B. AILLEURS EN EUROPE, DES COMPÉTENCES SOUVENT PARTAGÉES

Ailleurs en Europe, les compétences sont souvent partagées entre exécutif et législatif. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de loi, le dernier rapport de la conférence des organes spécialisés chargés des affaires européennes a ainsi mis en évidence que1(*) :

- dix parlements nationaux participent à la désignation du commissaire européen : les commissions des affaires européennes des parlements de Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie auditionnent le candidat ; en Estonie et en Lituanie, cette audition a lieu en session plénière ; en Autriche, la « Commission principale » du Nationalrat et le gouvernement négocient à huis clos pour le candidat au poste de commissaire et pour les autres postes ;

- neuf parlements participent aussi au processus de désignation du candidat à la Cour des comptes européenne. La commission des affaires européennes des parlements de Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, Portugal et Slovénie auditionnent le candidat. Le Bureau du Folketing danois fait une recommandation au gouvernement, après avis de la commission parlementaire du contrôle budgétaire ;

- onze parlements nationaux participent au processus de nomination des candidats au Tribunal et à la CJUE. Dans sept cas sur onze, le débat a lieu devant la commission des affaires européennes. En Allemagne, une commission sur l'élection des juges - composée de 16 ministres d'État et de 16 membres élus par le Bundestag - sélectionne les juges au scrutin secret.

C. UNE INITIATIVE CONFORME AU NOUVEL ESPRIT DES INSTITUTIONS

1. Depuis 2008, un pouvoir de nomination mieux partagé

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a significativement rééquilibré les relations entre les organes exécutif et législatif dans l'exercice du pouvoir de nomination en faisant précéder, pour une cinquantaine de fonctions jugées suffisamment importantes « pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », l'acte de nomination par un avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée, et en y faisant même obstacle lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Comme le relevait le rapport de M. Patrice Gélard sur le projet de loi organique d`application du dispositif lors de son examen au Sénat, avant même cette révision constitutionnelle, le développement des autorités administratives indépendantes avait conduit le législateur à tenter de mieux partager le pouvoir de nomination entre le Président de la République et les assemblées en subordonnant l'acte de nomination à une audition parlementaire. Tel avait été le cas, entre 2006 et 2008, pour la nomination du président de la Commission de régulation de l'énergie, du président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes, du contrôleur général des lieux de privation de liberté, du président de l'autorité de la concurrence, et, enfin, du président du Haut conseil des biotechnologies2(*).

Si ces procédures de nomination ont, depuis, été coulées dans le dispositif issu de la révision constitutionnelle, d'autres dispositions légales sectorielles prévoient toujours l'intervention du Parlement avant la nomination des candidats à certaines fonctions :

- le président du directoire de l'établissement public « Société du Grand Paris » est nommé par décret après audition par les commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat3(*) ;

- le vice-président de l'autorité de résolution et du contrôle prudentiel est nommé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie, de la sécurité sociale et de la mutualité, après avis des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, lesquels sont réputés favorables à l'expiration d'un délai de trente jours4(*) ;

- les président, directeur et directeur général de neuf établissements du domaine sanitaire doivent être auditionnés « par le Parlement » avant leur prise de fonction : l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), l'établissement français du sang, l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France, l'Institut national du cancer, l'Agence de la biomédecine, l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute autorité de santé (HAS), et l'Autorité de sûreté nucléaire5(*) ;

- le directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages est entendu par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances avant sa désignation6(*) ;

- le président du directoire du fonds de garantie des dépôts et de résolution est entendu par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances avant sa désignation7(*).

2. Une réflexion relancée par le Sénat s'agissant des membres français des organes juridictionnels européens

Plusieurs travaux du Sénat récents ont par ailleurs prolongé la réflexion relative au renforcement du Parlement dans la désignation des membres français de certaines institutions européennes à des fins de transparence et de rapprochement des mondes national et européen :

- le rapport de mars 2022 relatif à la « judiciarisation de la vie publique », de M. Philippe Bonnecarrère recommandait d'organiser une audition des candidats aux fonctions de juge et d'avocat général à la CJUE par les commissions parlementaires compétentes, considérant que cela « constituerait une opportunité pour les candidats à ces fonctions, d'avoir un dialogue franc avec les parlementaires compétents et d'être “sensibilisés” aux priorités européennes du moment pour le Parlement »8(*) ;

- le rapport de mai 2024 du groupe de travail sur les institutions, présidé par le Président Larcher, appelait à associer davantage le Parlement à la désignation des membres français des juridictions européennes, en organisant au moins une audition par les commissions spécialisées des candidats aux postes de juges à la CEDH et à la CJUE, afin de rendre la procédure plus transparente9(*).


* 1 Voir Évolution des procédures et pratiques de l'Union européenne en matière de contrôle parlementaire, 42e rapport semestriel de la COSAC, octobre 2024.

* 2 Voir le rapport n° 141 de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi organique relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et sur le projet de loi relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, 8 décembre 2009.

* 3 Article 8 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.

* 4 Article L. 612-5 du code monétaire et financier depuis la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.

* 5 Article L. 1451-1 du code de la santé publique issu de l'article 1er de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

* 6 Article L. 421-2 du code des assurances depuis la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture.

* 7 Article L. 312-12 du code monétaire et financier depuis la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.

* 8 « Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel », rapport d'information n° 592 (2021-2022) fait au nom de la mission d'information « Judiciarisation » par M. Philippe Bonnecarrère, déposé le 29 mars 2022.

* 9 « 20 propositions d'évolution institutionnelle », rapport du groupe de travail du Sénat sur les institutions, 7 mai 2024.

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