II. LE LOGICIEL « PARCOURS » : ANATOMIE D'UN NAUFRAGE

Depuis plusieurs années déjà, la commission des lois profite de son avis budgétaire sur les crédits de la PJJ pour établir un point d'étape sur l'avancée du déploiement de l'applicatif PARCOURS.

Celui-ci doit permettre, à terme, d'atteindre un objectif dont on pourrait s'étonner qu'il ne soit pas acquis en l'état : assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, en recensant tous les actes pris à leur égard par l'ensemble des acteurs compétents (magistrats, associations du SAH, éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne leur suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ.

Initié en 2019, le projet reste à ce jour inabouti et insatisfaisant ; il s'avère par ailleurs extraordinairement coûteux, au point que l'on peut s'interroger sur le degré de lucidité du ministère de la justice quant à la déroute dans laquelle il semble engagé.

En effet, alors que la première version de PARCOURS a été mise en service en mai 2021, il semble que, depuis cette date, le projet ne parvienne pas à progresser.

PARCOURS reste, en premier lieu, incomplet à deux égards :

il n'est accessible qu'aux personnels du secteur public - ce qui exclut les personnels du SAH. Or, en l'absence d'une couverture complète des établissements et structures de la PJJ, les données relatives aux jeunes suivis par le secteur associatif habilité doivent être « re-saisies » par des agents du secteur public, ce qui constitue une lacune importante sur le plan quantitatif, impose aux équipes une tâche chronophage et peu gratifiante et crée mécaniquement le risque d'erreurs dans la retranscription des informations transmises. Pour combler cet angle mort, l'ouverture de PARCOURS aux personnels du SAH - initialement prévue pour la fin du premier semestre 2022 et sans cesse reportée depuis lors - avait été annoncée pour 2024. Le ministère ayant préféré garder le silence sur ce sujet dans le cadre ses réponses au questionnaire budgétaire, la rapporteure a interrogé les représentants du SAH au cours de leur audition. Ceux-ci ont non seulement confirmé qu'ils n'avaient toujours pas accès à PARCOURS, mais surtout indiqué que malgré leurs sollicitations, ils restaient en attente de réponses de la DPJJ quant à la nécessité d'acquérir, ou non, le matériel requis pour garantir l'interconnexion entre le logiciel et leurs systèmes d'information. La situation semble donc au point mort, ce qui est particulièrement préoccupant ;

- ensuite, la centralisation et l'analyse des données renseignées dans PARCOURS supposent la mise en place d'un nouvel infocentre « InfoDPJJ » qui ne sera opérationnel qu'à l'aboutissement du travail, toujours en cours, de reprise des bases de données depuis 2004. Plusieurs fois présenté comme imminent, l'achèvement de ce travail est désormais prévu pour la fin 2024. En 2025, le contenu de l'infocentre devra être complété des données relatives aux parcours scolaires et d'insertion, ainsi qu'au partenariat Justice / Armée, ce qui doit permettre le calcul des « indicateurs politiques prioritaires du gouvernement ».

La phase suivante du projet a été mise en développement en 2023. Néanmoins, il n'est pas possible, au vu des éléments transmis par le gouvernement, de comprendre ou d'analyser les étapes à venir : le ministère s'est borné à indiquer que le périmètre fonctionnel et le calendrier de déploiement du lot n° 2 de PARCOURS7(*) avaient été fortement impactés par les arbitrages budgétaires rendus en comité stratégique de la transformation numérique en janvier 2024 puis par les coupes budgétaires imposées aux programmes 3108(*) et 182, sans que la nature de cet impact soit détaillée. Il précise également, avec un emploi sûrement révélateur de l'imparfait, que « plusieurs fois décalée, la mise en service du lot 2 était programmée au deuxième trimestre 2025 ». Le Parlement n'en saura pas davantage sur le planning prévisionnel d'aboutissement du projet - ce qui semble confirmer les conclusions de la Cour des comptes : celle-ci avait estimé que, toutes choses égales par ailleurs, PARCOURS ne serait pas déployé avant 20329(*).

PARCOURS présente, en deuxième lieu, un fonctionnement peu satisfaisant pour ses utilisateurs. Les organisations syndicales ont unanimement décrit un outil informatique peu intuitif, inutilement lourd (il impose par exemple de renseigner les arrivées et les départs, aucune interconnexion avec les bases RH du ministère n'étant opérationnelle ; à défaut, les statistiques se trouvent intégralement faussées) et davantage pensé pour dimensionner les plafonds d'emplois dans les structures et établissements de la PJJ que pour contribuer au bon suivi des mineurs et de leurs particularités. De son côté, le ministère concède pudiquement que « [le] déploiement [de PARCOURS] nécessite un accompagnement soutenu des professionnels et des mises à jour permanentes » et que « sa fiabilisation sera indispensable pour rendre compte de la réalité des parcours des mineurs et de l'efficacité de la mission, mais également pour allouer des moyens humains et budgétaires adaptés ».

La mention de « mises à jour permanentes » et d'une nécessaire « fiabilisation » n'est pas de nature à rassurer sur la solidité de l'outil.

PARCOURS est, enfin, un projet particulièrement onéreux, et qui menace désormais de se transformer en gouffre financier. Estimé à 10 millions l'année passée par la rapporteure, le coût du chantier s'élève en réalité, à ce jour, à près du double.

 AE (en euros)

< 2021

2021

2022

2023

2024

Total

Dépense DNUM - budget SNUM P310

3 128 366

2 387 178

913 747

3 004 555

1 874 665

11 308 511

Dépense DNUM - budget plan de relance P363

 

2 415 792

881 308

   

3 297 100

Dépense DNUM - budget DPJJ P182

     

708 339

414 000

1 122 339

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget SNUM P310)

 

248 093

224 398

 

144 480

616 971

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget plan de relance P363)

 

303 240

     

303 240

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget DPJJ P182)

   

224 053

777 175

98 746

1 099 974

Accompagnement au changement (dépense DPJJ)

481 101

322 672

498 747

507 708

 

1 810 228

Total

3 609 467

5 676 975

2 742 253

4 997 777

2 531 891

19 558 363

 Source : ministère de la Justice.

Ces dépenses n'ont couvert qu'une partie du projet (la première phase, c'est-à-dire le lot n° 1, non encore livré à 100 %, et certains développements du lot n° 2), à laquelle doivent succéder la fin du lot n° 2 et l'intégralité du lot n° 3. Alors que la rapporteure avait explicitement interrogé le ministère sur ce point, elle n'a obtenu aucune réponse précise sur le coût estimatif global du projet : la DPJJ a, au cours de son audition, avancé le chiffre de 30 millions d'euros, sans que celui-ci soit justifié et sans qu'il paraisse réaliste au vu du rythme d'engagement des dépenses depuis le lancement du projet.

Ces déclarations contribuent à entretenir l'impression que l'administration se trouve dans un flou complet quant au calendrier et même au contenu final du projet.

La rapporteure appelle la vigilance du ministère sur le pilotage du déploiement du logiciel PARCOURS. Elle souligne que, si des difficultés peuvent être rencontrées pendant la « vie » d'un projet, il est atypique, voire anormal, qu'un maître d'ouvrage ne soit capable de détailler ni le planning prévisionnel ni le budget actualisé d'une opération informatique déjà lancée. Il incombe à l'administration de faire face, dès maintenant, aux difficultés qu'elle rencontre et d'en tirer toutes les conséquences, fût-ce en revoyant à la baisse le périmètre du logiciel, afin d'éviter que PARCOURS ne devienne le naufrage qu'il risque dorénavant de devenir.


* 7 Le marché comporte, au total, trois lots.

* 8 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

* 9  Observations définitives de la Cour des comptes sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, rendues publiques en juillet 2023. Lors de son audition, le ministre de la justice a indiqué souhaiter que le projet aboutisse en 2025, ce qui apparaît parfaitement irréaliste et constitue une source de préoccupation supplémentaire quant au pilotage du projet.

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