B. LE BUDGET 2002 ENTRE « IMMOBILISME FISCAL » ET « NON-RÉFORME »
1. Une série de mesures hétéroclites
Le présent projet de loi de finances ne comprend pas de mesures fiscales nouvelles significatives mais tire les conséquences de mesures déjà votées l'an dernier , qui auront un impact de 6 milliards d'euros (39,4 milliards de francs) sur les recettes en 2002.
Mesures votées ayant un impact sur le budget
2002
|
En milliards d'euros |
En milliards de francs |
Allègement d'IR |
2,0 |
13,1 |
Prime pour l'emploi |
1,1 |
7,2 |
Aménagement de l'impôt sur les sociétés dont fin majoration 10 % |
1,6 |
10,5 |
Suppression de la part salariale dans le calcul de la taxe professionnelle |
1,3 |
8,5 |
Total |
6,0 |
39,4 |
Par
contre,
il comprend une série de « petites
mesures » relativement nombreuses et très peu
coûteuses
, parmi lesquelles :
- l'amélioration du plafond de déduction des dons aux
associations (18 millions d'euros, 118 millions de francs) ;
- des mesures en faveur du logement social (non chiffrées) ;
- un crédit d'impôt pour les dépenses d'isolation thermique
et l'amélioration du crédit d'impôt pour l'achat de
véhicules neufs (6 millions d'euros, 39 millions de francs) ;
- des mesures de simplification du paiement des impôts ;
- l'ouverture du plan d'épargne en actions (PEA) et la modernisation du
régime des fonds commun de placement pour l'innovation.
2. Des allègements sur le travail en trompe l'oeil
Selon le
gouvernement,
la prime pour l'emploi
marque la priorité
donnée à la reprise d'activité et à la lutte contre
l'exclusion. Le coût de la prime pour l'emploi devrait s'élever
à 2,3 milliards d'euros en 2002, contre 1,3 milliard d'euros en 2001,
8,5 millions de foyers fiscaux bénéficiant de la mesure pour
un montant moyen de 280 euros environ. Les bénéficiaires sont
majoritairement des foyers à revenus modestes puisque 70 % d'entre
eux appartiennent à la moitié la moins aisée des
contribuables.
Le gouvernement fait également valoir que la réduction de 3
points des taux sur les deux premières tranches du barème de
l'impôt sur le revenu
entre 1999 et 2002, de 2 points sur les deux
suivantes et de 1,25 point sur les deux dernières
«
apportera une contribution significative à la
réduction des trappes à inactivité
». La
baisse serait de nature à réduire le « coin social et
fiscal » pesant sur le travail peu qualifié.
Or,
chacun sait que c'est surtout le « coin
social » qui pèse sur le travail peu qualifié en raison
du niveau très important des cotisations sociales en France
. Aucune
action d'envergure n'a été prise récemment pour
réduire ce « coin social ». Les allègements
de charges accordés dans le cadre de la réduction du temps de
travail devraient se traduire par une réduction de 7,3 milliards d'euros
du coût du travail en 2002 par rapport à 1997, selon les termes du
gouvernement, qui n'envisage donc des allégements que pour compenser de
manière tout à fait insuffisante le poids extraordinairement
lourd pour les entreprises de la nouvelle législation sur la
durée du travail. Il y a bien, dans ce domaine, alourdissement du
coût du travail pour les entreprises.
Surtout, le rapport économique, social et financier rappelle à
juste titre que le taux implicite d'imposition du travail a progressé de
37 % en 1980 à 42 % en 1990 jusqu'à près de 46 %
en 2000
. Cette évolution constante à la hausse n'est pas le
fait d'un seul gouvernement mais d'un enchaînement de décisions
fiscales qui ont conduit à un taux d'imposition manifestement trop
élevé. Une diminution du taux d'imposition est envisagée
sur la période 2000-2002 sans évidemment qu'il soit possible de
la vérifier. Quoiqu'il en soit, le mouvement prévu à la
baisse consisterait à revenir à un taux un peu inférieur
à 45 % d'imposition implicite du travail, soit l'équivalent du
taux constaté en 1997.
De fait, l'évolution de l'impôt sur le revenu entre 1997 et 2000,
même si elle ne mesure qu'une partie de la fiscalité pesant sur
les revenus du travail, montre combien les prélèvements sur les
revenus d'activité des Français ont été un
élément important de la hausse formidable des rentrées
fiscales de l'Etat pendant cette période. Après une hausse en
1999 qualifiée par la Cour des comptes elle-même
«
d'exceptionnellement rapide
» (+ 9,8 %)
l'augmentation de l'impôt sur le revenu est resté dynamique en
2000 avec une progression de 4,7 %, malgré les aménagements
de droits.
Au total, et malgré les allégements en 2000 et 2001,
l'impôt sur le revenu aura progressé de 19 % sur la période
1997-2001, soit 8,7 milliards d'euros en valeur.
Evolution de l'impôt sur le revenu
(en milliards d'euros)
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Révisé 2001 |
2001/1997 |
2001/1997 en % |
|
Impôt sur le revenu |
44,73 |
46,34 |
50,86 |
53,25 |
53,39 |
+ 8,66 |
+ 19,4% |
Evolution de l'impôt sur le revenu 1997-2001
(en milliards d'euros)
3. Aucune forme d'allègement pour les entreprises
L'activité des entreprises dépend à la
fois des
actions menées pour favoriser la demande des ménages et des
actions en faveur de l'investissement des entreprises.
Pendant la période 1998-2000,
le taux implicite d'imposition de la
consommation
aura très légèrement diminué
(- 0,3 point environ) pour s'établir à 17,7 %, après
une période de progression de 1993 à 1997. Pour 2001-2002, selon
les projections du gouvernement, une baisse d'environ 0,7 point
interviendrait, en raison principalement de l'effet de la diminution du taux
normal de TVA décidée en avril 2000. Pour le moment, force est de
constater que si globalement, le gouvernement n'a pas augmenté le taux
d'imposition de la consommation dans une période de forte croissance de
la demande des ménages (une telle augmentation aurait d'ailleurs
été particulièrement illogique en période de
croissance soutenue et de rentrées fiscales abondantes) les timides
mesures d'allégements prises en 2000 n'ont pas encore produit d'effets.
Sur la période 1997-2001, la TVA aura ainsi augmenté, du fait de
la croissance de la consommation, de 11 % , soit 10 milliards d'euros.
Evolution de la TVA nette
(en milliards d'euros)
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Révisé 2001 |
97/2001 |
97/2001 |
TVA nette |
95,45 |
97,86 |
102,31 |
104,75 |
105,95 |
10,5 |
11,0% |
Evolution de la TVA nette
(en milliards d'euros)
En
choisissant de baisser d'un point le taux de TVA en avril 2000, dans une
période de croissance de la demande, le gouvernement n'a fait
qu'accompagner un mouvement déjà à l'oeuvre, et,
même si les évaluations ne sont pas encore disponibles, il est
vraisemblable que cette mesure fiscale n'ait eu d'impact que sur les prix.
L'autre élément important en direction des entreprises est
l'imposition du capital.
Or, il faut constater
l'évolution
significative à la hausse du taux d'imposition du capital
. Celle-ci
est passée de 42 % à 44 % entre 1997 et 2000, en raison de
multiples mesures, en premier lieu la contribution de 15 % votée dans le
cadre de la loi portant mesures urgentes de réforme à
caractère économique et financier. Pour 2001, le taux
d'imposition serait sensiblement identique mais une forte réduction est
prévue pour 2002, du fait de l'arrivée à terme de la
contribution de 15 % en 2000 et de la réduction à 3 % de la
surtaxe d'impôt sur les sociétés.
En définitive, le gouvernement aura sensiblement accru les
prélèvements sur les entreprises dans la période
1997-2000, accumulant ainsi d'importantes recettes fiscales amplifiées
par l'évolution à la hausse des résultats de ces
entreprises.
L'impôt sur les sociétés aura progressé de 57 %
sur la période 1997-2001, passant de 26 milliards d'euros à 41
milliards d'euros (+ 15 milliards d'euros soit 100 milliards de
francs).
Evolution de l'impôt sur les sociétés
(en milliards d'euros)
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Révisé 2001 |
97/2001 |
97/2001 |
Impôt sur les sociétés |
26,25 |
28,16 |
35,03 |
37,7 |
41,16 |
14,91 |
57 % |
Impôt sur les sociétés net 1997-2001
(en milliards d'euros)
4. Aucune mesure n'a été prise pour améliorer l'attractivité fiscale de la France
Les
baisses d'impôts n'ont pas changé la nature de notre
système fiscal qui décourage l'initiative, le travail, et
l'investissement des entreprises.
La preuve de la frilosité gouvernementale : les propositions du
rapport de nos collègues Denis Badré et André
Ferrand
35(
*
)
ou de la mission
conduite par notre collègue député Michel Charzat n'ont
pas été prises en compte, alors qu'elles étaient de nature
à améliorer la compétitivité de notre
économie. Et pourtant, le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie, M. Laurent Fabius avait annoncé en juillet dernier,
lors de la réunion annuelle de Paris-Europlace, qu'il souhaitait donner
suite aux propositions Charzat !
Parmi les propositions du « rapport Charzat », on peut
citer :
- en matière d'innovation,
l'extension du crédit
d'impôt recherche
, et l'élargissement du régime de
souscription de parts de créateurs d'entreprises,
- le
raccourcissement des délais de remboursement des crédits
de TVA
,
-
la réduction du coût fiscal des créations
d'entreprise
,
-
une réflexion sur le niveau d'imposition globale des
entreprises
, avec la mise à niveau de l'impôt sur les
sociétés, une réforme du régime fiscal des
distributions et de l'imposition des plus-values sur les titres de
participation, une réforme de la taxe professionnelle, la suppression ou
la déductibilité de la contribution des institutions
financières, la suppression du taux marginal de la taxe sur les salaires,
- pour favoriser la venue et le maintien en France des impatriés
,
l'extension du régime des quartiers généraux et
l'exonération d'une prime d'impatriation
à l'impôt sur
le revenu, ainsi qu'un abattement de 20% sur l'impôt sur le revenu,
- l'actualisation du
barème de l'impôt de solidarité sur
la fortune
(ISF).
Seules deux mesures ont été intégrées dans le
présent projet de loi de finances
: un assouplissement du
régime fiscal applicable aux PEA et une modernisation du régime
des FCPR et des FCPI. L'actualisation du barème de l'ISF en 2002 ne
recouvre que la hausse des prix en 2002 et ne suit donc pas les propositions du
rapport Charzat qui souhaitait une actualisation après plusieurs
années d'absence de revalorisation du barème. En outre, comme les
années précédentes, cette actualisation a
été supprimée à l'Assemblée nationale en
première lecture afin de donner des gages à la majorité
plurielle.
Le
« rapport Charzat » : un coup de semonce auquel le
gouvernement reste sourd
Tout en
refusant l'alarmisme, le rapport de notre collègue député
Michel Charzat n'hésite pas à
souligner les difficultés
auxquelles s'expose la France du fait de son absence d'initiative en
matière d'attractivité du territoire français.
Il parle des atouts « menacés » dans la recherche
et l'innovation et constate que «
seule une action volontariste,
à l'échelle européenne comme à l'échelle
française, peut nous éviter d'être définitivement
distancés
» dans le domaine des nouvelles technologies.
Estimant les pratiques administratives trop complexes, il estime que
«
le chantier de la simplification doit être
repris
».
Le rapport souligne également qu'à moyen terme «
on
ne pourra faire l'économie d'une réflexion globale sur le niveau
d'imposition des entreprises, dans un contexte européen et international
radicalement modifié par la réforme allemande
».
Alors que l'on sait que le gouvernement a repoussé ses projets de
modernisation, le rapport rappelle que «
le risque
d'affaiblissement de la place financière de Paris n'est pas
négligeable
».
Le rapport souligne que «
neuf pays européens sur
quinze
» ont pris des mesures pour faciliter l'accueil des
impatriés et que la France est le seul pays, avec l'Allemagne et les
pays méditerranéens à n'avoir rien fait.
Enfin, le rapport reconnaît que la fiscalité du patrimoine, et en
particulier l'impôt de solidarité sur la fortune, peut être
perçue comme confiscatoire.