TROISIÈME PARTIE
LES
CRÉDITS DES PROGRAMMES 151 ET 185
ET LA POSITION DU RAPPORTEUR
SPÉCIAL
RÉMI FÉRAUD
I. UNE SORTIE DE CRISE QUI POSE DES DÉFIS DIFFÉRENTS AUX OPÉRATEURS DE LA CULTURE ET DE L'INFLUENCE FRANÇAISE À L'ÉTRANGER
En 2022, les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » progressent de 15,4 millions d'euros en AE comme en CP pour s'établir à 730,9 millions d'euros.
Évolution des crédits par action du programme 185
(en millions d'euros et en %)
LFI 2021 |
PLF 2022 |
Évolution PLF 2022 / LFI 2021 (volume) |
Évolution PLF 2022 / LFI 2021 (%) |
||
01 - Appui au réseau |
AE |
37,5 |
40,2 |
+ 2,7 |
+ 7,1 % |
CP |
37,5 |
40,2 |
+ 2,7 |
+ 7,1 % |
|
02 - Coopération culturelle et promotion du français |
AE |
66,4 |
68,2 |
+ 1,8 |
+ 2,7 % |
CP |
66,4 |
68,2 |
+ 1,8 |
+ 2,7 % |
|
03 - Objectifs de développement durable |
AE |
3,2 |
2,4 |
- 0,8 |
- 25,1 % |
CP |
3,2 |
2,4 |
- 0,8 |
- 25,1 % |
|
04 - Enseignement supérieur et recherche |
AE |
88,1 |
101,6 |
+ 13,5 |
+ 15,4 % |
CP |
88,1 |
101,6 |
+ 13,5 |
+ 15,4 % |
|
05 - Agence pour l'enseignement français à l'étranger |
AE |
416,9 |
416,9 |
0,0 |
0,0 % |
CP |
416,9 |
416,9 |
0,0 |
0,0 % |
|
06 - Dépenses de personnel concourant au programme "Diplomatie culturelle et d'influence" |
AE |
73,0 |
70,7 |
- 2,4 |
- 3,2 % |
CP |
73,0 |
70,7 |
- 2,4 |
- 3,2 % |
|
07 - Diplomatie économique et développement du tourisme |
AE |
30,3 |
30,9 |
+ 0,6 |
+ 2,0 % |
CP |
30,3 |
30,9 |
+ 0,6 |
+ 2,0 % |
|
Total programme 185 |
AE |
715,5 |
730,9 |
+ 15,4 |
+ 2,2 % |
CP |
715,5 |
730,9 |
+ 15,4 |
+ 2,2 % |
FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Au sein de la mission Action extérieure de l'État, le programme 185 présente la particularité de porter les crédits des subventions de l'État à l'ensemble des opérateurs de la mise en oeuvre de la politique culturelle, d'enseignement à l'international et plus largement d'influence française que sont :
- l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ;
- Atout France, opérateur du développement touristique ;
- Campus France, opérateur chargé de la promotion de l'enseignement supérieur français ;
- l'Institut français, opérateur chargé de la promotion et de l'accompagnement de la culture française à l'étranger.
A. LE DÉVELOPPEMENT DE L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER IMPOSE UNE RÉFLEXION SUR SON MODE DE FINANCEMENT
1. La subvention versée à l'AEFE est stabilisée en 2022
L'action 05 - Agence pour l'enseignement français à l'étranger est dotée en 2022 de 416,9 millions d'euros qui représentent 57 % des crédits du programme et qui sont exclusivement destinés à l'AEFE.
L'agence constitue l'opérateur du réseau d'enseignement français à l'étranger. En 2021, le réseau comprenait 545 établissements homologués et répartis dans 138 pays, ce qui en fait le réseau public d'enseignement à l'étranger le plus dense au monde.
Sur ces 545 établissements, 69 sont gérés directement par l'agence tandis que 152 sont liés à elle par une convention et que, enfin, 324 interviennent comme des partenaires disposant de la pleine autonomie de gestion.
Au-delà des moyens portés par l'action 05, l'opérateur perçoit également des crédits qui proviennent du transfert :
- de 3,5 millions d'euros au titre des bourses « Excellence Major » du programme 185 ;
- d'un peu plus de 95,7 millions d'euros depuis l'action 02 - Accès des élèves français au réseau AEFE du programme 151 afin de financer des bourses sur critères sociaux.
Au bilan, le montant des crédits demandés pour l'AEFE en 2022 s'élèvent à 516,4 millions d'euros soit une diminution d'environ 9 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2021.
Celle-ci s'explique par la diminution équivalente des montants versés au titre des bourses sur critères sociaux justifiée, pour l'État, par le fait que le niveau de la soulte de l'opérateur permettra d'absorber cette moindre ressource .
Le volume des emplois rémunérés par l'opérateur devrait augmenter de 66 ETPT en 2022 par rapport à ceux prévus en LFI pour 2021 et ce, quasi-exclusivement, en raison d'une hausse des emplois hors plafonds.
Évolution des plafonds d'emplois de l'Agence
pour l'enseignement
français à l'étranger entre 2017
et 2022
(en emplois équivalents temps plein travaillés)
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
LFI 2021 |
PLF 2022 |
|
Emplois sous plafond |
5 991 |
5 898 |
5 708 |
5 541 |
5 605 |
5 604 |
Emplois hors plafond |
4 597 |
4 650 |
4 732 |
4 872 |
5 094 |
5 161 |
TOTAL |
10 588 |
10 548 |
10 440 |
10 413 |
10 699 |
10 765 |
Source : commission des finances d'après les réponses aux questionnaires
Les emplois sous plafonds correspondent aux personnels expatriés et résidents dont la rémunération est partagée entre les établissements et l'agence. A l'inverse, les emplois hors plafonds correspondent aux personnels de droit local dont la rémunération est prise en charge entièrement par les établissements.
Depuis 2016, la tendance observée est celle d'une augmentation du nombre des emplois hors plafonds et de leur poids relatif dans les effectifs du réseau.
Or, comme l'avait indiqué le rapporteur spécial Rémi Féraud par le passé, cette transformation implique que les établissements puissent mobiliser un volume croissant de ressources propre s ce qui participe à justifier l'organisation d'une réflexion sur le modèle de financement du réseau.
Toutefois, pour l'année 2022, le rapporteur spécial relève que cette difficulté se présente avec moins d'acuité dans la mesure où le relèvement des emplois hors plafonds (+ 71 ETPT) s'explique par le passage sous le régime de la gestion directe d'un établissement de Varsovie jusqu'ici simplement conventionné et qui assumait déjà le financement de ses effectifs.
2. Confronté à de multiples crises en 2020 et 2021, l'enseignement français à l'étranger a fait l'objet d'un soutien particulier et efficace au plan budgétaire
a) La crise sanitaire et sociale au Liban a justifié d'importantes ouvertures de crédits
Le rapporteur spécial rappelle que la survenue de la crise sanitaire a représenté un défi d'ampleur pour le réseau et justifié le plein engagement de l'État, notamment au plan budgétaire.
À court terme, la nécessité d'offrir une assistance aux familles des élèves français et étrangers , d'une part, mais aussi aux établissements qui ont dû s'adapter pour assurer la continuité du service malgré les fermetures et résister à la baisse du niveau de leurs ressources, d'autre part, a conduit le Parlement a ouvrir, dès 2020, trois enveloppes de crédits supplémentaires dont :
- 50 millions d'euros pour l'aide à la scolarité et à l'aide sociale aux familles françaises sur le programme 151 ;
- 50 millions d'euros pour l'assistance aux établissements et aux familles étrangères sur le programme 185 ;
- 50 millions d'euros sous forme d'avances de l'Agence France Trésor pour le soutien à la trésorerie des établissements sur le programme 823 qui ne relève pas de la mission Action extérieure de l'État.
À moyen terme, les discussions engagées lors de l'examen du PLF pour 2021 laissaient entrevoir de fortes incertitudes sur l'évolution des effectifs d'élèves dans les établissements et, par suite, sur celle des ressources du réseau.
Enfin, à la crise sanitaire s'était ajoutée, de manière plus spécifique, l'aggravation rapide de la situation sociale et politique au Liban révélée autant qu'amplifiée par l'explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020.
b) Les crédits supplémentaires ont été utilement mobilisés en 2020 et 2021
La consommation des mesures d'urgence s'est étalée les années 2020 et 2021 , comme ont pu le détailler les fédérations de parents d'élèves et l'administration.
Déploiement des crédits d'urgence en
faveur de
l'enseignement français à
l'étranger
PHASE 1 (PRINTEMPS 2020) |
PHASE 2 (PRINTEMPS ET AUTOMNE 2021) |
TOTAL ENGAGÉ SUR 2020-2021 PAR ENVELOPPE |
|
Aide aux familles étrangères
|
+ 8,5 millions d'euros pour les familles étrangères, hors Liban + 5 millions d'euros pour les familles étrangères au Liban ____________________ = 13,5 millions d'euros pour les familles étrangères |
3,6 millions d'euros pour les familles ayant des difficultés à honorer les frais de scolarité |
17,1 millions d'euros |
Aide aux établissements (programme 185) |
3,7 millions d'euros pour des établissements libanais relevant de la MLF* + 1,4 millions d'euros pour des établissements de la MLF* hors Liban +6,9 millions d'euros pour des établissements d'enseignement français au Liban ____________________ = 12 millions d'euros pour les établissements |
15 millions d'euros pour répondre aux besoins spécifiques des établissements (numérique, accompagnement des élèves, protocoles sanitaires, formation à l'enseignement à distance + 10 millions d'euros pour les établissements connaissant une chute du nombre d'élèves ____________________ = 25 millions d'euros prévus mais 17,8 millions d'euros effectivement engagés |
29,8 millions d'euros |
Aide aux familles françaises (programme 151) |
Versement à l'agence de 41,7 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre des bourses scolaires. On observe : 1) une augmentation de 11 ,1 % du montant des bourses accordées en 2020 et 2021. 2) une hausse du montant de la soulte de l'AEFE qui est passé de 16,7 millions d'euros en 2018 à 70 millions d'euros en 2021 |
||
TOTAL DES CRÉDITS ENGAGÉS PAR PHASE |
73 millions d'euros |
21,4 millions d'euros |
94,4 millions d'euros |
Source : commission des finances d'après les réponses aux questionnaires
Ces mesures ont permis d'offrir une réponse cohérente et efficace aux défis posés par la crise sanitaire tout en constituant, par ailleurs, le vecteur du soutien français plus particulièrement accordé au Liban.
3. Comme avant la crise, l'agence est confrontée au double défi d'assurer le développement et le financement de son réseau
Conformément au souhait exprimé par le Président de la République, le réseau s'est donné l'objectif de doubler le nombre d'élèves scolarisés - qui est aujourd'hui de 370 000 - à l'horizon 2030 .
Cet objectif avait, d'ailleurs, justifié une augmentation, en 2020, d'environ 24 millions d'euros de la subvention versée par l'État à l'agence.
Par ailleurs, l'opérateur a programmé un volume conséquent d'investissements en matière immobilière puisque 35,5 millions d'euros d'engagements sont prévus pour la seule année 2022.
Synthèse des opérations immobilières prévues par l'AEFE en 2002
(en euros)
OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES |
AE |
CP |
MOSCOU- Lycée-Extension |
9 350 000 |
3 297 472 |
RABAT - Lycée Descartes - Restructuration - Saint-Exupéry |
6 012 500 |
1 312 500 |
LE CAIRE - Maadi-Rénovation |
5 667 000 |
3 000 000 |
TUNIS - Lycée - Restructuration |
3 503 200 |
770 100 |
MADRID - Conde de Orgaz - Extension secondaire Phase 1 |
2 440 426 |
1 490 426 |
LA MARSA - Lycée - Restructuration |
2 174 400 |
664 400 |
ROME - Lycée - Rénovation - villa Strohl Fern |
1 400 000 |
1 400 000 |
MEKNES - Fès - Groupe scolaire - Restructuration - La Fontaine |
1 193 122 |
1 193 122 |
LISBONNE - lycée - Restructuration |
1 000 005 |
5 208 935 |
MARRAKECH - Cité scolaire - Restructuration |
1 000 000 |
8 000 000 |
MEKNES - Lycée - Reconstruction |
592 500 |
1 440 074 |
RABAT - Lycée Descartes - Restructuration - 2ème tranche |
462 500 |
462 500 |
FRANCFORT - Lycée - Construction - salle polyvalente |
230 407 |
546 330 |
TANGER - Lycée et école - Rénovation |
200 528 |
200 528 |
LA MARSA - Sousse - Groupe scolaire - Regroupement |
181 200 |
181 200 |
NIAMEY- construction d'un pôle culturel et sportif |
99 015 |
705 435 |
RABAT - Lycée Descartes - Restructuration - Cézanne |
46 250 |
46 250 |
RABAT - Lycée Descartes - Restructuration - 1ère tranche |
0 |
1 387 500 |
Total |
35 553 052 |
31 306 771 |
Source : commission des finances d'après les réponses aux questionnaires
Dans ce contexte, les moyens financiers dont dispose le réseau constituent un enjeu primordial et, peut-être surtout, l'objet d'un vif débat entre l'opérateur, sa tutelle et les usagers.
D'abord, le rapporteur spécial observe que l'appréciation du niveau de trésorerie mobilisable par l'agence ne fait pas consensus . En effet, si au plan comptable, celle-ci pourrait s'élever à 230,3 millions d'euros à fin 2021, ce montant agrège les fonds de l'agence et des différents établissements.
Or, là où la tutelle peut être amenée à considérer cette trésorerie agrégée comme une ressource mutualisée et mobilisable sur l'ensemble du réseau , les familles d'élèves peuvent, à l'inverse, considérer que ces excédents procèdent de versements qu'elles ont effectués pour le développement des établissements où sont scolarisés leurs enfants.
Loin d'être évidente, l'idée d'une mise en péréquation des ressources des établissements se heurte donc à une résistance en pratique. Dans ce contexte, l'opérateur se trouve actuellement pris entre deux positions contradictoires, situation dont il convient de tenir compte.
En outre, le rapporteur spécial rappelle que le niveau de cette trésorerie devrait tendanciellement diminuer puisqu'elle est attendue à 185,6 millions d'euros en 2022 alors même que l'opérateur pourrait être confronté à des difficultés de remontées de participations de certains établissements.
Toutefois, au sein de cette trésorerie, la soulte constituée par la non-consommation, au fil des ans, des crédits dédiés aux bourses, pourrait atteindre 70 millions d'euros en 2022 .
Il s'agit d'un niveau particulièrement important en comparaison de l'année 2018 puisqu'elle s'élevait alors à 18,7 millions d'euros.
Dans le dessein de réduire progressivement le niveau de la soulte, le ministère a diminué de 10 millions d'euros le montant des subventions accordées au titre des bourses en 2022 par rapport à la LFI 2021, ce qui n'a pas suscité de réactions particulières de la part de l'agence ou des familles.
Plus largement, la double contrainte résultant, d'un côté, du souhait de la tutelle de maitriser l'évolution de ses contributions à l'opérateur et, de l'autre, de la nécessité pour l'agence de mettre en oeuvre son plan de développement justifie la réflexion en cours sur les modalités de financement du réseau.
L'agence explore, à cet égard, les voies d'une refonte des modes de participation des établissements qui pourrait impliquer la création d'une contribution forfaitaire unifiant et rebasant les différentes contributions existant actuellement sur les droits de scolarité et non plus sur la masse salariale.
Le rapporteur spécial a été informé qu'un groupe de travail s'était constitué au sein du réseau pour évaluer la pertinence et la faisabilité de ces pistes.
Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan immobilier de l'AEFE, le rapporteur spécial estime que l'État devrait ouvrir une réflexion sur les modalités de recours à l'emprunt de l'agence.
En effet, en raison de son statut d'organisme divers d'administration centrale (ODAC) au sens de la comptabilité nationale, l'article 12 de la de loi de programmation des finances pour les années 2011-2014 fait obstacle à ce que l'AEFE puisse contracter des emprunts à plus d'un an.
Une telle contrainte implique, en conséquence, que les dépenses immobilières de l'AEFE ne peuvent être qu'autofinancées ou couvertes par l'affectation de crédits budgétaires.
Les échanges conduits par le rapporteur spécial ont montré que la tutelle ne serait pas hostile à une évolution de la situation permettant à l'AEFE d'emprunter à plus d'un an.
Le rapporteur spécial considère en tout cas que cette question mérite d'être investiguée notamment pour s'assurer que compte tenu des modes de financement de l'agence, l'INSEE serait fondé à ne plus la qualifier comme un ODAC.
En tout état de cause, l'ensemble des enjeux afférents aux modalités de financement des activités de l'agence, à sa gestion et à ses rapports avec la tutelle sont l'objet des négociations de la convention d'objectifs et de moyens (COM) 2021-2023.
Celle-ci devrait s'articuler autour de quatre objectifs stratégiques :
- accroitre l'activité de l'enseignement français pour attirer de nouveaux publics ;
- renforcer le rôle de l'agence dans le développement du réseau d'enseignement français à l'étranger ;
- développer le rôle de l'agence comme acteur de la coopération éducative ;
- adapter le fonctionnement de l'agence pour répondre aux défis du développement de l'enseignement français.