B. ... MAIS RESTE INSUFFISANT POUR RÉSOUDRE CE QUI EST UN PROBLÈME STRUCTUREL
1. Le lourd héritage du sous-investissement...
Au total, le rapport d'information de notre collègue Bruno Belin a mis en évidence une « dette grise », constituée du différentiel entre les besoins d'investissements annuels de 300 millions, puis 400 millions d'euros et les investissements réalisés, de 2,2 milliards d'euros sur dix ans :
Source : commission des finances du Sénat
Ce sous-investissement constant s'est accompagné d'un recours de plus en plus fréquent au locatif, notamment grâce à deux décrets : celui du 28 janvier 1993 qui permet aux collectivités de participer au financement d'immeubles destinés à la gendarmerie avec un concours de l'État, et celui du 26 décembre 2016 qui s'applique aux organismes publics d'habitations à loyer modéré (OPHLM), avec la garantie financière des collectivités.
2. ... et le poids croissant des loyers
Le locatif, qui revient à terme plus cher que le domanial, présente en revanche l'avantage de ne pas comporter de coûts d'amorçage. C'est ainsi en opportunité qu'il a été décidé de recourir au locatif pour le logement des 239 nouvelles brigades (voir plus loin). Ainsi, sur les 923 millions d'euros que la gendarmerie nationale a consacrés en 2023 à son parc immobilier, 64 % étaient constitués par les loyers - soit 590 millions d'euros en CP. Cette dépense non pilotable représentait ainsi en 2023 38% du total du « hors T2 », ce qui réduit considérablement les marges de manoeuvre du responsable du programme. En 2024, l'enveloppe loyers consommée s'élevait à 603 millions d'euros - contre 497 millions d'euros en 2019, c'est-à-dire une hausse de 21,3%. Pour 2025, l'enveloppe sera de 628 millions d'euros.
Au-delà des conséquences financières, le recours au locatif auprès des collectivités et des OPHLM présente également des difficultés intrinsèques liées à l'absence de révision des coûts-plafonds, indice utilisé pour fixer le loyer versé aux collectivités et OPHLM qui s'engagent dans la construction de casernes4(*). Ces coûts-plafonds sont révisés chaque trimestre en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction (ICC) publié par l'Insee, mais celui-ci ne tient pas compte des coûts spécifiques aux exigences de sécurisation des emprises de la gendarmerie. De l'aveu même de la direction générale de la gendarmerie nationale, les coûts-plafonds applicables sont inférieurs de 30% à 50% aux coûts réels supportés par le maître d'ouvrage5(*), ce qui a évidemment un effet puissamment désincitatif pour les collectivités, à l'heure où elles sont sollicitées pour l'implantation des 239 nouvelles brigades.
Un groupe de travail associant les ministères de l'intérieur et des finances formé en 2019 a donc recommandé une révision des conditions financières pour les collectivités et OPHLM. Or la révision des coûts-plafonds n'a toujours pas eu lieu. Le général Christian Rodriguez, alors DGGN, s'était pourtant déclaré optimiste quant à la parution prochaine du décret lors de son audition par l'Assemblée nationale le 11 octobre 2023. Les rapporteurs ne peuvent donc que s'associer au rapporteur Bruno Belin de la commission des finances pour réclamer une révision rapide des coûts-plafonds, qui, si elle entraînera un renchérissement de 3 à 5 millions d'euros par an des loyers, est indispensable pour impliquer les collectivités et les OPHLM dans une relation de confiance avec la gendarmerie - confiance qui a pu être ébranlée par ailleurs par le non-paiement de loyers intervenu en fin d'année 2024 (voir encadré).
Le retard de paiement des loyers de certaines casernes : un dangereux précédent
Le ministère de l'intérieur a annoncé, le 8 octobre, que la gendarmerie avait suspendu le paiement des loyers de certaines casernes aux collectivités. La première raison est la crise en Nouvelle-Calédonie, qui a fortement mobilisé la gendarmerie et représente, selon le responsable du programme, un coût estimé, hors titre 2, de 127 millions d'euros. La seconde est une sous-estimation importante des dépenses consacrées à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques : l'évaluation initiale était de 89 millions d'euros, les dépenses finales ont été de 122 millions d'euros.
Dans un cadre de sous-budgétisation du « hors T2 » dans la loi de finances pour 2024, et de la priorité donnée à l'activité opérationnelle, il a été décidé de suspendre le paiement de certains loyers sur les mois de septembre, octobre et novembre. Le report porte exclusivement sur les bailleurs institutionnels de métropole, au nombre de 5 079, pour un montant total de 90,1 millions d'euros de loyers suspendus.
Cette situation devrait être résolue sous réserve du vote de la loi de fin de gestion, qui permettra de mettre à disposition du responsable du programme les crédits nécessaires.
Cet incident de gestion a des conséquences sur trois plans :
- des conséquences financières, avec 1,6 million d'euros de pénalités de retard attendues ;
- des conséquences sur la confiance des collectivités envers la gendarmerie, alors qu'elles seront particulièrement sollicitées pour le logement des 239 nouvelles brigades ;
- des conséquences d'image auprès du grand public : la nouvelle a eu un large écho, écornant la réputation de fiabilité et de solidité de la gendarmerie nationale.
3. Explorer des montages alternatifs
Il conviendrait donc d'inverser la tendance en recourant, lorsque cela est possible, aux marchés de partenariat ; ce cadre juridique, qui a succédé aux AOT/LOA6(*) avec l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, porte une forme de partenariat public/privé qui présente l'avantage de lisser les coûts, tout en garantissant, à terme, le retour en propriété à la gendarmerie. À cet égard, les rapporteurs notent avec satisfaction que le marché de partenariat est l'option privilégiée pour le projet de Versailles-Satory, l'opération la plus structurante pour l'immobilier de la gendarmerie dans les prochaines années.
Pour le locatif, une solution est également à l'étude par la Caisse des dépôts et consignations pour le financement de constructions de casernes par les collectivités et leur prise à bail par la gendarmerie. C'est le système de la redevance transparente, déjà utilisé dans le logement social, où le loyer payé par le locataire est égal aux annuités payées par le bailleur pour financer le bâtiment, auxquelles s'ajoutent une provision pour financer les travaux à venir et ses coûts annexes (TFPB, frais de gestion)7(*). Cela permettrait de rationaliser la gestion du locatif,
Ils se félicitent également de l'annonce d'une « programmation budgétaire triennale voire quinquennale » qui permettra de « lister de manière priorisée les investissements immobiliers à réaliser » puis de les intégrer aux schémas directeurs immobiliers régionaux »8(*). Cette annonce est complétée et confirmée par celle du nouveau DGGN, le général Bonneau, lors de son audition du 13 novembre 2024 devant le Sénat : « J'ai demandé au directeur des soutiens et des finances d'élaborer un schéma directeur de l'immobilier qui intègre non seulement la partie domaniale, mais aussi la partie locative ». Au-delà des moyens financiers, un véritable pilotage de l'immobilier de la gendarmerie est une urgence et une nécessité.
* 4 Respectivement dans le cadre fixé par la circulaire du 28 janvier 1993 relative aux conditions de prise à bail par l'État des locaux destinés aux unités de gendarmerie départementale, édifiés par les collectivités territoriales, et celui du décret du 26 décembre 2016 relatif aux conditions de réalisation et de financement d'opérations immobilières par les offices publics de l'habitat et les sociétés d'habitations à loyer modéré financées par des prêts garantis par les collectivités territoriales et leurs groupements, destinées aux unités de gendarmerie nationale, aux forces de police nationale, aux services départementaux d'incendie et de secours et aux services pénitentiaires.
* 5 Selon le rapport sur l'immobilier de la gendarmerie nationale.
* 6 Autorisations temporaires d'occupation du domaine public assorties d'une location avec option d'achat, créées par la loi d'orientation pour la sécurité intérieure (Lopsi) du 29 août 2002.
* 7 Dans le prolongement du rapport sur l'immobilier de la gendarmerie nationale, la commission des finances
* 8 Réponse au questionnaire adressé par les rapporteurs à la direction des soutiens et des finances.