ANNEXE
Audition de M. Patrick Hetzel,
ministre de l'enseignement
supérieur et de la recherche
MERCREDI 6 NOVEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission dans vos nouvelles fonctions de ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous féliciter pour cette nomination et à vous souhaiter une belle réussite dans l'exercice de vos fonctions.
Vous trouverez, au sein de cette commission, des interlocuteurs attentifs, exigeants et passionnés, au premier rang desquels notre rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur, Stéphane Piednoir, fin connaisseur de ce secteur depuis plusieurs années, et notre rapporteure pour avis des crédits de la recherche, Alexandra Borchio Fontimp. D'autres collègues sont aussi très impliqués dans les questions relatives à l'enseignement supérieur et de la recherche : je pense en particulier à Laure Darcos, qui exerçait les fonctions de rapporteure il y a quelque temps.
Votre première intervention devant nous coïncidant avec la traditionnelle audition budgétaire de l'automne, nous sommes désireux de vous entendre à la fois sur votre feuille de route ministérielle et sur le projet de loi de finances pour 2025, même si nous savons que vous avez récupéré ce dernier dans un délai particulièrement restreint.
Ce budget est marqué, pour la quatrième année consécutive, par la mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020, qui concerne aussi bien le champ de la recherche que celui de l'enseignement supérieur, et qui a enclenché un réinvestissement public attendu.
Je rappelle que le Sénat, sous l'impulsion de notre commission et de notre rapporteure Laure Darcos, avait vigoureusement défendu, au nom de la sincérité budgétaire, une durée de programmation réduite, compte tenu des aléas conjoncturels pouvant survenir en dix ans. Force est de constater que les faits lui donnent malheureusement raison. Le contexte budgétaire actuel ne permettra pas, en effet, d'honorer entièrement la cinquième marche de la LPR. Il semble ainsi que seules les mesures de revalorisation des rémunérations et des carrières auxquelles l'État s'est engagé en 2020, aussi bien pour les personnels de l'enseignement supérieur que pour ceux de la recherche, soient budgétées à ce jour.
Vous nous direz précisément, monsieur le ministre, quelles mesures de la loi vous avez décidé de préserver et quelles sont celles pour lesquelles vous avez dû revoir les ambitions à la baisse.
Pour ce qui concerne le reste des crédits de l'enseignement supérieur, j'observe que les projections budgétaires sont bâties sur une hypothèse de baisse de la démographie étudiante, qui n'est pas partagée par tous les professionnels du secteur. Ce point appelle donc quelques précisions.
L'année 2024 a par ailleurs été marquée par la mise en oeuvre de la loi du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, issue d'une initiative sénatoriale de notre collègue Pierre-Antoine Levi. Peut-être pourrez-vous nous dresser un bilan de sa première année d'application, qui a, me semble-t-il, été largement saluée aussi bien par les étudiants que par les établissements.
Enfin, notre commission a récemment travaillé sur l'inquiétante progression des manifestations d'antisémitisme au sein des établissements. Suivant nos rapporteurs Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, nous avons fait plusieurs recommandations ciblées visant à endiguer le problème. La plupart relèvent du niveau réglementaire ou des bonnes pratiques des établissements. Sans doute pourrez-vous nous dire quelques mots, monsieur le ministre, des mesures prises en ce domaine à l'occasion de la rentrée universitaire.
Au-delà des enjeux budgétaires, le secteur de la recherche est confronté aux défis de la gouvernance et de la simplification, deux chantiers lancés par votre prédécesseure.
Les premières agences de programmes, pilotées par les grands organismes nationaux de recherche (ONR), se sont déployées tout au long de cette année et ont fait remonter à votre ministère leurs projets de programmes de recherche. L'expérimentation de mesures de simplification de la gestion de la recherche est quant à elle en cours dans 17 universités pilotes. Sur ces deux grands dossiers, quelles sont vos intentions ? Souhaitez-vous en particulier aller plus loin dans la clarification des rôles entre ONR et universités ?
Monsieur le ministre, je vous laisse à présent la parole, non sans avoir préalablement rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Je salue par ailleurs Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances, qui est présent parmi nous cet après-midi.
M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous et répondre à vos questions.
Pour commencer, je souhaite vous présenter les priorités qui guideront mon action. Il s'agira tout d'abord d'adapter l'offre de formation supérieure pour mieux garantir les débouchés vers le monde professionnel. Près de 3 millions de jeunes gens sont inscrits dans l'enseignement supérieur. L'offre de formation doit proposer un parcours favorisant l'insertion, en intégrant les transitions écologique, numérique, sociétale et industrielle. Cela suppose d'informer de manière plus efficace et transparente les étudiants et les lycéens, de déployer une démarche de pilotage de l'offre de formation et d'inciter les établissements à transformer leur offre lorsque cela est nécessaire pour en garantir l'inscription territoriale.
Il s'agira ensuite d'enclencher une nouvelle phase d'autonomie des universités, en contrepartie d'un effort de simplification, de transparence et d'évaluation. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, a déjà dix-sept ans. Elle a produit plusieurs évolutions dans l'enseignement supérieur, que, je pense, personne ne souhaite remettre en cause. Nous pouvons d'ores et déjà lancer une réflexion sur cette nouvelle phase d'autonomie. Je souhaite associer les sénatrices et les sénateurs à ce travail. Les modalités d'inclusion de vos contributions vous seront prochainement précisées.
L'offre de formation est abondante. Pas moins de 130 000 places restent ainsi disponibles sur la plateforme Parcoursup. La question de savoir si ces formations répondent aux aspirations des jeunes et aux besoins des milieux économiques ne doit pas être un sujet tabou.
Nous souhaitons enfin renforcer l'investissement national dans la recherche, public comme privé, pour préserver la compétitivité de la France. La France et ses entreprises doivent investir dans la recherche. À cet effet, je proposerai un pacte pour la recherche. Toutes les découvertes scientifiques produites par la recherche académique française nourrissent un flot régulier de transferts de connaissances vers le monde socio-économique et sont à l'origine d'innovations majeures dans les domaines de la physique quantique, de l'hydrogène, des énergies vertes ou des biothérapies. Tout cela contribue à la richesse et au dynamisme de la France. Comme cela se fait dans la plupart des autres pays, nous devons considérer que l'enseignement supérieur et la recherche peuvent apporter leur part dans la création de richesses comme dans la croissance du pays.
Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche a effectivement été finalisé dans un contexte très particulier, compte tenu du peu de temps disponible, et financièrement contraint. Il préserve néanmoins le financement de nos priorités, et s'inscrit pleinement dans la feuille de route du Premier ministre pour ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025, puis sous le seuil de 3 % à l'horizon 2029.
Ce budget s'élèvera en 2025 à 26,8 milliards d'euros, répartis entre les trois programmes de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) : le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », à hauteur de 15,3 milliards d'euros ; le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », à hauteur de 8,3 milliards d'euros ; et le programme 231 « Vie étudiante », à hauteur de 3,2 milliards d'euros. Ce budget progresse par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, à hauteur de 89 millions d'euros. Au total, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche aura augmenté de 4,3 milliards d'euros sur la période 2017-2025, et de 2,7 milliards d'euros depuis le démarrage de la LPR en 2021. Cela traduit l'engagement important consenti par la Nation pour cette politique publique en général et ce ministère en particulier.
En 2025, ce budget se consacre à quatre priorités : renforcer l'attractivité des carrières scientifiques et l'investissement dans la recherche ; améliorer la réussite des étudiants à travers une politique sociale s'exprimant par l'amélioration de l'offre de logement, une restauration à tarif modéré et les bourses sur critères sociaux ; accroître la performance des établissements d'enseignement supérieur à travers les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) ; poursuivre la transformation du parc immobilier des établissements. Le budget fléché sur ce dernier point est de 1,2 milliard d'euros.
Le premier axe a été sanctuarisé dans le budget 2025. Votre propos liminaire, monsieur le président, y faisait référence. Le projet de loi de finances (PLF), tel que présenté au Parlement par le Gouvernement, ouvre ainsi 91 millions d'euros supplémentaires sur le programme 150 et 67 millions d'euros sur le programme 172. Ces moyens préserveront la mise en oeuvre du protocole d'accord relatif à l'amélioration des carrières et des rémunérations d'octobre 2020. Il était important de tenir ces engagements pris par l'État il y a quatre ans.
Le budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR) est maintenu en 2025, pour que celle-ci puisse continuer à financer des projets de recherche sur des domaines stratégiques en lien avec les grands défis contemporains, tout en assurant la revalorisation de l'abondement financier revenant aux établissements pour soutenir les laboratoires et unités de recherche.
Je rappelle par ailleurs les moyens importants investis dans la recherche via des financements extrabudgétaires, par exemple France 2030. Pas moins de 13 milliards d'euros, sur les 54 milliards d'euros de ce plan, sont en effet investis au bénéfice des acteurs de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation de 2020 à 2027. De nouvelles actions sont d'ailleurs en cours de lancement, pour un montant de 650 millions d'euros, autour d'un programme « recherche à risque ».
Il s'agit aussi de travailler à l'amélioration des conditions de vie des étudiants. Le PLF renforce le soutien financier au réseau des oeuvres universitaires, bras armé de cette politique, moyennant une progression de la subvention de 30 millions d'euros. Par cet effort, nous pourrons faire face à la hausse de la fréquentation des restaurants universitaires. Près de 2 613 places supplémentaires seront créées d'ici à l'année prochaine.
Le PLF maintient également la subvention en faveur du logement du réseau des oeuvres universitaires. Depuis 2018, cette dynamique a entraîné la création de 13 000 logements sociaux étudiants, dont 12 000 gérés directement par les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous). Je travaille avec ma collègue Valérie Létard, ministre déléguée chargée du logement, pour trouver des solutions dans la politique gouvernementale consacrée à ce volet.
Le PLF réaffirme par ailleurs notre engagement en faveur des étudiants les plus fragiles, en maintenant le repas à 1 euro pour les étudiants boursiers et ceux qui sont en situation difficile. Entre 2022 et 2024, le nombre de repas servis à tarif social a augmenté de 17 %. Ce sont 42,5 millions de repas qui ont été servis sur la période 2023-2024, d'où une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros prévue pour 2025 pour le dispositif introduit par la loi Levi. Cette initiative assure à des milliers d'étudiants l'accès à des repas équilibrés à un tarif avantageux, participant ainsi à leur réussite académique. Je salue cette contribution significative, qui répond à un angle mort et engage une véritable politique publique autour de ces questions.
Nous poursuivons également le déploiement des dispositifs en faveur de l'égalité des chances. Cet élément doit nous réunir, car il relève des valeurs de la République. Le budget 2025 maintient ainsi une politique de bourses sur critères sociaux donnant aux étudiants les plus défavorisés un accès à l'enseignement supérieur dans des conditions facilitées. Le ministère continuera à financer des dispositifs qui contribuent à la réussite et à l'insertion des étudiants : cordées de la réussite, prêts étudiants garantis par l'État, diplômes d'université dits « passerelles », etc.
Les efforts pour une université plus inclusive sont aussi poursuivis, notamment en matière de handicap, pour les étudiants comme pour les personnels. Il ne faut aucune discrimination.
Le troisième axe consiste à renforcer la performance de nos établissements d'enseignement supérieur. En 2025, la troisième vague des contrats d'objectifs, de moyens et de performance de 55 établissements commencera. Le ministère pérennisera une enveloppe de 35 millions d'euros dans le budget 2025. Ces contrats offriront aux établissements concernés davantage de latitude pour innover et répondre aux grands défis de demain. Cette troisième vague sera aussi l'occasion de mettre en avant la démarche de simplification rappelée par le Premier ministre il y a quelques semaines.
Enfin, il s'agit d'accompagner les établissements dans leurs projets immobiliers de rénovation ou de transformation. Un accent particulier sera mis sur la rénovation énergétique du parc universitaire et du réseau des oeuvres universitaires.
Ce PLF répond donc à une double exigence : préparer l'avenir tout en contribuant à la maîtrise des finances publiques. Certains points pourront faire l'objet d'ajustements lors des débats, mais nos politiques publiques sont d'ores et déjà sécurisées. Même si la marche essentielle de la LPR pour 2025 ne sera pas totalement atteinte, ses orientations sont maintenues.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - La situation de nos universités, dont les deux tiers présenteront un budget en déficit cette année - tendance déjà amorcée l'année dernière - est inquiétante. Plusieurs d'entre elles atteignent peut-être un point de non-retour. En outre, je suis frappé par une succession de non-compensations de plusieurs mesures : revalorisation du point d'indice, mesures Guerini...
Je suis très attaché aux conditions de vie étudiante, car elles contribuent à l'attractivité de nos établissements publics ainsi qu'à la réussite de nos étudiants. Or on peut craindre un report des rénovations du parc immobilier.
Rachida Dati nous a annoncé un chèque de 300 millions d'euros lors de son audition hier. Avez-vous une annonce du même ordre à faire pour l'enseignement supérieur ?
Par ailleurs, certains réclament régulièrement une mise à plat des critères de dotation des universités.
Les établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (Eespig), qui assurent une mission de service public, subissent quant à eux de fortes contraintes liées à leur statut. Or les dotations ne sont pas à la hauteur de celles-ci : à moins de 5 %, en moyenne, de leur budget, nous sommes très loin du financement à 1 000 ou 1 200 euros par étudiant pratiqué dans les années 2007-2012. Quelle est votre position sur cette lente érosion de la dotation pour charge de service public des Eespig ?
Pouvez-vous également nous dire un mot des jurys rectoraux ?
Je soulignerai, dans mon rapport, la nécessité de réguler la qualité de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, qui n'est pas à la hauteur de nos standards - de nombreux établissements attirent les étudiants par des stratégies marketing trompeuses et détournent les fonds publics consacrés à l'apprentissage. Quelles pistes envisagez-vous pour le faire ?
Enfin, le gel du barème des bourses sur critères sociaux conduirait à faire sortir plusieurs étudiants de ces aides. Quel sera l'arbitrage de Bercy sur ce point ? Envisagez-vous de reprendre la réforme des bourses d'enseignement supérieur entamée par votre prédécesseure ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Monsieur le ministre, ayant pris la suite de Laurence Garnier comme rapporteure pour avis de notre commission sur les crédits de la recherche, il me revient l'honneur de vous poser les premières questions sur vos priorités pour ce secteur en 2025.
L'une d'elles me paraît fondamentale : l'amélioration des rémunérations et des carrières des professionnels de la recherche. Il n'y a en effet pas de recherche sans chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens, ni personnels administratifs. Or nous n'ignorons pas le déficit d'attractivité dont souffrent ces métiers. Je souscris donc totalement au choix que vous avez fait de préserver la mise en oeuvre du protocole « ressources humaines (RH) » du 12 octobre 2020. La masse salariale de nos opérateurs publics de recherche ne peut servir de variable d'ajustement budgétaire.
Parce que le contexte budgétaire actuel oblige néanmoins à procéder à des arbitrages, vous avez décidé de geler la montée en charge du dispositif des chaires de professeur junior (CPJ). Cette nouvelle voie de recrutement des jeunes chercheurs, qui avait fait couler beaucoup d'encre au moment de l'examen de la LPR, a fini par se faire accepter. Pourriez-vous nous rassurer quant à l'avenir de ce dispositif, que plusieurs opérateurs de recherche m'ont dit vouloir préserver ?
Lors de la présentation de votre feuille de route aux recteurs début octobre, vous avez exprimé votre souhait d'aller vers « un pacte pour la recherche » avec les acteurs socio-économiques. Je me réjouis que vous fassiez de la relation public-privé un axe majeur de votre politique. Comment augmenter la contribution du secteur privé au financement de la recherche ? Comment, dans nos territoires, renforcer les liens entre les acteurs de la recherche et le tissu économique local et créer des synergies entre le monde académique et celui de l'entreprise, notamment en matière de formation ? C'est un travail passionnant et nécessaire qu'il nous faut mener, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Pourriez-vous nous préciser vos objectifs, votre méthode et votre calendrier ?
Cette problématique public-privé m'amène à vous interroger sur les sociétés d'accélération du transfert de technologies (Satt), qui sont des acteurs essentiels pour la valorisation économique et industrielle des travaux de la recherche publique. Il semblerait que le PLF 2025 réduise leur budget, alors que près de 80 millions d'euros étaient initialement prévus. Pourriez-vous nous rassurer à ce sujet ?
Enfin, le président de l'université Côte d'Azur m'a alertée il y a quelques semaines sur le traitement différencié, préjudiciable aux conditions d'études des étudiants, dont son établissement, pourtant reconnu comme un pôle d'excellence, faisait l'objet en matière de dotation par rapport aux autres universités françaises. Les craintes restent fortes à cet égard. Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour soutenir cette université ? Une majoration de sa dotation serait-elle envisageable, et ce dès cette année ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial sur les crédits de la recherche. - Le budget a été présenté et adopté ce matin en commission des finances. La trajectoire de la LPR sera réalisée à 98 % cette année, ce dont nous nous félicitons. Bravo pour cette réussite, monsieur le ministre !
On annonce un maintien des crédits pour presque tous nos opérateurs, mais des doutes subsistent sur le Centre national d'études spatiales (Cnes). Pourriez-vous clarifier sa situation ?
La LPR est une belle réussite. Laure Darcos, Stéphane Piednoir et moi-même avions participé à la fameuse commission mixte paritaire (CMP) qui a permis de sortir le projet de loi de l'ornière. Au fil de nos rapports, nous plaidions pour une dotation à 1 milliard d'euros de crédits pour l'ANR. Cette somme a été atteinte et même dépassée, et l'ANR affiche un taux de succès de 25 %. On comptabilise 600 millions d'euros de crédits supplémentaires entre 2020 et 2024, soit une augmentation budgétaire de 82 %.
Par ailleurs, en tant que président de la commission des affaires européennes, j'ai des échanges réguliers avec le secrétaire général des affaires européennes (SGAE). La France devrait avoir un taux de retour important sur les crédits européens : près de 2 milliards d'euros, tous ministères confondus, dont 550 millions d'euros pour la recherche. Notre taux de retour pour la recherche est le deuxième en Europe, après celui de l'Allemagne : il est à 11,8 %, alors que notre contribution européenne est à 17 %. Pourquoi ne pas chercher là des crédits supplémentaires ? C'est l'objet de l'amendement que j'ai déposé ce matin. Nous verrons quel sera son chemin.
Nos chercheurs français ont été choyés durant ces quatre dernières années. Il y a lieu de s'en réjouir, mais nous avons une marge de manoeuvre à chercher auprès de l'Union européenne. Monsieur le ministre, j'ai transmis un courrier à vos services sur ce sujet : si nous ne le faisons pas, les Allemands le feront à notre place.
Par ailleurs, nous sommes un peu hors la loi. Dans la LPR, nous avions fait inscrire une clause de revoyure, qui n'a pas été activée. Ce n'est pas faute de l'avoir demandée à votre prédécesseure ! Certes, le renouvellement de l'Assemblée nationale a pris du temps, mais nous n'avons plus d'excuse à présent. Il est plus que temps d'engager cette clause de revoyure, véritable tournant pour la France et pour la recherche selon les conclusions du rapport Draghi.
M. Patrick Hetzel, ministre. - Le budget des établissements est évidemment une question importante. L'information qui circule est que deux tiers des établissements sont en déficit. Je reste très prudent sur ce point. Nous attendons, pour début décembre au plus tard, les conclusions d'un rapport confié aux inspections générales sur le modèle économique des universités. Nous pourrons alors objectiver le niveau de ressources des établissements et leur capacité à mobiliser des ressources propres.
L'observation de la structuration des finances des établissements fait apparaître, à cet égard, des réalités très contrastées. Pour prendre un exemple un peu atypique, les finances de l'université Paris-Dauphine - Paris Sciences & Lettres (PSL) se composent à 50 % de la dotation de l'État et à 50 % de ressources propres. A contrario, plusieurs établissements ont moins de 10 % de ressources propres. La question se pose donc de savoir comment engager une dynamique collective autour de l'enjeu des ressources propres. Il ne s'agit pas de se dédouaner ni de faire en sorte que l'État n'assume pas ses missions, mais d'exploiter le champ des possibles dans ce domaine. Certains financements publics relatifs à l'apprentissage peuvent d'ailleurs parfois compter parmi les ressources propres.
La mise en oeuvre de la LPR a conduit à une hausse des taux de satisfaction associés aux appels à projets : 25 %, contre 10 % au sein de l'ANR. Mais, en raison de ces financements nationaux, nos établissements ont moins sollicité la ressource européenne que nos voisins européens, allemands, italiens et espagnols. On constate donc des marges de progression aussi de ce côté.
Pour ce qui concerne la nouvelle phase d'autonomie des établissements, nous avons un débat avec Bercy. Selon le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, la trésorerie disponible - non fléchée, donc - des établissements d'enseignement supérieur excédant 1 milliard d'euros, il n'est pas nécessaire d'augmenter les dotations. Un travail assez fin est en réalité nécessaire, car il existe des situations très contrastées. Nous étudierons ce point de près. Il ne faut pas superposer un déficit temporaire et une situation de difficulté budgétaire structurelle.
Le financement des Eespig est un sujet important. Plusieurs parlementaires ont soutenu ce dispositif lors de l'examen de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, notamment pour défendre l'idée d'intérêt général. La dotation par étudiant, de 1 200 euros jusqu'en 2012, a baissé à 600 euros entre 2012 et 2017, alors que le nombre d'étudiants a augmenté. Or nous nous retrouvons avec un financement stable de 95 millions d'euros, et une dotation maintenue à 600 euros malgré une nouvelle augmentation du nombre d'étudiants. Idéalement, il faudrait pouvoir augmenter ces montants, ces établissements concourant, comme leur intitulé l'indique, à l'intérêt général.
J'ai été informé de la situation des jurys rectoraux dans les jours qui ont suivi ma nomination. Je regarderai ce point attentivement pour que la situation soit réglée avant l'ouverture de Parcoursup, au minimum pour les Eespig, qui font l'objet d'un contrôle par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres).
Par ailleurs, il faudra effectivement travailler sur la régulation des établissements privés à but lucratif. L'attribution d'un label résout 80 % du problème, mais des questions juridiques restent à régler, une partie d'entre eux n'ayant pas le niveau qualitatif suffisant, ce qui inquiète de nombreuses familles. J'espère que nous arriverons à trouver des points de convergence sur ce sujet.
Pour ce qui est des bourses sur critères sociaux, nous maintenons le cap, pour aider les étudiants. Le système actuel reste lisible, mais il est injuste, en raison des effets de seuil, et complexe dans sa gestion, pour les services comme pour les bénéficiaires. Nous veillerons, comme le prévoyait la réforme envisagée par ma prédécesseure, à ce qu'une plus grande équité soit respectée. Il faudra voir ce qu'il sera possible de faire dans l'équation budgétaire. Plusieurs arbitrages ont été proposés, dont une augmentation de la ligne des bourses étudiantes.
Madame Borchio Fontimp, le développement de l'attractivité est évidemment un enjeu essentiel. Toutefois, je vous invite à regarder les campagnes de recrutement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous noterez avec intérêt qu'un tiers des recrutés ne sont pas de nationalité française, signe que notre système dispose encore d'une attractivité pour les chercheurs étrangers souhaitant travailler en France. Les engagements du protocole RH d'octobre 2020 apportent, à cet égard, une consolidation bienvenue.
Concernant le pacte pour la recherche, le raisonnement est très simple : bien qu'un peu plus de 8 milliards d'euros soient consacrés à la recherche dans le programme 172, nous avons un vrai problème de niveau global d'investissement. Un autre levier existe également en France, source potentielle de débats et de divergences de points de vue : la consolidation du crédit d'impôt recherche (CIR), qui représente plus de 7 milliards d'euros. L'idée serait de voir comment le secteur public, qui bénéficie fortement de ce crédit d'impôt, pourrait contribuer à rehausser l'investissement consacré à la recherche, au-delà de 2,2 % du PIB. Des concertations s'engageront à ce sujet au premier semestre 2025. La chambre haute y sera impliquée.
L'année 2025 est une année charnière pour les Satt, qui passeront d'un mode de financement assuré par France 2030 à un mode de financement budgétaire intégrant le programme 172. Près de 45 millions d'euros ont été fléchés pour les Satt dans le PLF 2025 pour assurer une continuité par rapport à France 2030.
Je ne peux répondre précisément pour l'instant à la question relative à la situation de l'université Côte d'Azur, mais je m'engage à la regarder de près avec les services du ministère. D'autres parlementaires m'ont sollicité, car cette question se pose pour de nombreux établissements. De manière générale, la question de l'évolution du modèle d'allocation de moyens se pose. Le Sénat avait effectué des travaux en ce sens ; il faut qu'ils soient opérationnalisés par l'exécutif. Je reviendrai devant vous à ce sujet dans le courant de l'année.
La question de la LPR est évidemment centrale. C'est tout de même une belle réussite, comme vous l'indiquiez, monsieur Rapin. On ne peut que s'en réjouir. La consolidation des budgets de l'ANR et le taux de réussite de 25 % pour les appels à projets sont à saluer. Les chercheurs indiquent que ce taux constitue une épure comparable à celle que l'on trouve dans les pays voisins.
Le cas du Cnes fait débat au sein du Gouvernement. Je ne suis pas le seul ministre décisionnaire sur les questions spatiales, car celles-ci relèvent également du ministère des armées et des anciens combattants et du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes cependant d'accord pour dire qu'il ne faut pas pénaliser notre politique spatiale, en raison des enjeux de souveraineté associés.
Enfin, je vous remercie, monsieur Rapin, d'avoir mis l'accent sur les questions européennes. J'espère que votre propos sera diffusé largement.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Il faudra voter mon amendement...
M. Patrick Hetzel, ministre. - Vous avez par ailleurs insisté sur un point clé, la clause de revoyure. Celle-ci doit évidemment être activée, dans le cadre d'un échange avec le Parlement.
M. Max Brisson. - Vous avez adressé aux chefs d'établissement d'enseignement supérieur une note importante avant le 7 octobre. Au nom des sénatrices et des sénateurs du groupe Les Républicains, je vous signale tout notre soutien à votre position. Contrairement à ce que j'ai pu lire, ce n'est pas vous qui menacez les libertés académiques : ce sont ceux qui, par intimidation, veulent imposer leur dogme aux dépens de ces libertés. Nous serons à vos côtés pour les protéger.
La part cible de la dépense intérieure en recherche et développement s'élève à 2,5 % du PIB, contre plus de 3 % en Allemagne et 3,5 % en Suède. Il y a là un vrai risque de décrochage, sur lequel nous aimerions vous entendre.
La France compte 20 000 brevets, contre 25 000 pour l'Allemagne. Pourriez-vous vous exprimer sur cet écart ?
Je voudrais également évoquer avec vous la formation des professeurs du second degré, qui dépend aussi de votre ministère. Cette formation s'effectue sous le sceau universitaire dans le cadre d'instituts liés aux universités. Quelle est la position du Gouvernement sur le niveau universitaire des concours, les modalités de pré-recrutement des professeurs via des licences dédiées et l'équilibre entre formation académique et formation pratique ?
Annick Billon et moi-même avons rédigé un rapport, publié en juin dernier et passé relativement inaperçu compte tenu des péripéties de l'été, qui contient des recommandations susceptibles de compléter vos réflexions et celles d'Anne Genetet, notamment sur le lien entre le pré-recrutement, la formation initiale et la formation continue. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le calendrier de mise en oeuvre de la réforme, nécessaire pour revaloriser le métier de professeur ?
M. Yan Chantrel. - Votre premier acte de ministre a été de vous rendre à l'assemblée générale d'un syndicat minoritaire d'extrême droite, événement qui a suscité un certain émoi chez les enseignants et les étudiants. Je rappelle que vous êtes issu d'un gouvernement élu grâce au front républicain. Ce n'est pas en lui déroulant le tapis rouge qu'on lutte contre l'extrême droite !
Le coût de la vie étudiante a augmenté de 28 % depuis 2017, et la précarité étudiante s'aggrave. Ainsi, 40 % de jeunes ne vivant plus avec leurs parents sont en dessous du seuil de pauvreté. D'après le baromètre de l'Institut français d'opinion publique (Ifop), 36 % des étudiants ont déjà régulièrement sauté un repas par manque d'argent, un étudiant sur cinq a déjà eu recours à l'aide alimentaire, 39 % ont déjà été à découvert, 30 % ne parviennent pas à payer à l'heure les charges liées à leur logement, et 63 % ont déjà renoncé à le chauffer. Il est urgent de répondre à cette précarité, via les aides directes à la vie étudiante.
Les effets de la première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux sont-ils connus et chiffrés ? On nous avait annoncé 35 000 étudiants boursiers supplémentaires et 140 000 étudiants passant à l'échelon supérieur. Où en est-on en réalité ?
Par ailleurs, le budget du programme 231 est en baisse de 77 millions d'euros. Les aides directes sont les principales victimes des coupes budgétaires prévues. Nous pouvons donc nous inquiéter de la deuxième étape de la réforme des bourses, prévue initialement en septembre 2024. Où en est-on ? La réforme paramétrique issue du rapport Jolion est-elle toujours d'actualité ?
Depuis trente ans, le nombre d'étudiants suivant un cursus dans l'enseignement supérieur privé a triplé. L'essor du privé est dû à la paupérisation de nos universités, qui n'ont pas eu les moyens d'accueillir un nombre croissant d'étudiants depuis 2010. Or l'attractivité du secteur privé à but lucratif repose souvent sur des abus et des pratiques commerciales trompeuses. Un récent rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en témoigne, tout comme celui de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, qui fait état de 653 saisines concernant le privé à but lucratif, soit une hausse de 40 %.
Devant le grand flou entourant ces formations, votre prédécesseure avait annoncé la mise en place d'un label visant à réguler la formation supérieure privée à but lucratif. Reprendrez-vous ce projet, laissé en suspens à cause de la dissolution ? N'est-il pas temps d'exiger que soient rendues publiques les données concernant les performances de ces établissements en matière d'insertion professionnelle, dont ils font souvent un argument de vente sans aucune preuve ?
M. Pierre-Antoine Levi. - Je salue la mise en oeuvre de la loi du 13 avril 2023 sur l'accès à une offre de restauration à tarif modéré pour tous les étudiants. Le PLF 2025 traduit une réelle ambition en la matière, en portant l'enveloppe globale à 38 millions d'euros. La contractualisation avec des partenaires pour offrir des repas équilibrés à un tarif social sera ainsi renforcée, et une aide financière individuelle pourra être proposée aux étudiants ne pouvant accéder directement à cette offre, notamment ceux qui sont situés en zone blanche. Je vous en remercie.
Le passage de 8 à 12 séances gratuites au sein du dispositif Santé psy étudiant intervient dans un contexte alarmant. Une étude récente de l'université de Bordeaux révèle que 41 % des étudiants présentaient des symptômes dépressifs en 2023, contre 26 % avant la crise sanitaire. La proportion de jeunes de 18 à 24 ans ayant des idées suicidaires est passée de 21 % à 29 % sur la même période. Le Premier ministre a d'ailleurs souhaité faire de la santé mentale la grande cause nationale pour 2025, soulignant l'urgence d'agir.
L'augmentation du nombre de séances s'appuie-t-elle sur une évaluation précise du dispositif ? Les services de santé étudiante ont-ils fait remonter des besoins spécifiques justifiant ce renforcement ? Disposons-nous des moyens humains nécessaires pour l'absorber ? Plus de 70 000 étudiants ont déjà bénéficié du dispositif. Un chef de service psychiatrique parisien a dit qu'il fallait mobiliser beaucoup de moyens pour éviter une génération sacrifiée.
Quelles mesures complémentaires sont envisagées pour répondre aux causes profondes de cette détresse, notamment les difficultés économiques et l'anxiété face à l'avenir, citées par les étudiants comme facteurs majeurs de leur mal-être ?
M. Pierre Ouzoulias. - Dans une Europe déclassée, où le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur diminue, comme le montre le rapport Draghi, la France est elle-même en déclassement. Or il nous faut des ingénieurs pour réindustrialiser le pays. Le Royaume-Uni, dont la situation budgétaire est comparable à la nôtre, vient de voter un budget de 24 milliards d'euros pour la seule recherche en 2025. Un investissement massif dans la recherche lui semble la seule voie à suivre. La France est en perte de vitesse par rapport à ses concurrents britanniques et allemands. Stabiliser le budget ne suffira pas pour combler ce retard.
J'ai compris qu'il serait difficile d'ouvrir plus de carrières dans le budget 2025. Cependant, vous pouvez, monsieur le ministre, trouver des solutions pour accroître le temps consacré à la recherche par les chercheurs. Ces derniers meurent des contraintes bureaucratiques ! Les universités qui réussissent à obtenir des crédits européens ont mis en place des structures administratives. De fait, on ne peut demander aux chercheurs de monter des dossiers de demande de subventions européennes, car il s'agit de démarches très lourdes.
Le chapitre de la simplification des évaluations est également fondamental. Les chercheurs sont surévalués, et passent un temps considérable à évaluer leurs collègues. Or une partie des dossiers d'évaluation est rédigée et parfois même évaluée par l'intelligence artificielle ! Il faut rationaliser tout cela. En outre, nombre d'activités de la recherche sont évaluées plusieurs fois : par l'ANR, le CNRS, etc. Les chercheurs n'en peuvent plus. Pour paraphraser Georges Pompidou, je dirais qu'il faut arrêter d'embêter les chercheurs.
Pour ce qui concerne la science ouverte et la politique des publications « diamant », le coût des abonnements pour la recherche française a augmenté de 48 % entre 2018 et 2020, soit un montant de 120 millions d'euros destiné à des revues détenues par quatre grands groupes européens. On observe également une explosion des données de publication. Or un tiers des articles publiés ne seront probablement jamais lus. Il faut mettre un terme à cet emballement, et passer d'une évaluation quantitative à une évaluation qualitative.
Mme Laure Darcos. - Je m'inquiète de voir que la réalisation de la LPR continue à prendre du retard.
Monsieur le ministre, je vous remercie de ce que vous avez dit sur le pacte pour la recherche et la continuité du financement des Satt. En revanche, il serait préférable d'orienter le CIR vers les entreprises les plus fragiles. En effet, nombre de grandes entreprises privées qui en bénéficient investissent à l'étranger.
Quelle est votre vision concernant les agences de moyens, qui, selon le Président de la République, se substitueraient aux organismes ? Ce changement adviendra-t-il vraiment et, le cas échéant, selon quel calendrier ?
Pierre Ouzoulias et moi avons rédigé un rapport sur la science ouverte et la lutte contre la désinformation scientifique. Face à la masse de fausses informations diffusées par des revues prédatrices, quelle action budgétaire le Gouvernement pourrait-il engager pour protéger notre recherche et garantir aux citoyens une information scientifique fiable ? Comment compte-t-il collaborer avec les éditeurs de confiance pour renforcer la crédibilité de notre production scientifique à l'ère de l'intelligence artificielle et du risque de désinformation associé ?
M. Bernard Fialaire. - Le doyen de l'une des facultés de médecine de Lyon a observé que l'interdiction de redoubler la première année de médecine excluait de la réussite toute une partie d'étudiants issus d'une population privée d'un environnement favorable. Il faut analyser ce point. On ne peut continuer à entretenir une telle injustice sociale.
Je ne parle même pas des officines d'accompagnement destinées aux étudiants en médecine, dont le chiffre d'affaires a été estimé à 2 millions d'euros à Lyon, soit une forme de privatisation de l'enseignement public pour pouvoir réussir. Des fonds d'investissement veulent même s'impliquer dans ces formations !
La contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) demeure mal connue des étudiants, en raison de nombreux freins sociaux et culturels, alors qu'elle est faite pour améliorer leur bien-être. Les informations à ce sujet sont insuffisantes. Il faudrait y remédier.
Enfin, la recherche représentait 2,2 % du PIB auparavant - nous visions même 3 %. Votre prédécesseure nous a dit que, si les fonds publics étaient presque à la hauteur des attentes, les fonds privés manquaient. Or les entreprises américaines, bien plus compétitives que les nôtres, consacrent deux fois plus de financements à la recherche et distribuent deux fois moins de dividendes à leurs actionnaires. Quelle société voulons-nous : une société tournée vers l'avenir, la recherche et la réussite, ou une société de rentiers déclinante ?
Mme Mathilde Ollivier. - Avec un budget en baisse de 553 millions d'euros par rapport à la LFI 2024, le respect de la trajectoire de la LPR est compromis, en contradiction avec la déclaration du Président de la République du 7 décembre 2023 sur la relance de la dynamique de financement de la recherche. Sylvie Retailleau avait parlé, en son temps, d'un budget irréaliste, voire dangereux. Qu'en pensez-vous ?
En outre, ce budget enterre l'ambition d'une réforme structurelle des aides sociales aux étudiants que la ministre avait annoncée à la rentrée 2023. Pour votre part, vous n'envisagez pas de revalorisation des montants des bourses ni des barèmes de calcul malgré l'inflation. Cela risque d'aggraver la crise sociale. Un étudiant sur deux affirme avoir déjà sauté un repas par manque d'argent, et cette proportion augmente à deux sur trois dans certains territoires ultramarins. Le système de bourses est insuffisant. L'échelon maximum ne dépasse pas 56 % du seuil de pauvreté, soit des montants trop faibles pour éradiquer la pauvreté étudiante, et seuls 37,7 % des étudiants sont couverts par le système.
Comment comptez-vous tenir l'objectif de création de 35 000 logements sociaux étudiants d'ici à 2027, annoncée fin 2023, sans aucun crédit supplémentaire ?
Enfin, lors de la visite de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport au Bénin et en Côte d'Ivoire, nous avons pu rencontrer les représentants de Campus France, qui nous ont signalé que des écoles privées opportunistes venaient souvent chercher des étudiants étrangers qui connaissent mal notre système universitaire et paient parfois des frais de scolarité avant même d'arriver en France, ce qui nuit à l'attractivité de notre système universitaire et à notre crédibilité à l'étranger.
M. David Ros. - Je tenais tout d'abord à vous féliciter pour votre nomination, monsieur le ministre. L'enseignement supérieur est un secteur que vous connaissez bien, tant professionnellement que politiquement. Je ne doute pas que, comme votre prédécesseure, vous saurez nous associer aux orientations qui seront décidées. L'enseignement supérieur et la jeunesse, qui représente l'avenir de notre pays, nécessitent une politique transpartisane.
Je me réjouis du budget de 26,8 milliards d'euros alloué à la Mires. Il est en légère augmentation par rapport à l'année précédente.
Toutefois, si l'on additionne le coût non compensé des mesures Guerini et celui de l'énergie, mais aussi le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et l'inflation, ce sont 500 millions d'euros qui seront retirés au budget pour 2025. En outre, la LPR n'atteindra que le tiers des objectifs initialement fixés.
L'année dernière, votre prédécesseure demandait aux organismes de recherche et aux universités de fournir un effort. Cette année, c'est un effort collectif qui est exigé pour faire face à la situation financière. En conséquence, les organismes de recherche et les universités présenteront des budgets déficitaires.
C'est davantage un bras de fer qu'un débat qui s'engage avec Bercy, lequel fixe lui-même les règles sur les fonds de roulement. Un certain nombre de mesures en soutien d'opérations de recherche et d'entretien du patrimoine sont d'ailleurs gagées.
Ajoutons à cela les 30 000 étudiants supplémentaires qui seront inscrits cette année dans l'enseignement supérieur public.
Je partage votre vision sur les trois chantiers que vous avez évoqués, à savoir l'acte II de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, le pacte pour la recherche, et l'attractivité de la recherche. Comme vous êtes un spécialiste des questions de gestion, pouvez-vous nous indiquer les moyens qui seront mis au service de cette ambition ?
Confirmez-vous les coups de rabot qui seront effectués en 2025 sur le budget, une fois qu'il sera voté ?
Par ailleurs, quelles mesures peuvent être mises en place pour rénover le patrimoine vieillissant ?
Derrière la question de l'attractivité se pose celle du recrutement. Les universités ayant des problèmes financiers, elles ont davantage recours aux vacataires. Quel regard portez-vous sur la possibilité d'y recourir à l'avenir ?
La valorisation des doctorats dans le secteur public et leur reconnaissance dans le secteur privé est un sujet tout aussi essentiel.
Vous avez parlé de la place de l'ANR dans le cadre du plan France 2030. Quelle est votre vision sur les axes prioritaires de recherche ?
On met dix ans à reconstruire ce qui a été construit en un an. Ainsi, ne conviendrait-il pas de renverser la table en ajoutant, en faveur de technologies de rupture qui assureront les recettes de demain, quelques milliards d'euros à la dette déjà constituée ? Ce message est une « douceur » pour les oreilles des fonctionnaires de Bercy...
M. Jean Hingray. - Je serai un peu plus sage que mon collègue Ros sur la question des dépenses...
Je vous félicite, monsieur le ministre, pour ce budget sérieux, d'autant qu'il conserve un certain équilibre.
Vous avez dénoncé la convergence entre le militantisme révolutionnaire de l'extrême gauche et l'islamisme à la suite d'un blocage de Sciences Po Paris. Vous avez également réclamé, cette année, la création d'une commission d'enquête relative à l'entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l'enseignement supérieur. Comptez-vous de nouveau solliciter sa mise en place, maintenant que vous êtes devenu ministre ?
Autant la présence d'un ministre de gauche à une réunion de l'Union nationale des étudiants de France (Unef) est considérée comme normale, autant celle d'un ministre de droite à une réunion de l'UNI suscite l'indignation, crée la polémique et rappelle les heures les plus sombres de notre histoire - j'espère que vous ne vous vexerez pas de cette boutade, monsieur le ministre ; elle est une manière de rappeler les outrances de Donald Trump, réélu hier président des États-Unis.
Sylvie Retailleau avait porté les budgets alloués à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à plus de 3,5 millions d'euros. Comptez-vous les maintenir ?
Enfin, quelles actions comptez-vous prendre concernant Parcoursup ?
Mme Monique de Marco. - Dans une récente note, l'association Nos Services Publics estime que le nombre de vacataires représenterait deux tiers de l'effectif total d'enseignants à l'université.
En licence, certains cours magistraux seraient assurés par des vacataires, leur coût de recrutement étant cinq fois moins élevé que celui des titulaires. Le recours aux vacataires permet notamment aux universités de ne pas prendre en compte l'ancienneté.
Sur le terrain, beaucoup constatent que l'article de la LPR imposant la mensualisation de la rémunération des vacataires n'est pas respecté. Ils sont ainsi des milliers à patienter entre trois et six mois, voire un an pour être payés.
Avez-vous connaissance de ces dysfonctionnements majeurs dans l'exécution de la loi de finances ? L'État s'est-il donné les moyens et les instruments financiers pour aider les universités à respecter leurs obligations de mensualisation ?
Par ailleurs, je souhaite aborder la question de la contribution de vie étudiante et de campus. Le décret du 8 juillet 2024 a aligné le montant versé aux établissements d'enseignement supérieur, tant publics que privés, à hauteur de 46 euros. Précédemment, la répartition de la contribution s'opérait en faveur des établissements publics à hauteur de 41 euros, contre 20 euros pour les établissements privés. Comment justifiez-vous cette augmentation déguisée du financement de l'enseignement supérieur privé ?
M. Adel Ziane. - Les défis qui vous attendent sont énormes, monsieur le ministre : en 2024, 60 % des soixante-quinze universités françaises présentent un budget déficitaire, contre seulement quinze en 2022.
La situation budgétaire et structurelle des établissements se dégrade très rapidement. Les présidents d'université que j'ai rencontrés dans mon département de la Seine-Saint-Denis m'ont fait part de leurs inquiétudes quant à la soutenabilité de leur budget, vu l'explosion des coûts énergétiques, l'insuffisance des revalorisations salariales, la non-compensation des mesures Guerini et la pression exercée sur les fonds de roulement.
Ces derniers sont d'ailleurs, la plupart du temps, fléchés : on les encourage et on les épuise. Cette solution n'est pas durable, surtout que ces fonds sont essentiels pour des projets structurants tels que la rénovation énergétique ou l'amélioration des infrastructures pédagogiques.
La LPR est-elle bien soutenable à l'horizon 2030 à hauteur de 3 % du budget de l'État, dont 1 % est lié au service public ?
Je souhaite aussi vous interroger sur la préservation de la liberté académique. Le désengagement financier de l'État contraint souvent les universités à nouer des partenariats privés, parfois à des conditions inquiétantes. J'en donnerai un exemple très concret : l'École des mines de Nancy a conclu un contrat de mécénat avec TotalEnergies imposant une clause de non-dénigrement qui vient limiter la liberté académique des chercheurs. Dans certains cas, l'entreprise est impliquée dans le choix des doctorants et des intervenants. De telles pratiques mettent en péril l'indépendance de nos établissements. Êtes-vous favorable à une mesure rendant obligatoire la publicité de ces contrats ? Cela permettrait de garantir la liberté économique et le contrôle démocratique sur les orientations de l'enseignement supérieur.
Je vous sais gré d'avoir évoqué l'importance d'assurer le rayonnement de la France à l'international et de créer des passerelles entre les universités étrangères et nos établissements.
Sur mon initiative, plusieurs de mes collègues socialistes ont signé un courrier à l'intention du ministre de l'intérieur afin de l'alerter sur la difficulté pour les étudiants étrangers d'obtenir le renouvellement de leur titre de séjour. Le problème ne réside pas seulement dans le traitement des dossiers : le système informatique pour les prises de rendez-vous est aussi défaillant. En conséquence, des enseignants-chercheurs et des étudiants étrangers se retrouvent en situation irrégulière.
Mme Karine Daniel. - Les seules variables du CAS « Pensions » et les mesures « Guerini » entraînent pour l'université de Nantes un delta de 4 millions d'euros.
Les déficits conjoncturels s'ajoutent aux déficits structurels. Ils se creusent d'année en année, ce qui a pour effet de mettre les universités en grande difficulté. Celles-ci se voient contraintes d'opérer des choix difficiles, tels que la fermeture d'antennes dans les villes moyennes ou la réduction du nombre de personnels.
Les universités ont déjà fourni des efforts, notamment via leurs fondations. Elles ont multiplié les appels à projets, mais cela nécessite des forces et des ressources de la part des enseignants-chercheurs, qui ne sont plus mobilisés sur leurs propres projets de recherche. Répondre à davantage d'appels à projets est sans doute louable, mais cela ne saurait compenser les engagements qui permettraient de réaliser des investissements structurels.
Les tensions qui sont survenues à l'université de Nantes lors des élections étudiantes ont été suivies de sanctions disciplinaires et de poursuites judiciaires. Dans ce contexte, nous aurions tout intérêt à chercher l'apaisement et à fluidifier les relations au sein des établissements plutôt qu'à mettre en oeuvre des dispositifs de sécurité.
Mme Colombe Brossel. - Je me permets de vous poser une question d'actualité qui n'est pas d'ordre budgétaire. Nous avons appris par la presse que Victor Dupont, doctorant à l'université d'Aix-Marseille, était détenu depuis le 19 octobre en Tunisie, où il s'était rendu pour mener ses recherches. Il a été arrêté sur ordre de la justice militaire et traduit devant un tribunal. L'information avait manifestement été gardée confidentielle par l'ensemble des services ; c'est seulement le week-end dernier que des révélations ont été faites.
Cette détention est un cas de violation des libertés académiques, et même des libertés tout court. Quelle est l'action menée par la France pour obtenir la libération de Victor Dupont ? Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation y est-il associé ?
Mme Sonia de La Provôté. - La réforme de l'accès aux études de santé manque d'un véritable pilotage de la part du ministère. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Vous augmentez l'autonomie, ce qui peut s'entendre en matière de gestion. Il n'empêche qu'il faut séparer la gestion de l'établissement lui-même de celle de l'enseignement, qui, pour une grande part, relève de la responsabilité nationale et de votre ministère.
Les deux missions flash que la commission de la culture a menées sur la réforme de l'accès aux études de santé n'ont été qu'un pavé dans la mare. À grands coups d'arrêts du Conseil d'État et de rapports, les choses ont un peu bougé, mais cela ne suffit pas. Il y a un problème général de relations entre l'autonomie et le pilotage des politiques publiques.
Par ailleurs, un travail avait été entamé sur les officines d'enseignement supérieur privées délivrant des diplômes invérifiables et non reconnus par l'État. Le ministère du travail et de l'emploi avait pris des mesures de labellisation : qu'en est-il advenu ?
Les officines privées échappent à Parcoursup et peuvent parfois fermer leurs portes, laissant ainsi sans diplôme les étudiants qui y ont suivi plusieurs années de formation. Ce phénomène prend des proportions considérables dans notre pays : il est temps de mettre de l'ordre dans la boutique.
Dans ce contexte, nous avons proposé à une école privée de prendre en charge la formation vétérinaire. Allez-vous poursuivre cette voie pour d'autres diplômes, notamment dans le cadre de la formation médicale ? Ce sujet concerne-t-il vraiment votre ministère ?
M. Patrick Hetzel, ministre. - M. Brisson évoquait le risque de décrochage en France, compte tenu de la part de PIB consacrée à la recherche, dont le niveau est inférieur à la moyenne européenne. Cela fait plusieurs années que nous nous fixons pour objectif d'affecter 2,5 %, voire 3 % du PIB à la recherche. Force est de constater que nous n'y sommes pas. Les évolutions en la matière ne peuvent intervenir qu'à la condition que le Gouvernement et le Parlement mènent un travail collectif. Il s'agit de créer des dispositifs permettant de développer des effets de levier.
Comment expliquer notre écart avec l'Allemagne concernant le développement des brevets ? Ce décalage est lié à la structuration même de l'économie allemande, où l'industrie demeure supérieure. Le secteur privé est très actif en matière de dépôt de brevets, en relation avec les organismes publics de recherche tels que le Fraunhofer-Gesellschaft. En France, la situation est assez difficile. Comme notre structure économique est différente, développer des brevets prend du temps. Il faudrait, en outre, engager des processus de réindustrialisation.
Pour autant, tout n'est pas négatif. Des opportunités vont apparaître, notamment avec la révolution de l'intelligence artificielle. Dans ce domaine, la France ne doit surtout pas renoncer à son niveau d'investissements.
En amont de la constitution du Gouvernement, j'avais insisté auprès du Premier ministre pour rattacher l'intelligence artificielle au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, alors qu'elle relevait jusqu'à présent de Bercy. L'idée est de remonter la chaîne, pour assurer que la recherche fondamentale sur le développement de l'intelligence artificielle soit la plus intense possible.
J'en viens à la formation des professeurs, en particulier ceux du second degré. Un travail a été engagé sur ce sujet par les directions générales du ministère de l'éducation nationale et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Le Sénat a aussi produit un rapport. Pour l'heure, aucun arbitrage n'a été fait. Il reste à régler un certain nombre de questions, en particulier s'agissant du concours et du statut.
Monsieur Chantrel, sans susciter de polémiques, je vous rappellerai que c'est en vertu de la loi d'orientation sur l'éducation, dite loi Jospin, que quatre organisations étudiantes sont considérées comme représentatives. L'UNI en fait partie ! J'ai tenu à recevoir toutes les organisations, sans exclusion. Qu'auriez-vous dit si j'avais ostracisé certaines d'entre elles ? Devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), j'avais annoncé que le dialogue devait être tenu avec l'ensemble des organisations. Le ministre n'a pas vocation à sélectionner ses interlocuteurs. En bon socialiste, vous ne pouvez pas dénigrer un texte aussi honorable que la loi Jospin, qui définit des règles !
J'en viens à la question des aides aux étudiants. Aujourd'hui, 690 000 boursiers sur critères sociaux sont comptabilisés par le ministère ; 150 000 d'entre eux bénéficient d'un accompagnement renforcé. L'enveloppe d'aide afférente s'élève à 144 millions d'euros pour 2025. Elle doit permettre à 30 000 étudiants de suivre la formation de leur choix, dans le cadre d'une mobilité en licence, en master ou à l'étranger. Il s'agit aussi de reconnaître les efforts et la réussite de 50 000 étudiants boursiers ayant obtenu la mention très bien au baccalauréat. Ce sont tout de même 40 % des étudiants qui, d'une manière ou d'une autre, bénéficient d'une bourse à différents niveaux.
En outre, les repas à 1 euro ont été mis en place, de même que des aides ciblées pour les étudiants les plus fragiles. Encore une fois, il s'agit de concrétiser la promesse républicaine d'égalité des chances.
Vous êtes plusieurs à avoir mentionné l'enseignement privé lucratif, à juste titre. Je n'ai rien contre le secteur privé ; ce n'est pas le sujet. Toutefois, je suis conscient qu'il existe des dérives, faute de régulation suffisante. Pour l'heure, nous travaillons encore à affiner le dispositif de labellisation, mais cela ne suffira pas.
Je le dis en toute transparence, nous ne disposons pas de l'outil juridique permettant d'exclure de Parcoursup un certain nombre de formations qui, selon nous, ne sont pas de bonne qualité. C'est bien la conjugaison entre la liberté d'entreprendre et la liberté d'enseignement qui nous contraint à les maintenir. Ce problème doit être traité de manière plus approfondie. Sachez que la direction des affaires juridiques du ministère y travaille.
Je le disais, la question de la régulation peut rassembler. Je suis plutôt libéral, mais je pense que l'État doit ici jouer son rôle de régulateur, notamment via le financement de l'apprentissage.
Autre sujet : il conviendrait de renforcer le programme Santé psy étudiant, vu la demande qui est formulée sur le terrain, notamment de la part des oeuvres universitaires. Je serai attentif à vos propositions sur ce sujet.
Le sénateur Ouzoulias a posé la question du temps consacré à la recherche. Je le dis sans tabou, il existe aujourd'hui des contraintes bureaucratiques importantes. Maintenant, il faut que nous puissions agir. Je peux commencer par donner des indications à l'ANR pour qu'il y ait moins de lourdeurs. Toutefois, cet opérateur de l'État dispose d'une certaine autonomie.
Conformément aux souhaits du Hcéres, l'évaluation doit être moins tatillonne qu'elle ne l'est aujourd'hui. En effet, nous sommes en train de dévier de l'objectif initial, qui consistait à faire évoluer le système.
Le coût des abonnements pour la recherche française évolue de manière considérable. C'est un point auquel nous sommes particulièrement attentifs.
Nous devons aussi nous poser la question de la simplification. La sénatrice Darcos a raison : il y a un risque de retard important en la matière.
Les agences de moyens - ou agences de programmes - ont été créées pour répondre aux grandes transitions qui s'imposent dans les domaines de l'écologie, de l'énergie, du numérique et de la santé. Sur une thématique donnée, ces agences ont pour mission de coordonner l'action des différents acteurs impliqués, mais aussi de conduire un travail prospectif. L'année 2024 a permis de tester le fonctionnement de ce nouveau dispositif. J'ai demandé qu'un premier bilan soit dressé au début de l'année 2025. Encore une fois, je serai à l'écoute de vos avis - l'éclairage apporté par la chambre haute est toujours précieux.
J'appelle votre attention sur un point particulier : les agences de programmes dont sont chargés les organismes de recherches risquent de considérer qu'elles ont le monopole sur le programme. Or ce n'est pas l'état d'esprit du dispositif que nous souhaitons mettre en oeuvre.
En matière de santé, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est tout à fait fondé à intervenir, mais ce n'est pas pour autant que le CNRS doit être écarté. Les universités, elles aussi, doivent être impliquées, de même que l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), avec sa division scientifique vivante. Bref, veillons à ce que les agences de programmes assurent une meilleure coordination, sans exclure les acteurs ou se substituer à eux.
Parlons maintenant de la lutte contre la désinformation scientifique. Nous recevons de plus en plus d'alertes, car de nombreux acteurs, y compris étatiques, interviennent dans les processus de désinformation visant les pays occidentaux. Mes prédécesseurs avaient commencé à travailler sur ce sujet, notamment en lien avec les organismes de recherche. Je vous renvoie aux conclusions de l'Inserm, entre autres.
Je profite de la présence de M. Piednoir, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), pour vous indiquer qu'un important travail parlementaire est effectué pour sensibiliser le public à la rigueur et à la culture scientifiques. Les désinformations se propagent très rapidement et, lorsque des experts plus ou moins autorisés s'expriment, il peut être difficile de démêler le vrai du faux.
La formation dans le secteur médical, évoquée par M. Fialaire, est un enjeu majeur. La semaine dernière, j'ai rencontré les membres de la Conférence des doyens de médecine, et j'échangerai bientôt avec la Conférence des doyens de pharmacie. Il est nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier, afin d'assurer le plus possible la lisibilité du dispositif de formation.
En lien avec le ministère de la santé et de la prévention, nous devons engager un travail sur la montée en compétences de l'ensemble des professionnels du secteur de la santé. Le développement des masters pour les infirmiers en pratique avancée (IPA) ne résoudra pas tout, mais il permettra de soulager les médecins, dont la formation s'étale sur dix ans. Il convient également de structurer les passerelles : certains infirmiers doivent pouvoir rejoindre les cursus de médecine, comme c'est le cas dans d'autres pays. C'est un enjeu de justice sociale, d'équité et de mérite républicain.
La CVEC permet de dynamiser la vie étudiante. Reste à la faire connaître.
Pour ce qui concerne le rapport entre les dividendes distribués par les entreprises et les investissements réalisés en matière de recherche, beaucoup de choses vertueuses sont à valoriser.
Madame Ollivier, si je n'ai pas utilisé les mêmes mots que ma prédécesseure concernant les enjeux financiers, c'est parce que le Gouvernement, à l'époque, n'avait pas les mêmes contraintes budgétaires. Aujourd'hui, l'objectif de limiter le déficit public à 5 % du PIB nous oblige à tirer un certain nombre de conséquences. Je serais heureux de bénéficier d'un budget encore plus significatif, mais nous devons collectivement maîtriser les finances publiques dans ce moment si particulier. Comment, dans ces conditions, maintenir un rythme de croissance ?
Non, nous ne sommes pas en train d'enterrer la réforme des bourses sur critères sociaux. Il s'agit plutôt d'examiner la façon dont nous pouvons en conserver les principes, dans la mesure des éléments dont nous disposons. Du reste, je ne reviens pas sur le diagnostic qui a été posé.
En matière de logement étudiant, Valérie Létard et moi-même avons commencé à mener un travail sur la conversion de l'immobilier de bureaux. Nous examinons toutes les pistes, dans l'espoir d'atteindre les objectifs fixés.
Les alertes sur les écoles privées qui abandonnent les étudiants étrangers en cours de route sont parfaitement légitimes. Il est nécessaire de renforcer l'information locale. À cette fin, on m'a demandé, en liaison avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de relayer, dans les postes diplomatiques, les informations dont nous disposons. Nous avons, par ailleurs, développé des partenariats entre universités françaises et étrangères afin d'éviter une mauvaise connaissance de la situation.
Sachez que nous avons fléché 1,2 milliard d'euros en faveur de la rénovation du patrimoine. Il faudrait plutôt 7 milliards d'euros, mais nous inscrivons notre action dans une démarche pluriannuelle, en tenant compte des futurs appels à projets. Si les chantiers n'avancent pas, cela n'arrangera pas les collectivités territoriales.
La question sur l'emploi d'enseignants vacataires est essentielle. Selon la doctrine établie, les vacations doivent permettre aux établissements d'enseignement supérieur de faire appel à des professionnels et des experts destinés à apporter des éclairages complémentaires dans le cadre des formations. Il peut s'agit de professeurs agrégés (Prag), de professeurs certifiés (PRCE), ou de personnes titulaires d'un doctorat.
La loi doit être appliquée dans son intégralité. Si vous avez identifié des lieux où les paiements ne sont pas encore mensualisés, je vous invite à prendre attache avec ma conseillère parlementaire, madame de Marco.
Nous sommes le 6 novembre, journée nationale du doctorat. Il reste encore beaucoup à faire pour valoriser ce diplôme en France, surtout par rapport à l'Allemagne.
Il est vrai, monsieur Hingray, que Michèle Tabarot et moi-même avions souhaité la création d'une commission d'enquête relative à l'entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l'enseignement supérieur. Entretemps, je suis devenu ministre, et c'est bien au Parlement que revient cette décision aujourd'hui. Une chose est sûre, il faut développer davantage le réseau des référents racisme et antisémitisme de l'enseignement supérieur et de la recherche. La liberté d'expression et la liberté académique sont totales, mais nous veillerons, de façon intransigeante, à ce que la loi de la République soit respectée. Nous n'admettrons ni atteinte aux personnes ni dégradation de biens - voilà la ligne rouge de notre action.
Soyez rassurés, le budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes sera maintenu. Sur ce sujet prioritaire, il ne saurait y avoir de tergiversations.
Du reste, nous partons du principe que la CVEC est la même dans les établissements reconnus, mais cela peut faire l'objet d'un débat. Quoi qu'il en soit, je ne reviens pas sur les éléments qui ont été mis en place.
La question de la soutenabilité se pose dans certains établissements, étant donné la pression exercée sur les fonds de roulement. Sur les 2,5 milliards d'euros de fonds de roulement global des établissements, 1,5 milliard est fléché et 1 milliard est disponible. Il faut examiner la situation des établissements au cas par cas.
Aujourd'hui, les fonds propres ont tendance à varier, entre 5 % au minimum et 50 % au maximum, la moyenne s'établissant à 20 %. Les leviers dont nous disposons, qu'il s'agisse du plan France 2030, des fonds européens, des fondations ou des fonds de coopération, permettent de faire un certain nombre de choses.
Le sénateur Ziane évoquait le sujet sensible du partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur et le secteur privé. En droit des affaires, il existe des contrats qui sont parfois soumis à une obligation de confidentialité. Une mesure de publicité se révèle donc difficile. En ce domaine, il est délicat de laisser cours à l'autonomie stratégique et d'imposer en même temps une doctrine unique. Les établissements sont libres de débattre, en interne, des contrats qui doivent être acceptés ou non. C'est un sujet sensible, surtout que nous devons être vigilants au rayonnement de la France.
Madame Daniel, j'entends votre observation concernant l'université de Nantes. Nous demandons parfois aux établissements d'opérer certains choix. Tout établissement public le fait en fonction d'un contexte budgétaire donné. Toutefois, les engagements pour le financement de la masse salariale sont largement assurés. L'objectif est de maintenir le protocole d'accord de 2020 pour apaiser la situation et ne pas créer de tensions auprès des personnels.
Madame Brossel, la situation particulière que vous avez évoquée est clairement identifiée par mon ministère comme par le ministère des affaires étrangères et les plus hautes instances de l'État. Nous essayons de faire le maximum pour que cette situation difficile se résolve de manière satisfaisante. L'organisme de recherche qui est l'employeur du doctorant Victor Dupont a manifesté un soutien total, comme l'ensemble du corps consulaire présent en Tunisie. Nous sommes en contact avec eux. Nous avons aussi contacté les parents de l'intéressé, qui ont pu voir leur fils sur place. Les autorités consulaires ont pu également le rencontrer, après quelques difficultés. Nous faisons donc le maximum pour traiter cette situation.
Je ne souhaite pas en dire davantage à ce stade, pour éviter que la médiatisation de son cas ne desserve notre concitoyen. Cependant, j'ai aussi conscience de l'émoi de toute la collectivité des chercheurs. À l'occasion du voyage du Président de la République au Maroc, auquel j'ai participé, j'ai rencontré plusieurs collègues de Victor Dupont, qui m'ont fait part de leur inquiétude. Cette situation soulève la question de la possibilité, pour nos chercheurs, de mener sereinement des travaux de recherche. Elle est pleinement prise en considération par tous les services de l'État. J'espère, comme tout le monde dans cette salle, que l'issue en sera heureuse.
Madame de La Provôté, la question de savoir quelle part réserver à l'autonomie et quelle autre au pilotage national de l'enseignement est fondamentale. Quelles lignes directrices pouvons-nous fixer au niveau national, et quelles parties doivent relever de l'autonomie locale ? La question se pose pour l'ensemble de l'enseignement supérieur. Je demanderai à la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) de s'intéresser à votre rapport.
Merci, monsieur le président, de m'avoir permis de répondre à l'ensemble des questions qui m'avaient été posées.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le ministre, de vos réponses très précises.