B. L'ABSENCE DE RÉFLEXION SUR LE PÉRIMÈTRE DE FRANCE TÉLÉVISIONS
L'année 2020 devrait se traduire, pour le groupe France Télévisions, par un nouveau déficit d'exploitation de 9,5 millions d'euros. La crise sanitaire n'est pas sans incidence sur ce déficit en occasionnant perte de chiffre d'affaires publicitaire, ralentissement des activités et surcoûts directs. Le contexte de rentrée marqué par une incertitude importante concernant le marché publicitaire ou le rythme de reprise de l'ensemble des activités de production de tournage n'a pas contribué à inverser cette trajectoire, potentiellement exacerbée par les incidences publicitaires du nouveau confinement. Le groupe estime que l'exercice 2021 devrait être encore marqué par les effets de la crise sanitaire.
La prolongation de France 4 et les coûts liés au sous-titrage des programmes de France Info ont également conduit à fragiliser l'équilibre. Ce déficit d'exploitation n'intègre pas, cependant, le coût du lancement de la plateforme de programme à la demande SALTO, prévu au printemps dernier. Initialement établi à 21,3 millions d'euros, ce coût a finalement été ramené à 13 millions d'euros , en raison du report de la mise en ligne de la plateforme au 20 octobre dernier. Le coût de cet investissement peut susciter une certaine réserve au regard des efforts de maîtrise observés par ailleurs : le nombre d'ETP moyens annuels rémunérés au sein du groupe est ainsi passé de 9 456 à 9 039, le budget 2020 envisageant dans un premier temps une cible d'emploi plus élevée (9 255).
Le rapporteur spécial s'interroge sur l'opportunité, pour le groupe public, de rejoindre SALTO, qui associe déjà les groupes M6 et TF1. Conçu comme un service de vidéo en direct et à la demande, payant par abonnement et sans engagement, la plateforme donne accès à une offre de contenus de plus de 10 000 heures de programmes et à des services enrichis (reprise du début d'un programme en cours de diffusion, recommandation personnalisée, accès sur tous les terminaux, reprise de lecture, etc.).
D'après les réponses au questionnaire budgétaire, SALTO n'est ni directement ni indirectement financée par la contribution à l'audiovisuel public mais par les recettes commerciales induites par son modèle économique. Reste que le résultat d'exploitation de France Télévisions intègre un tiers de la perte prévisionnelle de la société SALTO, soit 13 millions d'euros en 2020.
Plus troublant encore, il a été répondu au rapporteur spécial qu'au regard du caractère confidentiel des données financières de SALTO imposé par l'Autorité de la concurrence, et étant rappelé que France Télévisions n'est pas l'éditeur des programmes de cette société, France Télévisions ne dispose pas du détail des investissements dans les programmes et dans la plateforme technologique ni du détail des dépenses de fonctionnement de SALTO.
Il y a lieu d'être inquiet sur cette absence de vue claire sur les investissements de SALTO. Une première lecture du catalogue fait apparaître des séries étrangères déjà accessibles sur d'autres plateformes ou des films. Les séries françaises produites pour France Télévisions sont par ailleurs déjà accessibles sur le service gratuit de vidéos à la demande des chaines du groupe public. Il est par ailleurs possible de s'interroger sur la mise en vente de séries produites pour le service public, en principe accessibles à tous, et financées, à ce titre, par des ressources publiques.
Le coût de l'abonnement de SALTO est proche de celui retenu par les fournisseurs américains, type Netflix et Amazon , sans pour autant faire montre du même effet d'attraction faute d'un catalogue de contenus inédits suffisamment développé. Il y a forte à craindre que l'investissement du groupe public soit donc à terme synonyme d'échec. Pour l'heure, seule une cible modeste de 40 000 abonnés à la fin de l'année 2020 a été fixée. Cette perspective ne lasse pas d'interroger une nouvelle fois sur les choix stratégiques de France Télévisions, enclin à vouloir se rapprocher des groupes TF1 et M6, au risque de remettre en question un positionnement censé être plus exigeant.
Le rapporteur spécial rappelle son souhait que le groupe se recentre sur des émissions dédiées à la promotion de la culture et à l'accès à la connaissance accessibles à toutes les générations. Il avait insisté sur ce point lors de sa mission de contrôle en 2018. La présidente de France Télévisions a indiqué, lors de son audition par le rapporteur spécial, qu'elle entendait oeuvrer en ce sens. Il s'agit désormais de concrétiser cette ambition. Une réflexion sur le positionnement du groupe (rôle de France 2 notamment) et sa taille apparaît de fait plus que nécessaire si le Gouvernement entend poursuivre sur la voie de la réduction des coûts en 2022.