce qu'il est dans le reste de la fonction publique, le HCECM et le CSFM proposent afin d'y remédier d'intégrer, dans le calcul de la pension, l'indemnité d'état militaire, laquelle n'est certes pas un élément de la solde mais est versée indépendamment des fonctions exercées.

2. Offrir des perspectives de carrière suffisamment attractives

Une part significative du déficit d'attractivité des armées découle de l'attrition initiale des effectifs, qui tient pour l'essentiel à l'inadéquation de la réalité du métier aux aspirations du candidat, et que reflète le taux de dénonciation de contrat des militaires du rang en cours de période probatoire.

Si cet indicateur n'affiche pas de hausse particulièrement inquiétante ces deux dernières années, il se maintient à un niveau relativement élevé : en 2022, 31,5 % des militaires du rang engagés dans l'armée de terre mettaient fin à leur période probatoire. La tendance est certes à la baisse par rapport au pic atteint en 2021, mais c'est une dynamique inverse que présente la marine nationale, où cette proportion a progressé de presque quatre points depuis 2019.

Taux de dénonciation de contrat des militaires du rang en cours de période probatoire

 

2019

2020

2021

2022

2023

Armée de terre

30,0 %

31,1 %

32,7 %

31,5 %

22,5 %*

Armée de l'air et de l'espace

27 %

28 %

29 %

27 %

18 %*

Marine nationale

18,2 %

19,16 %

18,4 %

21,9 %

nc

Source : DRH-MD. * Non consolidé

Les chefs d'état-major des armées, auditionnés par la commission, sont tous convenus que le pré-recrutement par la formation au sein des écoles de l'armée était un important facteur de fidélisation. À titre d'illustration, les sous-officiers formés à l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air à Saintes restent sept ans de plus au sein de l'armée que la moyenne.

L'offre de formation semble toutefois proche de la saturation, ce qui est un motif de satisfaction quant à l'attractivité de certains parcours de recrutement, mais conduit à interroger l'adéquation de leur dimensionnement aux objectifs de recrutement fixés aux armées par le législateur :

- dans l'armée de terre, les effectifs du BTS cyber de Saint-Cyr l'école ont doublé, et l'école militaire préparatoire et technique de Bourges, ouverte à la rentrée 2022, se fixe l'objectif de doubler elle aussi ses effectifs pour les porter à 500 jeunes par an d'ici 2025 ;

la marine nationale a, pour sa part, contribué à l'ouverture à la rentrée 2023, à Cherbourg, d'un BTS « maintenance des systèmes de production » en partenariat avec le lycée Tocqueville et l'école d'applications militaire de l'énergie atomique, afin de former ses futurs atomiciens de propulsion navale. La re-création d'une école des apprentis est prévue pour 2025 : destinée à la formation d'électriciens ainsi que de spécialistes de cyber-informatique et d'électronique, elle s'est fixée une cible d'effectifs à 112 d'ici 3 ans ;

dans l'armée de l'air et de l'espace, une nouvelle classe a été ouvert l'an dernier et une autre le sera en 2024 dans l'école d'enseignement technique de Saintes qui formait 700 sous-officiers en 2014, 1 400 en 2018, et qui en a recruté 1 800 en 2023.

L'attractivité des carrières dépend en outre de nombreux autres facteurs sur lesquels le présent rapport pour avis, cette année, ne prétend pas apporter d'analyse approfondie. Il s'agit en particulier :

- des conditions matérielles d'exercice de leurs missions : les rapporteurs restent attentifs à la mise en oeuvre du plan « Ambition logement », pour la rénovation d'un parc dont un quart présente un risque « élevé ou très élevé pour la sécurité des personnes et des biens » ;

de l'accompagnement des familles, notamment dans les mobilités géographiques : le CSFM s'est à cet égard félicité de la qualité du dialogue relatif au plan Famille 2, lequel sera abondé en 2024 à hauteur d'une quarantaine de millions d'euros en faveur de l'accompagnement des conjoints et des enfants de militaires.

- des possibilités d'évolution fonctionnelle : ainsi des perspectives d'opérations extérieures, ou bien encore des passerelles vers les emplois supérieurs de l'administration d'Etat - question approfondie par le HCECM.

II. « FAIRE NATION » : ABONDER LA RÉSERVE, DIFFUSER LA CULTURE DE DÉFENSE DANS LA SOCIÉTÉ

A. ABONDER LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE AUX NIVEAUX PRÉVUS PAR LA LPM : DES EFFORTS À NE PAS RELÂCHER

1. Une trajectoire de recrutement qui appelle des efforts importants

L'article 7 de la loi de programmation militaire a fixé un objectif ambitieux d'augmentation des effectifs de volontaires de la réserve opérationnelle militaire, « portés à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l'objectif, y compris en outre-mer, d'un pour deux militaires d'active ».

Calendrier d'augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle fixé en LPM

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total

Cibles d'augmentation nette des effectifs

3 800

3 800

4 400

5 500

6 500

7 500

8 500

40 000

Source : Article 7 de la LPM 2024-2030.

Les effectifs de la réserve opérationnelle devraient s'établir, à la fin de l'année 2023, à environ 39 500. Si ce chiffre est confirmé, la parenthèse à la baisse ouverte par la pandémie de Covid-19 serait effectivement refermée, mais ne serait alors pas tout à fait retrouvé le niveau atteint en 2019.

Évolution des effectifs de la réserve opérationnelle

Source : commission des affaires étrangères, d'après les chiffres communiqués par le DIAR.

La loi de programmation militaire pour 2024-2030 comprend certes un certain nombre de mesures susceptibles de faciliter l'atteinte des objectifs de recrutement fixés. Ils sont rappelés dans le tableau ci-dessous.

Les apports de la loi de programmation militaire
en faveur de la réserve opérationnelle

- augmentation de la limite d'âge pour servir dans la réserve à 72 ans ;

- modification des conditions de convocation des anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité (réserve opérationnelle de niveau 2) dans les cinq années suivant leur retour à la vie civile : la durée est portée à cinq jours par an sur une période de cinq ans et la nature des activités susceptibles d'être réalisées à cette occasion est élargie à l'évaluation et au maintien de leurs compétences ;

- facilitation de la convocation des réservistes : le nombre minimal de jours de convocation pouvant être réalisés pendant le temps de travail sans l'accord préalable de l'employeur civil est porté de cinq à dix pour les entreprises de plus de cinquante salariés ;

- ouverture de la faculté de souscrire un engagement à servir dans la réserve aux militaires d'active dans un nombre plus important de positions de non-activité ;

- assouplissement des règles de détermination de l'aptitude des réservistes opérationnels ;

- élargissement des possibilités d'affectation et d'emploi des réservistes opérationnels (administration, établissement public ou organisme public, autorité publique indépendante ou organisation internationale) ;

- ouverture de la faculté d'avancement aux réservistes spécialistes ;

- clarification des conditions d'appel ou de maintien en activité de la réserve opérationnelle de niveau 2, désormais définies par décret en conseil d'État.

2. Des doctrines d'emploi en voie de structuration

Dans l'armée de terre, les progrès du recrutement devront permettre d'enrichir d'une à deux sections supplémentaires les unités élémentaires de réserves, et d'hybrider avec des réservistes les unités d'active, y compris au sein des états-majors. L'hybridation est d'ailleurs déjà expérimentée, et a conduit, à la fin octobre 2023, à la conduite de deux exercices :

- l'exercice Vézinet 2, dans le Loir-et-Cher, a ainsi permis aux réservistes des différents régiments 2e brigade blindée de s'entraîner avec les militaires d'active - soit 250 à 300 militaires en tout - dans un scénario « tourné vers la guerre de haute intensité » ;

- l'exercice Vulcain, dans l'Allier, a mobilisé 300 réservistes des 4e brigade d'aérocombat, du 28e régiment de transmissions et des 24e, 92e et 126e régiments d'infanterie, dans le cadre d'un scénario de type « contrôle de zone », en appui des services de l'État.

L'année 2024 devrait voir la création de 6 bataillons de réserve et de 4 unités outre-mer, ainsi que deux types d'expérimentations. D'une part, la constitution de « réservoirs de compétences » par la création d'un bataillon de réserve de spécialistes du renseignement, dont le modèle sera étendu ensuite au domaine cyber. D'autre part, le rattachement du 24e régiment d'infanterie, régiment de réservistes, au commandant de la zone de défense Ile-de-France.

En 2025, l'armée de terre prévoit la création de 6 bataillons de réserve supplémentaires, d'expérimenter des « réservoirs de compétences dans les domaines de la logistique et de la maintenance, de consolider des unités élémentaires d'active par hybridation en y intégrant au moins une section de réserve par unité. Restent à ce stade à l'étude : la mise sous le contrôle opérationnel de l'officier général de zone de défense des unités de réserve implantées dans les déserts militaires ou les grandes agglomérations, ainsi qu'un statut de volontaire intermédiaire entre les positions statutaires active et réserve.

L'adossement des réserves aux brigades devra renforcer l'épaisseur organique de l'armée de Terre dans l'ensemble des zone de défense et améliorer sa réactivité opérationnelle.

L'armée de l'air et de l'espace, envisage d'abord la création d'unités opérationnelles de réservistes, appelées à couvrir un assez large spectre d'emplois : unités aériennes, unités de sécurité et de protections, unités spécialisées dans la cyber-sécurité et dans les systèmes d'information et de communication. Ces unités pourront être sollicitées, en fonction des missions à réaliser, soit de façon isolée, soit dans le cadre de la future base aérienne de réserve.

Celle-ci est conçue comme un « outil de combat » à part entière, employable et déployable aussi bien sur le territoire national qu'à l'étranger. L'armement de ses différents postes sera rendu possible par le principe de « doublons » sur les postes des bases actuelles, qui permettra de générer progressivement les spécialistes nécessaires au sein de la réserve.

Enfin, la montée en puissance de la réserve doit permettre au Commandement territorial de l'armée de l'air et de l'espace, créé en septembre 2023, de disposer de ressources au service de ses missions, principalement la défense-sécurité, et la protection élargie aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, ainsi que la sécurité incendie et la neutralisation, l'enlèvement et la destruction des explosifs sur le territoire national, notamment en cas de crise.

Dans la marine nationale, la rénovation de la réserve s'est déjà traduite, le 1er juillet 2023, par la création des 14 premières unités de réservistes opérationnels, unités spécialisées par milieux d'emploi intégrées directement dans les différentes forces maritimes et grandes unités de la Marine (Force d'action navale, forces sous-marines, aéronautique navale, service de soutien de la flotte, CECMED, ...). Deux unités de réservistes spécialisées ont déjà été créées dans les domaines du numérique et de la formation.

Dans son volet territorial, la montée en puissance des réserves de la marine servira à la création de 3 flottilles côtières composées chacune de 10 escouades, implantées dans 30 villes littorales, auxquelles s'ajouteront 6 escouades déployées outre-mer. Les flottilles côtières seront un réservoir de force mobilisable en soutien des unités d'active en cas de crise. Par temps ordinaires, elles contribueront à la posture permanente de sauvegarde maritime du territoire en exerçant des missions de défense maritime du territoire et d'action de l'État en mer pour des tâches de prévention des mauvaises pratiques.

3. Une organisation des moyens de recrutement rendue plus cohérente

Le pilotage de la réserve a été simplifié par une instruction du 17 août 20236(*). Celle-ci responsabilise, respectivement, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement, le secrétaire général pour l'administration et le secrétaire général de la garde nationale, dans la définition et la mise en cohérence, financière et territoriale, de la politique de recrutement, de formation et d'emploi des réservistes.

Créée à l'été 2023, la nouvelle division « cohésion nationale » de l'état-major des armées exerce les attributions du chef d'état-major des armées dans le domaine de la réserve militaire, et chapeaute également les politiques relatives à la jeunesse et au service national universel, ainsi que les relations avec les entreprises et l'éducation nationale. Placée sous l'autorité d'un officier général assurant également les fonctions de délégué interarmées aux réserves, elle est chargée d'élaborer la politique interarmées relative aux réserves, en lien avec les différents interlocuteurs des armées.

B. DIFFUSER LA CULTURE DE DÉFENSE DANS LA SOCIÉTÉ : UNE RÉFLEXION À POURSUIVRE

1. Encourager les employeurs et les établissements de formation à se rapprocher du monde militaire

Les rapporteurs pour avis appellent à davantage d'efforts dans le dialogue de l'armée avec les employeurs et les établissements de formation, notamment supérieure.

L'armée de terre et l'IEP de Paris ont par exemple signé, le 10 juillet 2023, un partenariat visant à accroître les opportunités de recrutement, dans les forces actives et la réserve, et à contribuer à la diffusion de l'esprit de défense dans cet établissement qui forme depuis 150 ans les décideurs des secteurs publics et privés en France et dans le monde.

Cet accord s'inscrit dans une politique volontariste menée depuis 2019 par la cellule « Enseignement supérieur » qui cible, à Paris et en province, les candidats au profil scientifique ou technique issus de l'enseignement général, technologique et professionnel, pour les attirer prioritairement vers les métiers « déficitaires » - tel le numérique ou de la maintenance.

Une telle politique gagnerait à être systématisée, afin de diffuser une forme de culture de défense au sein des établissements de formation des futurs cadres du public et du privé, qui serait également profitable à l'acceptation du statut de réserviste par les employeurs.

2. Saisir toutes occasions d'abaisser les barrières entre les mondes civil et militaire

La réserve citoyenne pourrait être un canal de communication entre les deux mondes, mais elle est toujours en attente, de la part des états-majors des différentes armées, d'une doctrine d'emploi solide.

Enfin, CSFM et HCECM posent tous deux de profondes questions sur la nature du lien entre les armées et la société et font d'intéressantes propositions pour le resserrer : revoir, pour les égaliser, les conditions d'attribution des médailles et citations ; mieux communiquer sur les métiers des armées auprès des jeunes ; importer de l'étranger certaines formes de reconnaissance7(*) ; mieux instiller l'esprit de défense dans certaines élites en instaurant par exemple un service militaire obligatoire dans le cursus de certaines écoles d'application, telles l'INSP ; favoriser l'expression des militaires dans le débat public, etc.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 22 novembre 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » de la mission « Défense».

M. Cédric Perrin, président. - La parole est à Marie-Arlette Carlotti et Jean-Pierre Grand, co-rapporteurs pour avis du programme 212.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis du programme 212. - Nous avons, cette année, creusé la question de l'attractivité de nos armées.

Au printemps dernier, dans notre rapport de préfiguration de la LPM, nous préconisions, dans un contexte international pour le moins tendu, de mettre le format des ressources humaines en cohérence avec nos ambitions stratégiques.

La loi de programmation militaire a fixé des jalons : 700 ETP nouveau en 2024, puis une progression chaque année jusqu'en 2030 pour atteindre 6 300 ETP en 7 ans.

Or voici que, dès le premier exercice, la trajectoire s'écarte déjà de la cible prévue, puisque le projet de loi de finance pour 2024 prévoit en effet la création de seulement 456 ETP, au lieu de 700.

Cet écart, rapporté aux effectifs du ministère - 270 000 personnes environ - ne représentent que l'épaisseur du trait. Mais il révèle une crise d'attractivité. Depuis 3 ans, les effectifs du ministère diminuent au lieu d'augmenter !

Nous aurions voulu faire une analyse plus poussée, mais le directeur des ressources humaines du ministère n'a pas été très prompt, cette année non plus, à répondre à nos sollicitations.

Le diagnostic varie selon les armées. L'armée de terre évoque un simple trou d'air surtout parmi les militaires du rang. L'armée de l'air et la marine se plaignent moins des difficultés de recrutement que de leur capacité à retenir les talents.

Durant ces trois dernières années, la faiblesse des recrutements peut s'expliquer par plusieurs causes : les contrecoups de la pandémie, qui a grippé les mécanismes de communication et de recrutement, l'état du marché de l'emploi et la concurrence d'un secteur privé mieux rémunérateur, le manque d'intensité opérationnelle, ou encore le resserrement des classes d'âge. Au fil des années, les militaires sont plus sensibles au cadre de vie et aux contraintes qui pèsent sur leur vie familiale.

Cette tendance pourrait remettre en cause le niveau de sélection des recrutements. Les états-majors y sont très vigilants, notamment l'armée de terre qui désormais ne reçoit plus qu'une candidature pour un poste.

Le risque vient du mouvement croisé entre des difficultés de recruter d'une part et la progression des départs de l'autre. Car la question de la fidélisation n'est pas plus rassurante. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a mis en lumière, dans son rapport annuel, l'érosion lente mais constante des effectifs des officiers, avec un pic des départs entre 12 et 16 ans de services.

L'une des causes en est la rémunération des militaires. Le dernier volet de la refonte de la politique indemnitaire est entré en vigueur au 1er octobre dernier, ce qui justifie la budgétisation de 263 millions d'euros pour l'an prochain. Tous saluent cette clarification du dispositif des primes mais, compte tenu de l'impact de l'inflation sur ces nouvelles primes forfaitaires, ainsi que des conséquences de leur fiscalisation, nous serions favorables à ce que la clause de revoyure prévue en 2026 soit avancée. Nous avons besoin de mesurer les effets réels de la réforme qui apparait satisfaisante sur le papier.

C'est à présent la refonte des grilles indiciaires qui doit attirer notre attention. La loi de programmation militaire a prévu la refonte de la grille des militaires du rang dès 2023, celles des sous-officiers en 2024 puis celle des officiers en 2025. Le HCECM plaide, lui, pour que la mise en oeuvre des nouvelles grilles commence par celle des officiers. Son dernier rapport illustre bien le tassement qu'ont subi les grilles indiciaires sous le coup des mesures catégorielles successives : l'échelonnement « entre l'indice plancher du soldat et l'indice sommital du général de division a perdu 52 points entre 2011 et 2023 », tandis que « la grille indiciaire des officiers a subi un tassement de 25 points ».

De plus, il y a un delta de 300 points d'indice majoré entre un administrateur civil de 3e grade et un colonel, ce qui n'est pas acceptable. Le décrochage s'accentue chez les officiers au moment où ils souhaitent construire une vie familiale. Le secteur privé offrant de meilleures rémunérations, avec des sujétions moindres, les officiers partent et parmi eux souvent les meilleurs profils.

Si la situation des officiers est la plus épineuse, ce sont bien des perspectives de carrière de tous les militaires dont il est question, et notamment des sous-officiers, épine dorsale des armées, à qui il s'agit de garantir des évolutions de carrière satisfaisantes. Nous serons particulièrement vigilants à ce que la mise en oeuvre des nouvelles grilles indiciaires favorise les évolutions de carrière et rendent l'escalier social cohérent.

Comment recruter mieux, garder un bon niveau et fidéliser les talents ? Peut-être par ce qui pourrait correspondre à un pré-recrutement.

Nous avons constaté que la durée des carrières est d'autant plus longue que les recrutements ont été précoces. Aussi faut-il être attentifs aux efforts des trois armées pour muscler l'offre de formation spécialisée. Toutes les armées s'y emploient. Ainsi à l'école militaire préparatoire technique de l'armée de terre à Bourges, l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air à Saintes, celle des sous-officiers de Rochefort, l'École des Mousses ou le futur projet d'École des apprentis de la Marine Nationale. Mais cette offre de formation est souvent saturée et devrait être renforcée.

Au chapitre de la fidélisation, il y a aussi les différentes mesures d'accompagnement social : plus de 600 millions d'euros sont consacrés à la politique immobilière du ministère, notamment pour rénover un parc dont plus du quart présente un risque « élevé ou très élevé » pour la sécurité des personnes et des biens. Une quarantaine de millions d'euros financeront le plan famille 2.

En résumé, nos armées affichent un déficit d'attractivité préoccupant à l'heure où nous souhaitons les mettre au niveau d'un possible futur conflit de haute intensité. Et c'est sur ce point que nous appelons à votre vigilance.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteure pour avis du programme 212. - L'autre aspect de la question de l'attractivité des armées réside du côté de la société elle-même. J'entends par là : de l'appétence des civils pour la réserve, et donc de l'étroitesse de la relation entre le monde militaire et le monde civil.

L'objectif de la loi de programmation est de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle d'ici 2030, pour les porter aux alentours de 80 000. Or ils ont diminué à compter de 2020 - sauf dans le service de santé des armées. Avec environ 39 500 réservistes opérationnels fin 2023, nous n'avons pas encore retrouvé le niveau de 2019. Pour mémoire, la loi de programmation prévoit 3 800 nouveaux engagements à servir dans la réserve en 2024. L'atteinte des objectifs ne sera donc pas facile, même si les mesures votées en LPM devraient y contribuer.

Le rapport du P212 appelait l'an dernier à une réserve opérationnelle plus lisible et à une doctrine d'emploi plus précise. Sur ces aspects, les armées font des efforts notables.

L'armée de terre a déjà commencé à hybrider les unités avec des réservistes. Six bataillons de réserve seront créés en 2024, autant en 2025, ainsi que quatre unités outre-mer. D'ici 2030 devront être créés, dans deux métropoles, de nouveaux régiments de réservistes sur le modèle du 24e régiment d'infanterie. Sont également au programme la création de bataillons de réservistes spécialisés, par exemple dans le renseignement et le génie.

Dans la marine aussi, il est prévu d'appuyer les forces d'active avec des unités de réservistes opérationnels intégrées directement en leur sein, et de créer des unités de réservistes spécialisées - deux l'ont été dans les domaines du numérique et de la formation. La montée en charge de la réserve alimentera la constitution de 3 flottilles côtières, implantées dans 30 villes littorales pour venir en soutien des unités d'active en cas de crise, auxquelles s'ajouteront 6 escouades outre-mer.

L'armée de l'air ne sera pas en reste. Elle prévoit elle aussi de créer des unités opérationnelles de réservistes couvrant un large spectre d'emplois - unités aériennes, unités de sécurité et de protections, unités spécialisées dans la cyber-sécurité... - et, à terme, la création d'une base aérienne complète de réservistes, outil utilisable sur le territoire national ou projetable à l'extérieur.

Dans les trois armées, vous le voyez, la réflexion porte sur l'hybridation des unités et sur une meilleure territorialisation des réserves.

La gestion des réservistes devrait être facilitée de manière significative par le système d'information ROC, lancé en 2016 et dont la dernière tranche, dûment financée dans ce PLF, devrait pouvoir être livrée comme prévu en 2024.

Pour mener à bien ces transformations, quelques innovations ont, enfin, été apportées au plan de l'organisation. Par une instruction prise à l'été, les responsabilités dans la gouvernance des réservistes ont été précisées, et le délégué interarmées aux réserves a été placé à la tête d'une division chapeautant en outre la politique relative à la jeunesse et au service national universel, ce qui semble de bon aloi.

Je voudrais en terminer par là en soulignant qu'il ne sera possible de remédier de manière significative aux difficultés de recrutement, de fidélisation et de consolidation de la réserve - bref, d'attractivité des armées -, qu'en renforçant notre capacité à « faire Nation », c'est-à-dire en abaissant les barrières entre les mondes civil et militaire.

Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire a d'ailleurs fait un certain nombre de propositions originales sur ce chapitre : sur l'expression publique des militaires, la communication sur les métiers auprès des jeunes, ou encore la reconnaissance immatérielle que la Nation leur témoigne.

Le bureau de la commission ayant décidé de lancer une mission d'information sur ce sujet, nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces aspects de manière plus détaillée qu'au détour d'un avis budgétaire.

Pour l'heure, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Comment expliquer que la direction des ressources humaines du ministère ne vous ait pas transmis toutes les informations utiles ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis du programme 212. - C'est en effet un motif de préoccupation, d'autant plus fort que l'an dernier non plus nous n'avons pu disposer, en temps utile, de toutes les réponses à nos questions.

M. Cédric Perrin, président. - Nous écrirons au ministre à ce propos car ce n'est pas acceptable. En attendant, l'évolution des effectifs que nous décrivent les rapporteurs est assez explicite et, pour tout dire, assez surprenante : : la diminution engagée depuis 2021 laisse penser qu'après la guerre, le temps de la paix est arrivé et autorise la décroissance des effectifs...

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » de la mission « Défense ».

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 8 novembre 2023

Conseil supérieur de la fonction militaire (ministère des armées) : Fabrice Bouillon, lieutenant-colonel, Mme Sabrina Berg, brigadier-chef de 1ère classe, M. Jean-Vianney Turquan, quartier-maître de 2ème classe, Cécile Doize, adjudant, Stéphane Thouvenot, major, Laurent Desmazières, adjudant-chef et Benjamin Bordelais, commandant, accompagnés de M. Christophe Jacquot, secrétaire général.

Général de corps d'armée Marc Conruyt, directeur des ressources humaines de l'armée de terre, lieutenant-colonel Rémi Husson, assistant militaire du directeur, lieutenant-colonel Jean-Marc Soulier, officier chargé des relations parlementaires ;

Général de brigade Frédéric Barbry, délégué interarmées aux réserves et le Colonel Marc Galan, assistant militaire du CEMA.

Lundi 13 novembre 2023

Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) : Mme Catherine de Salins, présidente et Vincent Berthelé, contrôleur des armées, secrétaire général ;

Ministère des Armées : M. Thibaut de Vanssay de Blavous, contrôleur général des armées, directeur des ressources humaines, Général de corps d'armée Benoit Paris, officier général adjoint au directeur des ressources humaines, Mme Claire Anselin, sous-directrice du pilotage des relations humaines et de la politique de rémunération, M. le lieutenant-colonel Lionel Monnot, chargé de mission auprès du directeur des ressources humaines du ministère des Armées.


* 1 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 2 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, Les officiers, rapport thématique annuel, juillet 2023.

* 3 Décret n° 2023-397 du 24 mai 2023 relatif à l'indemnité d'état militaire et modifiant ou abrogeant diverses dispositions indemnitaires relatives aux militaires et arrêté du 24 mai 2023 modifiant et abrogeant divers arrêtés relatifs à la solde et aux accessoires de solde des militaires.

* 4 Décret n° 2023-395 du 24 mai 2023 relatif à la prime de parcours professionnels, et arrêté pris le même jour pour son application.

* 5 Décret n° 2023-396 du 24 mai 2023 relatif à la prime de compétences spécifiques des militaires, et arrêtés du même jour et du 2 août 2023 pris pour son application.

* 6 Instruction N° 504490/ARM/CAB/CM13 du 17 août 2023 relative à la gouvernance de la réserve au sein du ministère des armées.

* 7 Telles que le droit d'accès gratuit dans les musées, le droit d'inscription prioritaire dans les établissements scolaires, ou l'inscription dérogatoire chez le médecin dont la patientèle est saturée.

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