N° 149

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT

Action culturelle extérieure

Par M. Claude KERN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Virginie Lucot Avril, Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Maurice Perrion, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

AVANT-PROPOS

La diplomatie culturelle constitue une modalité cruciale de l'action extérieure de l'État et, dans un contexte global de regain des tensions, devient parfois le seul canal de dialogue avec un État ou un peuple étranger. Elle est également un terrain de forte concurrence internationale.

Les financements de ce domaine traditionnellement très investi par la France sont portés par le programme 185, qui subventionne notamment l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), le réseau de coopération et d'action culturelles (SCAC des ambassades et instituts français), la mobilité étudiante ainsi que les partenariats scientifiques, qui constituent autant de relais d'influence de la France dans le monde.

Le programme est largement touché par la réduction générale des moyens alloués au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) dans le contexte de maîtrise des dépenses publiques. En recul de 45 millions d'euros (soit -6,3 %) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, il est le plus fortement pénalisé par la baisse de moyens accordés à la mission « Action extérieure de l'État », qui subit une diminution de 4 % de ses crédits de paiement.

Ventilation des crédits du programme
et évolution par rapport à la loi de finances initiale pour 2024

Pour le réseau d'enseignement français à l'étranger, ce recul se traduira par une baisse de la subvention allouée à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) à hauteur de 14 millions d'euros (-3 %). Si l'ambition de développement du réseau est réaffirmée, l'objectif de doublement des effectifs à l'horizon 2030 ne pourra vraisemblablement pas être atteint.

L'Institut français subira également une baisse de sa subvention à hauteur de 6 %, qui accélérera le mouvement de recentrement stratégique initié par sa nouvelle direction. Soutenue par des financements extérieurs, son activité reste toutefois très dynamique.

Les crédits de la coopération universitaire seront fortement contraints, à l'exception du financement des bourses de mobilité étudiante, reconduit au niveau de 2024. En dépit de la progression continue des effectifs d'étudiants internationaux, l'objectif fixé dans le cadre de la stratégie « Bienvenue en France » ne pourra sans doute pas être atteint.

À l'heure où les conflits se multiplient et s'étendent à travers l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique, le rapporteur pour avis a souhaité mettre en lumière l'impact de ces troubles sur le réseau de coopération français.

I. I. LE DÉVELOPPEMENT DU RÉSEAU D'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS SE POURSUIT DANS UN CONTEXTE DIFFICILE

A. UN FINANCEMENT BUDGÉTAIRE EN BAISSE

Établissement public administratif placé sous la tutelle du MEAE et chargé « d'assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation » ainsi que « de contribuer, notamment par l'accueil d'élèves étrangers, au rayonnement de la langue et de la culture françaises » (art. L. 452-2 du code de l'éducation), l'AEFE est majoritairement financée par les frais de scolarité acquittés par les familles, complétés par une subvention pour charges de service public (SCSP).

Le montant proposé pour cette SCSP, qui représente les deux tiers des crédits du programme, est en baisse de 14,1 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2024 (soit -3 %). Selon le ministère, cette baisse est justifiée par la fin de l'aide exceptionnelle versée pour assurer le fonctionnement du réseau au Liban, qui représentait 10 millions d'euros annuels, ainsi que par la prise en compte du coût réel de la réforme du statut des personnels détachés. À cette baisse s'ajoute le relèvement du taux de cotisation au titre des pensions civiles, pour un surcoût de 9,31 millions d'euros ; le PLF prévoit également la suppression de 15 ETPT sous plafond d'emplois.

La combinaison de ces évolutions donnera lieu à plusieurs mesures d'économies : une adaptation des effectifs détachés du réseau sur les trois prochaines années, avec la suppression de 50 postes à la rentrée 2025 ; une baisse des subventions versées aux établissements pour la conduite d'actions de développement, de sécurisation et de gestion immobilière (en autorisations d'engagement, 4,3 M€ en 2025 contre 12,23 M€ pour 2024).

Des frais de scolarité compétitifs mais en hausse régulière

Avec un montant moyen d'environ 6 051 euros en 2023-2024, les frais de scolarité acquittés par les familles dans le réseau des établissements français restent très compétitifs par rapport à ceux pratiqués par les réseaux concurrents. Ils sont toutefois en augmentation régulière (+ 46 % depuis 2013-2014), ce que le ministère justifie par le contexte inflationniste ainsi que par les efforts de modernisation et d'extension des établissements entrepris sur la période.

Ces données générales masquent de fortes disparités au sein du réseau, notamment :

- selon le statut des établissements : les droits de scolarité acquittés dans les établissements conventionnés et partenaires sont supérieurs de 15 à 18 % à ceux appliqués par les établissements en gestion directe (EGD), dans lesquels leur progression est contrôlée par l'AEFE ;

- selon la zone géographique concernée : les frais de scolarité acquittés dans les établissements situés sur le continent américain sont plus de trois fois plus élevés que ceux des établissements africains, et neuf des dix établissements pratiquant les tarifs les plus élevés se situent aux États-Unis ;

- selon les établissements eux-mêmes : les droits de scolarité appliqués par les dix établissements les plus chers s'échelonnent de 32 609 euros (pour le Lyceum Kennedy de New York) à 43 460 euros (pour le lycée français de New York).

Après une diminution en 2020 du fait des financements exceptionnels accordés lors de la crise sanitaire, la part du financement des établissements conventionnés et en gestion directe assurée par les familles tend à se stabiliser autour de 62 %.

Les familles françaises dont le niveau de ressources le justifie peuvent bénéficier d'une exonération partielle ou totale de ces frais de scolarité. En 2023/2024, 26 966 élèves ont bénéficié d'une bourse, soit 22 % des élèves français scolarisés. La tendance est à la diminution du nombre de boursiers sur les dernières années (-7 % entre 2021/2022 et 2023/2024).

B. AU-DELÀ DE L'OBJECTIF CAP 2030, UNE DYNAMIQUE DE CROISSANCE MAINTENUE

1. Des effectifs en croissance continue

Le nombre d'élèves accueillis est orienté à la hausse depuis plusieurs années. 399 000 élèves étaient ainsi scolarisés dans le réseau à la rentrée 2024, soit 1,7 % d'augmentation par rapport à l'année précédente et 8,2 % par rapport à la rentrée 2019. Ces élèves fréquentent 600 établissements répartis dans 138 pays, dont 68 établissements en gestion directe (EGD), 159 établissements conventionnés et 373 établissements partenaires.

Cette croissance des effectifs est principalement portée par deux facteurs :

- la hausse du nombre d'établissements partenaires, qui permet de développer les effectifs par croissance externe. En 2024, 24 nouveaux établissements scolarisant 2 600 élèves ont ainsi rejoint le réseau ;

- la progression du nombre d'élèves étrangers, qui représentent plus des deux tiers des élèves scolarisés dans le réseau, tandis que la proportion d'élèves français dans les effectifs tend à se réduire (31 % des élèves en 2023/2024, en recul de 3 points par rapport à l'année 2019/2020). La crise sanitaire a marqué un tournant à cet égard : le nombre d'élèves français n'a jamais retrouvé son niveau pré-pandémie, tandis que le nombre d'élèves étrangers n'a cessé d'augmenter. Cette évolution, légèrement temporisée au cours des deux dernières années, résulte selon l'AEFE des pratiques des entreprises, qui réduisent le nombre de leurs employés en expatriation, ainsi que de la multiplication des instabilités politiques, qui n'encourage pas les familles à engager un projet de départ à l'étranger.

2. Une ambition de développement réaffirmée

• À la suite du discours du Président de la République sur l'ambition pour la langue française et le plurilinguisme du 20 mars 2018, l'objectif avait été donné à l'AEFE de doubler le nombre d'élèves accueillis, pour atteindre 700 000 élèves à l'horizon 2030. Cet objectif a été réaffirmé lors de la présentation des consultations sur l'enseignement français à l'étranger (EFE) le 3 juillet 2023.

• Selon l'AEFE, cet objectif chiffré sera « difficile à atteindre » à la rentrée de septembre 2030. L'application du taux moyen de progression des effectifs depuis 2021/2022, soit + 2,13 %, détermine en effet une trajectoire aboutissant à 453 000 élèves en 2030.

La directrice de l'agence souligne à ce propos les effets des crises sanitaires et politiques, qui ont fortement contraint le rythme d'accroissement des effectifs ; les récentes tensions avec les autorités turques (voir infra) ont ainsi conduit à la perte de 356 élèves dans les lycées Charles de Gaulle d'Ankara et Pierre Loti d'Istanbul. La spécificité du réseau réside par ailleurs dans le maintien de sa présence « au-delà des seuls territoires qui répondent à une logique de profit ou d'accroissement du marché ».

Les établissements EFE font en outre face à une forte concurrence :

-  externe, qui provient principalement de l'International Baccalaureate (IB), dont les quelque 5 000 écoles proposent, sans continuité éducative d'un établissement à l'autre, une pédagogie adaptable aux contextes locaux ainsi que la possibilité de passer l'examen britannique de certification des études secondaires (IGCSE) ; vient ensuite le réseau britannique. Les effectifs de ces écoles anglophones, qui orientent les élèves vers le système universitaire anglo-saxon, sont passés de 1 à 6 millions sur les vingt dernières années. Dans certains pays enfin, la principale concurrence des établissements EFE provient des systèmes privés locaux ;

-  parfois interne au sein du réseau, notamment dans les villes où plusieurs établissements se côtoient (Abidjan, Le Caire, Dubaï, Tunis, etc.). Des mesures de régulation sont alors mises en place pour privilégier la complémentarité géographique et pédagogique des établissements.

• Précisée par la feuille de route de l'AEFE pour 2023-2026 et désormais portée par la sous-direction du développement et du conseil (SDC), qui remplace depuis septembre 2024 le service d'appui au développement du réseau (SADR), l'ambition du développement du réseau homologué reste cependant un objectif affirmé.

Celui-ci doit passer par la densification du réseau existant (pour 60 % de l'objectif) et par la transformation de filières extérieures ou la création de nouveaux établissements (pour 40 % de l'objectif). Les efforts de développement sont concentrés sur onze pays-cibles présentant un fort potentiel de croissance : l'Arabie Saoudite, le Brésil, la Côte d'Ivoire, l'Égypte, les Émirats arabes unis, les États-Unis, l'Inde, le Mexique, le Nigéria, la République démocratique du Congo et le Sénégal.

L'AEFE inscrit ainsi désormais son action dans le marché de l'éducation internationale, pour laquelle existe une demande indépendamment des processus d'expatriation. Le MEAE indique ainsi que « les élèves étrangers - tiers ou nationaux - sont aujourd'hui le vivier clé pour l'objectif de doublement ». Plusieurs leviers sont actionnés pour développer l'attractivité du réseau auprès de ces nouveaux publics-cibles :

- un vaste plan de formation des personnels locaux a été mis en place dans le cadre des 16 instituts régionaux de formation (IRF) ouverts en 2023, avec l'objectif d'ouvrir des masters MEEF dans toutes les zones géographiques ;

- la montée en puissance du dispositif de bourses France Excellence Major, attribuées aux meilleurs élèves non français du réseau pour leur permettre de poursuivre leurs études supérieures en France. Le nombre de ces bourses, qui était de 850 en 2023 et 880 en 2024, sera porté à 910 en 2025 ;

- le développement du plurilinguisme pour permettre aux élèves de maîtriser le français, l'anglais et la langue du pays. 160 000 élèves bénéficient ainsi d'un enseignement en arabe. Cet axe passe notamment par le développement des sections internationales, actuellement au nombre de 200, et la mise en valeur du bac français international (BFI), déployé en 2023 et dont une deuxième cohorte sera diplômée en juin 2025.

C. UN EFFORT DE CONTINUITÉ DANS LES ZONES DE TENSIONS

L'AEFE s'efforce enfin de maintenir autant que possible sa présence dans les territoires soumis à des tensions, conformément à sa mission de développement éducatif et dans la logique plus générale de la diplomatie d'influence. Dans la mesure où l'action des établissements s'inscrit dans le droit local, ils sont cependant très exposés aux différents événements survenant dans les pays d'implantation.

Dans la zone sahélienne, la survenue des troubles a d'abord conduit l'établissement du Niger à fonctionner en enseignement à distance, avant sa mise en sommeil depuis le 1er septembre 2024 ; les élèves concernés par un examen ont bénéficié d'un accompagnement financier pour s'y présenter à Lomé. Au Mali et au Burkina Faso, la décision des gouvernements de rompre les accords bilatéraux de fiscalité avec la France place les personnels dans une situation de double imposition, en cours de traitement par les autorités françaises.

La guerre en Ukraine a entraîné la fermeture de l'école française privée d'Odessa. L'école française internationale de Kiev et le lycée Anne de Kiev continuent à fonctionner avec un effectif très majoritairement constitué d'élèves ukrainiens, une subvention d'équilibre ayant été versée pour un montant d'1,2 million d'euros.

Le conflit opposant Israël au Hamas a déstabilisé plusieurs établissements : celui de Ramallah a servi de lieu d'hébergement pendant quelques semaines pour des travailleurs palestiniens qui n'avaient pu rejoindre le territoire gazaoui ; ses effectifs, comme ceux de Jérusalem et de Tel-Aviv, connaissent une baisse sensible de leurs effectifs depuis le 7 octobre 2023. Ces trois établissements bénéficient d'un soutien financier visant notamment à renforcer leur sécurité.

À la demande des autorités azerbaïdjanaises, l'établissement de Bakou est désormais fermé. Aucune solution permettant d'assurer la continuité de la scolarité des 206 élèves concernés n'a pu être trouvée, toutes les alternatives proposées, parmi lesquelles la création de sections en français dans des établissements existants, ayant été rejetées par les autorités.

Depuis l'été 2024, les tensions politiques entre la France et la Turquie touchent fortement les établissements du territoire. Le désaccord porte principalement sur le refus français de satisfaire à la demande turque de réciprocité éducative, qui lui permettrait d'ouvrir des écoles en France ; les autorités turques ont en conséquence interdit toute nouvelle inscription d'élèves de nationalité turque. L'absence de solution trouvée à ce jour fait peser une contrainte forte sur les effectifs et sur l'avenir des écoles sur ce territoire.

L'application du principe de laïcité à la française en difficulté

Les établissements de l'AEFE étant assujettis aux lois et réglementations des territoires dans lesquels ils sont implantés, les principes de la loi de 1905 s'imposent aux agents publics détachés par la France, mais ne valent ni pour les élèves ni pour les personnels recrutés localement. L'AEFE s'attache cependant à promouvoir, plutôt que sa lettre stricte, « l'esprit de la laïcité », qui est d'ailleurs implicitement porté par le premier critère de l'homologation à travers la référence faite aux « principes, programmes et valeurs du système éducatif français ».

Selon l'AEFE, l'application de ces valeurs du système éducatif français peut entrer en tension avec celles des espaces culturels anglo-saxons (en raison de l'absence de reconnaissance des communautés par l'universalisme français) et arabo-musulman (les difficultés portant alors sur le port du voile, la prière et les contenus d'enseignement).

Dans l'espace arabo-musulman, les principes de la laïcité à la française étaient traditionnellement acceptés de manière plus ou moins formalisée (dans les règlements intérieurs par exemple) en raison de la spécificité des établissements du réseau ; c'était notamment le cas au Maroc, en Tunisie, aux Comores ou encore à Madagascar, avec des exceptions dans la péninsule arabique. Les débats des deux dernières années sur le port des tenues religieuses (abayas et qamis) dans l'espace scolaire se sont cependant exportés dans certains établissements, avec l'engagement par des familles de démarches contentieuses, dont l'une a débouché sur la condamnation d'un établissement par un tribunal marocain.

Selon l'AEFE, « la possibilité d'obtenir un soutien des autorités locales [... pour] reconnaître la spécificité de l'école française relative au principe de laïcité s'amenuise significativement » dans cet espace culturel ; « il est donc demandé aux agents de s'adapter sans renoncer, de tenir les objectifs mais en faisant preuve de doigté. Il ne s'agit pas d'autocensure mais de discernement, pouvant conduire, occasionnellement, à opter pour une pédagogie du détour ou à accepter des accommodements raisonnables (un voile lâche contre un voile serré, par exemple). La difficulté qui se présente dans le réseau d'EFE consiste donc désormais dans l'identification des endroits et des moments où ces adaptations et ces accommodements ne sont plus acceptables et trahissent les valeurs du système éducatif français ».

II. UN RECENTREMENT STRATÉGIQUE DE L'INSTITUT FRANÇAIS

75,57 millions d'euros sont proposés pour le financement du réseau de coopération culturelle et la promotion du français, porté par l'action n° 2 du programme, soit une baisse de 10,77 millions d'euros par rapport à LFI pour 2024 (-12,5 %). En dépit d'une baisse de 6,1 %, les financements de l'Institut français apparaissent relativement préservés par rapport aux dépenses d'intervention de l'action, qui chuteront de 15,5 %.

A. UNE CROISSANCE DE L'ACTIVITÉ SOUTENUE PAR DES FINANCEMENTS EXTÉRIEURS

Après retranchement des crédits mis en réserve, la subvention pour charge de service public (SCSP) de l'Institut français s'élèvera à 25,6 millions d'euros en 2025, en baisse de 1,7 million d'euros par rapport à 2024.

Cette programmation devrait confirmer l'évolution constatée sur les six dernières années, qui ont vu un recul de la part des subventions de l'État dans les recettes de l'Institut (87 % en 2017 contre 73 % en 2024) et une progression de ses ressources propres (13 % en 2017 contre 27 % en 2024).

Ces ressources propres sont principalement constituées de recettes fléchées destinées au financement de projets précis. Les recettes provenant du mécénat, très inconstantes d'un exercice budgétaire à l'autre, sont ainsi principalement destinées à la mise en oeuvre de saisons culturelles importantes (Africa 2000 ou la Biennale de Venise). La politique de développement de ses financements menée par l'Institut ne lui permet donc pas de dégager des marges de manoeuvre financières ; elle la conduit en revanche à augmenter son niveau d'intervention et d'activité.

Cette baisse de la SCSP intervient ainsi dans un contexte d'expansion de l'activité de l'Institut résultant du portage de plusieurs projets bailleurs, notamment pour la Commission européenne, l'agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts. Alors que ses dépenses d'activité oscillaient entre 18,5 et 20 millions d'euros entre 2017 et 2020, elles étaient de 26,7 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 38 %.

Les activités de l'Institut français dans les nouveaux contextes de guerre

Face à la multiplication des crises, l'Institut assure la continuité de son action partout où il le peut, en l'adaptant aux nouvelles contraintes sécuritaires et politiques. La présidente a affirmé l'objectif de poursuivre le dialogue avec la société civile dans les États en forte tension avec la France, par exemple la Russie.

En Ukraine, l'action et le format de son intervention ont été adaptés dès le début de la guerre en février 2022. Le poste travaille notamment sur les mobilités des artistes et professionnels ukrainiens en France. L'Institut répond également à la demande des partenaires ukrainiens, qui souhaitent renforcer la visibilité de la culture ukrainienne et de sa spécificité par rapport à la culture russe, en soutenant l'implantation de l'Institut ukrainien à Paris et sa mise en relation avec la scène culturelle française ; la coopération ainsi initiée a été formalisée par la signature d'un accord de partenariat en mai 2024.

La guerre en Ukraine a par ailleurs conduit à développer et à adapter les actions menées dans les pays de la communauté politique européenne. Le cycle de débats « Dialogues européens », qui a déjà donné lieu à des événements à Prague, Varsovie, Amsterdam, Sofia et Plovdiv, vise ainsi à susciter des échanges publics sur les conséquences de la guerre à travers le continent.

Après une suspension initiale, à compter d'octobre 2023, des actions sur les territoires israélien et palestinien, les manifestations culturelles ont repris à Tel-Aviv au début de l'année 2024. Les activités du poste de Gaza, dont quatre agents et collaborateurs sont décédés depuis le début de la crise, sont désormais assurées depuis Jérusalem, au travers du programme de résidence d'artistes palestiniens Sawa ; en 2025, 30 résidences auront lieu en France. Il s'agit du seul institut culturel étranger à avoir pris la décision de rester ouvert après les attaques terroristes du 7 octobre 2023.

Au Liban, le dispositif de coopération est fortement touché par le contexte de la guerre : les antennes de Tyr, Nabatieh et Baalbeck sont désormais fermées, et toute la programmation culturelle prévue a été mise à l'arrêt, notamment le festival Beyrouth livres qui devait se tenir en octobre. L'Institut devra adapter sa programmation pour 2025 aux nouvelles conditions du pays, notamment à l'interdiction de faire venir des missions et délégations françaises, tandis que la demande reste présente dans les antennes encore ouvertes - notamment en ce qui concerne les médiathèques, les cours de langue et les certifications.

Dans les pays du Sahel, l'action de l'Institut est recentrée sur les seuls projets en cours. Les relations diplomatiques très tendues avec les juntes militaires au pouvoir depuis les coups d'État au Niger, au Mali et au Burkina ont en effet conduit à la suspension de tout nouveau projet dans ces trois États.

B. LA BAISSE DE LA SUBVENTION SUSCITE UNE REDÉFINITION DES PRIORITÉS D'ACTION DE L'INSTITUT

1. Un plan d'économies à court et moyen termes

À court terme, l'Institut français prévoit la mise en oeuvre de plusieurs mesures d'économies visant à absorber cette baisse.

·  En ce qui concerne tout d'abord ses dépenses de fonctionnement, d'importantes économies résultent de son déménagement en 2024 dans de nouveaux locaux au loyer moins élevé (pour une économie d'environ 9 millions d'euros sur la durée du bail de neuf ans). Elles seront complétées en 2025 par un effort supplémentaire sur les frais de fonctionnement, notamment par une internalisation de certaines tâches relatives à la communication institutionnelle, et une baisse des frais de mission.

Au-delà des seuls aspects financiers, une réflexion est par ailleurs en cours sur une éventuelle évolution du statut juridique de l'Institut français, qui pourrait bénéficier d'un régime de recrutement mieux adapté à ses missions sous le statut d'établissement public administratif (EPA).

·  Dans le but d'éviter de répartir la baisse de crédits par saupoudrage, l'Institut procède par ailleurs à une revue stratégique générale de ses programmes et activités, indispensable dans la mesure où la baisse de la SCSP représente 20 % des dépenses non contraintes de l'Institut. Ce réexamen a permis d'arbitrer une préservation globale de l'accompagnement du réseau, c'est-à-dire des moyens alloués à la formation, aux projets et à la modernisation des postes. Feront en revanche l'objet d'une réduction de leur financement :

- le soutien au cinéma avec, à compter de 2025, une suppression de la contribution de l'Institut à l'aide aux cinémas du monde, qui ne met pas le dispositif en péril ;

- la politique en faveur des résidences et des mobilités, notamment le programme de mobilité internationale de recherche artistique (MIRA) ;

- l'accompagnement à la structuration des secteurs culturels dans les pays du Sud, le programme d'appui aux opérateurs culturels en Afrique (AOCA) étant réduit de moitié ;

- dans une moindre mesure, le budget des partenariats européens, et notamment le fonds culturel franco-allemand ;

- enfin, les conventions passées avec les collectivités locales, qui seront désormais recentrées sur les partenariats les plus dynamiques.

Lors de son audition par le rapporteur, la présidente de l'Institut français a insisté sur son souhait de rendre les actions conduites par l'établissement, et surtout leurs effets positifs pour le positionnement de la France à l'étranger, plus visibles par les citoyens français. Cette démarche passera en 2025 par la poursuite du travail lancé par le pôle d'évaluation d'impact de l'Institut ainsi que par le développement des partenariats avec les collectivités territoriales.

Le rapporteur relève que certains projets conduits en partie dans les territoires ont été très visibles au cours des dernières années, à l'image de l'exposition Salammbô : le partenariat conclu entre la réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, le Mucem de Marseille et le musée national du Bardo, avec le soutien de l'Institut français de Tunisie, a permis de la rendre successivement visible à Rouen, à Marseille et enfin à Tunis depuis septembre 2024.

2. Un cadre contractuel renouvelé

Les priorités stratégiques de l'Institut français à moyen terme sont déterminées dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance (COP), dont la nouvelle mouture recueillera l'avis du Sénat dans les prochaines semaines, avant une adoption par le conseil d'administration de l'établissement prévue pour le début d'année 2025 au plus tard.

Les priorités d'action fixées par ce document pour les trois prochaines années correspondent à celles de l'action culturelle extérieure de la France. Il s'agit de l'animation du réseau culturel français à l'étranger, du développement des industries culturelles et créatives (ICC) françaises à l'international et de la structuration de ces mêmes industries dans les pays du Sud, ainsi que du soutien à la création artistique dans sa dimension internationale.

Trois zones géographiques sont par ailleurs considérées comme prioritaires : l'Afrique, dans le cadre de l'agenda transformationnel ; l'Europe, au sens de la communauté politique européenne, avec l'objectif de favoriser le dialogue entre les jeunesses et les sociétés civiles et de renforcer le sentiment européen ; l'Indopacifique, en particulier dans le domaine des ICC. Ces priorités géographiques sont d'ores et déjà observées par l'Institut, dont les crédits d'intervention bénéficient principalement à ces trois zones.

Annoncé par le Président de la République en août 2017, le rapprochement entre la Fondation des Alliances françaises (FAF) et l'Institut français (IF) se poursuit par ailleurs dans son volet de mutualisation des ressources, dans le cadre de la convention tripartite renouvelée en juillet 2023 entre le MEAE, la FAF et l'IF. Le soutien à l'enseignement du français en tant que langue étrangère (FLE), la diffusion culturelle, la professionnalisation des agents des AF et la mise en oeuvre de la démarche qualité sont désormais confiés à l'IF. Le MEAE insiste sur la complémentarité territoriale des deux réseaux, le plus souvent implantés dans des villes et territoires distincts, les Alliances pouvant par ailleurs constituer le relais de l'action culturelle et linguistique des postes dans les pays sans Institut (comme c'est le cas en Australie, au Venezuela, en Thaïlande ou aux Philippines).

Le soutien de l'Institut français aux différentes formes d'expression artistique

Les industries culturelles et créatives (ICC), fortement génératrices de revenus, sont désormais bien identifiées dans les différents projets mis en oeuvre par l'Institut. Pour mémoire, le réseau a amorcé en 2019 un virage stratégique visant à élargir son champ d'action à l'accompagnement des filières économiques de la culture et au soutien de l'entrepreneuriat culturel. Cette évolution correspond aux priorités du ministère, qui affirme le soutien aux ICC, « secteur clé de l'économie française et recouvrant une dimension politique majeure en tant qu'instrument de diffusion de la création et de la culture française », comme un « objectif essentiel de notre diplomatie d'influence ».

En ce qui concerne les arts visuels, qui bénéficient d'un effet de mode très important et d'un fort soutien de la part des acteurs privés de la culture, la présidente de l'Institut souligne la nécessité de définir l'action de l'établissement en complément du soutien apporté par la sphère privée.

Selon la présidente de l'Institut, les difficultés rencontrées par le spectacle vivant pourraient être partiellement surmontées par le renforcement de sa diffusion internationale. Si les productions du secteur sont souvent coûteuses et peu amorties du fait d'une durée de vie réduite, ainsi que l'avait souligné la Cour des comptes en 2022, elles constituent cependant un marqueur fort et très demandé à l'étranger de la culture française. Leur financement pourrait ainsi être facilité si leur présentation à l'étranger, qui permet de prolonger leur durée d'amortissement, était mieux prise en compte au stade de la création.

III. UNE STABILISATION DES BOURSES DE MOBILITÉ ÉTUDIANTE DANS UN CONTEXTE DE BAISSE DES CRÉDITS DE LA COOPÉRATION UNIVERSITAIRE

Avec 107,87 millions d'euros de crédits de paiement, les crédits de l'action n° 4 « Enseignement supérieur et recherche » sont en baisse de 12,33 % par rapport à la LFI pour 2024. 15 millions d'euros d'économies sont ainsi répartis entre les dotations de fonctionnement des unités mixtes des instituts français de recherche à l'étranger (IFRE-UMIFRE), les échanges d'expertise, les programmes d'échange scientifique (notamment les partenariats Hubert Curien), et plus largement les différentes dépenses d'intervention retracées par cette action.

A. UNE PRÉSERVATION DES BOURSES DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS, QUI NE PERMETTRA PAS D'ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE « BIENVENUE EN FRANCE »

· Le rapporteur relève avec satisfaction que les crédits des bourses de mobilité du Gouvernement français (BGF) seront en revanche reconduits au niveau atteint en 2024, soit 70,07 millions d'euros. Attribuées par le MEAE via l'opérateur Campus France au titre des programmes labellisés « France Excellence » (France Excellence Major et France Excellence Europa, notamment), ces bourses sont destinées à promouvoir la formation en France de profils étrangers à haut potentiel, dont la contribution est de nature à renforcer les performances et l'attractivité des laboratoires de recherche du territoire. Ces outils très sélectifs bénéficient à 2,5 % seulement des étudiants internationaux en France. Alors que le montant des bourses versées tend à augmenter, cette consolidation de leur financement apparaît indispensable.

· Il est toutefois probable que cet effort budgétaire ne suffise pas à atteindre les objectifs fixés dans le cadre de la stratégie interministérielle « Bienvenue en France », lancée en 2018 et qui vise à atteindre, à l'horizon 2027, 500 000 étudiants étrangers dont 15 000 boursiers du Gouvernement. 430 000 étudiants étrangers étaient en effet inscrits dans l'enseignement supérieur français en 2023-2024, en hausse de 4,5 % par rapport à l'année précédente et de 17 % par rapport à l'année de lancement du programme. Pour atteindre l'objectif fixé pour 2027, une hausse des effectifs équivalente à celle enregistrée depuis 2018 serait nécessaire sur les deux prochaines années.

Le MEAE reconnaît ainsi, dans ses documents budgétaires, que « tout en continuant à tendre vers l'objectif des 500 000, une approche plus qualitative est désormais recherchée ». Cette nouvelle approche passera notamment par la généralisation de la plateforme « Études en France » (qui constitue l'équivalent de Parcoursup pour les étudiants extra-européens), par la priorité donnée à l'accueil des niveaux Master et Doctorat, ou encore par la diversification des pays d'origine considérés comme prioritaires pour y inclure la zone indopacifique ainsi que l'Afrique non francophone.

Les principaux pays d'origine représentés dans la population d'étudiants internationaux sont en 2023-2024, par ordre décroissant, le Maroc, la Chine, l'Italie, le Sénégal et la Tunisie. Les plus fortes progressions d'effectifs sont enregistrées, sur les cinq dernières années, parmi les étudiants libanais (+ 90 %), camerounais (+ 46 %), espagnols (+ 44 %), italiens (+ 43 %) et sénégalais (+ 37 %) ; les effectifs des étudiants chinois sont en revanche en baisse depuis 2018 (- 5 %).

Les aides à la mobilité pour les étudiants et chercheurs des pays en crise

Une attention particulière est par ailleurs portée à l'accueil des étudiants et chercheurs réfugiés ou fuyant des conflits, notamment en Ukraine, au Soudan et à Gaza.

L'enveloppe de bourses destinée à l'Ukraine a été réorientée vers des mobilités courtes dans des secteurs prioritaires pour la reconstruction du pays (agronomie, sciences de l'ingénieur, architecture, journalisme dans sa dimension de lutte contre la désinformation). Sous l'égide de l'IF, plusieurs programmes de bourses cofinancés par des acteurs de l'enseignement supérieur français ont par ailleurs été mis en place (programme Nadiya avec la conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs - CDEFI -, par exemple) ;

La France est le seul pays d'Europe à avoir créé un programme de bourses à destination des étudiants palestiniens, financé sur l'enveloppe de bourses dédiée aux publics vulnérables du programme 209. Cette campagne exceptionnelle, menée en coopération avec l'association Migrants dans l'enseignement supérieur, permet de soutenir 33 étudiants gazaouis ayant pu fuir la bande de Gaza après le 7 octobre 2023 (la sortie du territoire étant actuellement impossible) ;

Le programme Pause (programme national d'accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil), destiné aux chercheurs, est géré depuis 2017 par le Collège de France.

B. LA VALORISATION DE L'EXPERTISE FRANÇAISE EN MATIÈRE ARCHÉOLOGIQUE ET PATRIMONIALE

Le rapporteur a souhaité mettre l'accent sur les crédits permettant de valoriser l'expertise française en matière archéologique et patrimoniale, qui revêt une importance stratégique face aux menaces de destruction pesant sur le patrimoine architectural de plusieurs États en crise. Plusieurs actions font ainsi l'objet d'un soutien du MEAE au titre de la politique d'influence :

- la recherche archéologique française à l'étranger, qui s'inscrit à la fois dans une démarche de rayonnement scientifique et d'aide à la préservation du patrimoine des partenaires de la France, est principalement portée par le réseau des IFRE-UMIFRE, après validation par la commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger. En 2024, le MEAE a également assuré le cofinancement de 167 missions archéologiques dans 75 pays ;

- le soutien financier à l'organisation Aliph (alliance internationale pour la protection du patrimoine), à hauteur de 30 millions de dollars américains par période de cinq ans. En 2025, 400 projets de protection du patrimoine seront ainsi soutenus dans 35 pays par l'organisation, qui vient d'annoncer des mesures de protection d'urgence du patrimoine libanais ;

- le MEAE contribue enfin depuis janvier 2024 au financement d'un fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels d'Afrique subsaharienne, pour un montant de 300 000 € complété par le financement d'une expertise technique internationale.

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La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis, lors de sa réunion plénière du 27 novembre 2024, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'Action culturelle extérieure de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2025.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous achevons l'examen des crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 relevant de nos compétences par ceux qui ont trait à l'action culturelle extérieure de l'État.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. -Le programme 185 de la mission « Action extérieure de l'État », consacré à la diplomatie culturelle et d'influence, finance l'enseignement français à l'étranger, les services culturels des ambassades et le réseau des instituts français et des alliances françaises, la mobilité étudiante et les partenariats scientifiques, qui constituent autant de relais d'influence de notre pays dans le monde.

Ce domaine traditionnellement très investi par la France prend une importance particulière dans le contexte actuel de regain des tensions entre États, en devenant parfois le seul canal de dialogue possible avec un pays ou un peuple étranger. Il constitue également un terrain de forte concurrence internationale, sur lequel il est crucial de ne pas perdre pied.

Ce programme est malheureusement largement touché par la réduction des moyens alloués au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), avec une baisse de crédits de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Les différents opérateurs du programme sont ainsi appelés à prendre leur part de l'effort global de maîtrise des finances publiques. J'ai cependant constaté, au cours de mes auditions, qu'ils continuent d'inscrire leur action dans une dynamique de progression, au prix bien entendu de certains ajustements.

Le principal opérateur du programme, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), verra sa subvention réduite de 14 millions d'euros, soit 3 %. Selon le ministère, cette baisse est à relativiser : une large partie des crédits supprimés correspond en effet à la fin d'une aide exceptionnelle versée depuis 2022 pour les établissements du Liban. Je relève cependant que, comme de nombreux autres opérateurs de l'État, l'AEFE est également touchée par le relèvement du taux de cotisation au titre des pensions civiles, pour un surcoût de plus de 9 millions d'euros.

L'Agence prévoit de faire face à ces évolutions en déployant plusieurs mesures d'économies, qui passeront par des suppressions d'effectifs détachés ainsi que par une baisse des subventions versées aux établissements pour assurer leur développement, notamment en matière immobilière.

Le réseau a par ailleurs la possibilité de mobiliser les frais de scolarité acquittés par les familles, qui représentent un peu moins des deux tiers du financement des établissements conventionnés et en gestion directe. Ces frais de scolarité, d'un montant annuel moyen de 6 051 euros, sont en augmentation régulière depuis une dizaine d'années ; ils restent cependant très compétitifs par rapport à ceux des réseaux anglo-saxons, notamment dans les établissements conventionnés et en gestion directe. Les parents d'élèves s'interrogent toutefois sur leur adéquation avec l'état du bâti scolaire de certains établissements.

En tout état de cause, cette évolution budgétaire ne permettra pas au réseau de s'inscrire dans la trajectoire nécessaire pour atteindre l'objectif de 700 000 élèves à la rentrée 2030, fixé en 2018 par le Président de la République. Alors que ce « Cap 2030 » a été réaffirmé l'année dernière, l'Agence reconnaît à demi-mot qu'il est désormais hors de portée. Pour y parvenir, il faudrait en effet que les effectifs du réseau progressent de 10 % par an, quand leur rythme de croissance annuel s'établit plutôt autour de 2 % depuis trois ans - l'année 2024 a commencé avec un effectif estimé à 399 000 élèves.

Plusieurs facteurs ont contribué au décrochage progressif de cet objectif. Après la crise sanitaire, les tensions politiques ont asséché le vivier d'élèves dans plusieurs zones. C'est le cas dans les pays du Sahel, où le nombre de familles en expatriation a considérablement diminué, mais aussi en Turquie, où la récente interdiction de la scolarisation des élèves de nationalité turque dans le réseau français a conduit à la sortie de 356 élèves. Or la mission de service public assumée par l'AEFE la conduit à maintenir son activité dans des territoires qui ne présentent aucun potentiel de progression des effectifs.

Le réseau fait par ailleurs face à la concurrence très vive des établissements anglo-saxons, qui s'adaptent de manière souple aux contextes locaux. Le réseau français dispose cependant de sérieux atouts pour y répondre, à commencer par la continuité pédagogique et éducative offerte d'un établissement à l'autre.

Au-delà de l'objectif chiffré de 700 000 élèves, l'ambition générale de développement du réseau n'est donc pas abandonnée, et mobilise plusieurs outils du programme. En premier lieu, le plan de formation des personnels locaux mis en oeuvre en 2023, qui se poursuit avec la montée en puissance des seize instituts régionaux de formation (IRF). En second lieu, les bourses France Excellence-Major, qui permettent aux meilleurs élèves étrangers de poursuivre leurs études supérieures en France, et dont le nombre sera porté à 910. Enfin, le développement du plurilinguisme, qui passe par la diffusion des sections internationales et la mise en valeur du baccalauréat français international, dont une deuxième cohorte d'élèves sera diplômée en juin 2025.

La stratégie définie par le ministère tend à concentrer ces efforts sur onze pays cibles, et cite explicitement les élèves étrangers comme le principal vivier de progression des effectifs. À ce jour, plus des deux tiers des élèves du réseau ont la nationalité du pays d'implantation ou une nationalité tierce ; leur part s'accroît depuis la crise sanitaire, tandis que celle des élèves français diminue.

En s'insérant ainsi sur le marché de l'éducation internationale, pour lequel existe aujourd'hui une demande croissante et indépendante des logiques d'expatriation, l'AEFE inscrit clairement son développement dans la stratégie d'influence française. Cette évolution correspond à la mission de rayonnement de la langue et de la culture françaises qui lui est confiée par le code de l'éducation.

Permettez-moi de dire un mot des défis auxquels est confrontée l'Agence pour assurer l'application du principe de laïcité.

Bien entendu, les établissements du réseau sont assujettis aux lois et réglementations des territoires sur lesquels ils sont implantés ; les principes de la loi de 1905 ne valent donc ni pour les élèves ni pour les personnels recrutés localement. Pour autant, la laïcité à la française était traditionnellement bien acceptée, y compris dans l'espace arabo-musulman. Il semble que cette acceptation recule désormais, en raison de l'exportation des récents débats sur les tenues autorisées dans les établissements scolaires ; c'est notamment le cas au Maroc ou en Turquie. L'AEFE m'indique qu'elle demande à ses agents « de s'adapter sans renoncer, de tenir les objectifs, mais en faisant preuve de doigté », en acceptant au besoin « des accommodements raisonnables ».

Nous serons tous d'accord pour constater que l'AEFE est confrontée à de nombreuses mutations, qui mériteraient que nous nous y intéressions plus longuement. C'est pourquoi, en accord avec notre président Laurent Lafon, je vous propose de recevoir prochainement sa directrice au sein de notre commission.

J'en viens aux crédits de l'Institut français, dont la subvention sera en baisse de 6 %. La diminution est à mettre en rapport avec celle des dépenses d'intervention du programme, qui est plutôt de l'ordre de 15 % ; on peut donc considérer que le choix a été fait de préserver cet opérateur.

Cette évolution ne devrait pas fondamentalement remettre en cause le niveau d'activité de l'Institut, qui tend à s'accroître sous l'effet de financements extérieurs apportés par la Commission européenne, l'Agence française de développement (AFD) ou encore la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle le conduit cependant à mettre en place des mesures d'économies.

Ainsi, à court terme, l'Institut économise sur ses frais de fonctionnement, et notamment sur son loyer, à la faveur de son récent déménagement rue de la Folie-Régnault.

À moyen terme, il a entamé une revue stratégique de ses activités, qui le conduira à se désengager partiellement de certains programmes, tels que le soutien aux cinémas du monde et le soutien aux résidences et aux mobilités d'artistes. Les partenariats noués avec les collectivités locales seront par ailleurs recentrés sur les plus dynamiques d'entre eux.

À ce titre, les partenariats avec des acteurs locaux offrent une visibilité bienvenue des activités de l'Institut auprès de nos concitoyens, pour qui les enjeux de la diplomatie culturelle peuvent parfois sembler quelque peu lointains. Je pense notamment au succès de l'exposition Salammbô, organisée avec les musées de Rouen Normandie et le Mucem de Marseille, et qui est visible à Tunis depuis le mois de septembre dernier.

Ces nouvelles orientations seront complétées par les priorités définies dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'Institut, qui sera soumis à l'avis de la commission des affaires étrangères du Sénat dans les prochaines semaines. Ces priorités portent notamment sur le développement des industries culturelles et créatives, qui constitue un secteur majeur d'intervention depuis 2019. S'y ajoutera le soutien à la création artistique ; la présidente de l'Institut souligne à ce titre que le spectacle vivant, dont les difficultés nous ont été rappelées ce matin par notre collègue Karine Daniel, pourrait bénéficier d'un renforcement de sa diffusion internationale. Alors que les productions françaises sont très demandées à l'étranger, leur exportation pourrait ainsi permettre d'allonger leur durée de vie et donc leur amortissement.

En ce qui concerne la coopération universitaire, je relève avec satisfaction que les crédits des bourses de mobilité du Gouvernement seront stabilisés à hauteur de 70 millions d'euros. Pour mémoire, ces bourses sont attribuées par Campus France afin de favoriser la formation en France de profils étrangers à haut potentiel. Alors que leur montant augmente, cette consolidation de leur financement apparaît indispensable ; 10 700 bourses de mobilité devraient ainsi être attribuées en 2025.

Il est toutefois probable que cet effort budgétaire ne suffise pas à atteindre les objectifs fixés par la stratégie Bienvenue en France lancée en 2018, qui vise à accueillir 500 000 étudiants étrangers, dont 15 000 boursiers du Gouvernement, à l'horizon 2027. En 2023-2024, 430 000 étudiants étrangers étaient inscrits dans l'enseignement supérieur français, soit une hausse de 17 % depuis 2018 ; pour atteindre l'objectif poursuivi, une hausse équivalente serait nécessaire dans les deux prochaines années. Le ministère indique que « tout en continuant à tendre vers l'objectif des 500 000, une approche plus qualitative est désormais recherchée ». Cette nouvelle approche passera notamment par la généralisation de la plateforme Études en France - elle constitue l'équivalent de Parcoursup pour les étudiants extra-européens - et par la priorité donnée à l'accueil des niveaux master et doctorat.

Le programme 185 comporte par ailleurs plusieurs lignes de crédits visant à valoriser l'expertise française en matière archéologique et patrimoniale. Face aux menaces de destruction pesant sur le patrimoine architectural de plusieurs États en crise, ces financements prennent une importance renouvelée. Je pense notamment à la contribution française à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) ou au soutien de la recherche archéologique française à l'étranger. Alors que le contexte budgétaire impose une réduction du financement des unités mixtes des instituts de recherche, nous devrons nous montrer vigilants sur la préservation de ces opérations.

Je vous signale également le renouvellement de la contribution au fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels d'Afrique subsaharienne, qui intéressera les travaux de la commission portant sur les restitutions d'oeuvre d'art.

J'en termine en soulignant l'engagement et la capacité d'adaptation exceptionnels des opérateurs du programme face aux crises et aux conflits qui se multiplient en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

Dans la zone sahélienne, l'AEFE a organisé en urgence un enseignement à distance pour les élèves du Niger ainsi qu'un accompagnement financier pour leur permettre de se présenter à leurs examens à Lomé, capitale du Togo voisin.

En Israël, les réseaux de coopération et d'enseignement continuent de fonctionner malgré la forte baisse de leurs effectifs. La France est par ailleurs le seul État occidental à maintenir sa diplomatie culturelle à Gaza. Les activités du poste, dont malheureusement quatre agents sont décédés depuis le début de la guerre, sont assurées depuis Jérusalem ; elles portent principalement sur un programme de résidence, qui permet aux artistes gazaouis de s'extraire quelques mois des conditions extrêmement difficiles du terrain.

Au Liban, la programmation culturelle a été mise à l'arrêt dans le nouveau contexte de guerre. La demande reste cependant forte dans les antennes des instituts et des alliances encore ouverts, notamment pour les médiathèques et les cours de langues.

En Ukraine, les établissements scolaires de Kiev continuent à fonctionner avec un effectif majoritairement constitué d'élèves ukrainiens. L'Institut français a renforcé ses liens avec le pays en soutenant la création d'un Institut ukrainien à Paris, alors que le pays cherche à affirmer la spécificité de son identité culturelle par rapport à la Russie.

Dans d'autres États, les tensions sont telles qu'aucune solution permettant d'assurer la continuité des réseaux français ne peut être trouvée. Je pense notamment à la fermeture du lycée de Bakou, ou encore aux tensions avec la Turquie que j'ai déjà évoquées.

Mes chers collègues, je ne peux évidemment me réjouir des baisses de crédits que je viens de vous présenter. Il me semble cependant qu'elles ont été opérées de manière à préserver autant que possible les marges de manoeuvre de notre diplomatie d'influence, dans un contexte où chacun doit prendre sa part de l'effort de maîtrise des finances publiques. Je vous propose en conséquence de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Yan Chantrel. - Merci de votre excellent rapport. Nous regrettons la baisse importante des crédits du programme, qui atteint près de 45 millions d'euros, quand notre pays a accueilli en 2024 le sommet de la francophonie.

Le budget étant consacré à 65 % à l'AEFE, c'est l'Agence qui subit le plus fortement l'effet de cette baisse, avec une diminution de ses moyens de 14 millions d'euros. Celle-ci apparaît d'autant plus paradoxale que le Président de la République a assigné à l'Agence l'objectif, qui n'a à ce jour pas été remis en cause par le Gouvernement, de doubler le nombre de ses élèves d'ici à 2030. La cohérence de la situation m'échappe, à moins de vouloir susciter une forme de concurrence, potentiellement pernicieuse, au sein même du réseau français et une privatisation rampante de ce dernier. Or notre réseau éducatif se distingue, notamment par rapport à l'offre anglo-saxonne, par sa recherche d'un enseignement de qualité, original, souvent beaucoup plus abordable financièrement et marqué par une volonté de mixité sociale, ce qui le rend attractif.

Sans doute le Gouvernement devrait-il prendre acte de la fin du « Cap 2030 », en reconnaissant que l'objectif qui s'y associe n'est pas réalisable. Ne pas le faire met le réseau en difficulté, avec des personnes qui doivent se consacrer à la poursuite de cet objectif en créant, avec des fonds publics, des établissements intégralement privés.

Des difficultés existent également dans le recrutement des enseignants. Elles touchent à l'attractivité même du métier et ne concernent pas uniquement notre pays.

Par ailleurs, mes collègues Catherine Belrhiti, Pierre-Antoine Levi et moi-même avons récemment remis un rapport d'information sur la francophonie. L'une de nos recommandations concerne les alliances et instituts français. En considération de nos contraintes budgétaires, nous suggérons d'ouvrir, en contrepartie d'une participation financière, notre réseau à d'autres pays francophones qui sont nos partenaires et qui disposent de moyens diplomatiques importants. Il s'agirait de formaliser avec eux de véritables alliances de la francophonie, au service d'une stratégie beaucoup plus coopérative et globale sur le plan culturel. La préoccupation est également d'ordre géopolitique, car certains de ces pays, soumis à d'autres influences comme celles de la Chine ou de la Russie, accueillent de plus en plus difficilement le drapeau français sur leur sol et la pratique de notre langue y régresse. Nous aurions tout intérêt à les aborder et à y reprendre pied sous le couvert plus large de la francophonie, aux côtés d'autres pays. Notre rapport fait observer que, en 2050, 90 % des francophones vivraient en Afrique.

Nous ne sommes pas favorables à ces crédits.

Mme Catherine Belrhiti. - Je félicite le rapporteur pour son exposé très complet. Nous examinons un programme fondamental de l'action extérieure de l'État, elle-même constitutive d'un domaine essentiel de notre politique internationale. Il représente 19 % du budget total du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est un effort à saluer dans le contexte de crise budgétaire que nous traversons, qui reflète la volonté de l'État de maintenir une politique extérieure ambitieuse tout en faisant face aux contraintes financières actuelles.

Pilier de notre stratégie de rayonnement international, ce programme est guidé par quatre objectifs principaux : la promotion de la langue française et de l'enseignement français à l'étranger, le renforcement de l'attractivité universitaire et scientifique de la France, l'intensification de la coopération culturelle, la mise en oeuvre de la diplomatie pour relancer l'économie nationale.

Le réseau de coopération et d'action culturelle représente une véritable infrastructure de diplomatie culturelle. Il joue un rôle central dans la diffusion de notre langue, de notre culture et de notre modèle d'éducation dans le monde. Grâce à ce vaste réseau d'institutions à l'étranger, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » est un puissant levier pour renforcer notre influence tant culturelle qu'intellectuelle. Ce réseau permet de bâtir des ponts solides avec nos partenaires internationaux, tout en consolidant les liens avec les populations et les jeunes générations. Il incarne l'une des forces majeures de la diplomatie culturelle de la France. Au travers des instituts français et des alliances françaises, la France reste un acteur incontournable du dialogue culturel et de la promotion de la diversité. Par son implantation locale, ce réseau nous permet de porter haut les valeurs de la France, de la francophonie, de la solidarité et de l'échange.

Malgré la diminution des crédits qui le concernera à partir de 2025, ce programme semble conserver l'ambition de continuer à faire preuve de son efficacité sur le terrain.

Nous savons que chaque euro investi dans la diplomatie culturelle engendre des retombées multiples, sous l'angle à la fois de l'influence, des partenariats et du développement économique, en contribuant à la mise en valeur de notre patrimoine et de notre savoir-faire à l'international. Plus que jamais, la diplomatie culturelle et l'influence internationale sont des leviers stratégiques pour la France. Ce programme, avec ses objectifs clairs et les moyens qu'il y consacre, en est une parfaite illustration.

C'est pourquoi notre groupe suivra l'avis du rapporteur.

Mme Mathilde Ollivier. - Pour notre part, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur. Dans le programme 185, nous relevons des diminutions de 15 millions d'euros pour l'enseignement supérieur, de 11 millions d'euros pour la coopération culturelle et la promotion du français - la contradiction avec les engagements pris lors du dernier sommet de la francophonie est ici flagrante -, de 14 millions d'euros pour l'AEFE, de 5 millions d'euros pour la diplomatie économique. Le programme entre dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État » qui voit elle-même son budget global diminuer de 144 millions d'euros, une somme particulièrement importante pour le MEAE.

Nous sommes toujours opposés à l'objectif d'un doublement du nombre des élèves de l'AEFE à l'horizon de 2030, dont vous nous avez dit qu'il ne serait vraisemblablement pas atteint. Cet objectif suppose en effet d'abord le développement d'établissements privés à but lucratif, sans véritable réflexion sur la cohérence du réseau français à l'étranger ni sur la qualité de l'enseignement qui y est dispensé.

Nous déplorons par ailleurs la baisse de 25 % des crédits consacrés à l'action no 03 « Objectifs de développement durable » (ODD). Elle contrarie la réelle volonté de progresser sur ces objectifs et les initiatives prises sur les enjeux du changement climatique que je constate lors de mes déplacements dans les établissements français de l'étranger.

Il a été question des financements extérieurs auxquels les instituts français pouvaient prétendre, notamment auprès de l'Union européenne. Cependant, solliciter des ressources propres, en particulier en participant à des appels à projets, représente pour eux une difficulté, car cela suppose de mobiliser des effectifs limités qui, pendant ce temps, ne se consacrent plus au développement des projets locaux.

Enfin, la réduction du nombre des bourses destinées à soutenir des artistes en résidence à l'étranger serait particulièrement problématique pour l'influence de la France. Ces aides contribuent en effet pour une part non négligeable à son rayonnement dans le monde.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci au rapporteur pour les précisions qu'il nous a apportées. Malgré la baisse régulière depuis des années des crédits du programme 185, la France continue de jouir à l'étranger d'une indéniable reconnaissance. Un notable « besoin de France » s'y manifeste toujours. Telle était l'une des conclusions du rapport d'information qu'Else Joseph et moi-même avions consacré à l'expertise patrimoniale et muséale. L'action extérieure de l'État comprend également l'ensemble de ces coopérations et interventions à l'étranger, bien que nous ne les citions pas spontanément à l'occasion de l'examen des crédits du présent programme. Je pense notamment au rôle de la Commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger, de l'AFD ou de l'agence Expertise France.

À mes collègues qui déplorent les diminutions de crédits du programme et le nombre réduit des agents des instituts français, qui ne leur permet pas toujours d'exécuter complètement les missions figurant dans leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM), je rappelle que la principale de ces baisses, de 47 %, et qui a durablement fragilisé l'Institut français, est intervenue sous la présidence de François Hollande...

M. Yan Chantrel. - Je m'attendais à cette remarque !

Mme Catherine Morin-Desailly. - La fragilisation de ce réseau ne date pas d'aujourd'hui. La baisse des crédits de 6,2 % dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par rapport à la LFI de 2024 ne le met pas structurellement plus en danger.

La question revient à se demander si la France dispose encore des moyens d'une diplomatie culturelle ambitieuse, à laquelle, je crois, nous tenons tous. Au travers de la francophonie, il s'agit de promouvoir la diversité culturelle et de porter les valeurs de la démocratie. Il paraît pertinent que nous nous interrogions sur de nouvelles pistes d'action.

Je salue en particulier la suggestion de Yan Chantrel et Catherine Belrhiti d'ouvrir le réseau à nos partenaires francophones, afin de développer un projet collectif ambitieux. Dans le champ culturel, la coopération avec eux existe déjà, par exemple via la chaîne TV5 Monde.

Au cours de son audition, la présidente de l'Institut français nous a rappelé son effort de maintenir l'implantation de l'Institut dans les zones de guerre et de conflit. Cet effort est remarquable. À Ramallah, par exemple, l'institut français, lié à l'institut Goethe, continue de fonctionner. Il faut tout faire pour que, en effet, les divers acteurs de la culture poursuivent leur oeuvre dans ces territoires.

La présidente de l'Institut français a également insisté sur le rôle de la coopération avec les collectivités territoriales. Les crédits que nous votons à destination de l'Institut français leur profitent également lorsqu'elles développent des projets, telle la grande exposition Salammbô qui se tient actuellement à Tunis.

Enfin, à la suite de nos réflexions conduites sur les ingérences étrangères, je constate que, plus que jamais, l'audiovisuel extérieur a besoin de notre soutien. Outre la promotion de la langue et de la diversité culturelle - France Médias Monde et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tiennent ici un rôle de premier plan -, il contribue à la lutte contre la désinformation.

En dépit des difficultés que nous identifions et que regrettons avec vous, nous soutiendrons l'avis du rapporteur.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci à Claude Kern pour la qualité de son rapport. Celui de cette année est néanmoins quelque peu attristant. La baisse des crédits n'est pas seule en cause : par rapport à l'an passé, le nombre de Français et d'enseignants qui travaillent dans des zones de guerre, ou dans des zones de très forte contestation de la présence française par les autorités gouvernementales locales - par exemple en Turquie - a augmenté et nous voyons avec quelle difficulté ils essayent de porter encore la voix de la France. La simple considération de ce travail et des risques qu'ils prennent aurait justifié que le Gouvernement maintienne le niveau des crédits du programme 185. Le message que nous leur adressons n'est, au contraire, pas satisfaisant.

Il est par ailleurs fâcheux de constater que l'expertise française à l'étranger pâtit toujours du problème manifeste de coordination qui prévaut entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et celui de la culture. Il semblerait même que la capacité du second à intervenir à l'étranger se soit encore restreinte.

En outre, la diplomatie des agences a montré ses limites et nos différents rapports sénatoriaux successifs s'efforcent de recenser les dispositifs qui échappent au contrôle du Parlement.

Le devenir des unités mixtes de recherche (UMR) à l'étranger des instituts français me préoccupe. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a annoncé à plusieurs reprises vouloir se désengager de ces structures. Il est à craindre qu'il utilise le prétexte du coup de rabot que, notamment, la commission des finances du Sénat va lui imposer pour quitter les instituts français. Ce serait catastrophique pour l'Institut, car il ne pourrait plus bénéficier de l'apport des chercheurs du CNRS en disponibilité.

Je partage totalement le point de vue de Catherine Morin-Desailly : partout où l'on se rend dans le monde, une demande de France n'est pas satisfaite, quand nous pourrions l'utiliser pour renforcer notre présence à l'étranger. Et elle ne l'est pas uniquement pour des motifs d'ordre pécuniaire. Souvent, notre pays est incapable de signaler aux gouvernements étrangers quelles compétences il pourrait mobiliser pour les aider. Nous le constatons, par exemple, dans le domaine de l'archéologie, où c'est de nouveau un problème de coordination entre les différents acteurs nationaux qui se pose.

Pour ces différentes raisons, nous ne nous prononcerons pas dans le sens de la conclusion de votre rapport.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - J'adresse mes remerciements aux différents intervenants pour leurs remarques et suggestions. J'exprimerai un regret, celui de n'avoir pu entendre les représentants du MEAE, spécialement sur l'objectif, utopique, de doubler le nombre des élèves de l'AEFE. Nous ne parviendrons pas à atteindre un tel objectif et, dans ces conditions, il importe de redonner à l'AEFE une vision claire de son avenir.

Après le remarquable travail que vous avez conduit sur le réseau français de coopération, nous pourrions également rencontrer la présidente de l'Institut français. Par ailleurs, je ne peux évidemment que partager vos observations.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'action culturelle extérieure de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2025.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 12 novembre 2024

Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (Fapee) : M. Hugo CATHERINE, président, et Mme Mélissa NACHTIGAL, déléguée générale.

Mercredi 20 novembre 2024

Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) : Mmes Claudia SCHERER-EFFOSSE, directrice, et Vanessa LÉGLISE, conseillère relations institutionnelles et référente égalité.

Jeudi 21 novembre 2024

Institut français : Mme Eva NGUYEN BINH, présidente, et MM. Hugues GHENASSIA DE FERRAN, directeur général délégué, et Thomas HANNEBIQUE, secrétaire général.

CONTRIBUTION ÉCRITE

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) - Direction de la diplomatie culturelle, éducative, universitaire et scientifique

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