Article 75 (art. 2492, 2494
et 2499-1 à 2499-4 du code civil)
Règles de l'état
civil applicables à Mayotte - Procédure d'opposition aux
reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte
Cet amendement tend à préciser les règles de l'état civil applicables à Mayotte et à instituer une procédure d'opposition aux reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte. Il a fait l'objet de plusieurs amendements rédactionnels ou de coordination, adoptés à l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale afin de prendre en compte, en particulier, la modification opérée dans la structure du code civil par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.
Le premier paragraphe (I) de cet article redéfinirait les règles du code civil relatives à l'état des personnes qui seraient applicables à Mayotte, en réécrivant l'article 2492 du code civil.
Aux termes de cet article, les articles 7 à 515-18 de ce code seraient applicables dans la collectivité de Mayotte, à l'exception des articles suivants :
- les articles 33 à 33-2, qui prévoient quelques mesures d'adaptation pour les collectivités territoriales d'outre-mer ;
- les articles 57, 62 et 316, dans la mesure où le III du présent article du projet de loi prévoirait leur application, sous certaines réserves, à Mayotte.
Votre commission constate que ne serait pas applicable l'article 62-1 du code , qui prévoit que si la transcription de la reconnaissance paternelle s'avère impossible, du fait du secret de son identité opposé par la mère, le père peut en informer le procureur de la République qui procède alors à la recherche des date et lieu d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant. Or, elle estime que cette disposition doit recevoir application à Mayotte et vous soumet en conséquence un amendement permettant de maintenir l'application de cette disposition à Mayotte, comme cela est actuellement le cas.
Le deuxième paragraphe (II) de cet article abrogerait l'article 2494 du code civil.
Cette disposition prévoit, par dérogation à l'article 55 du code civil, que les déclarations de naissance seront faites dans les quinze jours de l'accouchement à l'officier d'état civil du lieu. En droit commun, ce délai n'est que de trois jours à compter de l'accouchement.
La suppression de cette règle dérogatoire avait été suggérée par la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale relative à la situation de l'immigration à Mayotte qui considérait, à juste titre, qu'un tel délai pouvait être mis à profit pour organiser une reconnaissance de paternité frauduleuse. En conséquence, le délai de déclaration de la naissance serait désormais de trois jours à Mayotte.
Le troisième paragraphe (III) de cet article tend à instituer une procédure d'opposition à l'enregistrement des reconnaissances de paternité frauduleuses .
Cette mesure viendrait ainsi compléter l'action en contestation de paternité qui peut, en vertu de l'article 336 du code civil, être engagée par le ministère public « si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ». Cette action permet ainsi de sanctionner par la nullité les cas dans lesquels la filiation paternelle ou maternelle aurait été faite dans un but autre que l'intérêt de l'enfant.
Le dispositif proposé tendrait à créer une procédure qui, de manière préventive, priverait d'effet de droit la filiation paternelle qui aurait été établie de manière frauduleuse dans le cadre de la procédure de reconnaissance de paternité . Il ne serait applicable que dans la collectivité départementale de Mayotte, la constitutionnalité de cette mesure étant assurée par la soumission de ce territoire aux dispositions de l'article 74 de la Constitution.
Selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, cinq nouveaux articles, numérotés 2499-1 à 2499-5, seraient insérés au sein du code civil, dans le titre Ier du livre V relatif à Mayotte.
• Article 2499-1 nouveau du code civil : Application des règles du code civil relatives aux actes de naissance et de reconnaissance ainsi qu'à la reconnaissance de paternité, sous réserve des dispositions des articles 2499-2 à 2499-5 .
L'article 2499-1 prévoirait l'application de principe à Mayotte, pour autant qu'ils s'avèrent compatibles avec les règles particulières fixées par les articles 2499-2 à 2499-5, de :
- l'article 57 du code civil, relatif aux mentions de l'acte de naissance (jour, heure et lieu de la naissance, sexe de l'enfant, prénoms, nom de famille ; prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant) et à la possibilité donnée à l'officier d'état civil, lorsque les prénoms paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, d'aviser sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales qui peut supprimer les prénoms et leur substituer un prénom qu'il détermine ;
- l'article 62, relatif aux mentions de l'acte de reconnaissance de paternité. A Mayotte, l'acte de reconnaissance énoncerait donc les prénoms, nom, date de naissance ou, à défaut, âge, lieu de naissance et domicile de l'auteur de la reconnaissance, ainsi que les date et lieu de naissance, le sexe et les prénoms de l'enfant ou, à défaut, tous renseignements utiles sur la naissance. Cet acte devrait être inscrit à sa date sur les registres de l'état civil. Les mentions relatives à l'auteur de la reconnaissance devraient être portées en marge de l'acte de naissance. Lors de l'établissement de l'acte de reconnaissance, il devrait être fait lecture à son auteur des dispositions relatives aux droits et devoirs liés à l'autorité parentale ;
- l'article 316, qui précise les modalités dans lesquelles peut s'exercer une reconnaissance de paternité en vertu du droit applicable en métropole. Ainsi, la reconnaissance de paternité ou de maternité pourrait être faite avant ou après la naissance de l'enfant. Elle n'établirait la filiation qu'à l'égard de son auteur. Elle serait faite, dans l'acte de naissance lui-même, comportant les mentions prévues à l'article 62 du code civil, soit par acte reçu par l'officier de l'état civil, soit par tout autre acte authentique.
• Article 2499-2 nouveau du code civil : Ouverture de la procédure d'opposition
Aux termes de la rédaction proposée pour l'article 2499-2, la procédure d'opposition pourrait être mise en oeuvre si des « indices sérieux » laissent « présumer que la reconnaissance d'un enfant est frauduleuse ».
La notion de fraude est déjà présente dans l'article 336 du code civil qui définit l'action en contestation de paternité.
La reconnaissance frauduleuse se distingue de la reconnaissance simplement mensongère, c'est-à-dire souscrite par son auteur alors qu'il sait ne pas être le père biologique de l'enfant. Constitue en effet une reconnaissance frauduleuse, la reconnaissance souscrite par une personne dont l'intention exclusive n'est pas d'assurer à l'égard de l'enfant l'ensemble des obligations résultant du lien de filiation, mais qui est animée par la recherche d'un avantage lié à la qualité de parent d'un enfant Français .
Cette fraude serait donc avérée dans l'hypothèse, courante à Mayotte, où il serait procédé à la reconnaissance d'un enfant aux seuls fins d'obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou une protection contre une mesure d'éloignement, ou d'acquérir ou de faire acquérir la nationalité française.
La notion d'« indices sérieux » est également utilisée par l'article 3 du projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, tel qu'il a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 mars 2006, pour l'opposition à la célébration d'un mariage ou à la transcription de l'acte de mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère. Il est nécessaire que les doutes sur la réalité de la reconnaissance de paternité soient liés à des éléments suffisamment probants pour permettre à l'officier de l'état civil de déclencher l'action.
Initiée par l'officier de l'état civil qui doit en informer l'auteur de la reconnaissance, la procédure mise en place reposerait, en réalité, sur l'action du procureur de la République du tribunal de première instance de Mayotte.
Saisi par l'officier d'état civil, le procureur devrait prendre l'une des trois décisions suivantes , dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine :
- laisser l'officier de l'état civil enregistrer la reconnaissance ou mentionner celle-ci en marge de l'acte de naissance, s'il considère que des indices sérieux mettant en cause l'authenticité de la reconnaissance de paternité ne sont pas établis ;
- surseoir à cet enregistrement dans l'attente des résultats d'une enquête à laquelle il ferait procéder pour étayer ces indices par d'autres preuves.
La durée de ce sursis ne pourrait excéder un mois, renouvelable une fois par décision « spécialement » motivée. Toutefois, si l'enquête est menée, en totalité ou en partie, à l'étranger par l'autorité diplomatique ou consulaire, la durée du sursis serait portée à deux mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée. Dans tous les cas, la décision de sursis et son renouvellement devraient être notifiés à l'officier de l'état civil et à l'auteur de la reconnaissance.
L'auteur de la reconnaissance pourrait néanmoins contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le tribunal de première instance, qui statuerait alors dans un délai de dix jours à compter de sa saisine. En cas d'appel, le tribunal supérieur d'appel devrait statuer dans le même délai.
À l'expiration du sursis, le procureur de la République devrait faire connaître à l'officier de l'état civil et aux intéressés, par décision motivée, s'il laisse ou non procéder à l'enregistrement de la reconnaissance ou à sa mention en marge de l'acte de naissance de l'enfant ;
- faire opposition à cet enregistrement, si le cas de fraude est avéré sans qu'il soit nécessaire de faire diligenter une enquête.
En tout état de cause, chaque situation devrait appeler une appréciation individuelle circonstanciée et une analyse concrète de chaque cas signalé ainsi que la réunion d'un faisceau d'indices concordants .
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les indices pouvant, en pratique, laisser présumer une fraude pourraient être notamment : l'aveu de l'auteur de la reconnaissance ou de l'autre parent sur les véritables motivations de cette démarche ; l'existence d'une pluralité de mentions marginales relatives à des reconnaissances et les annulations de reconnaissances successives sur l'acte de naissance de l'enfant ; l'existence d'une contrepartie financière ; l'existence d'une faible différence d'âge entre l'auteur de la reconnaissance et l'enfant reconnu ; la multiplicité des reconnaissances souscrites par un même auteur ; la production de pièces ou documents falsifiés, erronés ou mensongers ; l'absence ou la disparition de l'auteur de la reconnaissance après l'obtention d'un titre de séjour ou de la nationalité française de l'auteur de la reconnaissance ou du parent de l'enfant ; l'absence « d'investissement » affectif et éducatif auprès de l'enfant.
En tout état de cause, par référence à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel sur les mariages de complaisance 208 ( * ) , l'irrégularité du séjour de l'auteur de la reconnaissance ne saurait être considérée, à elle seule, comme un motif de refus de l'enregistrement de l'acte et un motif suffisant caractérisant une fraude.
• Article 2499-3 nouveau du code civil : Acte d'opposition
Aux termes de l'article 2499-3 du code civil, l'acte d'opposition devrait mentionner les prénoms et nom de l'auteur de la reconnaissance, ainsi que les prénoms et nom, date et lieu de naissance de l'enfant concerné. En cas de reconnaissance prénatale, l'acte d'opposition devrait comporter toute indication communiquée à l'officier de l'état civil permettant d'identifier l'enfant à naître.
L'acte d'opposition à l'enregistrement d'une reconnaissance ou à sa mention en marge de l'acte de naissance de l'enfant, devrait énoncer, à peine de nullité, la qualité de l'auteur de l'opposition, ainsi que les motifs de celle-ci. Il devrait être signé par l'opposant, sur l'original et sur la copie, et notifié à l'officier de l'état civil, qui mettrait son visa sur l'original. Une mention sommaire de cette opposition serait faite sans délai sur le registre d'état civil qui mentionnerait également, en marge de l'inscription de l'opposition, les éventuelles décisions de mainlevée dont expédition lui a été remise.
L'officier de l'état civil ne pourrait, sous peine de l'amende prévue à l'article 68 209 ( * ) , enregistrer la reconnaissance ou la mentionner sur l'acte de naissance de l'enfant, « sauf si la mainlevée de l'opposition lui a été remise ».
Votre commission vous soumet un amendement rédactionnel précisant que l'enregistrement peut intervenir si l'officier se voit remettre une expédition de la mainlevée.
• Article 2499-4 nouveau du code civil : Mainlevée de l'opposition
L'article 2499-4 du code civil introduirait une possibilité de demander en justice la mainlevée de l'opposition pratiquée par le procureur de la République.
La compétence pour connaître de cette action réservée au seul auteur de la reconnaissance, même mineur, serait attribuée au tribunal de première instance de Mayotte. Cette juridiction devrait se prononcer dans un délai de dix jours à compter de sa saisine sur la demande de mainlevée de l'opposition.
Compétent en appel, le tribunal supérieur d'appel de Mayotte devrait statuer dans le même délai. Toutefois, le jugement rendu par défaut, -c'est-à-dire en l'absence du défendeur-, qui rejetterait l'opposition à l'enregistrement de la reconnaissance ou à sa mention en marge de l'acte de naissance de l'enfant, ne pourrait être contesté. Cette mesure serait favorable à l'auteur de la reconnaissance contestée par le procureur de la République qui pourrait ainsi plus rapidement faire procéder à l'enregistrement de la reconnaissance ou à l'apposition de la mention marginale dans l'acte de naissance.
• Article 2499-5 nouveau du code civil : Acte de naissance de l'enfant dont la reconnaissance fait l'objet d'une opposition
L'article 2499-5 du code civil préciserait que, lorsque la saisine du procureur de la République concerne une reconnaissance prénatale ou concomitante à la déclaration de naissance, l'acte de naissance de l'enfant est dressé sans indication de cette reconnaissance.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 75 ainsi modifié .
* 208 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003.
* 209 Le montant de cette amende a été fortement accru par l'article 63 bis du présent projet de loi.