D. L'ABSENCE D'AMBITION DE LA FUTURE RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL
Le projet de loi portant réforme de l'audiovisuel devrait être examiné par le Parlement au cours du premier semestre 2020. Les premières annonces tendent à indiquer qu'il ne devrait pas bouleverser le financement de l'audiovisuel public.
1. La création de France Médias
Si les contours de cette réforme n'ont pas encore été précisés, elle semble se résumer pour l'heure à la création de France Médias, holding censée chapeauter les sociétés publiques audiovisuelles. ARTE France et TV5 Monde ne seront pas, cependant, intégrées à cette nouvelle structure. Trois missions lui seraient assignées :
- définir des coopérations éditoriales entre les différentes entités, les décisions éditoriales demeurant du ressort des entreprises éditrices de programme ;
- déployer une offre « trimédia » : télévision, radio et internet ;
- mutualiser les fonctions non éditoriales à l'image de la formation, de la régie publicitaire ou de la recherche et développement.
France Médias serait lancée fin 2022. Elle serait dotée d'un conseil d'administration composé de douze membres, désignés par l'État, le Parlement et les représentants du personnel pour 5 ans. Ce conseil choisirait son président-directeur-général, qui sera ensuite nommé par décret présidentiel. Les présidents de chaînes seraient remplacés, à cet horizon, par des directeurs généraux, eux-mêmes désignés par les conseils d'administration de ces entités, sous l'impulsion du président de la holding.
2. Des synergies déjà à l'oeuvre
La création d'une holding ne constitue pas forcément un levier indispensable en vue de développer les synergies.
Les émissions communes mises en place par France 3 et France Bleu répondent ainsi d'ores et déjà à cette ambition. Suite à une première expérimentation associant les antennes locales des deux chaînes en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Occitanie menée en début d'année, Radio France et France Télévisions ont en effet annoncé en mai 2019 leur souhait de généraliser la diffusion des matinales locales des 44 antennes de France Bleu sur 44 zones de diffusion TV aménagées pour correspondre à l'auditoire de France Bleu. La fin de la mise en place de ce dispositif devrait intervenir à l'horizon 2022. Une dizaine de stations devraient être concernées chaque année. Des projets immobiliers communs concernant les deux entités sont également mis en oeuvre à Rennes, Lyon, Clermont-Ferrand, Strasbourg, Vesoul, Toulon ou Châteauroux.
D'autres projets de mutualisation sont également en cours à l'image de l'offre d'information du service public franceinfo, qui associe Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l'INA. Les six organismes de de l'audiovisuel public ont, par ailleurs, lancé, le 22 novembre 2018, Culture Prime , média social culturel visant à favoriser l'accès à la culture et à la connaissance au plus grand nombre. Les entreprises de l'audiovisuel public ont également mis en place un appel à projets dédié aux écritures numériques, à destination des créateurs audiovisuels et numériques, « l'Atelier de l'audiovisuel public ». Une offre éducative commune est également en cours d'élaboration, en lien étroit avec le ministère de l'Éducation nationale.
Au niveau financier, un « Club achats » a été créé fin 2017, rassemblant l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel public. Il vise à
- mettre en place des marchés mutualisés sur des besoins existants ou nouveaux ;
- échanger sur les bonnes pratiques du secteur et les stratégies achat, ainsi que sur la nomenclature achat (référentiel commun) afin d'harmoniser les procédures ;
- réaliser un gain de temps ;
- rendre plus aisées certaines synergies grâce à l'adoption de mêmes outils technologiques.
3. L'absence d'annonce financière
Au plan financier, la réforme devrait s'intégrer dans la trajectoire de réduction des coûts définie préalablement. Le Gouvernement semble donc laisser aux chaînes le soin d'ajuster leurs coûts de production, sans pousser à une rationalisation du paysage de l'audiovisuel public et à une réflexion sur le positionnement des différentes chaînes. Celle-ci devrait, en effet, se limiter à la mutation de France 4 et France Ô qui cesseront d'émettre en linéaire à partir de 2020, les chaînes restant toutefois accessibles sur internet, leurs contenus ayant, en outre vocation à alimenter les flux linéaires des autres chaines du groupe. Le format généraliste de France 2 ne semble ainsi pas remis en cause. Il apparaît pourtant nécessaire d'ouvrir une réflexion sur le périmètre et les missions du service public de l'audiovisuel. À défaut de priorisation ou de choix des missions assumées par ces groupes, en particulier par France Télévisions, la réalisation d'économies pour le secteur relève de l'équation insoluble.
Faute de réforme structurelle permettant de dégager de nouvelles marges de financement, le Gouvernement table sur un éventuel relèvement du plafond de ressources financières pour les chaînes publiques. Une augmentation de la publicité reste une option ouverte pour Radio France. Celle-ci n'a pas connu de hausse significative de ses revenus publicitaires entre 2018 et 2019 (52,3 millions d'euros en 2019 contre 52 millions en 2018). Le Gouvernement insiste par ailleurs sur l'ouverture de de la publicité segmentée et géolocalisée pour accroître les ressources de Radio France et France Télévisions, à volume constant.
Votre rapporteur spécial est, de fait, assez réservé sur les premières annonces. Une réforme annoncée de grande ampleur devrait se résumer à la mise en place d'une holding au-dessus du système actuel, celui-ci n'étant modifié qu'à la marge. La holding ne présente pas, à première vue de réelle plus-value. Le modèle auquel le Gouvernement semble faire référence est celui de la BBC. Un tel modèle a cependant un coût. Votre rapporteur spécial rappelle que la redevance audiovisuelle atteint environ 166 euros en Grande-Bretagne, où elle consiste en un impôt universel, sans condition de possession d'un téléviseur. Le futur projet de loi ne semble pourtant pas annoncer, là encore, de changement de grande envergure en la matière. Le débat sur la redevance audiovisuelle est en effet réduit dans le cadre du présent projet de loi de finances à une baisse tout autant symbolique qu'invisible de la contribution à l'audiovisuel public.
Observation n° 11 : la trajectoire d'économie imposée aux sociétés de l'audiovisuel public comme la future réforme de l'audiovisuel ne sont pas corrélées à une réflexion sur le périmètre du service public. Le présent projet loi de finances traduit cette logique de coup de rabot uniforme - -70 millions d'euros pour l'ensemble du secteur public - sans vision stratégique ni réformes structurelles, en particulier concernant France Télévisions. Les synergies attendues semblent déjà à l'oeuvre et la future holding pourrait s'avérer être une structure supplémentaire, sans réelle valeur ajoutée. |