II. LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE REPRÉSENTE PRÈS DE LA MOITIÉ DES RESTITUTIONS DU PROGRAMME 200

A. LES RESTITUTIONS DE TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE, UN ENJEU MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE

La fraude à la TVA constitue chaque année une perte de recettes particulièrement importante pour les finances de l'État. Plusieurs montages frauduleux, pour des montants parfois très élevés, utilisent le mécanisme des restitutions de TVA.

La fraude au carrousel représente l'un des schémas les plus utilisés par les fraudeurs . Elle implique des transactions financières transfrontalières entre différentes sociétés et consiste à faire déduire par un acheteur final la TVA facturée mais non reversée par une société dite « taxi ».

Les montages auxquels ont recours les fraudeurs se sont peu à peu complexifiés avec une multiplication de sociétés écrans dont la durée de vie est de plus en plus courte.

En dehors du modèle de fraude au carrousel, la fraude à la TVA recouvre des réalités diverses, les méthodes des fraudeurs relèvent en effet de schémas plus ou moins complexes. La fraude peut simplement viser à dissimuler des recettes encaissées ou à les effacer de la comptabilité 9 ( * ) mais peut également consister à minorer le coût de certaines ventes à distance 10 ( * ) ou à faire appel à des schémas plus complexes, comme la fraude au « régime 42 11 ( * ) » ou l'usage abusif du régime de la marge 12 ( * ) .

Le chiffrage global de la fraude à la TVA pose cependant question. Votre rapporteur spécial considère que l'absence de réelle estimation publique par le Gouvernement du niveau de la fraude et de ces composantes est un problème majeur. Le ministre de l'action et des comptes publics a fourni devant le Sénat une évaluation du niveau global de la fraude entre 18 et 22 milliards d'euros 13 ( * ) sans que les différentes composantes de ce coût ne soient retracées. Il est urgent de communiquer publiquement les montants estimés pour les différents types de fraude, fussent-il objets de réserves .

En effet, le Grand débat national a eu pour mérite de rappeler au Gouvernement la préoccupation de nos concitoyens concernant la fraude fiscale : les Français attendent du Gouvernement qu'il mène une action forte et déterminée .

Malgré la demande en ce sens de votre rapporteur spécial, l'estimation de la fraude à la TVA dont disposent les comptables nationaux ne lui a pas été communiquée. En effet, les estimations de la fraude à la TVA disponibles actuellement relèvent de plusieurs organismes et varient largement entre elles .

Parmi ces estimations, la fraude est généralement évaluée à un niveau bien supérieur à 10 milliards d'euros , ce qui justifie la pleine mobilisation des services concernés et le renforcement des moyens affectés à la lutte contre la fraude.

Depuis la loi de finances rectificative pour 2014, le Gouvernement doit remettre un rapport annuel au Parlement 14 ( * ) sur l'écart de TVA, soit l'écart entre le montant des recettes réellement perçues et le montant attendu de cet impôt. L'administration indiquant ne pas être en mesure d'évaluer précisément le niveau de la fraude, le rapport remis cette année se limite à des considérations méthodologiques sur les difficultés d'évaluation de l'écart de TVA : aucun chiffrage n'y est communiqué aux parlementaires .

Tout au plus le rapport fait-il état de r éserves quant aux chiffres avancés par la Commission européenne, évaluant à 20,8 milliards d'euros , soit 12 % des recettes de TVA attendues, l'écart de TVA en France. Pour le Gouvernement, l'évaluation de l'écart de TVA ne serait pas l'approche la plus pertinente pour évaluer de façon fiable le niveau de la fraude : le calcul du montant attendu de TVA ferait l'objet d'erreurs d'estimation, les données dont dispose l'administration étant souvent incomplètes, parfois contradictoires voire falsifiées par les intéressés.

Les difficultés liées à l'estimation de fraude à la TVA

L'estimation du niveau de la fraude à la TVA s'avère complexe à établir dans la mesure où elle relève de données dont l'administration fiscale, par définition, ne dispose pas. Surtout, la notion d'écart de TVA ne constitue pas une mesure suffisamment précise du niveau de la fraude. En effet, son calcul implique l'estimation du montant de TVA théorique. Celui-ci ne peut être fait que sur la base des données disponibles, ce qui ne permet pas de prendre en compte la fraude aux liasses fiscales. De plus, l'application des différents taux de TVA en fonction des produits et les fluctuations dans les délais de paiement constituent une difficulté importante pour le calcul.

Des estimations ont pu être réalisées par les comptables nationaux sur la base de l'extrapolation des contrôles fiscaux effectués par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sur un certain nombre de domaines affectant la TVA. Ces estimations ne sont cependant pas publiques et ne semblent pas avoir été actualisées.

Source : rapport remis par le Gouvernement au Parlement 15 ( * )

Les travaux de la Cour des comptes, lancés en mai dernier à la demande du Premier ministre, devront permettre de dresser l'indispensable état des lieux de la fraude fiscale en France 16 ( * ) . Votre rapporteur spécial estime que les conclusions de ce rapport permettront enfin d'apporter aux parlementaires les éléments précis et chiffrés indispensables à leur travail .

Comme le soulignait déjà le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de juin 2015, « le faible niveau d'information publique empêche ainsi une évaluation consensuelle du phénomène et retarde la mobilisation de moyens de plus grande envergure pour lutter contre la fraude à la TVA. » 17 ( * )

Votre rapporteur encourage le Gouvernement à proportionner les moyens de la lutte contre la fraude à la TVA aux enjeux financiers que représente ce type de fraude. Il est nécessaire de décloisonner l'information et d'aller vers une véritable coordination des travaux de l'ensemble des services de l'État. Une stratégie efficace de lutte contre la fraude permettrait de limiter « l'hémorragie fiscale » qui touche les recettes de TVA.

Aussi, votre rapporteur spécial considère qu'il est nécessaire de renforcer les moyens humains de la lutte contre la fraude. Les conclusions du référé rendu par la Cour des comptes 18 ( * ) permettent de dégager des voies d'amélioration. Les services d'enquête sont en effet saturés, leurs effectifs devant être renforcés et spécialisés. Ces services doivent également pouvoir faire appel à des experts extérieurs.


* 9 L'Association des constructeurs, éditeurs, distributeurs et installateurs de systèmes d'encaissement (Acédise) estimait en 2015 que la perte de recettes pour l'État pouvait atteindre jusqu'à 10 milliards d'euros par an. Par exemple, en 2011-2012, de nombreux contrôles fiscaux opérés dans des officines de pharmacie ont mis en lumière des systèmes de caisse frauduleux permettant d'effacer certaines transactions. Cette série de contrôles, baptisée « opération Caducée », a connu un certain succès médiatique et a permis de recouvrer près de 50 millions d'euros.

* 10 La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) n'a pas les moyens humains ni matériels de contrôler les 7 millions de petits colis soumis à déclaration qui transitent chaque année.

* 11 Le régime 42 est un régime de transit douanier, pouvant être détourné lorsque la marchandise est consommée dans le pays de première importation ou lorsque la TVA n'est ensuite pas réglée dans l'État membre où la marchandise est transférée pour être effectivement consommée.

* 12 Régime dérogatoire réservé aux biens d'occasion permettant de n'imposer une transaction que sur la marge réalisée par le vendeur et non sur sa valeur totale.

* 13 « S'agit-il toutefois de 18 milliards, de 20 milliards ou de 22 milliards d'euros ? L'estimation est difficile, mais nous savons que le montant de la fraude est élevé étant donné l'importance de cet impôt. » Gérald Darmanin, Sénat, Débat d'initiative sénatoriale sur la lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière .

* 14 Rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 25 de la loi n°2014-1655 du 28 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 15 ibid

* 16 Lettre de mission du Premier ministre, en date du 9 mai 2019.

* 17 Conseil des prélèvements obligatoires, La taxe sur la valeur ajoutée, la gestion de l'impôt et la fraude à la TVA, Jérôme Dian, juin 2015.

* 18 Cour des comptes, référé S2018-3520, sur les moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière, 12 décembre 2018 .

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