EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner en première lecture le projet de loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution et le projet de loi relatif à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés adoptés par l'Assemblée nationale le 20 novembre 2008.

Votre rapporteur constate que l'adoption rapide de ces textes répond d'abord à une « urgence démocratique » : la nécessité d'adapter la répartition des sièges de députés. En effet, la délimitation de leurs circonscriptions d'élection fixées en 1985 et 1986 en fonction des résultats du recensement général de la population de 1982, ne tient pas compte des évolutions démographiques ultérieures de notre pays et met par conséquent en cause le principe constitutionnel de l'égalité du suffrage.

Afin de répondre à cette urgence, le projet de loi ordinaire propose d'autoriser le Gouvernement à effectuer cette adaptation par la voie des ordonnances de l'article 38 de la Constitution. Cette procédure, initialement mise en oeuvre en 1986, n'empêchera pas le législateur d'avoir le dernier mot pour fixer les orientations de cette nouvelle délimitation en validant ou non les options choisies par le Gouvernement lors de la ratification des ordonnances 1 ( * ) .

Pour s'assurer de la transparence de ces opérations, le projet de loi ordinaire précise l'organisation et le fonctionnement de la commission indépendante, prévue à l'article 25 de la Constitution tel que modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Cinquième République, appelée à émettre un avis public sur le « redécoupage » des circonscriptions législatives et sur toute modification de la répartition des sièges de députés et de sénateurs.

Ces textes soumis à l'examen du Sénat sont nécessaires à l'application d'autres innovations de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, inscrites aux articles 24 et 25 de la Constitution, telles que la création de députés élus par les Français établis hors de France ou le remplacement temporaire au Parlement des députés et sénateurs devenus ministres.

I. LA NÉCESSITÉ DE PROCÉDER AU REDÉCOUPAGE DES CIRCONSCRIPTIONS LÉGISLATIVES ET DE TIRER LES CONSÉQUENCES ÉLECTORALES DE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE DE JUILLET 2008

A. UNE OBLIGATION CONSTITUTIONNELLE : L'ACTUALISATION DES CIRCONSCRIPTIONS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

1. Les députés sont élus dans des circonscriptions instituées pour les seuls besoins de leur élection

Les 577 députés qui siègent à l'Assemblée nationale sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct - au scrutin majoritaire uninominal à deux tours 2 ( * ) - dans des circonscriptions tracées pour les seuls besoins de leur élection , en fonction de la population .

Ce mode de scrutin, en vigueur depuis 1958, a été brièvement remplacé par la représentation proportionnelle dans le cadre départemental lors des élections de mars 1986 3 ( * ) , puis rétabli par la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986.

Si le nombre de députés est fixé par la loi organique 4 ( * ) , conformément à l'article 25 de la Constitution, la délimitation de ces circonscriptions, qui relève du régime électoral de l'Assemblée nationale, est de la compétence du législateur ordinaire.

En pratique aujourd'hui, l'article L. 125 du code électoral prévoit que les circonscriptions sont déterminées conformément au tableau n° 1 annexé au code. En fait, ce tableau fixe les circonscriptions situées dans les départements alors que le tableau n° 1 bis, annexé à l'article L. 394 du code électoral, fixe celles de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.

Ces circonscriptions ont été modifiées à plusieurs reprises entre 1958 et 1986 pour tirer les conséquences d'évolutions territoriales (création des nouveaux départements de la région parisienne en 1966 ; création de deux départements en Corse en 1975) ou démographiques 5 ( * ) .

La répartition des sièges entre circonscriptions se fonde sur une méthode de répartition par tranches de population qui, comme l'a rappelé M. Alain Marleix lors de son audition devant votre commission, a été « introduite au début de la III ème République » et « conservée lors du passage au scrutin proportionnel en 1985 avec l'approbation de tous les groupes politiques. »

2. La délimitation actuelle des circonscriptions législatives n'est plus adaptée

La répartition actuelle des sièges a été instituée par la loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 , qui avait instauré l'élection des députés à la représentation proportionnelle dans un cadre départemental, alors que la loi organique n° 85-688 du même jour avait porté le nombre de députés de 484 à 577 .

Cette modification prenait en compte les résultats du recensement général de la population de 1982 en appliquant deux principes : deux députés au moins sont élus dans chaque département et un député supplémentaire est attribué pour chaque tranche supplémentaire de 108.000 habitants .

Ce nombre et cette répartition furent confirmés par la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 qui modifia la délimitation des circonscriptions , par coordination avec le rétablissement du scrutin majoritaire uninominal pour les élections législatives.

En 1986, un processus de « redécoupage » mouvementé :

Au terme d'un débat parlementaire agité, le Parlement adopta la loi du 11 juillet 1986 qui conserva le nombre de députés à 577 augmenté par la loi du 10 juillet 1985 afin de tenir compte des évolutions démographiques et de faciliter l'élection des députés à la représentation proportionnelle. Ce texte rétablit le scrutin uninominal majoritaire à deux tours et habilita le Gouvernement à effectuer, par ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la Constitution, un redécoupage des circonscriptions législatives en tenant compte des résultats du recensement général de la population de 1982. Le Gouvernement utilisa la procédure de l'article 49, troisième alinéa, de la Constitution 6 ( * ) pour faire adopter le texte à l'Assemblée nationale avant que le Sénat vote la réforme.

Le Conseil constitutionnel, immédiatement saisi, déclara le texte conforme à la Constitution sous de strictes réserves d'interprétation.

Une fois la loi promulguée le 11 juillet 1986, les projets d'ordonnances 7 ( * ) du Gouvernement subirent plusieurs corrections pour prendre en considération les observations (rendues publiques) d'une commission de « sages », composée de deux membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, constituée pour donner un avis sur ce projet, et celles du Conseil d'Etat. Malgré ces dernières, le Président de la République, M. François Mitterrand, refusa de signer les ordonnances et ces dernières furent alors transformées en projet de loi.

Adopté par le Parlement le 24 octobre et déclaré conforme à la Constitution par le juge constitutionnel, le 18 novembre, ce projet de loi fut promulgué le 24 novembre 1986.

En outre, le second alinéa de l'article L. 125 du code électoral inséré en 1986 et aujourd'hui caduque 8 ( * ) , imposait qu'une révision des limites des circonscriptions soit effectuée, en fonction de l'évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation. Or, deux recensements généraux de la population ont eu lieu en 1990 et en 1999 sans que cette délimitation soit modifiée .

En conséquence, des écarts importants existent à l'heure actuelle entre les populations des départements et des circonscriptions législatives, rendant inégalitaire la représentativité des députés.

A titre d'exemple, la Haute-Savoie compte un député de moins que la Saône-et-Loire tout en ayant 86.786 habitants de plus. De même, la Gironde compte un député de moins que le Val de Marne tout en ayant 60.084 habitants de plus. Il est donc nécessaire de modifier cette répartition des sièges entre départements.

Il faut par ailleurs revoir le tracé des circonscriptions dessiné en 1986, qui repose aujourd'hui sur une « photographie » de la population datant de vingt-six ans : 11 circonscriptions électorales ont une population moyenne inférieure de plus de 20 % à la moyenne départementale et 25 autres circonscriptions ont une population supérieure de plus de 20 % à la population moyenne départementale, « ce qui est illégal au regard des critères fixés en 1986 », comme le rappelait à l'Assemblée nationale 9 ( * ) le secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales, M. Alain Marleix. A titre d'exemple, la première circonscription du Var  représente 74.027 habitants alors que la sixième circonscription en rassemble 180.368. De même, la 3 ème circonscription de Paris regroupe 75.131 habitants alors que la 21 ème en rassemble 125.393 (voir annexe III).

Le législateur a donc été fermement incité à procéder au redécoupage des circonscriptions par le Conseil constitutionnel depuis 2002.

A l'issue du renouvellement général de l'Assemblée nationale de 2002 , évoquant les « améliorations législatives » souhaitables selon lui, le Conseil indiquait :

« Le découpage actuel [des circonscriptions législatives] résulte de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution. Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage... ». 10 ( * )

Les dispositions constitutionnelles mises en cause par le découpage actuel :

Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 , « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

L'article 3 de la Constitution prévoit que « La Souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. »

L'article 24 de la Constitution , dans sa rédaction issue de la dernière révision constitutionnelle, prévoit en particulier que « le Parlement (...) comprend l'Assemblée nationale et le Sénat » et que « les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct ».

Cette recommandation a été réitérée en 2005 et en 2007 mais le législateur a choisi de ne pas modifier les circonscriptions actuelles avant les élections législatives du mois de juin 2007 .

C'est pourquoi, dans ses observations du 29 mai dernier sur les élections législatives de 2007, le Conseil a estimé qu'il est « désormais impératif de procéder à ce redécoupage ».

3. Une nouvelle délimitation des circonscriptions strictement encadrée par le constituant et le Conseil constitutionnel

Le remodelage des circonscriptions législatives est désormais urgent et doit s'inscrire dans le respect des principes dégagés par le législateur et le Conseil Constitutionnel dans ses deux décisions des 2 juillet et du 18 novembre 1986 valables pour les modifications à venir.

En affirmant que « la délimitation des circonscriptions ne devait procéder d'aucun arbitraire », le juge constitutionnel s'est d'abord donné la possibilité de contrôler l'impartialité des opérations tout en marquant clairement les limites de ce contrôle : le Conseil n'a pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ».

Il a ensuite posé les fondements d'un contrôle de l'équilibre démographique et territorial du redécoupage des circonscriptions législatives, qui, en pratique, prend la forme d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation .

Concernant l'équilibre démographique, le Conseil constitutionnel a affirmé que l'Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques 11 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel n'exige pas du législateur une stricte proportionnalité entre la répartition de la population et celle des élus, ce dernier ayant la possibilité d'atténuer cette règle, mais seulement pour tenir compte d'impératifs d'intérêt général liés aux caractéristiques des territoires concernés et dans une mesure limitée.

A cet égard, en 1986, le Conseil a validé, la règle traditionnelle depuis 1914, selon laquelle deux députés au moins sont élus dans chaque département parce que le législateur entendait par ce biais « assurer un lien étroit entre l'élu d'une circonscription et les électeurs » et parce que le nombre de départements pour lesquels la mise en oeuvre de cette règle a entraîné « un écart de représentation en leur faveur » était « restreint ».

Concernant l'équilibre territorial, il a alors estimé que le principe de la continuité territoriale des circonscriptions auquel le législateur n'entendait déroger « qu'en ce qui concerne les départements dont le territoire comporte des parties insulaires ou enclavées », devait être respecté « sauf impossibilité d'ordre géographique ».

Concernant l'obligation de respecter les limites cantonales posée par le législateur , il a précisé que la faculté d'y déroger « dans les départements comprenant un ou plusieurs cantons non constitués par un territoire continu ou dont la population est supérieure à 40.000 habitants ne valait que pour ces seuls cantons ».

Le juge constitutionnel a admis la position du Parlement lors des débats parlementaires selon laquelle la population d'une circonscription ne pouvait s'écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département, à condition que cet écart ait pour but de respecter les limites cantonales ou « de tenir compte des « réalités naturelles que constituent certains ensembles géographiques et des solidarités qui les unissent » 12 ( * ) . Il avait ajouté que la mise en oeuvre de l'écart maximal (20 %) devait être réservée à des cas exceptionnels et dûment justifiés.

En pratique, l'application de cette règle devrait conduire à la révision de la délimitation des circonscriptions d'une dizaine de départements dont le nombre de sièges ne variera pas.

La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a complété le « cadre » de la prochaine délimitation des circonscriptions électorales des députés en :

- « plafonnant » au sein de l'article 24 de la Constitution le nombre de députés à 577 (et celui des sénateurs à 348) ;

- prévoyant la création de députés élus par les Français établis hors de France ;

- instituant une commission indépendante amenée à rendre un avis public sur les opérations de redécoupage (voir B).

* 1 Ratification qui ne peut plus être implicite depuis l'adoption de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. L'article 38 de la Constitution rappelle en effet que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ».

* 2 Article L. 126 du code électoral.

* 3 Conformément à la loi n°85-690 du 10 juillet 1985.

* 4 Selon l'article L.O. 119 du code électoral, 570 députés sont élus dans les départements. Les articles L.O. 393-1, 455, 479, 506 et 533 du même code fixent le nombre de députés dans chaque collectivité d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, depuis l'adoption de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, la modification des effectifs de l'Assemblée nationale doit respecter un « plafond » de 577 députés, inscrit à l'article 24 de la Constitution.

* 5 Conformément à une tradition républicaine bien établie, l'égale représentativité des élus d'une circonscription à l'autre est appréciée au regard du nombre d'habitants et non d'électeurs inscrits, c'est-à-dire de citoyens susceptibles de voter.

* 6 « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposées dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée... » (la motion n'est recevable que si elle a été signée par un dixième au moins des députés. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Elle doit être adoptée par la majorité des membres composant l'Assemblée).

* 7 La première ordonnance était relative à la délimitation des circonscriptions des départements et la seconde, à la délimitation des circonscriptions des territoires d'outre-mer.

* 8 En effet, la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a supprimé les recensements généraux de la population.

* 9 Première séance publique du 19 novembre.

* 10 Observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives de juin 2002, émises le 15 mai 2003.

* 11 Ce principe, applicable à toutes les assemblées élues au suffrage universel direct, a été affirmé pour la première fois par le Conseil dans sa décision n° 85-197 DC du 23 août 1985 -loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie.

* 12 Le projet de loi d'habilitation avait fixé initialement cet écart maximal à plus ou moins 15 % avant que ce dernier soit augmenté à 20 % sur proposition de l'Assemblée nationale.

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