B. ENVISAGER AUSSI LE RECOURS À L'INCITATION
Votre
rapporteur a déjà souligné que le texte qui nous est
proposé se fonde uniquement sur la contrainte, dans un domaine qui
requiert plutôt coopération et partenariat entre le
ministère de la culture et les propriétaires publics et
privés du patrimoine protégé.
Il s'est également étonné, à l'occasion de la
préparation du présent rapport, du peu d'intérêt que
la direction de l'architecture et du patrimoine semblait porter aux
dispositions fiscales qui peuvent être utilisées pour favoriser le
maintien
in situ
d'objets mobiliers ou éviter la dispersion
d'ensembles mobiliers de qualité.
Aussi, plutôt que de protester -ce qui serait certes justifié mais
inopérant- contre l'inexistence du « volet fiscal »
de la proposition de loi, contre le refus obstiné du ministère
des finances d'accepter des mesures qui seraient en fait -les études
économiques le prouvent- largement
« bénéficiaires » pour les finances publiques
(telle la déductibilité des primes d'assurances ou du coût
des dispositifs de sécurité), ou contre le contraste entre la
stagnation des crédits du patrimoine et l'inflation des mesures de
protection, il lui paraît plus utile d'inciter les services du patrimoine
à tirer avantage de dispositifs qui à l'heure actuelle ne
bénéficient essentiellement qu'à la direction des
musées, à savoir la dation en paiement et la donation, et
à rendre plus efficace le dispositif de l'article 795 A CGI.
• La dation en paiement d'oeuvre d'art
(article 2 de la loi
n° 68-1251 du 31 décembre 1968,
article 1716 bis du CGI).
La dation en paiement d'oeuvres d'art est devenue un des principaux modes
d'enrichissement des collections publiques. Mais elle a aussi servi, dans des
cas il est vrai encore exceptionnels, à permettre le maintien
in
situ
d'oeuvres, et elle peut aussi contribuer à éviter la
dispersion d'ensembles mobiliers.
Dans trois cas, les biens offerts en dation ont été maintenus -ou
replacés-
in situ
, à la condition naturellement que le
« dépositaire » en permette l'accès au public
et en assure la sécurité : deux ensembles de tapisseries
sont ainsi restés dans les bâtiments qui les abritaient et, cas
plus exceptionnel encore, une toile acceptée en dation qui avait lors
d'une précédente succession été dissociée
d'une galerie de portraits a pu y reprendre sa place.
La dation a permis aussi de sauvegarder l'intégrité d'ensembles
mobiliers telles que des collections scientifiques, des bibliothèques,
des collections de dessins ou de photographies, éventuellement par
remise « échelonnée » de ces ensembles
à l'Etat pour le paiement de l'impôt sur la fortune.
Certes, la dation étant un mode de paiement de l'impôt, les
propriétaires des biens concernés ne peuvent imposer aucune
condition à l'Etat, qui est libre de l'affectation des biens
reçus.
Cependant, votre rapporteur a retiré de son entretien avec
M. Jean-Pierre Changeux, président de la commission
d'agrément, l'impression qu'il ne serait pas impossible que le choix de
cette affectation puisse prendre en compte le souci de maintenir
l'intégrité d'ensembles remarquables. Au demeurant, serait-il
envisageable que l'Etat puisse imposer à un propriétaire de
maintenir
in situ
des biens mobiliers d'un grand intérêt et
ensuite, les ayant acceptés en paiement d'un impôt, dissocier
l'ensemble dont il avait exigé la conservation ?
Peut-être serait-il donc utile que les services du patrimoine s'efforcent
de faire avancer l'idée du maintien
in situ
des biens acquis par
l'Etat dans le cadre de la dation en paiement. Cela présenterait au
surplus l'avantage de pouvoir imposer qu'ils soient alors accessibles au
public, ce que ne garantit en rien le dispositif prévu par le texte qui
nous est soumis.
• La donation sous réserve de jouissance ou d'usufruit
,
prévue également par la loi n° 68-1251 du
31 décembre 1968 et codifiée à l'article 1131 du
code général des impôts, permet à
l'acquéreur, au donataire, à l'héritier ou au
légataire d'oeuvres, d'objets ou de documents «
de haute
valeur artistique ou historique
» d'être
exonéré des droits de mutation afférents à la
transmission de ces biens lorsqu'il en fait don à l'Etat.
Hormis la possibilité ouverte au donateur d'en conserver sa vie durant
la jouissance de ces biens, le texte prévoit que lorsque les biens sont
« attachés à un immeuble en raison de motifs
artistiques ou historiques, et lorsque le donateur prend l'engagement de les
conserver dans cet immeuble et d'autoriser le public à les
visiter »
, il peut stipuler que cette réserve de
jouissance bénéficiera successivement aux personnes auxquelles
l'immeuble est transmis, aussi longtemps que cet engagement sera
respecté.
Votre rapporteur avait demandé aux services de la direction du
patrimoine quel bilan on pouvait faire de l'application de ces dispositions. Le
manque de réponse à ce jour l'incite à penser que les
possibilités qu'offre ce texte, qui pourraient certainement être
plus attrayantes pour certains propriétaires « d'ensembles
remarquables » que la servitude sans contrepartie que leur promet le
texte qui nous est soumis, sont loin d'avoir été explorées.
• Les conventions de l'article 795A CGI
Enfin, on doit d'autant plus regretter le caractère décevant de
l'application du dispositif d'exonération des droits de mutation des
biens ouverts au public que ce texte permet, lui aussi, le maintien
in
situ
des biens meubles inclus dans la convention et qui constituent le
« complément historique ou artistique » des
immeubles ouverts au public.
C'est pourquoi votre commission espère vivement que pourra être
retenu l'amendement qu'elle vous proposera pour régler de manière
plus satisfaisante que la proposition de loi le problème des
intérêts indûment perçus en cas de cessation
d'application de la convention, qui a certainement dissuadé beaucoup de
propriétaires de demander le bénéfice des dispositions de
l'article 795A.
Mais elle tient à souligner que le peu de succès de ce
système tient aussi à l'importance des sujétions qu'il
impose aux propriétaires. Elle espère donc que le gouvernement
pourra donner au Sénat des indications concrètes sur la
traduction de son intention, affirmée lors du débat à
l'Assemblée nationale, « de revoir et d'assouplir »
la convention prévue par cet article.
Malheureusement, l'inscription dans la loi des durées annuelles
d'ouverture imposées aux propriétaires ne va pas dans ce sens.
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