EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le jeudi 29 novembre 2018, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission a procédé à l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, sur le rapport de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - L'Assemblée nationale a adopté hier soir en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. En première lecture, le Sénat l'avait abordé de manière constructive, adoptant 49 articles sans modification, soit plus de la moitié du texte transmis par les députés, et 30 articles avec modification, supprimant 8 articles et insérant 25 articles additionnels.
Néanmoins, l'existence de divergences de fond, en particulier sur la trajectoire financière de la sécurité sociale ou, de manière plus immédiate, la forte sous-revalorisation de nombreuses prestations, dont les retraites et les allocations familiales, ont conduit à l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), réunie au Sénat le 20 novembre.
J'en viens au vote des députés en nouvelle lecture ; un tableau indiquant le sort de chacun des amendements que le Sénat avait adoptés en première lecture figure dans le rapport écrit. Commençons par un constat tout à fait regrettable. L'amendement du Gouvernement à l'article 22 tendant à tirer les conséquences de la navette sur les comptes sociaux fait apparaître un déficit du solde consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 200 millions d'euros en 2019, au lieu de l'excédent de 400 millions d'euros affiché au dépôt du texte. Certes, en s'en tenant au régime général et au FSV, il y a un excédent infime de 100 millions d'euros. Mais, arithmétiquement, le budget de la sécurité sociale n'est pas à l'équilibre.
Deux mesures adoptées sur l'initiative du Gouvernement expliquent principalement cette dégradation : d'une part, la non-soumission à la CSG et à la CRDS des revenus du capital des personnes non inscrites à la sécurité sociale française et relevant d'un régime obligatoire de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de Suisse ; d'autre part, en nouvelle lecture, l'augmentation de la part de CSG affectée à l'Unedic, en compensation de la suppression des contributions chômage des salariés, du fait d'un mauvais calibrage de cette part au moment du dépôt du texte. Cette mesure illustre aussi la confusion croissante des ressources des administrations de sécurité sociale au sens large. La volonté de faire financer par la sécurité sociale une mesure décidée par l'État et à laquelle elle est totalement étrangère augure mal de la « rénovation » des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
Comme Olivier Véran l'avait laissé entendre en CMP, l'Assemblée nationale a repris certains des amendements que nous avions adoptés en première lecture. Au-delà des amendements rédactionnels, de précision ou de coordination, cela concerne quelques dispositions de fond : la suppression de la définition législative du régime social de divers avantages accordés par les employeurs ou les comités sociaux d'entreprise aux salariés, comme les chèques-vacances ; l'alignement sur six ans de la fiscalité sur les alcools forts dans les outre-mer sur celle en vigueur dans l'hexagone ; la priorité donnée aux transferts de déficits cumulés de l'assurance maladie et du FSV en direction de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), afin que ces transferts bénéficient avant tout aux branches et organismes les plus endettés ; dans le secteur médico-social, la possibilité accordée au médecin coordonnateur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de prescrire en dehors des cas d'urgence et la possibilité de mettre fin à titre expérimental au cofinancement de certaines structures dans le champ du handicap.
Sur d'autres sujets, l'Assemblée nationale n'a pas rejoint la position du Sénat, mais a néanmoins fait un pas vers nos propositions. Je pense en particulier au dispositif Lodeom, sur lequel l'Assemblée nationale a sensiblement fait évoluer sa position, en maintenant les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dans le régime actuel d'exonération, en adoptant des dispositions spécifiques relatives à la Guyane et en élargissant les fourchettes de rémunérations éligibles aux allégements spécifiques. En revanche, les élargissements sectoriels votés par le Sénat n'ont pas été retenus par les députés. Je pense aussi au dispositif TO-DE, relatif aux travailleurs occasionnels du secteur agricole, sur lequel l'Assemblée nationale a adopté contre l'avis de sa commission des affaires sociales et du Gouvernement un amendement améliorant sensiblement le mécanisme de sortie progressive issu de la première lecture. Ainsi, l'exonération totale de cotisations et contributions sociales concernera les rémunérations inférieures à 1,20 SMIC en 2019 et en 2020. Mais le dispositif doit toujours s'éteindre fin 2020. La question se reposera immanquablement dans les prochains PLFSS, car les problèmes liés au travail saisonnier resteront.
La navette parlementaire a donc été utile, voire fructueuse sur quelques mesures concrètes. Cependant, sur de nombreuses autres questions, les députés ont confirmé leur position de première lecture, en particulier sur les points ayant abouti à l'échec de la CMP.
L'Assemblée nationale a rétabli le quasi-gel, à plus 0,3 % pendant deux ans, des prestations sociales. Elle n'a pas non plus suivi le Sénat sur la mesure d'atténuation de l'effet de seuil de la CSG pour les retraités qui passeraient du taux nul au taux de 3,8 %. Les députés ont avalisé les conséquences financières des coupes croissantes de TVA à destination de la sécurité sociale programmées par le Gouvernement à partir de 2020. Celles-ci devraient atteindre 5 milliards d'euros par an à compter de 2022, ce qui remet en cause le désendettement de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse. Sur la branche maladie, l'Assemblée nationale a rétabli le forfait de réorientation des urgences prévu par l'article 29 quinquies, de même que le conditionnement des prestations de maternité à une durée minimale d'interruption d'activité de huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les non-salariées agricoles. Nous avions proposé un dispositif plus souple et mieux adapté.
Les différences qui subsistent entre les deux assemblées à l'issue de cette nouvelle lecture des députés traduisent de véritables divergences politiques. Il ne me semble plus possible d'adopter des amendements susceptibles d'être repris par l'Assemblée nationale en lecture définitive. Nous constatons ainsi la fin du « dialogue utile » entre l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est pourquoi je vous propose l'adoption d'une question préalable.
M. René-Paul Savary . - Certes, on peut comprendre qu'il y ait des différences de philosophie entre les deux assemblées. Mais le rapporteur général de l'Assemblée nationale avait semblé ouvert à certaines de nos propositions en CMP. Manifestement, il a dû y avoir des pressions gouvernementales. Nous discuterons pour savoir s'il faut travailler plus en amont avec l'Assemblée nationale. Mais nous voyons bien qu'il n'y a pas de volonté réelle du Gouvernement d'avancer sur certains points : la mesure que nous avions votée à propos de la maladie d'Alzheimer a été balayée d'un revers de main.
Mme Laurence Cohen . - Le groupe CRCE ne voit pas où est le dialogue qu'évoque le rapporteur général. La majorité sénatoriale fait les mêmes choix que le Gouvernement - des exonérations de cotisations -, c'est-à-dire des remèdes qui aggravent la maladie. Nous nous abstiendrons sur la question préalable ; nous aurions aimé en déposer une, mais pas pour les mêmes raisons. Les propositions du Gouvernement sont extrêmement préoccupantes. La sécurité sociale a besoin d'autres financements.
M. Bernard Jomier . - Il est légitime que l'Assemblée nationale affiche ses options politiques. Mais voyons le comportement des députés : toutes les mesures votées par le Sénat, parfois à l'unanimité, ont été balayées. Et, à la tribune de l'Assemblée, les propos de l'orateur du groupe La République en Marche dénotent un refus de tout dialogue avec le Sénat. La ministre a laissé détricoter toutes nos propositions. Il est difficile de continuer à discuter dans ces conditions. C'est cohérent avec ce qui se passe dans le pays : quand on ne sait pas dialoguer avec les parlementaires, on ne sait pas dialoguer avec les Français.
M. Martin Lévrier . - Même si nous soutenons le Gouvernement, nous avons voté un certain nombre d'amendements ; nous ne sommes donc pas fermés. Simplement, il y a de vraies divergences politiques qui empêchent le dialogue. Nous voterons contre la question préalable. On ne peut pas arrêter systématiquement la discussion avant son terme et demander à être entendus. Le rôle du Sénat est de continuer l'examen du texte jusqu'au bout.
M. Yves Daudigny . - Le groupe socialiste, qui s'était opposé au texte initial, maintient sa position. La désindexation signifie l'appauvrissement des retraités et des familles ; dans un contexte de creusement des inégalités et de revendications sur le pouvoir d'achat, une telle mesure paraît très malvenue. De façon plus générale, la sécurité sociale se trouve englobée dans un grand ensemble dont on ne perçoit plus le sens. Nous nous abstiendrons sur la motion.
Mme Florence Lassarade . - Le rétablissement du forfait de réorientation des urgences et la décision relative aux travailleuses indépendantes, notamment en milieu agricole, sont deux très mauvais signaux. Pour un gouvernement qui prétend valoriser le travail, on est loin du compte.
Mme Catherine Fournier . - Certes, au Sénat, nous ne sommes pas d'accord sur le fond avec l'Assemblée nationale. Mais notre élection est tout à fait légitime. Nous devons exprimer certaines voix tout en maintenant le dialogue avec l'autre assemblée.
Cependant, cette volonté de dialogue ne semble pas partagée, notamment par le Gouvernement. Dans ces conditions, nous voterons la question préalable.
Mme Nadine Grelet-Certenais . - La suppression de certaines de nos propositions traduit un manque de souplesse. Je pense à la suppression de l'exonération spécifique pour les associations intermédiaires dans les services à la personne, à la suppression de la possibilité d'expérimentation de l'infirmière référente ou à la suppression de la possibilité de recrutement d'assistants médicaux dans les secteurs au-delà de ceux qui sont sous-dotés. Les réponses du Gouvernement sont très tranchées. Il n'y a pas de demi-mesure.
M. Daniel Chasseing . - L'Assemblée nationale a repris un certain nombre d'amendements du Sénat. Il aurait été bien d'arriver à une exonération de 1,25 sur le TO-DE. Sur le principe, nous sommes pour continuer la discussion. Mais nous sommes contre le gel des retraites à 0,3 %, notamment pour les petites retraites.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - J'ai indiqué à mon homologue de l'Assemblée nationale que si nous n'étions pas capables de nous concerter, nous serions toujours à la merci de Bercy et des conseillers ministériels. Il faut essayer de nous concerter plus en amont pour le prochain exercice budgétaire. Une prise de conscience de la part de l'Assemblée nationale me semble nécessaire. Certes, ce sera difficile si celle-ci ne s'affranchit pas des positions gouvernementales.
Il y a d'autres solutions que la désindexation des retraites pour parvenir à l'équilibre. Le choix du Gouvernement n'est pas forcément judicieux, y compris d'un point de vue politique. Tout ce que M. Darmanin a été capable de répondre est que ces autres solutions ne figuraient pas dans le programme du Président de la République pour lequel j'ai voté. Cela ne me semble pas à la hauteur des enjeux : face à des parlementaires, on essaie d'argumenter.
Nous devons tenter le dialogue. Mais, pour être dans le dialogue, il faut être fort. Le Gouvernement joue sur la division entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Essayons de rapprocher ce qui peut être rapproché. Les sénateurs ont une expérience de terrain à faire valoir.
M. Martin Lévrier . - Monsieur le rapporteur général, je sais que vous êtes proche du Gouvernement. Ce n'est pas pour autant que vous avez obligatoirement raison et que nous avons obligatoirement tort. En l'occurrence, la marche était trop haute pour pouvoir aboutir. Mais je soutiens l'idée du dialogue. Simplement, dans ce cas, il serait plus cohérent de ne pas voter la question préalable et de continuer à examiner le PLFSS.
Mme Véronique Guillotin . - Je regrette l'issue de la CMP. Peut-être des concertations en amont nous permettraient-elles d'aboutir à des résultats conclusifs et d'enrichir le texte. Aujourd'hui, on est plus sur un rapport de force que sur la recherche d'un consensus. En plus, nos conditions de travail sont très difficiles, dans un temps restreint.
Notre groupe votera contre la question préalable. Nous considérons qu'il faut poursuivre le dialogue. Il y a deux points d'achoppement : le blocage sur la revalorisation des retraites, qui est un message politique catastrophique, et le retrait du forfait d'urgence. Pour autant, je trouve que nous avons eu un débat constructif.
M. Jean-Marie Morisset . - Le dialogue doit exister à tous les nouveaux. Si l'Assemblée nationale avait adopté la position unanime de la commission des affaires sociales sur les travailleurs occasionnels, nous aurions gagné du temps.
M. Alain Milon , président . - Dans les mandatures précédentes, 80 % des amendements adoptés par le Sénat étaient repris par l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, nous ne sommes même pas à 50 %. Il y a un véritable problème de concertation, probablement parce que le « nouveau monde » considère que l'ancien n'a plus rien à dire.
La demande formulée par Olivier Véran fait écho à une demande du Gouvernement sur d'autres textes. Mais j'attire votre attention sur le fait que cela reviendrait, en quelque sorte, à mettre en place la CMP avant la discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat, les autres parlementaires pouvant alors être invités à s'aligner sur la position ainsi définie. Or, pour ma part, je pense que la CMP doit venir après. C'est ce que la Constitution prévoit, et cela a toujours très bien fonctionné ainsi.
La motion ASOC.1 est adoptée.