L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 4 décembre 2024, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », doté de 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement pour 2025 qu'elle propose de modifier par 2 amendements.
Ce budget est marqué par une sanctuarisation de l'enveloppe dédiée à ce programme en période de consolidation budgétaire. En dépit de cet effort, les organismes gestionnaires apparaissent cette année au bord de la rupture face à une crise du logement embolisant le dispositif d'hébergement et des difficultés dans les modalités de versement des financements par les pouvoirs publics.
Cette sous-budgétisation chronique, qui ne constitue pas un dérapage budgétaire, met les associations en péril : à situation inchangée, 50 % d'entre elles pourraient disparaître d'ici fin 2025.
I. AUGMENTATION DU PUBLIC SANS DOMICILE : LA NÉCESSITÉ DE MAINTENIR L'EFFORT BUDGÉTAIRE
A. LE SUCCÈS DU PREMIER PLAN LOGEMENT D'ABORD ET LE DÉPLOIEMENT EN COURS DU SECOND PLAN
La politique d'hébergement est une compétence de l'État1(*), à l'exception de la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées d'un enfant de moins de trois ans dont la compétence relève, en théorie2(*), des départements3(*). Le programme 177 prévoit les crédits de l'État en matière d'hébergement, de parcours vers le logement et d'insertion des plus vulnérables.
En 2018, le Gouvernement a lancé une vaste refonte de la politique d'hébergement et d'insertion par le logement via le premier plan « logement d'abord ». Ce plan quadriennal (2018-2022) a rénové l'approche de la politique d'hébergement, en adoptant une approche globale : accélération du déploiement de dispositifs innovants au bilan positif (intermédiation locative, pension de famille, un chez-soi d'abord), attribution croissante de logements sociaux et très sociaux aux personnes sans domicile, prévention renforcée des ruptures de parcours résidentiel, pilotage unifié par la Direction à l'hébergement et à l'accès au logement.
Évolution du nombre de places d'hébergement généraliste
Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dhal
L'un des principaux succès du premier plan « logement d'abord » tient à la fin de la gestion « au thermomètre » de l'hébergement, consistant à ouvrir des places en urgence durant la période de grand froid. Cette approche a été remplacée par une mise à disposition annuelle des places. En parallèle, la crise sanitaire a entraîné une augmentation significative du nombre de places dans le parc d'hébergement généraliste pour atteindre, en moyenne annuelle, 203 000 places ouvertes. Depuis, le parc se maintient à ce niveau historique. Trois dispositifs portent notamment cette hausse du nombre de places : les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) proposant un accompagnement social soutenu, les centres d'hébergement généralistes (CHU) et les nuitées en hôtel social.
Répartition régionale des places d'hébergement (hors hôtel) au 31 décembre 2023
Source : commission des affaires sociales, d'après la Dhal
Si l'hôtel est le mode d'hébergement ayant le plus augmenté durant la crise sanitaire, pour répondre à l'urgence de la situation, il est à noter qu'il est aussi celui qui offre le plus faible accompagnement social. Il n'est donc pas souhaitable de maintenir à ce niveau le nombre de nuitées hôtelières. Il est à noter qu'après un pic atteint en 2020, le nombre de nuitées hôtelières est en réduction constante, sans pour autant revenir à son niveau pré-crise sanitaire. Ce mode d'hébergement se concentre dans les régions urbaines et dans lesquelles le parc d'hébergement et de logement sont saturés : 90 % des nuitées hôtelières se concentrent dans les métropoles.
Répartition régionale des places en hôtel social au 31 décembre 2023
Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dhal
Selon le Gouvernement, le bilan du premier plan « logement d'abord » (2018-2022) est positif :
440 000 personnes ont trouvé un logement ;
40 000 places d'intermédiation locative ont été créées ;
6,6 % des logements sociaux ont été attribués à des ménages sans domicile en 2022.
Le deuxième plan « logement d'abord » (2023-2027) fixe des objectifs ambitieux : maintien du parc d'hébergement à 203 000 places, réduction de la part des nuitées hôtelières, création de 30 000 places d'intermédiation locative ainsi que de 10 000 places de pension de famille, et recrutement de 500 ETP dans la veille sociale. Ce plan est en cours de déploiement.
B. UNE POPULATION SANS DOMICILE EN AUGMENTATION ET AUX PROFILS DIVERSIFIÉS
La statistique publique sur la population sans domicile est lacunaire et datée. La dernière enquête « Sans domicile » de l'Insee date de 2012 et la méthodologie employée ne permettait pas de dégager une vision globale sur le sans-domicilisme en France (absence de ventilation genrée des données, concentration sur le seul public francophone et fréquentant des services d'aide). La prochaine enquête devrait être publiée en 2026, mais le rapporteur souligne que l'absence de régularité dans la collecte de ces données réduit l'efficience du pilotage de la politique d'hébergement.
Pour autant, les décomptes et baromètres des associations du secteur permettent de constater une croissance continue du nombre de personnes sans domicile en France. Ainsi, entre 2012 et 2023, ce nombre est passé est de 133 000 à 330 000, soit une hausse de 153 %. Toutefois, les stratégies d'invisibilisation et le non-recours aux dispositifs de soutien aux personnes sans domicile rendent difficiles la collecte de données fiables en la matière.
Par la précarisation de la société et la crise du logement, les profils des personnes sans domicile, longtemps cantonnées à un public marginalisé, évoluent. Entre 2013 et 2021, parmi les individus hébergés, la part des enfants est passée de 22 % à 35 %, tandis que celle des personnes seules sans enfant a diminué de 13 points. Ce public se féminise, la part des femmes dans la population hébergée passant de 36 % à 46 % sur cette période.
Évolution de la population sans domicile
Source : Commission des affaires sociales, d'après les enquêtes ES-DS de la Drees et les baromètres de la Fondation abbé Pierre
C. UN TISSU ASSOCIATIF AU BORD DE LA RUPTURE FACE À UN PARC D'HÉBERGEMENT SATURÉ
Les associations sont la cheville ouvrière de la politique d'hébergement par leur rôle d'organismes gestionnaires de places mais aussi de services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). Si les crédits dédiés au programme 177 ont augmenté de 900 millions d'euros entre 2017 et 2024, ces structures sont aujourd'hui au bord de la rupture face à une triple crise : crise des financement, crise de croissance, crise des vocations.
Les structures de l'hébergement connaissent une crise financière majeure liée à la sous-budgétisation chronique du programme 177, conduisant, au cours de l'année, à des suppressions de crédits, à de retards de versement des subventions, mais aussi à des paiements partiels de services faits. La guerre en Ukraine est un exemple de ce modèle défaillant de financement, aucune ligne budgétaire n'ayant jamais été prévue en loi de finances initiale pour financer l'hébergement des bénéficiaires de la protection temporaire.
Crise du financement des structures d'hébergement d'urgence
Source : Commission des affaires sociales
Les opérateurs de l'hébergement connaissent également une crise de croissance. Le fort accroissement du parc d'hébergement généraliste ne s'est pas accompagné d'une transformation de l'organisation de la veille sociale : le service d'information SIAO n'est pas abouti ni totalement déployé, la gestion des ressources humaines est défaillante, et les modes de financement ne répondent plus aux besoins des structures.
Enfin, les structures du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion souffrent d'une pénurie de recrutement. Si les revalorisations prévues par le Ségur social ont permis des hausses des rémunérations, il apparaît que les conditions de travail sont un frein à l'attractivité des métiers de ce secteur. Ainsi, le Samusocial de Paris relève que ses écoutants ont, en moyenne, 7 mois d'ancienneté, signalant un renouvellement régulier des effectifs. Les associations ont souligné leurs difficultés à recruter, mais surtout à fidéliser ces travailleurs sociaux qui ne trouvent pas de sens à leur travail, voire qui éprouvent un malaise face à celui-ci.
La mise en place, de façon formelle ou informelle, de critères de priorisation, devenues des critères de conditionnalité, d'accès à l'hébergement d'urgence a renforcé ce mal-être. L'impossibilité d'offrir des solutions à des publics vulnérables crée un sentiment de maltraitance pour les travailleurs sociaux. En sus, le tri opéré parmi les publics vulnérables remet en cause le principe d'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence4(*). Aujourd'hui, à Paris, sont considérées comme prioritaires dans l'accès à l'hébergement les seules femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 8 mois et celles dont un enfant a moins de 3 mois.
La part des demandes non pourvues s'accroît depuis 2022 pour atteindre 60 % en moyenne entre janvier et juillet 20245(*), contre 34 % en 20226(*). En 2023, 90 % des demandes non pourvues le sont du fait d'un manque de places disponibles ou compatibles avec la composition du ménage7(*). Cette hausse des demandes non pourvues est d'autant plus inquiétante que 70 % des ménages à la rue n'ont plus recours au « 115 » selon Interlogement 93. La saturation du parc d'hébergement, en dépit de la hausse continue du nombre de places disponibles, est devenue un facteur de départ pour les travailleurs sociaux dont le métier perd son sens.
La gestion de l'accueil des déplacés ukrainiens
Depuis la guerre en Ukraine, la France accueille environ 100 000 Ukrainiens, bénéficiant du statut de la protection temporaire de l'Union européenne et non du statut de demandeur d'asile.
En 2023, environ 37 700 Ukrainiens bénéficiaient d'un dispositif pris en charge par le programme 177 : 22 700 au titre de l'intermédiation locative et 15 000 personnes au titre de l'hébergement citoyen accompagné par l'État. En 2024, il est estimé que le nombre de déplacés pris en charge par l'État se réduira à 32 000 personnes. Par ailleurs, 68 000 Ukrainiens présents sur le territoire sont autonomes.
Si le déploiement rapide de solutions d'hébergement et de logement adapté est à saluer, il convient de relever que les dispositifs et les financements proposés ne répondent pas aux besoins des acteurs.
En matière de financement, l'absence de budgétisation des ressources nécessaires à l'accueil de ce public a engendré des difficultés de trésorerie pour les organismes gestionnaires. Dans certains territoires, alors que le recours à la carte ADA par les Ukrainiens empêche tout prélèvement, les associations ont pris à leur charge les contrats de fluides (gaz, électricité, eau), dont les montants n'ont pas été remboursés.
En matière de dispositifs d'hébergement et de logement adapté, le public restant à la charge du programme 177 correspond à un public vulnérable, souvent en incapacité de travailler (vieillesse, handicap, mère célibataire, absence de cours de français) pour lequel il n'est pas possible d'envisager un glissement des baux.
La fin prématurée des financements à destination des déplacés ukrainiens pourrait mettre à la rue une partie de ce public. L'absence de prévisibilité et de solution de repli conduisent les Ukrainiens à demander massivement l'asile, risquant d'emboliser davantage le dispositif national d'accueil des personnes demandant asile.
Le rapporteur insiste sur l'importance de prévoir une ligne budgétaire dédiée à l'hébergement, l'accompagnement social et l'insertion par le logement des déplacés ukrainiens afin d'éviter une crise sociale et diplomatique, mais aussi le report de ce public sur la demande d'asile, qui serait par ailleurs contraire à la notion d'accueil temporaire, dans l'attente d'un retour pour reconstruire l'Ukraine. À son initiative, la commission a adopté à cette fin l'amendement n° II-1725 dotant cette action de 30 millions d'euros.
II. BUDGET 2025 : UNE SANCTUARISATION BIENVENUE DES CRÉDITS, DES MESURES DE PÉRIMÈTRE QUI INTERROGENT
A. UN PROGRAMME AUX CRÉDITS SANCTUARISÉS EN COHÉRENCE AVEC LE DEUXIÈME PLAN LOGEMENT D'ABORD
Alors que le projet de loi de finances a été déposé dans le cadre d'une période de consolidation budgétaire de l'ordre de 60 milliards d'euros, les crédits du programme 177 ont été sanctuarisés à hauteur de 2,93 milliards d'euros de crédits de paiement. Cette sanctuarisation témoigne d'une volonté du Gouvernement de ne pas faire de la politique d'hébergement une variable d'ajustement budgétaire. Ainsi, entre 2017 et 2024, les crédits dédiés à ce programme ont augmenté de 45 %.
Cette sanctuarisation du budget répond aux besoins d'investissements du deuxième plan « logement d'abord ». Il est à noter qu'en 2023, 6 699 places d'IML ont été créées, ainsi que 9 057 places en pension de famille et 5 033 logements agréés résidences sociales. Les objectifs de construction de 2023 ont donc été atteints, à l'exception des pensions de famille ; ceux de 2024 semblent être également en passe de l'être d'après les données disponibles sur le premier semestre.
Résultats des objectifs annuels de création de places en 2023
Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dhal
Pour 2025, la loi de finances apparaît en cohérence avec le deuxième plan « logement d'abord » en matière de logement adapté. L'enveloppe de l'intermédiation locative est réduite de 5,5 millions d'euros. Cependant, cette baisse est liée à une évolution du périmètre et à la prise en compte de la sous-exécution de l'IML. Ces deux facteurs purgés, les crédits de l'IML issue du « plan logement » d'abord sont en hausse de 10 millions d'euros. L'enveloppe dédiée aux pensions de famille augmente du même montant pour atteindre 182,4 millions d'euros, tandis que celle à destination des résidences sociales est constante.
Le rapporteur tient à saluer l'effort réalisé en matière de veille sociale, le budget passant de 212,5 à 236,5 millions d'euros, soit une augmentation de 11,3 %. En année pleine, le coût des 500 ETP supplémentaires dans les SIAO s'élève à 36 millions d'euros. Depuis 2024, le budget de la veille sociale a augmenté de 46 millions d'euros, finançant les ETP supplémentaires. Cette augmentation permet également de corriger un écart de budgétisation historique de 3 % entre la loi de finances initiale et l'exécution faite.
Enfin, il reste à souligner que le coût des mesures du Ségur, estimé à 88 millions d'euros, a été mal compensé dans le secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion. Le rapporteur insiste sur la nécessité d'une compensation intégrale pour les structures du secteur.
B. DES MESURES DE PÉRIMÈTRE EN CONTRADICTION AVEC L'OBJECTIF DE MAINTIEN DE LA TAILLE DU PARC D'HÉBERGEMENT
Si les crédits du programme 177 sont préservés, les mesures de périmètre prévues par le projet de loi de finances pour 2025 apparaissent comme étant incohérente avec l'objectif de maintien du parc d'hébergement. Les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 16 % entre la loi de fin de gestion pour 2024 et la loi de finances initiale pour 2025. Ce sont notamment les crédits de l'hébergement d'urgence qui sont en chute de 25 %, tandis que l'enveloppe dédiée aux CHRS connaît une légère augmentation.
Évolution des crédités dédiés à l'hébergement
(en millions d'euros)
Source : Commission des affaires sociales, d'après les projets de loi de règlement (2012-2023), le projet de loi de fin de gestion pour 2024 et le projet de loi de finances initiale pour 2025
Or, en moyenne, le coût par place d'une nuitée hôtelière est de 19,09 euros, de 26,05 euros en centre d'hébergement d'urgence et de 38,58 euros en CHRS8(*). À moins de recourir davantage aux hôtels sociaux, le maintien de 203 000 places d'hébergement n'apparaît pas compatible avec la diminution de 74 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, et ce même en tenant compte de l'augmentation de 38 millions d'euros des crédits dédiés aux CHRS.
Les nuitées hôtelières sont une économie de court terme mais engendrent un coût social élevé à moyen terme. 72 % des familles hébergées sont en hôtel9(*). Pourtant, ces structures ne disposent pas de cuisine, sont souvent insalubres et ne bénéficient pas d'un accompagnement social suffisant. Les enfants ne peuvent pas y développer leur autonomie, leur vie affective et étudier. Il est constaté que 19,2 % des enfants sans domicile, dont une majorité réside à l'hôtel, ont des troubles suspectés de santé mentale contre 8 % pour la population générale10(*). La promiscuité avec un public parfois marginal, alimente un sentiment d'insécurité pour ces familles et peut créer chez les enfants un trouble réactionnel à la précarité.
C. LE RISQUE D'UNE SOUS-BUDGÉTISATION DES BESOINS RÉELS
Depuis 2017, le programme 177 fait l'objet d'une sous-budgétisation chronique. Selon la Cour des comptes11(*), seule la loi de finances pour 2022, année de prise en main du pilotage du programme 177 par la Dihal, a été correctement budgétisé - bien que la guerre en Ukraine et le déploiement du Ségur aient conduit à un abondement de 700 millions d'euros en fin d'année.
Pour l'année 2024, le projet de loi de fin de gestion prévoit 250 millions d'euros supplémentaires à destination du programme 177. Cet abondement n'est pas le révélateur d'un dérapage budgétaire, mais d'une sous-budgétisation chronique d'environ 250 millions d'euros qui se retrouve d'année en année et qui a des répercussions majeures tant en matière de pilotage que de contrôle de la politique publique d'hébergement.
Sous-budgétisation du programme 177
(en milliards d'euros)
Source : Commission des affaires sociales, d'après les lois de finances et de règlement (2019-2023), et les projets de loi de finances initiale et de fin de gestion pour 2024
La sous-budgétisation participe à la dégradation de la trésorerie du tissu associatif et à une inefficience dans le pilotage du parc d'hébergement. Pour le tissu associatif, la sous-budgétisation, conjuguée à la réserve de précaution et au surgel de crédits, engendre un déblocage tardif des crédits à leur destination, notamment pour les organismes gestionnaires au régime de la subvention. Ainsi, environ 40 % des subventions annuelles des centres d'hébergement d'urgence sont versées en novembre et en décembre, les associations devant avancer ces frais sur leur trésorerie12(*) et fonctionner sans visibilité. Si la situation perdure, les associations estiment que 50 % des organismes gestionnaires pourraient disparaître d'ici fin 2025.
Répartition mensualisée des
versements annuels de subventions
aux centres d'hébergement
d'urgence (hors hôtels) en 2023
Source : Commission des affaires sociales, d'après la Cour des comptes (2024)
En matière d'efficience de la dépense publique, cette sous-budgétisation avec un abondement hivernal de crédits crée des surcoûts : les services déconcentrés sont surmobilisés durant le dernier trimestre pour signer des avenants aux conventions et financer les associations, les organismes gestionnaires débloquent des places en urgence coûtant plus cher que si elles avaient été programmées, et aucun contrôle réel de la dépense ne peut avoir lieu.
Concernant le contrôle de la politique d'hébergement, la sous-budgétisation chronique est le marqueur, selon la Cour des comptes, d'un « défaut de sincérité »13(*). La loi de finances de fin de gestion, abondant le programme au mois de décembre des crédits manquants, est laconique dans ses justifications, privant le Parlement d'une capacité de contrôler l'action du Gouvernement. À titre d'exemple, le projet de loi de fin de gestion pour 2024 précise uniquement que les 250 millions d'euros supplémentaires financeront de l'hébergement d'urgence, sans plus de détails.
Ainsi, face à cette sous-budgétisation chronique, il apparaît nécessaire de créer les conditions d'un retour à une gestion saine des crédits pour assurer un pilotage efficient du parc d'hébergement. Pour répondre à cet objectif, le rapporteur considère qu'il est indispensable d'allouer, dès la loi de finances initiale, le montant adéquat et de réduire à 0,5 % des crédits la réserve de précaution qui est consommée tous les ans. À l'initiative du rapporteur, la commission a adopté à cette fin l'amendement n°II-1742 qui abonde de 250 millions d'euros les crédits du programme. En parallèle, il conviendrait de revoir la nature des centres d'hébergement d'urgence financés par subventions. Pour cela, une nouvelle catégorie d'ESSMS pourrait être créée afin que les CHU disposent d'un versement par douzième des financements prévus par un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.
Effets de la sous-budgétisation
Source : Commission des affaires sociales
Réunie le mercredi 4 décembre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission Cohésion des territoires, sous réserve de l'adoption de deux amendements nos II-1725 et II-1742 visant respectivement à garantir le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens déplacés en France et à corriger une sous-budgétisation chronique du programme.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 décembre 2024 sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2025 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons maintenant le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ». - Le programme 177 constitue l'un des piliers de la mission « Cohésion des territoires ». Au coeur de la politique de lutte contre le sans-abrisme en France, il finance l'hébergement et l'accompagnement social des personnes sans domicile.
Aujourd'hui, la responsabilité de ces dispositifs incombe principalement à l'État, à une exception près : la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans, qui relève, en principe, de la compétence des départements. Le programme 177 soutient un hébergement généraliste inconditionnel, garantissant à toute personne sans domicile un accueil digne et adapté.
Je rappelle cette distinction fondamentale, sur laquelle notre collègue, Mme Rossignol, était revenue lorsqu'elle était rapporteure d'une proposition de loi (PPL) sur le sujet : est considérée comme sans domicile une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation - comme la rue ou une voiture - ou dédié à l'hébergement - comme un centre d'hébergement, un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou chez un tiers ; est considérée comme sans abri une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation. Ainsi, si les personnes sans abri sont sans domicile, la réciproque n'est pas toujours vraie.
Avant toute chose, il m'apparaît indispensable de dresser le portrait du sans-domicilisme en France. Les statistiques publiques dont nous disposons sont lacunaires et datées. La dernière enquête de l'Insee sur le sujet a été publiée en 2012, et sa méthodologie fut vivement critiquée ; la prochaine étude sortira seulement en 2026.
Pour autant, grâce au travail des organismes gestionnaires, nous disposons d'estimations permettant de constater que le nombre de personnes sans domicile est en augmentation constante depuis 2012, passant de 133 000 à 300 000 personnes en 2021. Par ailleurs, le profil des personnes sans domicile évolue ; les femmes et les familles sont plus nombreuses, la part des enfants dans la population hébergée passant de 22 % à 35 % en dix ans.
Cependant, ces données restent parcellaires, le public sans domicile, notamment les femmes, mettant en oeuvre des stratégies d'invisibilisation et la part des personnes à la rue n'ayant plus recours au 115 étant croissante.
Le premier plan Logement d'abord, lancé en 2018, a restructuré la politique d'hébergement. La principale avancée de ce plan a été de mettre fin à la gestion « au thermomètre » des places d'hébergement. Désormais, les places sont mises à disposition toute l'année et nous n'avons plus à ouvrir en catastrophe des gymnases ou des salles des fêtes lors des périodes de grand froid.
Ce premier plan s'est accompagné d'un déploiement inédit de moyens pour sortir les personnes de la rue. Le budget dédié à l'hébergement a augmenté de 66 % depuis 2017 et de 208 % depuis 2013. Le nombre de places d'hébergement est passé de 150 000 en 2017 à 203 000 en 2023. Sur la même période, 40 000 places d'intermédiation locative ont été créées. En 2022, 6,6 % des logements sociaux ont été attribués à des ménages sans domicile. Le bilan de ce plan est sans appel : 440 000 personnes ont trouvé un logement grâce à lui entre 2018 et 2022.
En 2023, le Gouvernement a présenté le deuxième plan Logement d'abord. Celui-ci fixe des objectifs ambitieux : maintien du parc d'hébergement à 203 000 places ; réduction de la part des nuitées hôtelières dans l'hébergement d'urgence ; création de 30 000 places d'intermédiation locative ; recrutement de 500 équivalents temps plein (ETP) dans la veille sociale. À ce jour, les objectifs annuels de création de places sont globalement atteints.
En dépit de ces efforts, le parc d'hébergement est saturé, et le secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion est au bord de la rupture. Les associations, auxquelles l'État a confié la gestion de l'hébergement, sont confrontées à une triple crise de financement, de croissance et des vocations.
Concernant le financement, les organismes subissent deux phénomènes distincts mais cumulatifs : une sous-budgétisation chronique du programme et un retard dans le versement des crédits.
S'agissant de la sous-budgétisation chronique, celle-ci est estimée à 250 millions d'euros par la Cour des comptes, un montant que l'État vient abonder tous les ans en fin de gestion. Or cette sous-budgétisation entraîne des effets en cascade. En l'absence de crédits suffisants prévus dès la loi de finances initiale (LFI), les associations sont contraintes de réduire les moyens alloués à l'accompagnement social, pourtant indispensable pour une sortie durable de la rue. Elles privilégient des solutions moins onéreuses, comme l'hôtel social, et doivent ouvrir des places en urgence qui, paradoxalement, reviennent plus cher que si elles avaient été planifiées dès le début de l'année budgétaire. Cette sous-budgétisation, en plus d'être un marqueur d'insincérité budgétaire, est inefficiente ; nous pourrions faire mieux avec autant de moyens.
Concernant les modalités de versement, les centres d'hébergement d'urgence (CHU) ne sont pas des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), et sont subventionnés dans le cadre d'appels à projets, percevant ainsi les subventions suivant la règle du service fait. Or l'État est en retard dans ses paiements : 50 % des versements de subventions s'effectuent lors du dernier trimestre, pour une activité qui court sur toute l'année.
Ce mode de fonctionnement a des effets délétères sur le secteur. Les associations doivent avancer sur leur trésorerie les frais d'hébergement, les plaçant en découvert bancaire. Les subventions, versées a posteriori, ne correspondent pas toujours au montant réel dépensé, faisant peser sur les associations des charges non compensées. Enfin, les préfectures sont débordées durant le dernier trimestre et ne peuvent effectuer un contrôle correct de la dépense.
Si la situation perdure, 50 % des associations pourraient disparaître d'ici à la fin 2025. Je tiens à tirer la sonnette d'alarme. Ces associations sont aussi celles qui s'occupent de nos aînés, des personnes en situation de handicap, des plus démunis. Une bombe sociale pourrait exploser si ce tissu associatif venait à s'effondrer. L'État est un mauvais payeur et fait aujourd'hui courir le risque, par ses carences, d'un démantèlement du système d'hébergement.
Concernant la crise de croissance, la Cour des comptes relève que l'augmentation de la taille du parc ne s'est accompagnée ni d'une montée en puissance en matière de gestion des ressources humaines pour les associations ni d'une amélioration du pilotage du parc d'hébergement du fait de logiciels non interopérables. Il est à saluer qu'un nouveau système d'information soit en cours de déploiement pour optimiser la gestion du parc.
Au sujet de la crise des vocations, les organismes gestionnaires ont de plus en plus de difficultés à recruter des travailleurs sociaux. Ces derniers, mal rémunérés, sont confrontés à la gestion de la pénurie du parc d'hébergement. Alors que l'hébergement est censé être un droit inconditionnel, ils doivent trier les publics vulnérables pour offrir à une fraction de demandeurs un toit pour la nuit.
En 2024, 60 % des demandes d'hébergement sont non pourvues, faute de places, et 70 % des ménages à la rue n'appellent plus le « 115 ». À Paris, sont prioritaires dans l'accès à l'hébergement les femmes enceintes de huit mois et les femmes avec un enfant de moins de trois mois. Ces critères créent chez les travailleurs sociaux un sentiment profond de mal-être, voire même de maltraitance, conduisant à des démissions en chaîne. Au Samusocial de Paris, les écoutants ont en moyenne sept mois d'ancienneté, ce qui est le signe d'un fort renouvellement des effectifs.
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, les crédits du programme 177 sont reconduits à hauteur de 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement (CP). C'est un élément à saluer, alors que le contexte budgétaire est à la consolidation. Il convient de le répéter : l'État ne fait pas d'économies sur les personnes sans domicile.
Pour autant, je m'inquiète de l'absence de correction de cette sous-budgétisation de 250 millions d'euros et de mesures de périmètre apparaissant en contradiction avec le maintien du parc d'hébergement à 203 000 places. Les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 16 % par rapport à la loi de finances de fin de gestion (LFG) de 2024. À moins de recourir davantage aux hôtels sociaux, le maintien de 203 000 places d'hébergement n'apparaît pas compatible avec la diminution de 74 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, et ce même en tenant compte de l'augmentation de 38 millions d'euros des crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale.
Or il n'est pas souhaitable d'augmenter la part des hôtels sociaux dans le parc d'hébergement. Ces hôtels - qui n'ont d'hôtel que le nom - proposent de minuscules chambres souvent insalubres, avec parfois des punaises de lit et des cafards, sans cuisine, dans lesquelles on place des familles sans que celles-ci ne disposent d'un accompagnement social suffisant pour en sortir. Aujourd'hui, 60 % des familles hébergées le sont dans un hôtel social. Les enfants y grandissant ont si peu d'espace qu'ils ne peuvent se développer correctement ; ils sont comme amorphes et semblent anesthésiés.
Enfin, je m'inquiète de constater qu'aucune ligne budgétaire dédiée à l'hébergement des déplacés ukrainiens n'est prévue. En 2023, sur 100 000 Ukrainiens présents en France, 37 700 bénéficiaient d'un dispositif financé par le programme 177. L'absence de budgétisation des moyens nécessaires à l'accueil de ce public crée des difficultés de trésorerie pour les associations. Pire, il engendre dans certains cas une dette ukrainienne. La fin prématurée des financements à destination de ce public pourrait mettre à la rue des familles entières ayant fui la guerre, créant un risque de crise sociale et diplomatique. La population ukrainienne pourrait alors se tourner vers la demande d'asile, déjà embolisée et contraire à l'idée d'un retour en Ukraine pour reconstruire le pays après la guerre.
En cohérence, je vous propose deux amendements, en miroir de ceux déposés par la commission des affaires économiques au titre de leur avis budgétaire sur le programme 177 : un amendement de 250 millions d'euros visant à corriger la sous-budgétisation chronique du programme, au nom de la sincérité budgétaire et de l'efficience du pilotage du parc ; et un amendement de 30 millions d'euros visant à budgétiser les moyens dont ont besoin les déplacés ukrainiens.
M. Philippe Mouiller, président. - Les deux amendements de crédits, qui doublonnent donc, en termes de montants, avec un amendement unique présenté par la commission des affaires économiques, correspondent à un besoin identifié par les différents acteurs du secteur.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1742 vise à corriger la sous-budgétisation initiale à hauteur de 250 millions d'euros, la somme étant prélevée sur le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Les années précédentes, nous avons corrigé le budget en fin d'année. En mettant les moyens dès le début de l'exercice, on gagne des places d'hébergement. Par ailleurs, de nombreuses associations ont indiqué qu'elles ne pouvaient plus fonctionner ainsi ; certaines ont évoqué des problèmes de trésorerie à hauteur de 9 millions d'euros.
L'amendement n° II-1742 est adopté.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1725 prévoit 30 millions d'euros pour maintenir les dispositifs financés par le programme 177 à destination des déplacés ukrainiens.
L'amendement n° II-1725 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
· Armée du Salut
Samuel Coppens, directeur relations publiques, communication et ressources
· Croix-Rouge française
Camille Joubert, directrice de la filière lutte contre les exclusions
Victor d'Autume, chef de projet hébergement - logement
· Emmaüs France
Lotfi Ouanezar, directeur général d'Emmaüs solidarité
Marion-Ségolène Chemin Perraudin, responsable plaidoyer
· Fédération des acteurs de la solidarité
Emmanuel Bougras, responsable du service stratégie analyse des politiques publiques
Marie Phiquepal, chargée de mission hébergement
· Fondation Abbé Pierre
Maïder Olivier, chargée de mobilisation et coordinatrice du Collectif des associations unies
· Samu social de Paris
Alain Christnacht, président du conseil d'administration
Vanessa Benoît, directrice générale
· Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss)
Nathalie Lemaire, directrice générale de Cité Caritas
Arnaud de Broca, directeur général de l'Unafo
Jeanne Dietrich, conseillère technique hébergement - logement
· Unicef France
Julie Lignon, chargée de plaidoyer-programme pauvreté
Mina Stahl, chargée de relations avec les pouvoirs publics
· Délégation aux droits des femmes du Sénat (DDF)
Olivia Richard, rapporteure de la mission d'information « Femmes sans abri, la face cachée de la rue »
· Fédération des oeuvres laïques de la Nièvre (Fol 58)
Fabienne Turpin, cheffe des services intégration 58-89 et responsable des programmes d'intégration des réfugiés
Arnaud Brisemontier, directeur du pôle demandeurs d'asile et réfugiés
· Cellule interministérielle de crise Ukraine (CIC-Ukraine)
Joseph Zimet, directeur de la CIC et préfet chargé de l'accueil des déplacés
· Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal)
Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel
Charles-Henri Bescond, directeur de la mission budgétaire
Contribution écrite :
· Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
* 1 Art. L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles.
* 2 Rapport d'information (n° 15, 2024-2025), déposé le 8 octobre 2024, de Mmes Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol, sur les femmes sans abri : les départements ont un investissement variable en matière d'hébergement des femmes enceintes et mères isolées, conduisant l'État à héberger également ce public.
* 3 Art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
* 4 Art. L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.
* 5 Dihal, 2024.
* 6 Projet de loi de finances pour 2025, projet annuel de performance du programme 177.
* 7 Unicef et Fédération des acteurs de la solidarité, Baromètre des enfants à la rue, 2024.
* 8 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.
* 9 Unicef et Fédération des acteurs de la solidarité, Baromètre des enfants à la rue, 2024.
* 10 Observatoire du Samusocial de Paris, ENFAMS : Enfants et familles sans logement personnel en Ile-de-France Premiers résultats de l'enquête quantitative, 2014.
* 11 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.
* 12 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.
* 13 Ibid.