N° 90
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 1999.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2000 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME I
CULTURE
Par M. Philippe NACHBAR,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel Charzat, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir
les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
1805
,
1861
à
1866
et T.A.
370
.
Sénat
:
88
et
89
(annexe n°
8
)
(1999-2000).
Lois de finances
.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi de finances pour 2000 poursuit, en dépit d'un relatif
ralentissement, l'effort budgétaire consenti en faveur de la culture au
cours des précédents exercices budgétaires.
En 2000, le budget de la culture s'élèvera en dépenses
ordinaires et crédits de paiement à 16 039,21 millions de
francs, en augmentation de 2,1 % par rapport à la loi de finances
initiale pour 1999. Cette progression doit s'apprécier par rapport
à celle des dépenses de l'Etat qui, calquée sur le taux
d'inflation prévisionnel, s'élève à 0,9 %.
Traduisant une volonté marquée de démocratisation
culturelle, le projet de budget accorde la priorité aux dépenses
d'intervention, en répondant également au souci légitime
de remédier à la précarité de l'emploi dans les
services du ministère et dans les établissements qui
relèvent de sa tutelle.
L'importance attribuée à l'objectif de démocratisation
culturelle se manifeste par des mesures tarifaires destinées à
élargir la fréquentation des musées comme des monuments
historiques qui cependant ne s'accompagnent pas, on le regrettera, d'un
renforcement des dépenses liées à leur conservation et
à leur entretien pourtant nécessaires pour assurer à
l'avenir leur rayonnement. Elle se concrétise également par une
augmentation des crédits consacrés aux enseignements artistiques,
effort bienvenu quoique insuffisant pour remédier aux retards
qu'enregistre la France en ce domaine.
La marge de manoeuvre dont dispose le gouvernement pour conduire sa politique
culturelle reste néanmoins limitée par le poids des grands
établissements dont la tutelle incombe au ministère de la
culture. La contrainte qu'ils représentent, et particulièrement
le plus coûteux d'entre eux, la Bibliothèque nationale de France,
devra être assumée au fil des ans sous peine de priver ces grandes
institutions de leur raison d'être.
Dans les années à venir, au-delà du défi que
représente cette contrainte budgétaire, le gouvernement devra,
pour affirmer son ambition culturelle, relever également celui des
négociations qui seront conduites dans le cadre de l'organisation
mondiale du commerce.
Votre rapporteur se félicitera à cet égard de la
détermination avec laquelle le gouvernement a défendu le principe
d'exception culturelle auprès de ses partenaires européens,
à la veille de la conférence qui se tiendra à Seattle du
30 novembre au 3 décembre prochain pour arrêter le calendrier et
l'ordre du jour de ces négociations. De leur issue, dépendra en
effet le droit pour les Etats de continuer à définir et à
mettre en oeuvre des politiques culturelles. A cet égard, le mandat
donné par les Etats membres à la commission européenne le
26 octobre dernier comporte d'incontestables garanties exprimées en ces
termes : "
L'Union veillera, pendant les prochaines
négociations de l'OMC à garantir comme dans le cycle d'Uruguay,
la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de
préserver et de développer leur capacité à
définir et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et
audiovisuelles pour la préservation de leur diversité
culturelle
".
Si votre rapporteur se félicite de cet acquis, il appellera le
gouvernement à faire preuve de vigilance. En effet, au-delà de
l'exception culturelle que les Etats européens devront s'efforcer de
préserver, d'autres débats risquent de remettre en cause le droit
des Etats à intervenir dans la sphère culturelle. A cet
égard, le nouvel enjeu que représente le commerce
électronique ou encore les éventuelles négociations sur
les investissements seront décisifs.
I. UN RALENTISSEMENT RELATIF DE L'EFFORT BUDGÉTAIRE EN FAVEUR DE LA CULTURE
A. UNE PROGRESSION MODESTE DES DOTATIONS
1. L'augmentation du budget de la culture
a) Une croissance de 2,1%
En
2000, le budget de la culture s'élèvera en dépenses
ordinaires et crédits de paiement à 16 039,21 millions de
francs, en augmentation de 2,1 % par rapport à la loi de finances
pour 1999
(15 710,118 millions de francs), soit une variation de
1 329 millions de francs.
Le projet de loi de finances pour 2000 marque par rapport aux deux
précédents exercices budgétaires une
décélération
de l'effort gouvernemental en faveur de la
culture
. On rappellera que le budget du ministère de la culture a
progressé en 1998 et 1999 respectivement de 3,8 % et de 3,5 %.
Cependant, on relèvera que les crédits du ministère de
la culture bénéficient d'une progression supérieure
à celle des dépenses de l'Etat qui s'élève en 2000
à 0,9 % en dépenses ordinaires et crédits de
paiement.
Votre rapporteur relèvera pour s'en féliciter que, comme en 1998
et 1999, la progression des crédits de la culture s'effectue à
structure budgétaire constante
. Cette stabilisation du
périmètre des compétences du ministère rend
opératoire les comparaisons d'une année sur l'autre. Par
ailleurs, elle évite les malencontreux effets d'affichage qui se
traduisent à terme par un alourdissement des charges pesant sur un
ministère aux compétences de plus en plus larges.
b) Une exécution satisfaisante de la loi de finances pour 1999
La
progression des crédits de la culture ne constitue pas en
elle-même un gage suffisant de l'effort accompli en faveur de la culture,
effort qui ne peut être définitivement mesuré qu'à
l'aune des crédits effectivement disponibles au cours de l'année
d'exécution.
Votre rapporteur se félicite à ce titre des conditions
satisfaisantes d'exécution de la loi de finances pour 1999.
Les crédits disponibles s'élevaient au 1er novembre à
16 759,80 millions de francs, à comparer avec les
15 710,11 millions de francs figurant en loi de finances initiale. La
différence provient des mouvements suivants dont l'ampleur modeste
résulte de l'amélioration des conditions générales
d'exécution de la loi de finances initiale :
- les fonds de concours et les reports de crédits ont
représenté respectivement 254,15 millions de francs et 1 052,33
millions de francs ;
- et les annulations n'ont porté que sur 6,7 millions de francs.
2. Le seuil du 1 % : des comparaisons délicates
a) Un seuil symbolique en termes de dépenses publiques culturelles
•
En 2000, le budget de la culture représentera 0,98 % du budget
de l'Etat contre 0,967 % en 1999.
Votre rapporteur s'étonne que le seuil du 1 % puisse encore
constituer un critère d'appréciation de l'effort gouvernemental
en faveur de la culture.
Réclamé il y a plus de trente ans par Jean Vilar et atteint
-très provisoirement du moins- par le projet de loi de finances pour
1993, ce seuil symbolique ne peut à lui seul tenir lieu de politique
culturelle.
Certes il s'agit d'un indicateur utile, bien que pouvant aisément
être manipulé. A titre anecdotique, on rapportera les propos du
sénateur Jacques Bordeneuve
1(
*
)
qui, en 1954, pour regretter
l'insuffisance des crédits du secrétariat d'Etat aux Arts et
lettres indiquait que Louis XIV
" consacrait aux Beaux-Arts et aux
Lettres plus de 12 % de son budget
(alors que)
la France actuelle
ne leur consacre 0,65 % du sien ".
• Les modifications intervenues dans les compétences du
ministère de la culture ont contribué à priver en grande
partie de sens cette référence comptable. On citera parmi les
transferts de charge les plus récents, mais qui ne sont pas les moins
significatifs, le rattachement au ministère de la culture de la
direction de l'architecture, de la dotation générale de
décentralisation ou encore de la cité des sciences de La
Villette. Compte tenu de ces transferts de compétences, les comparaisons
sur le moyen ou le long terme n'ont guère de signification même si
depuis deux ans -et votre rapporteur s'en félicitera- le
périmètre du ministère demeure inchangé.
• Par ailleurs, le budget du ministère n'est pas la seule
administration à supporter le poids de la dépense culturelle de
l'Etat. Nombreux sont les ministères qui y contribuent également.
L'annexe jaune consacrée à l'effort financier de l'Etat dans
le domaine culturel estime à 36 036
millions de francs
la dépense culturelle de l'Etat, soit près du double des
crédits inscrits au budget du ministère de la culture.
•
Le rôle croissant pris par les collectivités locales
dans la conduite de la politique culturelle
contribue également
à relativiser la signification du seuil du 1 %.
Le montant des dépenses culturelles des collectivités locales,
soit 36,9 milliards de francs, équivaut désormais à celui
des dépenses de l'Etat.
A ce titre, votre rapporteur regrette que les dernières données
chiffrées relatives aux dépenses culturelles des
collectivités territoriales dont dispose le ministère datent de
1993, les résultats de l'enquête réalisée sur
l'année 1996 n'étant pas encore disponibles.
Outre ce retard dans le traitement des données, il déplore que le
ministère de la culture ne possède pas une connaissance plus fine
des modalités d'intervention des collectivités territoriales.
Alors que les financements croisés demeurent la règle dans de
nombreux domaines, les services de l'Etat ne disposent que d'informations
approximatives ou partielles sur les politiques conduites au niveau local. Il
est à souhaiter que la relance du processus de déconcentration
s'accompagne d'un effort en ce sens. Ce n'est qu'à cette condition que
les améliorations apportées au suivi des crédits
déconcentrés notamment grâce à la mise en place de
nouveaux outils informatiques permettront une meilleure gestion de la politique
culturelle.
b) Des comparaisons délicates
L'approche strictement budgétaire de la politique
culturelle
conduite par l'Etat ne permet pas non plus d'apprécier comparativement
l'effort consenti par les pays européens en ce domaine.
En effet, les enquêtes statistiques conduites jusqu'ici ont
souligné les difficultés que soulèvent les comparaisons
d'un pays à l'autre. Il apparaît que toute comparaison entre les
différentes données nationales disponibles exige d'abord un
rapprochement critique. Les résultats d'un travail effectué dans
ce sens depuis 1996 par Eurostat, l'office statistique des communautés
européennes, devraient être connus d'ici la fin de l'année.
Leur analyse sera précieuse pour analyser les grandes tendances des
politiques culturelles conduites par nos partenaires européens.
Pour l'heure, les statistiques les plus complètes dont nous disposons
émanent du Conseil de l'Europe. Par delà les difficultés
rencontrées pour établir des comparaisons valables entre les
Etats, les conclusions résultant du rapprochement des données
nationales font apparaître que
" le système des
financements croisés entre plusieurs collectivités publiques est
utilisé dans la plupart des pays, dès lors que chaque
collectivité n'a pas de compétences formellement définies
par la loi dans un domaine culturel donné et qu'elle garde donc ainsi
une certaine liberté d'intervention ".
En cela, la France ne
fait pas figure d'exception.
3. Vers l'achèvement du processus de déconcentration
•
Le mouvement de déconcentration a été initié au
sein du ministère de la culture dans les années 1980, lorsque la
croissance de ses moyens l'a amené à s'adapter à une
dimension qu'il n'avait pas jusque là et s'est traduite par un
accroissement du rôle des directions régionales des affaires
culturelles qui constituent avec les services départementaux des
archives et du patrimoine les échelons déconcentrés du
ministère.
Parallèlement à cette évolution propre au ministère
de la culture, la déconcentration est devenue un principe fondamental de
l'organisation administrative de l'Etat. Conçue comme le corollaire de
la décentralisation, la déconcentration implique en vertu du
décret n° 97-1200 du 19 décembre 1997 que les
décisions individuelles entrant dans le champ de compétences de
l'Etat, à l'exception de celles concernant les agents publics, soient
prises par le préfet.
Cette règle s'est traduite par un accroissement mécanique du taux
de déconcentration des crédits du ministère de la culture,
administration qui, en raison du partenariat croissant avec les
collectivités locales en matière de soutien à la
création et à la diffusion, avait vocation à appliquer ce
principe.
Si l'on tient compte des seuls crédits déconcentrables
2(
*
)
les crédits
déconcentrés représentaient en 1999 près de
43 % des dotations disponibles, contre 30 % en 1997 et 37 % en
1998.
Cette forte impulsion correspond au souci de privilégier une gestion de
proximité qui se traduit par un rééquilibrage des
tâches au profit des directions régionales des affaires
culturelles mais également à un redéploiement important
des dépenses de Paris vers la province.
En 2000, la part des crédits du ministère de la culture qui
bénéficient à la province passe de 48 % à
49,4 %.
Cette évolution, si elle consacre la tendance
constatée depuis plusieurs années au profit des dépenses
en régions, résultera essentiellement en 2000 de la diminution de
l'enveloppe des dépenses d'investissement destinée à
financer les grandes opérations parisiennes.
•
La déconcentration, si elle concerne l'ensemble du
ministère, varie dans sa portée selon les services
.
Ainsi, la délégation au développement et à l'action
territoriale et la nouvelle direction de la musique, de la danse, du
théâtre et des spectacles gèrent respectivement plus de
80 % et de 60 % de leurs crédits à l'échelon
déconcentré. La déconcentration dans le secteur des arts
plastiques limitée en 1999 à 58 % des crédits devrait
être accentuée en 2000 en raison de l'augmentation des
crédits consacrés aux centres d'art contemporain et aux fonds
régionaux d'art contemporain.
Comparativement, la direction de l'architecture et du patrimoine connaît
encore une déconcentration limitée (47,77 %) qui
résulte de l'importance des crédits affectés à des
opérations nationales et du transfert récent de l'architecture au
sein du ministère de la culture, domaine encore peu investi par les
directions régionales des affaires culturelles.
Enfin, on relèvera que si certains services présentent un taux de
déconcentration encore faible à l'image de la direction des
musées de France (36,88 %) ou de la direction du livre et de la
lecture (42,85 %), une analyse plus détaillée fait
apparaître pour les crédits des titres IV (Interventions
publiques) et VI (subventions d'investissement) une gestion largement
déconcentrée qui pourrait se développer compte tenu de
l'évolution favorable de ces crédits en 2000.
Votre rapporteur avait souligné l'an dernier la nécessité
d'accompagner le mouvement de déconcentration d'une réaffirmation
du rôle d'orientation et d'évaluation de l'administration centrale
afin de prévenir les risques de dilution de la politique culturelle.
L'accroissement des dépenses d'intervention pour 2000 le conforte dans
cette position.
La charte des missions de service public, élaborée l'an dernier,
diffusée dans les services de l'Etat par la circulaire en date du 22
octobre 1998, devait remédier à ces risques, en donnant une
référence unique à la politique contractuelle du
ministère. Mise en oeuvre en 1999, elle s'est traduite par
l'installation de commissions interrégionales pour les compagnies
chorégraphiques, par la refonte de l'aide aux compagnies dramatiques et
la mise en place des scènes conventionnées, autant de mesures
destinées à assurer une plus grande transparence des financements
et à permettre une meilleure évaluation des structures
subventionnées. S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur le
bilan de ces réformes, votre rapporteur formule le voeu qu'en
réduisant les rigidités des mécanismes de financement,
elles permettent d'en accroître l'efficacité et qu'en assurant un
meilleur contrôle des structures subventionnées, elles
garantissent une plus grande transparence de leur gestion.
En 2000, devrait être élaborée une charte des enseignements
artistiques afin d'accompagner l'effort budgétaire consenti en ce
domaine d'une clarification des relations entre l'Etat et ses partenaires.