TRAVAUX DE LA COMMISSION
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Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission procède à l'examen du rapport de Mme Anne Emery-Dumas sur la proposition de loi n° 559 (2012-2013) portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement.
Mme Anne Emery-Dumas , rapporteure - Le texte que nous examinons aujourd'hui, déposé à l'Assemblée nationale le 9 avril dernier par Bruno Le Roux, Christian Eckert, Catherine Lemorton et les membres du groupe socialiste, tend à autoriser le déblocage exceptionnel de l'intéressement et de la participation.
Concrétisant l'engagement pris par le Président de la République le 28 avril dernier et complétant la stratégie de croissance du Gouvernement, il entend améliorer dans les meilleurs délais le pouvoir d'achat des Français et soutenir la consommation des ménages au moment où le pays traverse l'une des plus graves crises économiques de son histoire.
Cette crise se mesure bien entendu à l'aune des statistiques économiques. Il y a quelques jours à peine, l'institut national de la statistique et des études (Insee) soulignait que les dépenses de consommation des ménages avaient diminué en 2012 pour la seconde fois depuis l'après-guerre et que le pouvoir d'achat individuel des Français avait connu sa plus forte baisse depuis 1984.
Mais cette crise se mesure aussi et surtout aux difficultés financières que connaissent nos concitoyens et au désarroi que chacun d'entre nous, en tant qu'élu local, peut percevoir chez ses administrés.
A elle seule, la mesure de déblocage que je vais vous présenter ne permettra ni de faire décoller la consommation ni de rétablir la confiance. Mais elle constituera, pour ceux qui en bénéficieront, une mesure bienvenue au moment où les réformes structurelles menées par le Gouvernement au cours des douze derniers mois commencent à peine à produire leurs effets.
Le recours au déblocage anticipé de l'épargne salariale pour soutenir la consommation des ménages ne constitue pas une idée neuve : depuis 1994, pas moins de quatre déblocages exceptionnels ont été autorisés par la loi.
Le principe de ces mesures est simple : il s'agit de permettre aux salariés d'accéder à leurs primes de participation ou d'intéressement avant le terme du blocage fixé par la loi - en général cinq ans mais parfois huit ans - en bénéficiant néanmoins des exonérations d'impôt et de cotisations sociales qui leur sont associées.
Le dispositif proposé par le texte est toutefois plus ambitieux et mieux encadré que les dispositifs adoptés précédemment.
D'une part, il couvre les sommes issues de la participation et de l'intéressement quand les mesures précédentes ne concernaient que le premier régime. Seront ainsi concernées non seulement les entreprises de plus de cinquante salariés, pour lesquelles la participation constitue une obligation, mais aussi les PME et certaines TPE qui recourent plus facilement aux accords d'intéressement.
D'autre part, la mesure permet aux salariés de débloquer l'ensemble des sommes qui lui ont été attribuées au titre de la participation et de l'intéressement, quels que soient leur année de versement et l'exercice au titre duquel elles ont été attribuées. Les sommes déblocables ne sont pas limitées à celles attribuées au cours des deux années précédentes comme ce fut le cas en 1994 et 1995.
Elle autorise enfin le bénéficiaire à débloquer jusqu'à 20 000 euros, soit le double du plafond autorisé en 2004 ou en 2008 permettant ainsi de procéder à l'achat d'un véhicule ou à la réalisation de travaux conséquent dans sa résidence.
Au total et compte tenu de ses caractéristiques, le déblocage proposé concerne potentiellement plus de 4 millions de nos concitoyens et près de 90 milliards d'encours.
Si cette mesure est ambitieuse, elle reste néanmoins fermement encadrée afin de limiter les effets pervers qui pourraient lui être associés.
Afin de préserver l'épargne longue qui permet de compléter la pension de retraite de salariés souvent modestes, le dispositif exclut d'abord les sommes issues de la participation et de l'intéressement investies dans les plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco).
Le texte exclut ensuite du régime de déblocage les sommes placées dans des fonds solidaires. Les 2,6 milliards d'encours consacrés au financement des entreprises sociales et solidaires sont en effet indispensables à la pérennité de ces structures.
Le dernier garde-fou présent dans le texte initial concerne les conditions de déblocage des sommes affectées à l'actionnariat salarié. Si le déblocage des sommes investies sur des fonds monétaires ou diversifiés peut se faire, sans formalité préalable, sur simple demande du salarié, le déblocage des droits affectés à l'acquisition de titres de l'entreprise ou à l'acquisition de parts du fonds commun de placement d'entreprise (FCPE) d'actionnariat salarié est quant à lui conditionné à la signature d'un accord collectif afin de prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser inutilement les fonds propres des entreprises concernées.
Ces précautions ont été considérablement renforcées par nos collègues députés à l'occasion de l'examen de la proposition de loi par l'Assemblée nationale.
A l'initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales, Richard Ferrand, l'Assemblée a en effet complété le dispositif initial en « fléchant » les sommes débloquées par les salariés vers l'achat de biens et de services.
Ce faisant, le texte de la proposition de loi vise à éviter que les sommes débloquées ne soient immédiatement redirigées vers des supports d'épargne alternatifs tels que les livrets défiscalisés dont les plafonds ont récemment été augmentés. Pour mémoire, l'Insee a estimé que 70 % des sommes liées à la participation ou à l'intéressement débloquées en 2004 ont été replacées sur des supports d'épargne plus liquides ou plus rémunérateurs.
Afin de limiter cet effet d'aubaine et, mécaniquement, de concentrer l'impact du dispositif sur la consommation des ménages, l'Assemblée a prévu une procédure de contrôle allégée imposant au salarié bénéficiaire de la mesure de tenir à la disposition de l'administration les pièces justificatives attestant de l'usage des sommes débloquées.
Ce mécanisme me paraît judicieux : il évite de décourager les salariés désireux de bénéficier du déblocage par un formalisme excessif tout en étant suffisamment conditionnel pour décourager les abus.
Nos collègues députés ont par ailleurs apporté d'autres modifications au texte dont la portée me semble plus limitée. Ils ont ainsi précisé les conditions de déblocage des sommes attribuées au titre de l'intéressement placées sur un plan d'épargne entreprise (PEE) mis en place à l'initiative de l'employeur, défini une période allant du 1 er juillet au 31 décembre pour le déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement et prévu le dépôt, par le Gouvernement, d'un rapport réalisant le bilan de la mesure dans le délai d'un an après son adoption.
Cette dernière mesure nous permettra sans doute, et pour la première fois depuis vingt ans, de disposer dans les mois qui viennent de données fiables sur l'effet d'un tel déblocage.
En guise de conclusion, je souhaiterais indiquer que ce déblocage exceptionnel est une mesure circonstancielle qui appelle des réformes plus profondes de notre système d'épargne salariale.
A cet égard, Benoit Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, a annoncé à l'occasion du débat sur le texte à l'Assemblée nationale l'installation prochaine du Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés (Copiesas) institué par la loi du 3 décembre 2008.
Resté depuis sa création au stade de l'intention, ce conseil sera chargé de faire des propositions sur une réforme globale de l'épargne salariale. Ces réformes concerneront sans doute la simplification des dispositifs d'épargne salariale, l'élargissement du nombre de leurs bénéficiaires et la mobilisation des fonds qu'ils contiennent en faveur de l'investissement productif.
Dans l'attente de ces nouvelles échéances et compte tenu des préoccupations immédiates de nos concitoyens en matière de pouvoir d'achat, je vous propose d'approuver cette proposition de loi dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
M. Dominique Watrin - Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte économique et social que personne n'ignore : la France est entrée en récession et le pouvoir d'achat de nos concitoyens accuse une baisse de 0,4 % en 2012.
Dans ce contexte, on peut s'interroger sur le choix d'une mesure de déblocage dont l'effet « à un coup » devrait rapidement se dissiper et dont l'efficacité peut être discutée. Pour mémoire, 70 % des sommes débloquées en 2004 ont été immédiatement réépargnées sans profiter à la consommation.
En inscrivant à l'ordre du jour une mesure visant à relancer la demande dans notre pays, le Gouvernement semble toutefois se rallier aux positions défendues par le groupe communiste républicain et citoyen en matière économique. Nous nous abstiendrons par conséquent sur ce texte en souhaitant que le Gouvernement oeuvre dans le sens d'une véritable relance salariale et rompe avec les politiques récessives menées jusqu'ici.
Mme Colette Giudicelli - Je me demande si le « fléchage » adopté par l'Assemblée nationale n'est pas trop restrictif. En ouvrant le dispositif aux salariés désireux de payer leurs dettes avec les sommes débloquées, peut-être permettrions nous à ceux-ci d'accéder aux logements sociaux.
Mme Catherine Procaccia - Dans la mesure où la participation et l'intéressement que j'ai pu accumuler en dix ans de carrière en entreprise se sont élevées à huit mille cinq cent euros, je trouve le plafond de 20 000 euros fixé par le texte assez élevé. Je souhaiterais donc connaître le pourcentage de salariés susceptibles d'atteindre ce seuil.
Je souhaiterais par ailleurs connaître les raisons justifiant le traitement particulier réservé aux entreprises du secteur social et solidaire par le biais de l'exclusion des fonds solidaires du champ de la mesure de déblocage.
Je suis enfin dubitative sur l'efficacité du mécanisme de contrôle introduit par l'Assemblée nationale.
Mme Chantal Jouanno - Mon groupe ne s'étant pas encore positionné sur cette proposition de loi, je m'exprime ici à titre personnel. Je voterai contre ce texte car je considère qu'une énième relance par la consommation n'aboutirait qu'à dégrader notre balance commerciale. Il me semble par ailleurs que cette mesure, en autorisant le déblocage anticipé d'une épargne de long terme souvent investie en actions, pourrait dangereusement fragiliser les fonds propres des entreprises.
Mme Isabelle Debré - Ma position constante sur le sujet me conduit à m'opposer fermement à l'adoption de cette mesure. Je crois d'ailleurs qu'une grande partie du groupe partage ma position.
Ma première remarque concerne la situation du Copiesas. Si je reconnais volontiers que la majorité précédente aurait dû se préoccuper de sa mise en place, je rappellerais cependant que le Gouvernement aura mis près d'un an avant de se saisir du dossier. Il aurait par ailleurs été préférable de mettre en place ce Conseil avant de proposer un déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement.
Ma deuxième remarque concerne la nature des sommes concernées par le déblocage. Je regrette en effet que le texte de la proposition de loi n'exclue pas du champ de la mesure les sommes affectées dans des fonds investis en actions, dont le déblocage risque de déstabiliser les fonds propres des entreprises.
Je proposerai enfin des amendements tendant à définir des modalités de contrôle bien plus réalistes et efficaces que celles introduites par nos collègues de l'Assemblée nationale. Le sort réservé à ces amendements nous conduira peut être à revoir notre vote en séance.
M. René-Paul Savary - Cette mesure s'apparente à du « détournement d'intention de fonds ». Elle va d'abord permettre aux salariés sachant gérer leur budget de profiter d'un effet d'aubaine en replaçant les sommes débloquées sur d'autres supports d'épargne. Elle va également accentuer les difficultés de nos concitoyens les plus dépensiers en leur assurant un afflux de liquidités qu'ils vont s'empresser d'utiliser pour l'acquisition de biens sans rapport avec leurs besoins. Cette mesure d'affichage n'est donc pas à la hauteur de la situation que connaît notre pays.
M. Jean-Noël Cardoux - Je dois avouer que la cohérence de l'action du Gouvernement m'échappe totalement.
D'une part, le « tripatouillage » de la participation, dont la fiscalité a été fortement augmentée à l'occasion du dernier PLFSS par le biais du relèvement du forfait social de 8 % à 20 %, dénature l'esprit d'origine de cet outil conçu par le général de Gaulle comme une voie médiane entre le capitalisme « sauvage » et l'appropriation des moyens de production par la collectivité.
D'autre part, je trouve paradoxal qu'un Gouvernement qui passe son temps à détricoter les mesures positives mises en place par le précédent Président de la République - heures supplémentaires, TVA anti délocalisation... - soutienne l'adoption d'une mesure qui, sous la précédente législature, a fait la preuve de son inefficacité.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe - Compte tenu des sommes en jeu et du nombre de salariés potentiellement concernés, une étude d'impact a-t-elle été réalisée sur ce texte ?
D'autre part, ne faudrait-il pas limiter l'utilisation des sommes débloquées à des dépenses d'investissement dans le bâtiment ou les travaux publics afin d'éviter l'achat des biens d'équipement importés de Chine ou ailleurs. Il y a là une réflexion à mener pour limiter les effets pervers de la mesure.
Mme Anne Emery-Dumas , rapporteure - L'article R. 3324-22 du code du travail autorise déjà les salariés surendettés à débloquer de manière anticipée les droits constitués au titre de la participation.
Le plafond fixé par la proposition de loi vise à permettre aux salariés de réaliser des achats importants. Dans la mesure où le dispositif permet de débloquer l'ensemble des sommes attribuées au titre de la participation et de l'intéressement, quels que soient leur année de versement et l'exercice au titre duquel elles ont été attribuées, certains salariés devraient pouvoir débloquer les 20 000 euros fixés par le texte.
Les fonds solidaires ont été écartés du dispositif afin de ne pas déstabiliser les fonds propres des entreprises évoluant dans le champ social et solidaire. Le déblocage des sommes affectées à l'acquisition de titres de l'entreprise ou à l'acquisition de parts de FCPE d'actionnariat salarié est quant à lui conditionné à la signature d'un accord collectif.
Je rappelle que le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés a été créé en décembre 2008. Un certain nombre de ministres auraient donc pu le mettre en place depuis cette date.
Le ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation s'est quant à lui engagé à mettre en place ce Copiesas et à s'inspirer des conclusions de ses travaux dans le cadre d'un projet de loi sur l'épargne salariale.
L'exclusion des fonds investis en actions de la mesure de déblocage réduirait considérablement l'efficacité de la mesure. C'est pour cette raison qu'une telle exclusion n'a pas été retenue dans le texte de la proposition de loi.
Le dispositif de contrôle de l'utilisation des sommes débloquées prévu par le texte me paraît équilibré : sans être une usine à gaz, il devrait dissuader les salariés de débloquer des sommes pour les redéposer sur d'autres supports d'épargne.
S'agissant d'une proposition de loi, nous ne disposons pas d'une étude d'impact préalable. Le texte charge néanmoins le Gouvernement de réaliser un bilan de la mesure un an après son adoption.
En guise de conclusion, je m'étonne qu'un dispositif paraissant aussi mal adapté, aussi inutile, aussi dangereux pour les entreprises aux yeux de certains de nos collègues ait été utilisé si souvent par les gouvernements qu'ils soutenaient, sans les garde-fous prévus par le texte.
Mme Isabelle Debré - Je rappelle que les mesures de déblocage précédemment adoptées ne concernaient ni un plafond aussi élevé ni le dispositif d'intéressement. Par ailleurs, compte tenu des modalités de contrôle envisagées, les sommes débloquées pourront facilement se reporter vers de nouvelles formes d'épargne.
Dans la mesure où le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une remise à plat du système participation, pourquoi prendre cette mesure de déblocage dans la précipitation sans attendre la mise en place du Copiesas ?
Mme Anne Emery-Dumas , rapporteure - La mesure concerne effectivement la participation et l'intéressement, ce qui était d'ailleurs déjà le cas en 2004. Ce choix est d'autant plus judicieux qu'il permet d'élargir le champ des salariés concernés par le dispositif.
Quant à la remise à plat du système de participation annoncé par le Président de la République, il a effectivement été confirmé par M. Benoit Hamon, ministre de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Annie David , présidente - Il n'y a pas d'amendement. Je vais donc mettre aux voix les articles 1 er et 1 er bis et l'ensemble de la proposition de loi.
Les articles 1 er et 1 er bis et la proposition de loi ne sont pas adoptés.
Mme Annie David , présidente - Compte-tenu de ce vote négatif, la discussion en séance publique portera sur le texte transmis par l'Assemblée nationale.