II. PAS DE CULTURE POUR TOUS SANS UNE ATTENTION ACCRUE À LA SITUATION DES TERRITOIRES
A. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : UNE PRIORITÉ BUDGÉTAIRE POUR 2024 MAIS DES DISPARITÉS PERSISTANTES
1. Un effort budgétaire en faveur des établissements d'enseignement supérieur placés sous la tutelle du ministère de la culture
L'action 1 consacrée au soutien aux établissements d'enseignement supérieur et à l'insertion professionnelle devrait bénéficier des plus fortes revalorisations du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Ses crédits de paiement progressent de 7,4 % et ses autorisations d'engagement de 8,3 %.
Source : Commission de la culture de
l'éducation et de la communication
(Chiffres du ministère de
la culture)
Un effort d'investissement
Le budget prévoit de nouveaux crédits pour financer un certain nombre de projets d'investissement dans les établissements nationaux de l'enseignement supérieur culture destinés, soit à assurer la réfection des locaux ou leur rénovation énergétique et leur adaptation au changement climatique, soit à améliorer les conditions de travail des étudiants.
L'État renforce par ailleurs son soutien aux projets d'investissement des écoles d'art territoriales conduits par les collectivités. Les crédits, d'un montant total de 14,2 millions d'euros, progressent de 3 millions d'euros (+ 27 %). Ils devraient prioritairement servir à financer des projets de rénovation et de construction d'équipements pour l'École des Beaux-Arts de Bordeaux et les écoles supérieures d'art d'Aix-en-Provence, de Bretagne, de Grenoble et de Reims.
2. Une meilleure prise en compte des besoins des écoles nationales supérieures d'architecture
Le projet de loi de finances tente de répondre aux besoins financiers et humains exprimés par les étudiants et le personnel des écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA) lors du mouvement de grève survenu dans plusieurs de ces écoles début 2023.
Alors que le ministère de la culture avait déjà débloqué une allocation de 3 millions d'euros en gestion courant 2023, fléchée sur des mesures consacrées prioritairement à la vie étudiante, les ENSA voient leurs moyens financiers renforcés en 2024 de près de 15 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 5 millions d'euros en crédits de paiement.
Dix nouveaux postes devraient également être créés, conformément aux engagements pris par le ministère de la culture au moment de la réforme des ENSA en 2018.
La ministre de la culture a par ailleurs annoncé la création d'une 21e ENSA autonome à La Réunion, dont l'école était jusqu'ici rattachée à celle de Toulouse.
La répartition des nouvelles mesures en faveur des ENSA dans le PLF 2024
? 3,5M€ de revalorisation de des subventions pour charges de service public, destinées majoritairement au financement de mesures consacrées aux étudiants, afin de pérenniser la dotation dégagée en gestion en 2023 ;
? 0,5M€ de compensation des effets de l'inflation ;
? 0,9M€ au titre de l'augmentation du point d'indice ;
? 10M€ pour réaliser des travaux dans plusieurs écoles (Toulouse, Versailles, Bordeaux et Lille).
Ces mesures ont été bien accueillies par les ENSA. Même si elles ne devraient pas leur apporter de réelles marges de manoeuvre, au regard de l'inflation et des nouvelles mesures en faveur des étudiants, elles permettent de combler une partie de l'écart qui persiste vis-à-vis des établissements de l'enseignement supérieur qui ne relèvent pas du ministère de la culture. Compte tenu des efforts réalisés au cours des dernières années, la dépense publique par étudiant en ENSA, évaluée en 2023 par le ministère de la culture à 11 300 euros, se rapproche de plus en plus de la moyenne de l'enseignement supérieur (13 000 euros), même si les ENSA considèrent que les chiffres communiqués par le ministère de la culture sont sur-estimés.
Il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de problèmes restent encore à traiter, comme l'a constaté la rapporteure lors de ses auditions, que ce soit, par exemple, sur le plan financier (produit de la contribution à la vie étudiante et de campus reversé aux ENSA, compensation de l'exonération des droits d'inscription accordée aux étudiants boursiers, critères présidant à la répartition des crédits de fonctionnement entre les ENSA...), comme sur le plan des ressources humaines, compte tenu du déficit de personnels, en particulier administratifs, dont souffrent les écoles. La définition d'un projet stratégique pour les ENSA doit également faire figure de priorité afin de donner un nouveau cap à ces écoles. D'après les informations communiquées à votre rapporteure, la stratégie nationale pour l'architecture devrait être révisée prochainement et comporterait un volet consacré à l'enseignement supérieur et à la recherche en architecture.
3. Un accompagnement nécessaire face à la crise des écoles supérieures d'art
Déjà en proie à des difficultés financières depuis plusieurs années, les écoles supérieures d'art territoriales (ESAT) se retrouvent aujourd'hui dans une situation de fragilité inquiétante. Elles sont victimes d'un effet ciseau, sous l'effet d'une augmentation de leurs charges (augmentation du point d'indice et du glissement vieillesse technicité, hausse du coût de l'énergie, inflation, recrutements induits par les nouvelles missions et par l'alignement sur les exigences de l'enseignement supérieur) et d'une baisse des subventions des collectivités territoriales, ne serait-ce qu'à euros constants. La transformation au début des années 2010 de ces écoles, auparavant en régie directe, en établissements publics de coopération culturelle (EPCC), afin de les aligner sur les exigences du processus de Bologne en matière d'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, a eu pour effet de distendre les liens que les collectivités territoriales entretenaient avec elles.
S'ajoute par ailleurs un certain nombre de problèmes structurels relatifs, en particulier :
Ø au statut des enseignants des ESAT, à la fois incompatible avec les obligations du schéma Licence-Master-Doctorat, notamment en matière de recherche, et incohérent avec le caractère professionnalisant de ces écoles ;
Ø aux difficultés de gestion des ressources humaines rencontrées par ces établissements ;
Ø aux enjeux d'articulation de ces écoles avec l'écosystème professionnel ;
Ø à la non-exonération des droits d'inscription des étudiants boursiers, faute de moyens dédiés pour en assurer la prise en charge ;
Ø aux difficultés de gouvernance des ESAT, exacerbées dans le cas des écoles multi-sites.
Cette situation conduit à la dégradation des conditions d'études proposées aux étudiants de ces écoles (fermeture d'ateliers, réduction du nombre d'intervenants extérieurs, transfert sur les étudiants d'un certain nombre de coûts de scolarité jusqu'ici pris en charge...) et au risque d'un décrochage de ces établissements, préjudiciable à la fois au maillage territorial et à l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur dans le domaine artistique entre les territoires.
Après les alertes lancées en début d'année par les étudiants, les directeurs et le personnel des écoles supérieures d'art territoriales faisant état du risque qu'un tiers des écoles termine l'année 2023 en situation de déficit, corroboré par l'annonce de la fermeture de l'école de Valenciennes à compter de la rentrée 2025, le ministère de la culture a débloqué en mars 2023 une enveloppe d'urgence de 2 millions d'euros, répartie entre les écoles selon plusieurs critères (notamment gravité de la situation de l'établissement, convergence des dotations vers la moyenne de 1 700 euros par étudiant, prise en compte du niveau de soutien financier des collectivités territoriales). Parallèlement, la ministre a confié à Pierre Oudart, directeur général de l'Institut d'enseignement artistique Marseille Méditerranée, le soin de dresser un bilan de la situation des trente-trois écoles d'art territoriales afin de formuler des préconisations autour d'évolutions adaptées.
Source : Commission de la culture, de
l'éducation et de la communication |
Le financement des écoles d'art territoriales
Très majoritairement financées par les collectivités (à hauteur de plus de 80 %), à l'origine de leur création, les écoles d'art territoriales, qui délivrent le même diplôme national que les écoles nationales d'art, sont faiblement accompagnées par l'État, en dépit de la progression de ses dotations ces dernières années.
La part de l'État dans le financement des écoles territoriales s'établit en moyenne à 12 %, mais varie, selon les écoles, entre 2 % (école supérieure d'art Pays Basque) et 37 % (école européenne supérieure de l'image d'Angoulême Poitiers).
Pierre Oudart observe, dans son rapport, que ces écoles « n'ont jamais été, depuis près de quinze années, vraiment défendues sur le plan budgétaire au sein de l'appareil de l'État. »
Si les crédits inscrits au titre du projet de loi de finances pour 2024 pérennisent cette enveloppe de 2 millions d'euros, ils n'évoluent pas davantage. La commission alerte depuis plusieurs années sur la nécessité de prêter une attention particulière à la situation de ces écoles afin d'éviter que ne se développe un enseignement à deux vitesses.
Dans le prolongement des amendements déposés les années antérieures, elle a présenté un amendement visant à accroître de 16 millions d'euros les crédits de l'État en faveur de ces écoles (7 millions d'euros au titre de la compensation du point d'indice ; 5 millions d'euros afin d'adapter la dotation de fonctionnement à l'accroissement des missions et à l'inflation ; 2 millions d'euros au titre de l'exonération des étudiants boursiers ; et 2 millions d'euros au titre de la réforme du statut des enseignants). Cette revalorisation constituerait un signal fort en direction des écoles supérieures d'art territoriales tout en offrant à l'État les moyens de mettre en oeuvre la feuille de route préconisée par le rapport de Pierre Oudart, remis à la ministre de la culture en octobre dernier. Elle serait par ailleurs plus cohérente avec la priorité budgétaire accordée à la jeunesse depuis quelques années, notamment au travers du pass Culture, en offrant aux jeunes sensibilisés à l'art au cours de leur parcours d'éducation artistique et culturelle des débouchés dans l'enseignement supérieur.
La rapporteure a pu constater qu'en dépit de leur situation plus favorable, les écoles nationales supérieures d'art sont également confrontées à d'importantes difficultés de fonctionnement.
La réalisation d'une cartographie de l'enseignement supérieur en art revêt, pour la rapporteure, un caractère d'urgence afin d'assurer un bon maillage territorial ou de préserver la singularité de certaines des écoles.