B. UNE INFORMATION INCOMPLÈTE MISE À LA DISPOSITION DU PARLEMENT CONCERNANT LE POIDS RÉEL DES RETRAITES POUR LES DÉPENSES PUBLIQUES
1. La cotisation « employeur » de l'État et des collectivités territoriales permet de pallier les déficits des régimes de retraite des fonctionnaires
Le financement de la plupart des régimes de base de retraite ne repose donc pas exclusivement sur les cotisations versées mais sur une subvention versée par l'État. Toutefois, le régime des fonctionnaires civils et militaires de l'État constitue un cas particulier : l'État étant lui-même l'employeur, plutôt que de verser une cotisation « employeur » qu'il complèterait par une subvention permettant d'équilibrer le système, il verse directement une cotisation dite « d'équilibre ». Un même système est utilisé pour le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL).
Ainsi, les taux de cotisation dits « employeurs » de l'État et des collectivités territoriales sont très supérieurs aux autres taux de cotisation des autres caisses de retraites. Le taux de cotisation dit « employeur » est de 74,28 % pour les fonctionnaires civils de l'État et de 126,07 % pour les militaires ; celui de la CNRACL est de 31,65 %19(*). Pourtant, le taux de cotisation employeur pour les entreprises dont les salariés sont affiliés au régime général, soit les trois quarts des cotisants, n'est que de 8,55 % sur les revenus inférieurs au plafond de la sécurité sociale (PASS, valant 43 992 euros en 2023). Les revenus au-delà du plafond annuel de la sécurité sociale sont prélevés à hauteur de 2,02 % et n'ouvrent pas de droit à retraite.
Il apparait ainsi que l'État et les collectivités territoriales abondent très largement les systèmes de retraite des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. Ces subventions déguisées n'apparaissent pourtant qu'au titre de la contribution d'équilibre de l'État, ce qui constitue un obstacle à la compréhension des équilibres globaux du système. L'inconvénient de ce système est qu'il contribue à masquer le coût réel du système des retraites pour les finances publiques. Le rapport du PLF 2025 « Régimes sociaux et de retraites » explicite également ce dispositif.
Taux de cotisation salarial et patronal de certains régimes de base de retraites
(en pourcentage)
PASS : plafond de la sécurité sociale, valant 43 992 euros en 2023.
Source : commission des finances à partir des données de la Commission des comptes de la Sécurité sociale
Il serait intéressant de distinguer parmi les cotisations « employeur » d'équilibre versée par l'État et par la CNRACL la part qui relève d'un taux de cotisation employeur normal, proche du régime général, et la part qui relève en réalité d'une subvention de ces régimes par les dépenses publiques.
Une évaluation a été effectuée en ce sens notamment par M. Jean-Pascal Beaufret20(*) en 2023 dans la revue Commentaires, ainsi que par le Haut-Commissariat21(*) au plan en 2022. Conformément au décret du 20 juin 201422(*), il est possible de retenir un taux de cotisation (employeur et salarié), de 28 %, qui correspond au plafond maximum possible. Ce taux de 28 % appliqué aux traitements des fonctionnaires de l'État et des collectivités permet d'obtenir un montant de cotisations dit « normal » qui correspond à ce que verseraient l'État, les opérateurs de l'État et la CNRACL si elles n'abondaient pas ces cotisations pour équilibrer le système des retraites. Le restant de ce qui est versé correspond en réalité aux subventions versées par l'État et les collectivités en plus des cotisations dites « normales ».
Cotisation « normale » et
subvention aux régimes des fonctionnaires
de l'État et des
collectivités
(en milliards d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances
Il apparait ainsi que le montant de cotisations dit « normal » versé à titre d'employeur s'élève à 18,1 milliards d'euros pour l'État et ses opérateurs et à 15,62 milliards d'euros pour la CNRACL. Le montant de subvention versé par l'État et ses opérateurs correspond à 41,6 milliards d'euros, dont 36,1 milliards d'euros au titre de l'État seul. Les collectivités verseraient 8,2 milliards d'euros de subvention pour financer le système des retraites. Ainsi, au total, le système des retraites des fonctionnaires serait subventionné par les administrations publiques à hauteur de 49,9 milliards d'euros. Seuls 33,8 milliards d'euros constitueraient des cotisations « employeur » proches de ce que versent les employeurs privés. Pour la fonction publique d'État, il s'agit d'un surcoût annuel de 18 400 euros par bénéficiaire.
Une telle analyse permet de comprendre l'ampleur des dépenses publiques que représente le système des retraites.
2. Un système largement déficitaire dont le financement repose sur l'endettement de l'État et des administrations publiques
Le subventionnement par l'État et les collectivités des régimes de retraite implique que le poids des retraites pour les dépenses publiques est autrement plus important que ce qui est habituellement présenté. Ainsi, selon ce calcul, les cotisations dites « normales » représenteraient 252,6 milliards d'euros, soit 67 % des dépenses du système des retraites. Les subventions des administrations publiques au système des retraites s'élèveraient à 75,5 milliards d'euros, décomposées ainsi :
- l'État subventionnerait le système des retraites à hauteur de 53,3 milliards d'euros, dont 41,6 milliards d'euros pour le système de retraites des fonctionnaires, 7,8 milliards d'euros de subventions aux autres régimes spéciaux et 3,9 milliards d'euros au titre des compensations d'exonérations de cotisations sociales ;
- les collectivités subventionneraient à hauteur de 8,2 milliards d'euros ;
- Et enfin la CNAF et l'UNEDIC subventionneraient le système à hauteur respectivement de 10,3 milliards d'euros et 3,7 milliards d'euros.
Une telle observation peut être généralisée aux années récentes : ainsi, depuis 2014, le montant des subventions des administrations publiques au système des retraites, hors cotisations jugées « normales », oscille entre 66 et 75 milliards d'euros.
Évolution des différentes recettes
et des dépenses du système des
retraites
depuis 2014
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances
Ainsi, si l'on considère que les subventions des administrations publiques (État, collectivités et administrations de sécurité sociale) ne doivent pas être comptabilisées dans les ressources du système du financement des retraites, le besoin de financement s'élève à 72 milliards d'euros en 2023. Il était déjà de 68 milliards d'euros en 2022.
Évolution des recettes, des dépenses
et du déficit du système des retraites
hors subventions des
administrations publiques
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances
Considérée sous cet angle, la vision d'ensemble du solde du système des retraites change fondamentalement. Il est très regrettable que le Parlement ne dispose pas, à ce jour, d'une analyse complète dans un document unique présenté au vote lors de la période budgétaire et portant sur le coût de l'ensemble du système des retraites, tous régimes confondus.
* 19 Ce taux est appliqué sur le traitement indiciaire hors prime des fonctionnaires.
* 20 Retraites obligatoires et déficits publics, Commentaires, été 2023 ; Les trois singes et les finances publiques, Commentaires, automne 2024.
* 21 Retraites, une base objective pour le débat civique, Haut-Commissariat au plan, décembre 2022.
* 22 Décret n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au comité de suivi des retraites.