AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 est le dixième à être présenté devant le Parlement depuis la réforme constitutionnelle de 1996. Il se distingue des lois de financement précédentes pour au moins trois raisons.

Tout d'abord, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est le premier à être établi selon la nomenclature et les règles définies par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005.

La présentation retenue par le législateur organique permet désormais de clarifier les comptes de la sécurité sociale et de faire oeuvre de pédagogie en distinguant :

- les dispositions relatives au dernier exercice clos (première partie) ;

- les dispositions relatives à l'année en cours (deuxième partie) ;

- les dispositions relatives aux recettes et à l'équilibre général pour l'année à venir (troisième partie) ;

- les dispositions relatives aux dépenses pour l'année à venir (quatrième partie).

Les mesures relatives à l'assurance maladie figurent dans cette quatrième partie, au sein de laquelle sont inscrits les objectifs de dépenses de la branche maladie, maternité, invalidité et décès et l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de l'ensemble des régimes obligatoires de base.

Désormais, l'Ondam est composé de six sous-objectifs sur lesquels le Parlement est amené à se prononcer par un vote. Parallèlement aux modifications rendues obligatoires par la loi organique, le périmètre de l'Ondam a connu des évolutions à la suite des recommandations émises par la Cour des comptes.

Enfin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 doit être replacé dans le contexte créé par la situation des comptes de l'assurance maladie. Ceux-ci contribuent majoritairement (- 8,3 milliards) au déficit sans précédent de la sécurité sociale qui s'établit (FSV) pour l'ensemble des régimes de base et du fonds de solidarité vieillesse, à 15,2 milliards d'euros.

Dans ce contexte morose, il convient de rappeler que la réforme de 2004 a permis d'enrayer la spirale des déficits antérieurs et a réduit de 25 % le déficit de l'assurance maladie. L'Ondam devrait être respecté pour la première fois depuis 1997, tandis que l'on constate une nette décélération des dépenses de soins de ville.

Dès lors, l'ambition de ce projet de loi de financement est de consolider les comptes. 2006 est donc une année vérité pour la maîtrise médicalisée des dépenses car, comme le soulignait le secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale en septembre 2004 : « la première année de réduction du déficit prévu en 2005 doit beaucoup aux mesures de financement qui apportent 5 milliards en 2005. Mais ces mesures produiront l'intégralité de leurs effets dès 2005. Sauf à prendre de nouvelles dispositions de ce type, les progrès ultérieurs sur la voie du redressement financier devront reposer sur une inflexion durable des dépenses d'assurance maladie, qui passe par une profonde modification des comportements. »

Le ralentissement des dépenses constitue le défi des années à venir.

I. SOINS DE VILLE : DÉMONTRER L'EFFICACITÉ DE LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE

Premier poste de dépenses de l'Ondam par leur volume, les dépenses de soins de ville devraient progresser de 2,7 % en 2005, pour s'établir à 61,9 milliards d'euros, selon les prévisions établies par la commission des comptes de la sécurité sociale en septembre dernier.

Ce résultat, quoique légèrement supérieur aux taux d'évolution ayant prévalu à la fixation de l'objectif (2,1 %), se situe nettement en deçà des évolutions enregistrées les années antérieures (de 6 à 8 % entre 2000 et 2003). Pour la première fois depuis 1998, les dépenses de soins de ville ont augmenté moins vite que l'ensemble de l'Ondam (2,7 % contre 3,2 %).

Ce net infléchissement des dépenses de santé est dû, d'une part, aux mesures d'économies annoncées par le Gouvernement à l'occasion de la réforme de l'assurance maladie (plan médicament, participation financière des assurés), d'autre part, aux premiers effets des mesures de maîtrise médicalisée des dépenses. Cette modération a été rendue possible grâce à une baisse sensible des dépenses d'indemnités journalières, une inflexion des dépenses de médicaments (4 % au lieu de 6 à 8 % les années précédentes) et une évolution modérée des honoraires.

A. PARCOURS DE SOINS ET MAÎTRISE MÉDICALISÉE CONVENTIONNELLE, DES OUTILS NOVATEURS DE LA RÉGULATION DES SOINS DE VILLE

L'infléchissement de taux d'évolution des dépenses de soins de ville traduit les premiers effets de la réforme de 2004 fondée sur une meilleure association des professionnels de santé et une modification du comportement de tous les acteurs.

Des résultats particulièrement encourageants ont été obtenus sur le poste des indemnités journalières (IJ) dont les dépenses baissent régulièrement depuis 2003 sous l'effet des efforts conjugués des pouvoirs publics, de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et des professionnels de santé.

Ils démontrent qu'une action conjointe menée autour d'objectifs partagés par les acteurs peut déboucher sur une optimisation des dépenses de soins. Ils soulignent que cette action doit être menée dans la durée (les premières mesures de maîtrise médicalisée des IJ ont été prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004) et que l'inflexion de la courbe des dépenses est la récompense d'efforts longs et constants.

C'était le pari de la réforme de l'assurance maladie qui misait sur la promotion d'une maîtrise médicalisée des dépenses.

Cette action passe par la mise en oeuvre de plusieurs outils susceptibles de contribuer à l'optimisation du parcours de soins (médecin traitant, contrats responsables, dossier médical personnel) et par le développement de négociations conventionnelles entre les professions de santé libérale et l'assurance maladie.

1. Le parcours de soins se met en place progressivement

Elément symbolique s'il en est de la réforme, le parcours de soins se met en place progressivement depuis le début de l'année 2005. La conclusion d'une première convention entre les médecins libéraux et l'assurance maladie a permis d'en déterminer les différentes étapes et la valorisation financière.

Pour des raisons techniques compréhensibles, le déploiement du dossier médical partagé n'est en revanche prévu qu'à l'horizon 2007.

Il convient de souligner qu'il est encore tôt pour véritablement évaluer les effets de ces mesures sur l'évolution des dépenses de santé.

a) Médecin traitant et contrats responsables

Après plusieurs mois d'impasse, et grâce à la réforme de 2004, les médecins libéraux et l'assurance maladie ont su renouer le fil du dialogue conventionnel. Une nouvelle convention, qui définit les différentes étapes du parcours de soins, a pu être conclue dès le 12 janvier 2005.

Elle détermine les missions du médecin traitant et des médecins spécialistes intervenant en coordination et organise les conditions d'accès spécifiques à certains soins (malade en déplacement, urgences, recours à certaines spécialités).

En effet, la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie encadre le parcours de soins par de nouvelles règles de prise en charge destinées à inciter les assurés à respecter un parcours de soins vertueux.

Outre la participation forfaitaire de un euro, qui n'est pas une pénalité, ces règles s'organisent autour de deux dispositifs principaux :

- la majoration de la participation de l'assuré aux dépenses prises en charge par le régime obligatoire d'assurance maladie ;

- une modification des règles d'intervention des organismes complémentaires pour la prise en charge des dépenses d'assurance maladie.

Ce second dispositif a pour ambition de coordonner l'intervention du régime obligatoire et des régimes complémentaires, par l'intermédiaire d'un nouveau contrat d'assurance santé complémentaire : le contrat responsable. Le contenu de ce contrat est défini par la loi du 13 août 2004 et par un décret paru au Journal officiel du 30 septembre 2005. Il exclut de façon totale ou partielle la prise en charge des dépassements d'honoraires perçus lorsque l'assuré a consulté un médecin en dehors du parcours de soins.

Au total, pour la consultation d'un spécialiste hors parcours de soins, la majoration de la participation de l'usager pourra atteindre la somme de 10,5 euros par consultation : 1 euro de participation forfaitaire, 2,5 euros de pénalité appliquée par le régime obligatoire et une franchise de 7 euros non prise en charge par les organismes complémentaires.

Ces mesures doivent permettre de lutter contre le nomadisme médical et surtout d'assurer la coordination du dossier médical du patient sous l'égide du médecin traitant. Elles constituent le socle de la maîtrise médicalisée des dépenses.

Ainsi défini, le parcours de soins est entré en vigueur au 1 er juillet 2005. Il souffre pourtant de ne reposer pour l'instant que sur un seul des deux piliers prévus par la réforme, celui du médecin traitant. En effet, les pénalités financières prévues en cas de non-respect des différentes étapes ne seront applicables qu'à compter du 1 er janvier prochain. Durant un semestre complet, les parcours non vertueux n'auront donc fait l'objet d'aucune sanction.

Au-delà des retards constatés dans la mise en oeuvre de l'intégralité des dispositifs prévus par la réforme, retards explicables par la complexité technique et l'extrême variété des problèmes à résoudre, il faut retenir le double succès remporté par la mise en oeuvre du dispositif « médecin traitant » : succès auprès des médecins, puisque 99 % des médecins généralistes sont rentrés au moins une fois dans le dispositif ; succès auprès des assurés sociaux puisque fin septembre 2005, plus de 32 millions d'entre eux avaient d'ores et déjà déclaré un médecin traitant.

Le Gouvernement dispose désormais d'un levier très puissant pour poursuivre son action d'optimisation du système de santé et pour développer des politiques novatrices, par exemple en matière de prévention.

b) L'instauration d'un dossier médical personnel

Le dossier médical partagé est, avec le médecin traitant, le second pilier de l'optimisation du parcours de soins. Destiné à « favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins », le dossier médical reçoit lors de chaque consultation « les éléments diagnostiques ou thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins » ou « les principaux éléments » liés à un séjour à l'hôpital. La non-présentation du dossier médical pourra se traduire par une modulation du niveau de remboursement versé par l'assurance maladie. Mais, pour éviter le risque de sélection, l'accès au dossier médical ne pourra être exigé lors de la conclusion d'un contrat relatif à une assurance complémentaire en matière de santé ou dans le cadre de la médecine du travail. Sa généralisation est prévue pour 2007.

Afin de définir les caractéristiques du dossier médical personnel, d'en conduire et d'en évaluer les premières expérimentations, un groupement d'intérêt public (GIP) a été constitué entre l'Etat, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et la Caisse des dépôts et consignations, le 11 avril 2005.

Un appel à candidature portant sur la réalisation du dossier médical personnel a été lancé auprès des industriels en juillet 2005. Six offres ont été retenues pour une expérimentation qui doit se dérouler entre octobre 2005 et mars 2006. A l'issue de cette première étape, le cahier des charges du dossier médical personnel sera affiné et la généralisation du dispositif débutera fin 2006.

Selon les responsables du GIP, le montant des dépenses nécessaires à l'expérimentation s'élève à 15 millions d'euros en 2005 et à 90 millions d'euros en 2006. Les sommes nécessaires sont versées par le fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV). Le coût de fonctionnement du dispositif en année pleine pourrait s'élever à 600 millions d'euros.

Ce calendrier demeure très ambitieux et la réussite du projet repose sur la capacité des acteurs à apporter rapidement des réponses claires à deux interrogations capitales. La première est relative à la définition du contenu du dossier médical personnel, la seconde à la capacité de l'Etat et de l'assurance maladie à financer la mise à niveau des systèmes d'information des acteurs de la santé (professionnels de santé libéraux, établissements de santé publics et privés)

2. La maîtrise médicalisée à l'épreuve des premiers résultats

Depuis 2002, le Gouvernement a résolument rejeté le recours à la maîtrise comptable des dépenses de santé en supprimant les dispositifs contraignants pesant sur les médecins (lettres clés flottantes supprimées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003).

A travers les mécanismes prévus par loi du 13 août 2004, pour la prise en charge des patients souffrant d'une affection de longue durée (ALD) pour ne citer que cet exemple, il a promu, avec la collaboration des partenaires conventionnels, une nouvelle forme de régulation : la maîtrise médicalisée des dépenses.

a) Des résultats 2005 qui marquent un premier infléchissement des dépenses

C'est à travers les conventions régissant les rapports entre l'assurance maladie et les professionnels de santé et plus particulièrement celle, disposant de la charge symbolique la plus forte, négociée avec les médecins que les principes de la maîtrise médicalisée conventionnelle prennent toute leur signification.

Les parties à la convention ont défini des objectifs chiffrés de maîtrise médicalisée pour l'année 2005 et ont acté le fait « qu'une partie des dépenses effectivement évitées pourra être utilisée pour valoriser la rémunération des actes médicaux ».

Pour 2005, les partenaires se sont fixé un objectif de 998 millions d'euros . Au 31 août 2005, les projections réalisées par la CNAM laissaient apparaître des résultats mitigés, en deçà des ambitions initiales.

Objectifs et résultats de la maîtrise médicalisée conventionnelle

(en millions d'euros)

Objectifs
des dépenses

Prévisions tous régimes en 2005 (1)

Antibiotiques

91

20

Statines

161

107

Psychotropes

33

10

Arrêts de travail

150

424

ALD (libéraux)

455

82

Génériques

55

33

Accord de bon usage de soins (Acbus)

55

0

Total

998

675

(1) Il s'agit de données provisoires se fondant sur les rythmes d'évolution observés fin août.

Source : CNAM

Comment interpréter ces résultats alors que, dans son rapport annuel consacré à la sécurité sociale, la Cour des comptes a souligné l'échec des mécanismes d'incitation financière octroyés aux professionnels de santé avant 2004 ?

Le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) a appelé les médecins à redoubler d'efforts pour atteindre les objectifs d'économie fixés pour 2005, mais considère les premiers résultats comme plutôt positifs.

Les syndicats médicaux font de même et rappellent, par une remarque non dénuée d'une certaine justesse, que les mécanismes de maîtrise médicalisée ne sont entrés en vigueur que vers le mois d'avril 2005. En conséquence, les économies réalisées doivent être considérées comme le résultat des efforts accomplis sur les deux tiers de l'année et s'apprécier en tendance. Dans ces conditions, l'appréciation peut-être favorable.

Sans entrer dans ces querelles d'interprétation, on peut toutefois observer que le poste d'économie le plus important concerne les dépenses d'indemnités journalières, c'est-à-dire le domaine dans lequel les efforts ont débuté avant la signature conventionnelle.

Si l'on s'en tient à cet exemple et à celui des antibiotiques pour lesquels des résultats positifs ont été obtenus les années précédentes, on constate que la maîtrise médicalisée peut déboucher sur des résultats positifs en termes d'économies et d'optimisation du système de soins, sous certaines conditions : une adhésion de l'ensemble des acteurs à l'objectif, un effort prolongé sur plusieurs années et qui ne se relâche par après l'obtention des premiers résultats positifs.

b) Des objectifs 2006 qui restent à définir

L'annexe 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoit que 890 millions d'économies seront réalisées dans le domaine des soins de ville grâce à la poursuite de la politique de maîtrise médicalisée des dépenses.

Ces mesures sont distinctes d'autres dispositions adoptées par le Gouvernement en matière de produits de santé par exemple. Il s'agit bien de mesures relatives aux honoraires et prescriptions, et donc de moyens qui devront être dégagés, notamment dans le cadre de la négociation conventionnelle entre l'assurance maladie et les professionnels de santé.

Le conseil de l'Uncam a d'ores et déjà arrêté les orientations nécessaires à l'ouverture de négociations avec les transporteurs sanitaires, les masseurs-kinésithérapeutes, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les infirmières et les transporteurs sanitaires.

C'est au travers de ces négociations que la question de la régulation des dépenses de soins de ville sera abordée. On peut imaginer que les modalités retenues dans la convention régissant les relations entre les médecins et l'assurance maladie (revalorisation des tarifs en contrepartie d'objectifs chiffrés de maîtrise) seront appliquées aux futures négociations conventionnelles, en étant adaptées pour tenir compte des contraintes spécifiques pesant sur chaque profession concernée.

Aucune mesure de maîtrise médicalisée portant sur les prescriptions hospitalières n'est prévue alors qu'elles pèsent sur les dépenses de soins de ville. Cette situation doit être corrigée rapidement afin que les efforts soient partagés entre les différents acteurs, notamment dans le domaine des arrêts de travail et de la prise en charge des patients souffrant d'une affection de longue durée. La mise en oeuvre des nouveaux accords cadre prévus par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie doit constituer un premier pas en la matière.

In fine , et sans même discuter de la validité des résultats obtenus, il faut constater que la maîtrise médicalisée conventionnelle a prévu un objectif d'économies de 998 millions d'euros en 2005, alors que pour 2006, et sur un champ a priori plus large, le Gouvernement n'anticipe qu'une réduction des dépenses à hauteur de 890 millions d'euros. Dans un cas comme dans l'autre, les sommes considérées représentent moins de 1,5 % des dépenses de soins de ville et sont au moins pour une partie réinvesties pour revaloriser les actes réalisés par les professionnels de santé.

Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la capacité de la maîtrise médicalisée conventionnelle à contribuer à la réduction des déficits de l'assurance maladie. Son apport est modeste et son rôle semble plutôt orienté, dans un premier temps, vers une optimisation des dépenses de santé.

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